Séminaire Philosophie et Histoire de la Médecine Mentale (PH2M)
Du positivisme en médecine mentale :
Foucault et l’aliénisme
Exposé de Lionel Fouré (26/10/2007)
C’est un véritable défi que représente Le pouvoir psychiatrique,
pour qui entend défendre le contenu rationnel de l’aliénisme et prétend y
voir une médecine mentale ouvrant sur une thérapeutique de l’esprit
malade. Rassemblés sous ce titre, les cours que Foucault a donnés au Collège de
France en 1973 et 1974 laissent clairement entendre qu’il ne peut être
question, en l’occurrence, de poser la question sous une forme épistémologique,
ayant trait au savoir psychiatrique. Cet ouvrage, écrit du point de vue
des disciplines, développe une approche généalogique centrée sur l’analyse de
la distribution du pouvoir dans les asiles du 19ème siècle. L’opérateur
philosophique qui en organise l’étude est celui des « technologies
disciplinaires » propres à la société libérale : évoquer ces
instruments, c’est rendre compte des modalités par lesquelles le pouvoir vient
en dernier niveau toucher les corps et les comportements, dans le cadre d’une « microphysique ».
Dans les institutions asilaires, il aurait finalement moins importé aux
aliénistes de soigner leurs patients que de les soumettre à un dispositif dont
la fonction se réduit à l’inculcation de normes de conduite.
Ce qui caractérise l’approche
foucaldienne, c’est bien évidemment qu’elle est foncièrement critique, en ce
sens qu’avant d’interroger la nature des techniques médicales mises en œuvre
dans le traitement de l’aliénation mentale, elle tâche de s’assurer que ces
pratiques sont bien médicales. Autrement dit, au lieu d’admettre que les
aliénés ont été soignés pour se demander ensuite comment ils l’ont été,
elle se demande au préalable si ils l’ont seulement été. Il me semble à
cet égard que la méthode de Foucault me paraît pouvoir être clairement appréhendée
à travers l’intention qu’il exprime dans la séance du
Il
est bien entendu qu’il ne s’agit même pas d’analyser le fonctionnement de la
psychiatrie à partir du discours supposé vrai de la psychiatrie ; mais je
crois qu’on ne peut même pas le faire à partir de l’analyse de
l’institution : c’est à partir du fonctionnement du pouvoir disciplinaire
qu’il faut comprendre le mécanisme de la psychiatrie[1].
A l’autre bout de sa
démonstration, je crois qu’on peut retenir ce jugement, qui sonne comme la
conclusion d’une analyse menée sur la base des précédentes prémisses :
Il
n’y a pas eu de véritables théories de la guérison, ni même de tentatives
d’explication de celle-ci : cela a été un corpus de manœuvres, de
tactiques, de gestes à faire, d’actions et de réactions à déclencher, dont la
tradition s’est perpétuée à travers la vie asilaire, dans l’enseignement
médical… Corpus de tactiques, ensemble stratégique, c’est tout ce que l’on peut
dire de la manière même dont les fous ont été traités[2].
Constat implacable, et
d’autant plus cruel pour l’aliénisme qu’il conduit à faire de l’asile un
« champ de bataille »[3]
et du traitement moral non pas une « recette technique médicale »,
mais « l’affrontement de deux volontés ». Dès la première leçon de
son cours au collège de France, lorsque Foucault cite des passages du Traité
médico-philosophique de Pinel (1745-1826), c’est pour décrire ce qui se
passe entre l’aliéniste et ses patients sur le mode de rapports de force. A
l’asile, on ne soigne pas les patients, on les combat.
Est-ce bien vrai ?
Dans cet article, je
me propose de montrer que les conclusions de Foucault, qui conduisent à exclure
l’aliénisme du champ de la médecine, sont l’aboutissement inéluctables d’analyses
menées sur la base de présupposés naturalistes et d’une philosophie de l’action
qui présente le défaut rédhibitoire de fournir de la pratique aliéniste les
descriptions les plus étroites qui soient, au sens qu’Elizabeth Anscombe donne
à cette expression. Refusant que les aliénistes aient des raisons d’agir
ajustées à leurs ambitions thérapeutiques, Foucault travaille soigneusement à
rendre impensable que l’on puisse user, en médecine mentale, de verbes d’action
médicaux. On comprend que pour ce faire, il lui faille substituer une
généalogie psychiatrique à l’approche épistémologique, et troquer le
vocabulaire psychosociologique pour un « vocabulaire
pseudo-militaire »[4].
Interroger les raisons qu’il nous donne de le suivre sur le terrain de la
microphysique du pouvoir, c’est étudier comment grâce à son positivisme il
parvient, en redéfinissant la fonction de l’asile, non seulement à réduire les
actes des aliénistes à de simples techniques disciplinaires, mais aussi à
rendre impensable qu’ils aient pu accomplir des actes de médecine mentale en se
livrant à des raisonnements pratiques.
Avant
d’entreprendre son étude, Foucault prend soin de nous exposer dans quelle
perspective il entend travailler. Dans la citation que j’ai retenue, il dégage
trois possibilités, mais une seule lui paraît satisfaisante. Pourquoi ?
La
première option est manifestement indéfendable, car elle requiert que nous
abandonnions tout sens critique : si nous suivions cette option, nous serions
en effet tenus de « supposer vrai » le discours de la psychiatrie,
avant même de commencer son analyse. C’est chose évidemment inconcevable, et
l’on comprend que Foucault élimine immédiatement une telle éventualité. Mais ce
cas étant incontestablement aberrant, pourquoi le formuler de cette
manière ? Foucault fait comme si l’analyse du contenu propositionnel des
thèses aliénistes présupposait de manière inconditionnelle leur vérité, alors
même que la fonction d’une étude historique et épistémologique est au contraire
de déterminer ce qui peut être tenu après un examen critique pour factuellement
exact, probablement vrai, vraisemblablement fondé en raison, ou encore
raisonnablement juste. Une telle analyse n’oblige nullement à adhérer naïvement
ou stupidement aux croyances des aliénistes. Ce qu’elle exige, bien au
contraire, c’est que toute croyance dans le caractère thérapeutique d’une
technique soit en mesure de produire ses raisons. La défiance de Foucault à
l’égard du discours aliéniste est donc excessive, et le conduit à se méprendre
sur ce qu’une attitude critique requiert : non pas l’ignorance délibérée
de ce qui fonde en raison les actions des aliénistes, mais plus simplement
l’examen systématique et raisonné de leurs prétentions à bien faire.
L’argument de Foucault
est irrecevable, mais ses conséquences sont décisives. Car en balayant d’un
revers de main le discours de la psychiatrie, ce n’est rien moins que l’intérêt
épistémologique de la rationalité aliéniste qui se voit révoquer, avant même qu’on
en sache quoi que ce soit. En s’y attaquant, l’auteur du Pouvoir
psychiatrique fait en somme d’une pierre deux coups : il conteste la
pertinence de la théorie aliéniste, et nie l’efficacité thérapeutique de sa
pratique. C’est finalement la fonction même de l’asile qui se voit remise en
cause. Son programme, Foucault le formule ainsi :
Soyons
très anti-institutionnaliste. Ce que je me propose cette année, c’est de faire
apparaître la microphysique du pouvoir, avant même l’analyse de
l’institution[5].
Je souligne ces mots,
parce qu’ils témoignent clairement de ce que Foucault se propose de faire. Etre
anti-institutionnaliste à la façon dont il le propose, c’est admettre que
l’asile soit une institution, mais refuser par contre qu’il soit une
institution de soin. Le
positivisme consiste à ne conserver de la définition de l’asile, que son
attribut le plus large : on peut dire que c’est une institution (que
pourrait-elle être d’autre ?), mais pas préciser de quel type d’institution
il s’agit.
On
tient là l’une des principales raisons de la
critique foucaldienne de l’anti-psychiatrie. L’antipsychiatrie est condamnable
parce qu’elle se limite à livrer de l’institution asilaire une critique
inoffensive. Croire en effet que l’institution asilaire manque son but par
accident ou par l’effet cumulé de causes contingentes, c’est rater l’essentiel,
et suggérer qu’une réforme est possible qui rendrait l’asile enfin conforme à
l’idéal hospitalier de la médecine générale, qui est de diagnostiquer et
guérir. Faire apparaître la microphysique avant même l’analyse de
l’institution, c’est s’attacher à montrer qu’il ne peut pas en être ainsi.
C’est là le parti
pris de Foucault. Il lui importe peu en réalité de justifier son approche
généalogique. Sa seule préoccupation, c’est comme il l’admet lui-même,
d’« essayer de voir ce qu’on peut faire avec ça » :
Plutôt
que de parler d’institution, j’aimerais mieux essayer de voir quelles sont les
tactiques qui sont mises en œuvre dans ces forces qui s’affrontent…[6].
Prendre le point de
vue des disciplines n’est qu’un mot d’ordre dont l’enjeu n’est autre que
celui-ci : il s’agit de « faire une histoire de la psychiatrie
qui ne gravitera plus autour du psychiatre et de son savoir, mais qui gravitera
enfin autour des fous »[7].
Si donc il faut prendre le point de vue des disciplines, c’est qu’on ne
peut pas ne pas choisir son camp : l’histoire de l’aliénisme s’écrit dans
une approche épistémologique en prenant parti pour les psychiatres, ou au
contraire, dans une perspective cette fois généalogique, pour ceux qui ont eu à
subir leur régime disciplinaire.
Mais sur quoi
repose une telle alternative ? Pourquoi admettre qu’il n’est d’autre
choix, pour l’historien et le philosophe des sciences, qu’entre le camp de
l’oppression et celui de la résistance ?
Deux ans seulement
avant qu’il ne consacre ses cours à la psychiatrie, Foucault affiche, lors d’un
débat sur la nature humaine, son anti-réalisme en matière morale. Répondant à
un Noam Chomsky manifestement médusé, le philosophe français soutient sans
ambages que le prolétariat fait la guerre à la classe dirigeante non pas pour
instaurer un ordre plus juste, mais plus simplement parce qu’il veut s’emparer
du pouvoir. Dans un tel cadre de pensée, le rôle de la raison est
inévitablement secondaire : il est, comme le fait remarquer Vincent
Descombes, « d’inventer des “stratégies” pour arriver aux fins
arbitrairement posées par la volonté, et d’inventer des “idéologies” pour
couvrir cet arbitraire d’un voile pudique de légitimité »[8].
En réduisant la raison pratique aux seules dimensions de la raison
instrumentale, l’auteur du Pouvoir psychiatrique affiche son
décisionnisme[9] :
il considère que la connaissance des faits est mise au service de volontés
elles-mêmes irraisonnées et irraisonnables, ce qui fait de la raison, aux yeux
de ce positiviste heureux, un simple instrument au service d’un parti pris. On
peut je crois utilement retenir du projet positiviste la définition qu’en donne
Descombes :
La
volonté de penser le domaine politique des actions humaines en dehors d’une
philosophie du droit ou de la justice relève, on le sait, du positivisme. Car
il y a positivisme à croire que la rigueur scientifique exige, de la part de
l’observateur, une attitude naturaliste, celle qui consiste à traiter les faits
sociaux comme des choses dépouillées des significations (anthropomorphiques)
que les gens y attachent en tant qu’acteurs. Il faudrait donc, selon cette
conception positiviste, séparer la réalité des choses (les rapports de
pouvoirs) des interprétations subjectives fournies par les intéressés
(l’invocation des règles de justice)[10].
Etre positiviste,
c’est travailler à éclairer le domaine des affaires humaines sans se faire
d’illusion sur les véritables mobiles des agents. C’est ce que Veyne
retient de Foucault : si ce dernier « révolutionne l’histoire »,
s’il est « l’historien à l’état pur »[11],
c’est précisément parce que, dit-il, il est « le premier à être
complètement positiviste »[12].
Son mérite, fait-il remarquer, réside dans « l’effort de voir la pratique
des gens telle qu’elle est réellement... »[13]
:
Foucault
ne parle pas d’une autre chose que de ce dont parle tout historien, à savoir de
ce que font les gens : simplement il entreprend d’en parler exactement, d’en décrire les contours
aigus, au lieu d’en parler en termes vagues et nobles[14].
On se méfiera donc des
sophismes de justification, mais comme cela ne suffit pas, on fera un pas de
plus : on décrira les conduites humaines sans faire usage d’idiomes
intentionnels ou normatifs. C’est en ce point que le positivisme de Foucault
est un naturalisme : étudier la psychiatrie, c’est en étudier le mécanisme.
Je crois qu’on n’entend rien du Pouvoir psychiatrique si l’on ne tient
pas compte de ce qui sous-tend chacune de ses propositions, et c’est pourquoi
le rapprochement entre le débat de 1971 et les cours de 1973 me paraît
justifié : quand tout est rapport de force, l’essentiel n’est pas de
justifier son point de vue, mais uniquement de le faire valoir et de l’imposer.
On peut par conséquent accorder à Paul Veyne que son ami du Collège de France
soit un philosophe guerrier qui se passe de la vérité et ne connaît que des
partis pris, le sien et celui de l’adversaire. Mais pourquoi, comme lui,
devrait-on s’en féliciter ? En décidant de ne rien entendre du discours
aliéniste, en réduisant le traitement moral à un affrontement de volontés, la
méthode généalogique modifie certes le cadre d’intelligibilité des pratiques
aliénistes, mais échoue à nous assurer que se faisant, elle ne le défigure pas.
Partant du postulat que le pouvoir est une fin en soi, « l’analyse de sa
distribution » à l’intérieur du dispositif asilaire ne peut dès lors
conduire qu’à mettre en évidence ce fait décisif, que les aliénistes ne
travaillent à rien d’autre qu’à triompher de leurs patients. C’est évidemment
ce que l’étude de la fonction de l’asile, menée dans le cadre de présupposés
naturalistes, est censée démontrer.
Que perçoit-on de la
fonction de l’asile, quand on en fournit une description positiviste et
naturaliste ? Tirant les conclusions de ses prémisses, Foucault assure
qu’il est vain de s’interroger sur ce que devrait être une institution
« dont le fonctionnement serait tel que l’on pourrait à la fois guérir les
fous et ne pas les enfoncer dans la maladie »[15].
Cette éventualité est explicitement exclue :
De
sorte que, vous le voyez, l’hôpital psychiatrique, tout à fait à la différence
de l’hôpital de médecine générale, n’a pas du tout pour fonction d’être le lieu
où la « maladie » va montrer ce qu’elle est dans ses caractères
spécifiques par rapport aux autres maladies ; l’hôpital a une fonction
beaucoup plus simple, beaucoup plus élémentaire, beaucoup plus fondamentale. Il
a pour fonction, précisément, de donner réalité à la folie, d’ouvrir à la folie
un espace de réalisation. L’hôpital psychiatrique est là pour que la folie
devienne réelle, alors que l’hôpital tout court a pour fonction à la fois de
savoir ce qu’est la maladie et de la supprimer[16].
Le clivage est on ne peut
plus clairement posé, entre d’une part une médecine générale qui a la bonne
idée de faire ce qu’elle dit – c’est-à-dire soigner et guérir ses patients –,
et une médecine mentale qui s’emploie à faire en sorte, au contraire, que
« la folie devienne réelle ». Cette thèse est indéniablement audacieuse.
Que lui faut-il, pour n’être pas invraisemblable ? Un argument épistémologique,
que l’histoire de la psychiatrie semble lui offrir. Au moment où naît
l’aliénisme, la médecine subit en effet une mutation profonde de sa
rationalité : de classificatoire (nosologique), elle devient scientifique
(clinique). Or, fait singulier, l’aliénisme n’emprunte pas le chemin de la
science dont il se réclame : il conserve son paradigme nosologique, résiste à
l’anatomo-pathologie, et se désolidarise finalement du tronc commun de la
médecine générale. Conclusion : le projet aliéniste n’est pas médical et
l’est d’autant moins qu’il se soucie avant tout du maintien du calme et de
l’ordre asilaire, depuis que Pinel en a explicitement fait, dans son Traité
médico-philosophique sur l’aliénation mentale, le ressort
fondamental du traitement moral.
Pour démontrer que
l’opposition de l’hôpital général et de l’hôpital psychiatrique recoupe bien
celle du soin et des disciplines, Foucault va introduire un antagonisme entre
deux techniques de prise en charge. Il s’appuie pour ce faire sur une
distinction à laquelle il fait un sort tout particulier :
L’institution
asilaire en elle-même – et c’est en ceci que l’analyse que je fais ne recoupe
pas les analyses institutionnelles –, cette institution de discipline a
effectivement pour fonction et pour effet de supprimer, je ne dis pas : la
folie, mais les symptômes de la folie[17].
L’asile, donc, ne
supprime que les symptômes des maladies qu’elle traite. Et alors,
dira-t-on ? C’est probablement insuffisant, mais n’est-ce après tout pas
si mal ? L’aliénisme mérite-t-il d’être condamné pour si peu ? On se
doute évidemment que la généalogie de la psychiatrie ouvre sur des perspectives
autrement plus radicales que la simple dénonciation de la médiocrité des résultats
curatifs obtenus par la médecine mentale du 19ème siècle.
C’est ici que
l’hystérique et le dément entrent en scène. Ils sont l’un comme l’autre, mais à
des titres différents, les preuves les plus patentes que l’institution asilaire
fonctionne sur le registre disciplinaire, et qu’elle n’a donc pas pour mission
de soigner les patients qu’elle soumet au traitement moral. Résumée à
l’extrême, la thèse de Foucault est celle-ci :
1.
L’hystérie
est un phénomène insurrectionnel qui met en échec le pouvoir psychiatrique,
ainsi qu’en atteste sa résistance « à l’assignation de la folie en réalité
par la simulation » : à l’injonction qui leur est faite de n’être
rien d’autre que la réalité de leur folie, les hystériques répondent sur le
registre de la vérité, en se constituant eux-mêmes comme « le lieu et le
corps porteur de symptômes véritables »[18]
dont aucune investigation scientifique ne peut livrer la clef. Les hystériques,
pourrait-on dire, mettent en acte l’incapacité de la psychiatrie à identifier
le substrat organique des symptômes de la folie.
2.
A
l’autre bout du spectre des réponses à l’ordre aliéniste, il y a la démence. Le
dément, c’est celui qui, confronté aux technologies disciplinaires, n’a pu
soutenir la lutte. Réduit à n’être plus dans sa chair et son esprit que ce
qu’exige, fondamentalement et radicalement, l’institution asilaire, le dément,
dans l’asile, fait silence : il ne proteste pas contre sa condition, il ne
se manifeste pas, il ne revendique rien. Fantomatique, on l’oublie parce que son
adaptation à la condition asilaire est parfaite. Il incarne, littéralement,
ce que les technologies disciplinaires veulent faire des aliénés.
La force de la
démonstration de Foucault, c’est apparemment son assise empirique :
l’auteur du Pouvoir psychiatrique semble littéralement déduire la
fonction de l’asile des phénomènes institutionnels dont elle est la cause. La
conséquence ne se fait pas attendre. Le statut ontologique des objets que
l’aliénisme affirme être naturels est ici explicitement
réinterrogé :
La
fameuse évolution démentielle que les psychiatres du 19ème siècle
ont cru observer comme un phénomène de nature dans la folie, ce n’est rien
d’autre que la série des effets entrecroisés d’une discipline asilaire qui
rabote manifestations et symptômes, et l’assignation du pouvoir médical à être
un fou, à réaliser la folie. Le dément, c’est bien en effet ce qui a été
fabriqué par le double jeu de ce pouvoir et de cette discipline[19].
On voit en quoi
l’anti-institutionnalisme est un constructivisme : mené jusqu’à ces
ultimes conséquences, il fait des objets de la psychiatrie les conséquences du
fonctionnement de ses institutions.
Je crois que la
démonstration de Foucault serait remarquable s’il ne redécrivait pas
constamment les phénomènes dont il parle dans les termes mêmes qui rendent
enfin possible d’y voir les effets prévisibles des rapports de force dont il a
postulé l’existence. Je m’en tiendrai ici au
seul argument de la démence, car c’est lui qui fait éclater la thèse
foucaldienne, et ce même si l’on ne peut être qu’admiratif devant ce qu’il faut
au philosophe d’ingéniosité pour parvenir à faire du dément la réponse supposée
idéale « à ce que veut le pouvoir psychiatrique »[20].
Trois remarques préliminaires, tout d’abord :
1.
Il
faut noter l’absence remarquable, dans Le pouvoir psychiatrique, d’une
donnée élémentaire pourtant évidente : les asiles du 19ème
siècle recueillaient nombre de déments, ainsi que les archives
permettent aisément de l’établir. Archambault note ainsi, en 1842, que sur les
147 malades entrés à l’asile de Mareville[21],
67 sont des incurables[22],
c’est-à-dire des déments, des imbéciles, des idiots et des épileptiques,
devenus tels à la suite « de coups et chutes sur la tête »,
d’hémorragies, d’onanisme, d’ivrognerie ou encore d’un âge avancé. La statistique
est imprécise, mais elle est significative : l’asile, à cette époque, est
incontestablement un refuge pour ceux qui souffrent de dégénérescences,
d’encéphalites, de sénilité, de séquelles cérébro-crâniennes graves, etc., et
qui, en raison d’une perte d’autonomie majeure et d’un manque de soutien
familial, ne sont plus en mesure de vivre chez eux. Foucault passe sous silence
ce fait pourtant essentiel, que parmi les déments, certains au moins
souffraient de ce mal avant d’être admis dans les établissements, et que
c’est même pour cela qu’ils y étaient accueillis. On n’admettra donc pas de
manière inconditionnelle que la démence soit l’effet du seul fonctionnement
asilaire.
2.
Il
est regrettable que Foucault fasse aussi le choix d’ignorer le déterminisme neurobiologique
de nombreux syndromes démentiels, tels celui de la démence paralytique, dont
Antoine Bayle (1799-1858) identifie en 1822 la base organique. Car, après une
monomanie ambitieuse qui évolue vers un état maniaque pendant lequel les
malades « sont dans un état d’agitation et de fureur aveugles, continuelles et
incoercibles, qui les rendent dangereux pour les personnes et les choses qui
les environnent, ainsi que pour eux-mêmes »[23],
quel est le tableau clinique terminal de la méningite chronique que Bayle
considère être « la cause prochaine d’un grand nombre d’aliénations
mentales »[24] ?
Rien d’autre qu’une démence en bonne et due forme se caractérisant « par
un état de stupidité complète et une paralysie générale
très-considérable » où « les malades sont réduits à un état de
dégradation morale qui les ravale au-dessous de la brute »[25].
Autrement dit, l’approche organiciste que Foucault reproche aux aliénistes de
n’avoir pas suivie, fournit un contre-argument massif à la thèse généalogique,
en établissant que les démences ont des causes neurobiologiques, et
qu’elles ne s’expliquent donc pas entièrement par des considérations
historico-sociales.
3.
Mais,
quand bien même on déduirait du nombre des déments ceux qui furent accueillis
dans les asiles parce qu’ils étaient déments, et ceux qui doivent leur
démence à des causes infectieuses, vasculaires, toxiques, inflammatoires,
traumatiques ou dysmétaboliques, il reste qu’on pourrait encore faire valoir
l’existence de ce qu’on appelle les pseudodémences[26],
et imputer ces dégénérescences-là au traitement dont les fous ont été l’objet.
Mais quelle est en l’occurrence la thèse de Foucault ? Elle est double.
Elle est, en son sens le plus large, que la démence est directement imputable
aux technologies disciplinaires utilisées par les aliénistes – et pas à
d’autres causes. Mais de quel argument dispose Foucault pour affirmer que c’est
par voie de discipline que l’aliéné devient dément ? De quelles
preuves dispose-t-il, pour établir ainsi un lien de cause à effet entre
discipline et démence ? Car, si l’on admet que l’institution asilaire a
des effets sur les aliénés, pourquoi seraient-ce précisément ceux de la
démence, et uniquement ceux-ci ? Pourquoi ne pas lui imputer aussi les
effets dont on peut se féliciter ? Bourdin a publié en 1844 des Recherches
statistiques sur l’aliénation mentale faites à l’hospice de Bicêtre, qui
nous apprennent que sur les 549 individus admis en 1839, 370 sont sortis la
même année, dont 137 « réellement guéris »[27].
Si l’on affirme qu’ils sont sortis guéris malgré le traitement qui leur
a été appliqué, l’explication de la démence par voie de discipline s’avère
totalement ad hoc, puisque rien ne permet de décider que les aliénés ont
succombé aux technologies disciplinaires ou qu’ils y ont échappé, en dehors
précisément du fait que certains d’entre eux deviennent déments tandis que
d’autres guérissent. Qui plus est, on ne sait pas non plus comment, dans un tel
cadre, expliquer les améliorations qu’on peut constater, voire les guérisons
qui surviennent, si l’on réduit a priori l’action du dispositif asilaire
à ses seuls (supposés) effets négatifs.
Je m’en voudrais de ne
pas insister sur ceci : l’argument de la démence est non seulement faible,
mais il présente surtout l’inconvénient de se retourner contre Foucault. Les
travaux qu’Antoine Bayle a menés sur la base du paradigme anatomo-pathologique
– celui-là même dont Foucault vante les mérites scientifiques – se révèlent
extrêmement cruels pour la thèse généalogique, car ils font de la démence « un
phénomène de nature » dont le terme est fatal : une
méningo-encéphalite provoque chez celui qui en est atteint une phase maniaque[28]
qui dégénère ensuite, et inéluctablement, en démence. Le trajet qui conduit les
aliénés de la manie à la démence a des causes neurobiologiques, qui sont
fatales. Le paradigme organiciste est par conséquent bien peu
reconnaissant à l’égard de la méthode généalogique : en fournissant
du phénomène démentiel une explication entièrement naturaliste, elle réfute les
conclusions d’une généalogie qui a pour sa part besoin d’y voir un effet
institutionnel trahissant la fonction de l’asile ! Conduites à leurs
ultimes conséquences, les explications causales de la médecine scientifique
s’avèrent fondamentalement contraires au fonctionnalisme de Foucault.
La thèse de Foucault
s’avère plus problématique encore lorsqu’elle est prise en son sens cette fois
le plus strict, car elle capitalise sur les acquis de son
anti-institutionnalisme. Il ne lui suffit plus de soutenir que la démence est
un effet de la condition asilaire, il lui faut en plus affirmer qu’en rendant
déments les fous, l’asile remplit sa fonction, car c’est là ce qu’il veut.
Mais cela, comment Foucault le sait-il ? Comment sait-il que
« l’hôpital psychiatrique est là pour que la folie devienne
réelle » ?
Afin de rendre sensible
ce qui distingue l’hôpital psychiatrique de l’hôpital général, Foucault va
opposer les techniques aliénistes aux techniques médicales, après avoir opposé
leurs paradigmes (nosologie vs clinique) : ce qui rend si singulier
l’asile, à ses yeux, c’est qu’il supprime, non pas la folie, mais ses seuls
symptômes. L’argument est en gros celui-ci : si les aliénistes
supprimaient la folie, ils la guériraient. Or, ils ne la guérissent pas,
puisqu’ils rendent les aliénés déments. C’est donc que leurs fins ne sont pas
thérapeutiques, mais disciplinaires : adapter les aliénés à la condition
asilaire, c’est éliminer les symptômes incompatibles avec le maintien du
calme et de l’ordre.
Foucault soutient, mais à
tort, que les aliénistes imposent aux aliénés un traitement qui n’a d’autre
objet que de rendre leur comportement identique à celui du dément :
initialement agité, agressif, voire violent, l’aliéné doit au final devenir
docile, calme, soumis. Le dément, ce n’est en somme rien d’autre qu’un aliéné
auquel on a retiré la capacité de nuisance. Du coup, faire du dément ce qui
reste de l’aliéné après que celui-ci ait subi un traitement moral, c’est faire
de ce traitement un succédané de technologie disciplinaire, qui n’a d’autre
fonction que d’ôter à l’aliéné la force de se battre et de résister. Ceci
admis, il n’est guère difficile de montrer que la différence entre l’hôpital
général et l’hôpital psychiatrique tient tout entière dans la distance qui
sépare la guérison (comme effet des techniques de soin), de la démence (comme
effet des techniques disciplinaires). Mais pour ce faire, encore faut-il
accepter ce postulat : l’aliénisme n’est pas un art thérapeutique car en
limitant ses interventions aux seuls symptômes de la maladie, il n’en traite à
aucun moment les causes, contrairement à ce que fait la médecine.
Cet argument est
irrecevable.
Contrairement à ce
qu’insinue l’auteur du Pouvoir psychiatrique, intervenir sur le symptôme
est une pratique médicale à part entière qui porte un nom : on appelle
cela une médecine ou un traitement symptomatique.
D’ailleurs, du temps de Pinel, fait-on autre chose que réduire les symptômes
afin de supprimer la maladie, même en médecine générale ? Foucault, après
avoir opposé la nosologie aliéniste à la clinique médicale, veut nous
convaincre que la médecine générale, ayant suivi la voie scientifique, est en
mesure d’agir, elle, sur la cause du mal. Il n’en est hélas rien. René
Laennec, qui meurt comme Pinel en 1826, convient sans détour, dans sa thèse de
médecine qu’il soutient en 1804 que, « quoique le terme de médecine symptomatique ne soit
ordinairement prononcé qu’avec l’expression du mépris, on fait cependant
presque toujours une médecine réellement symptomatique »[29].
Quelques années plus tard, la situation n’a pas évolué, malgré la publication
en 1821 du Formulaire pour la préparation et l’emploi de plusieurs nouveaux
médicaments de Magendie (1783-1855), qui ouvre la voie à une pharmacologie
scientifique. Comme nombre de ses collègues, Magendie affiche un scepticisme
foncier à l’égard du pouvoir thérapeutique de la médecine, répétant souvent que
son action consiste bien souvent uniquement à consoler le patient[30].
Claude Bernard (1813-1878) rompra avec ce pessimisme ambiant : en faisant
de la médecine une science expérimentale, il se vante d’être le premier à la
situer « au point de vue de la guérison du mal, c’est-à-dire de l’action
sur l’être vivant »[31].
Mais les progrès thérapeutiques sont lents : la connaissance de la
physiologie du corps humain ne conduit pas immédiatement, malgré l’apport de la
médecine de laboratoire, à la production de médicaments efficaces, agissant sur
les causes des maladies. Il faut par conséquent rappeler aux contempteurs du
traitement moral ce fait d’histoire qu’ils préfèrent évidemment passer sous
silence, mais que François Chast marque avec la force qui convient :
l’approche anatomo-clinique « laissa la thérapeutique dans l’ombre »[32].
L’argument de Foucault
est spécieux, il ne permet pas d’étayer l’opposition qu’il cherche à
construire, entre techniques de soin (propres à la médecine clinique), et
techniques disciplinaires (propres à l’aliénisme). Il y parvient d’autant moins
qu’il faut disposer d’une théorie de l’esprit bien singulière pour croire que
la suppression des symptômes de la folie associée à une assignation à être fou causent
la démence, ou peuvent la causer, ou ne peuvent causer que cela.
Là encore, Foucault ne s’embarrasse pas de démontrer ce qu’il affirme, ni de
nous en fournir le moindre début de preuve. Qu’on puisse simplement le dire suffit
au positiviste heureux…
Mais faire de la démence
un effet institutionnel directement imputable au mécanisme de la psychiatrie,
ce n’est pas seulement user d’un argument extrêmement contestable. C’est aussi
faire un usage particulièrement extensif de l’explication par les conséquences
(immanquablement négatives, en matière de médecine mentale, pour
Foucault !). C’est, autrement dit, se rendre coupable d’un sophisme
fonctionnaliste. Jon Elster a beaucoup travaillé à dénoncer cette « obsession
du sens » : « il y a forcément une façon de voir les choses dans
laquelle le phénomène est bénéfique pour quelqu’un ou quelque chose »[33],
fait-il remarquer, mais rien n’est moins légitime que d’en déduire que ces
bénéfices expliquent le phénomène. Appliqué à la psychiatrie, ce
sophisme fait du dément, au motif que son comportement satisfait à l’ordre
asilaire, le résultat inévitable et voulu des pratiques aliénistes. Mais
ce n’est évidemment pas parce que la démence présente “l’avantage” de ne pas
compromettre l’ordre asilaire, qu’il faut y voir la preuve qu’elle est bien ce
que l’institution asilaire ne peut que vouloir. Cela reviendrait à considérer
que, parce qu’à quelque chose malheur est bon, il n’a pu être que provoqué !
Reconnaissons qu’on peut se féliciter ou tirer avantage d’un état de fait, sans
que cela implique ipso facto qu’on en soit la cause ou qu’on ait tout
mis en œuvre pour le provoquer.
Tout repose en réalité
sur la prémisse que ce fonctionnalisme s’accorde trop aisément. Pour la faire
apparaître, le mieux est je crois de présenter la thèse de Foucault sous la
forme d’un raisonnement pratique. Je ne pense pas la trahir en la formulant sur
le mode syllogistique suivant :
-
Je
dois maintenir l’ordre dans l’asile
-
Les
déments sont ceux qui, parmi les aliénés, ne le troublent pas
-
Donc
je rends les aliénés déments
Je crois qu’un tel
raisonnement est en réalité digne de celui que La Fontaine met en scène dans la
fable L’Ours et l’Amateur des jardins, dont Descombes a livré récemment
une analyse piquante. Chargé d’écarter les mouches susceptibles de réveiller un
vieillard, l’animal écrase finalement la tête de l’homme sur qui la mouche
s’était posé, tuant d’un seul coup, et le vieillard, et la mouche. Si l’ours
est un mauvais raisonneur, souligne Descombes, c’est qu’il raisonne comme un
« monomaniaque » : « il se comporte comme un agent attaché
à un but unique, visant obstinément un objectif posé de façon inconditionnelle
ou inaccessible à toute révision au cours de la réflexion sur les moyens
d’atteindre le but »[34].
Autrement dit, la délibération de l’ours est fautive parce que sa rationalité
est unilatérale, elle échoue à apprécier la situation dans sa globalité :
La
prémisse manquante est évidemment que le vieillard doit continuer à dormir (et
donc à vivre). Le but à atteindre (chasser la mouche) faisait lui-même partie
d’un but plus général (assurer le confort et le bien-être de l’Amateur des
jardins)[35].
Il me semble que la fable
de La Fontaine, telle que Descombes nous la donne à lire, permet de cerner
précisément où se situe l’erreur du raisonnement pratique de Foucault : il y
manque une prémisse. Cette prémisse est celle-ci : le maintien du calme et
de l’ordre est essentiel à la guérison des aliénés. Car, s’il faut bien
convenir avec Foucault que les aliénistes soulignent sans cesse que rien n’est
plus nécessaire à un asile que d’être « bien ordonné », il faut quand
même aussi rappeler contre lui cette fois, que la raison en est que c’est là à
leurs yeux la condition de la guérison. Foucault aime à rappeler que les
aliénistes déclarent constamment vouloir faire régner l’ordre dans leurs
asiles, mais il omet par contre de dire pourquoi. Le maintien de l’ordre
n’est pour eux qu’un moyen, ce n’est en aucun cas un but en soi. Il faut par
conséquent dire, en glosant Descombes, que le but à atteindre (maintenir
l’ordre dans l’asile) fait lui-même partie d’un but plus général (soigner
l’aliéné, et dans le meilleur des cas, le guérir). L’auteur du Pouvoir psychiatrique
oppose en somme les objectifs les uns aux autres (maintenir l’ordre vs guérir
les aliénés), alors qu’il faut les hiérarchiser (soigner les aliénés en
maintenant le calme et l’ordre). En ajoutant la prémisse dont Foucault ne
veut rien savoir, on peut substituer à son raisonnement pratique,
celui-ci :
-
Je
dois soigner les aliénés
-
Le
maintien du calme et de l’ordre est une condition essentielle à leur guérison
-
Donc
je maintiens le calme et l’ordre dans l’asile
Pour affaiblir la
première prémisse, Foucault procède de manière à saper la vraisemblance de la
seconde. Comment en effet le maintien de l’ordre asilaire pourrait-il avoir
quelque influence que ce soit sur la santé mentale des aliénés ? Comment
pourrait-il n’être qu’un moyen au service d’une fin supérieure ? En limitant
les intentions des aliénistes au seul maintien de l’ordre psychiatrique,
Foucault ne leur dénie rien d’autre que la possibilité d’user des verbes
d’action de médecine mentale.
Lorsque Foucault en vient
à faire le bilan de l’aliénisme, nous avons vu que ses griefs sont
doubles : 1) Il n’y a pas eu de véritables théories de la guérison, ni
même de tentatives d’explication de celle-ci ; 2) Tout n’a été que corpus
de manœuvres, de tactiques, de gestes à faire, d’actions et de réactions à
déclencher. On voit évidemment le lien qui unit les deux affirmations, et ce
que la deuxième proposition doit à la première : si tout n’a été
qu’affrontements de volonté et rapports de force dans l’asile, c’est qu’à
aucun moment les aliénistes n’ont œuvré à l’édification d’une médecine mentale
capable de fonder en raison la pratique du traitement moral. Comment parler
d’un quelconque projet thérapeutique, n’est-ce pas, quand les seules techniques
dont il est fait usage sont d’ordre disciplinaire ?
La première
critique que Foucault adresse à l’aliénisme relève indéniablement de
l’épistémologie, et l’on entre ici dans l’évaluation critique des prétentions
de la psychiatrie du début du 19ème siècle à faire œuvre théorique.
L’aliénisme, dont les prises en charge n’avaient déjà rien de médicales,
échouerait en plus à fournir des troubles qu’il est censé traité, une
caractérisation rationnelle susceptible d’en éclairer la nature : les
« véritables théories de la guérison », déplore Foucault, brillent
dans les écrits aliénistes par leur absence. Mais pour lui accorder ce point,
encore faudrait-il savoir ce qu’il entend par là, et avoir une idée des
critères qui permettent, selon lui, d’en juger. C’est ce dont Le pouvoir psychiatrique
ne dit hélas précisément rien : Foucault se permet de porter un
jugement définitif sur les insuffisances théoriques de la première médecine
mentale, mais sans rien nous dire du savoir dont il s’autorise.
Et c’est à nouveau une
montée aux extrêmes à laquelle on assiste : non seulement en effet il n’y
aurait pas eu de véritables théories, mais pas même de « tentatives
d’explication ». Pourtant, chacun
des textes qu’il cite en contient, et il n’est que de les lire pour s’en
apercevoir. Les traitements préconisés trouvent invariablement à se situer soit
dans un cadre naturaliste où la cause de l’aliénation mentale est imputable à
une lésion des membranes du cerveau ou à son dysfonctionnement, soit dans un
cadre moral qui mobilise une philosophie de l’esprit malade fondée sur une
théorie des passions. Si donc Foucault ne l’a pas vu, serait-ce qu’il a mal
lu ? Et s’il a mal lu, n’est-ce pas parce que ses choix méthodologiques
lui interdisent d’examiner la rationalité du discours aliéniste ? Le
paradoxe est en définitive le suivant : Foucault reproche aux aliénistes
de n’avoir produit aucune théorie de l’aliénation mentale susceptible de nous
rendre intelligible leurs pratiques, mais il admet dans le même temps ne rien
vouloir savoir des raisons qui les ont conduit à prendre en charge les aliénés
sur la base du traitement moral dont Pinel a fourni les règles.
C’est de toute évidence
pour la généalogie de la psychiatrie un point d’achoppement : de quel
droit se prononce-t-elle sur des questions qui ne relèvent pas de sa
compétence ? Quels sont ses titres, en cette matière ? Foucault croit
pouvoir éluder les problèmes concernant la rationalité aliéniste en tranchant
dans le vif : s’il n’y a tout simplement rien à en dire, c’est qu’elle manque.
D’où le coup de grâce qu’il lui porte : les carences théoriques aliénistes
interdisent que leurs pratiques soient de nature thérapeutique. Pour s’en
convaincre, il suffirait d’observer les aliénistes agir.
Mais précisément :
qu’ont-ils fait ?
Foucault prétend être en
mesure, grâce à sa généalogie, de nous dire tout ce qu’on peut savoir de la
manière dont les aliénés ont été traités, mais ses conclusions sont formulées
en des termes qui ne manquent pas d’interpeller, tant ils sont singuliers et
étranges. Ce ne fut, selon lui, que « manœuvres » et
« stratégies », « gestes à faire », « actions »
et « réactions » à déclencher. Il faut donc poser la question :
à quel niveau descriptif faut-il se situer, pour fournir une caractérisation
des pratiques aliénistes dans un tel vocabulaire ? Ce n’est plus
d’épistémologie dont il s’agit maintenant, mais de philosophie de l’action.
L’exemple du visiteur indiscret d’Elizabeth Anscombe permet de poser le
problème des descriptions d’action :
Quelqu’un
entre dans une chambre, me voit étendue sur un lit et me demande ce que je
fais. Si je réponds uniquement « je suis étendue sur un lit »,
mon interlocuteur aura raison d’être irrité[36].
Si exaspération il y a, c’est
que la question appelait une réponse qui ne se limite pas à présenter la situation
sur le mode le plus pauvre qui soit. La réponse doit être en mesure d’éclairer
la situation, car voir Anscombe étendue sur un lit, n’est pas encore savoir
ce qu’elle fait. L’adverbe que la philosophe anglaise emploie est
là pour pointer l’intérêt limité de sa réponse. Anscombe n’est en effet pas
sans savoir que pour répondre de façon satisfaisante, il lui aurait fallu
décrire ce qu’elle fait en usant du concept d’intention. Comme elle le rappelle,
nous ne faisons pas autre chose lorsqu’il s’agit des êtres vivants :
Nous
décrivons ce qu’ils font en faisant autre
chose (cette dernière description étant plus immédiate, plus proche des
mouvements purement physiques). Le chat traque l’oiseau en s’accroupissant, en rampant
les yeux fixés sur lui et la moustache frémissante[37].
Si par conséquent la
description qui est la « plus proche des mouvements purement
physiques » n’a pas notre préférence, c’est qu’elle est trop étroite.
Parmi plusieurs descriptions, il faut choisir celle qui subsume les
autres : décrire exactement l’action accomplie revient à inclure le
« ce en vue de quoi » ce qui est fait est fait. C’est ce que permet
d’établir le célèbre apologue de l’homme qui pompe de l’eau :
…
bouger son bras de haut en bas, les doigts serrés sur la poignée de la pompe,
dans ces circonstances, c’est
actionner la pompe, et, dans ces circonstances, c’est remplir la citerne, et dans ces circonstances, c’est empoisonner la maisonnée[38].
Anscombe montre ainsi que
« le dernier terme que nous donnons à une telle série nous indique
l’intention dans laquelle l’action,
dans chacune de ses autres descriptions, a été faite »[39].
C’est dire que l’action intentionnelle a trait de manière intrinsèque aux raisons
d’agir. Autrement dit, et même si la question « Que font les
gens ? » ne recouvre pas exactement la question de leurs intentions,
il est difficile d’examiner une question sans étudier l’autre. Comme le fait
remarquer Vincent Descombes, qui préface la traduction française du livre de la
philosophe anglaise : « A condition de s’en tenir aux descriptions
que l’agent pourrait lui-même donner de son action, dire ce que fait l’agent et dire pourquoi
il le fait sont deux façons de décrire la même chose… »[40].
D’où la nécessité de fournir « la description la plus large de l’action
par l’indication du résultat visé »[41].
L’indication du résultat
visé est un principe hiérarchique : il permet d’ordonner en une série les
descriptions possibles d’une même action, de la plus étroite à la plus large.
Son mérite est également de rendre peu concevable que l’on puisse parler
d’actions humaines sans qu’à aucun moment on ne suppose à l’agent la capacité
de mener un raisonnement pratique, dont le signe caractéristique est « que
la chose est à distance de l’action
immédiate, et que l’action immédiate est calculée comme le moyen d’obtenir, de
faire ou de se procurer la chose voulue »[42].
C’est parce que P est la condition de Q, que pour obtenir Q, le médecin fait P.
Pourquoi n’en irait-il pas de même en médecine mentale ? Anscombe pointe
deux difficultés inhérentes à toute description d’action :
1.
« bien
souvent, l’intention qu’[un individu] a en faisant cette chose ne se voit pas à ce
qu’il fait »[43].
2.
« pour
que “je fais P en vue de Q” ait un sens, nous devons voir comment l’état de
choses futur Q peut être une étape ultérieure dans un processus dont l’action P
est une étape antérieure » [44].
Quelle est la stratégie
de Foucault ? Elle est de s’engouffrer dans ces brèches, du fait que ces
difficultés valent d’autant plus pour la médecine mentale. Sait-on en effet par
quelle action obtenir, en ce domaine, l’état de choses futur désiré ? Pour
que faire P, dans le cadre asilaire, soit une étape menant à la
guérison, il faut que les actes accomplis par les aliénistes trouvent à se
ranger dans la classe des actes de médecine mentale. Il faut, autrement dit,
que les aliénistes puissent, dans un cadre thérapeutique, faire A en faisant
B, c’est-à-dire soigner en douchant, par exemple, ou en
s’opposant à la toute-puissance que l’aliéné s’attribue, etc. L’affirmer,
c’est évidemment s’obliger à expliquer les raisons que nous avons de croire
pourquoi et comment de tels actes sont susceptibles d’avoir un effet
thérapeutique. Mais comment le pouvons-nous sans entendre ce que les aliénistes
eux-mêmes ont à dire de leur pratique ? Examiner la rationalité
psychiatrique du début du 19ème siècle, à partir du Traité
médico-philosophique de Pinel, ne présuppose aucunement la perte de tout
esprit critique, mais permet de s’interroger sur ce qu’il faut à l’aliénisme,
pour qu’il soit une médecine mentale.
Ce qu’il faut contester à
Foucault, c’est tout d’abord le droit qu’il s’accorde trop facilement à tenir
la classe des actes de médecine mentale pour un ensemble vide, ensuite une
méthode qui fait valoir le postulat étrange que l’action, pour être
correctement décrite, doit l’être sans faire mention du résultat visé. Comment
le traitement moral ne se réduirait-il pas, dans le cadre d’une analyse menée dans
les coordonnées du seul supposé pouvoir psychiatrique, à un simple
affrontement de volonté où la seule chose qui importe est de
s’imposer ? Contre le positivisme descriptif de Foucault, on doit pouvoir
rappeler cette chose élémentaire : aucun acte médical ne survit à des
descriptions étroites. Dans l’univers du positivisme descriptif, on ne vaccine
pas, on ne pratique pas une saignée, on n’ampute pas un membre gangrené ; on se
contente de planter une aiguille dans un corps, d’inciser une veine pour faire
couler du sang, de couper un membre. Comment voir là autre chose que des gestes
dérisoires et coercitifs ?
Le problème a trait ici
au rapport de détermination qu’entretiennent concept et expérience sensible.
Norwood Hanson fait valoir que Tycho Brahé et Kepler voient des choses
différentes, et voient en même temps la même chose :
En
étudiant en quel sens des observateurs voient des choses différentes lorsqu’ils
regardent x, on révèle quelque chose d’important par rapport au fait
qu’ils voient la même chose quand ils regardent x. Si voir des choses
différentes implique avoir des connaissances et des théories différentes sur x,
alors il se peut que le sens dans lequel ils voient la même chose implique
qu’ils partagent des connaissances et des théories sur x[45].
Le tour de force de
Foucault est dans son parti pris initial : ne supposant aux aliénistes aucun
savoir, il justifie son refus de voir les choses de leur point de vue, et peut
dès lors ne leur attribuer pour toute raison d’agir que celle du plus fort.
C’est disciplinaire, donc ce n’est pas médical, conjecture-t-il. Mais la
faiblesse de ce raisonnement est manifeste : rien ne s’oppose à ce qu’un
acte coercitif soit, en plus d’être contraignant, ou malgré cela,
néanmoins thérapeutique. C’est pourtant là ce que Foucault exclut :
impossible, dans l’optique du naturalisme des rapports de force, qu’un aliéniste
puisse accomplir un acte de médecine mentale en se livrant à un raisonnement
pratique.
Nous avons raison d’être
irrité, à la lecture du Pouvoir psychiatrique, parce que le
positivisme sur lequel il repose a des effets délétères sur les descriptions
d’action : en feignant de croire que les aliénistes n’agissent pas dans un
milieu plus large que celui de leurs interactions physiques, en défaisant le
lien qui existe entre raisons d’agir, descriptions intentionnelles, et
philosophie pratique, en oblitérant le rapport qui unit concept et expérience
sensible, Foucault détruit les conditions qui font de l’asile une institution
de soin, se payant en outre au final le luxe de se plaindre des conclusions
qu’il ne doit qu’à ses prémisses. Contrairement à ce que croit Paul Veyne, le
philosophe guerrier ne nous dit pas « ce que font exactement les gens »,
mais procède en réalité simplement à une sélection minutieuse parmi les
descriptions possibles d’une même action, de manière à ce qu’on n’en puisse
rien savoir qui ne s’inscrive dans le cadre des technologies disciplinaires.
C’est cela qu’on peut reprocher au positivisme descriptif : il appauvrit
délibérément et systématiquement nos capacités descriptives, car regarder
un aliéniste agir, ce n’est pas encore savoir ce qu’il fait.
Le pouvoir psychiatrique se fonde sur un
étrange structuralisme qui autorise les perspectives les plus manichéennes : il
s’agit toujours de penser les choses sur un mode binaire. On accorde à la
médecine clinique tous les mérites scientifiques possibles, et l’on dénie à la
médecine nosologique quelque intérêt que ce soit. On considère que la médecine
hospitalière se donne pour but de soigner ses patients, et l’on estime que
l’aliénisme a celui de les enfoncer dans la maladie. A la suppression des
maladies, à la thérapeutique, aux guérisons de l’une, on oppose la suppression
des symptômes, les disciplines, les démences institutionnelles de l’autre.
Contre une histoire de la psychiatrie écrite à la gloire des psychiatres, on
fait valoir une histoire critique écrite du côté des fous. Face à une
épistémologie désespérément naïve, on brandit une généalogie heureusement
sceptique.
Foucault opère de manière
à ce que la seule généalogie épuise tout ce qu’il y a à dire de la façon dont
les fous ont été traités. Mais il n’en reste pas moins que le problème de
l’action exercée sur l’aliéné, dans le registre d’une microphysique, renvoie au
problème infiniment délicat de l’action exercée sur son esprit. Car c’est bien
de démence qu’il s’agit, et pas uniquement d’une régulation des comportements.
Impossible de faire l’impasse sur ce qui rend malade un esprit, et par
conséquent, sur le type d’action susceptible de le soigner. Supposons vraie la
thèse d’un pouvoir psychiatrique rendant les aliénés déments : que cela
démontre-t-il, sinon qu’un tel dispositif n’est pas sans effets sur ceux qu’il
touche ? Or, si ces effets peuvent être négatifs, pourquoi ne
pourraient-ils pas être, dans un contexte différent, positifs ? Si un
traitement moral de type I est susceptible de rendre les aliénés déments,
pourquoi un traitement moral de type II ne pourrait-il pas les conduire à la
guérison ? S’il s’avère concevable qu’en immergeant les aliénés dans une
institution α (disciplinaire), on les « enfonce dans la
maladie », pourquoi ne serait-il pas pensable, qu’en les plaçant cette
fois dans une institution β (médicale), on améliore leur
santé mentale ? Certes, rien n’indique que ce soit là autre chose qu’une
simple possibilité logique. Mais n’est-ce pas ce qui ouvre la voie à une
médecine mentale ?
L’épistémologue
n’a aucune raison de se laisser impressionner par la radicalité des thèses
défendues au titre de la généalogie, ni par le vertige qu’elles suscitent, car
leur examen en met à nu les postulats, les pétitions de principe et les
sophismes. Il faut donc répondre à Foucault que la plainte qu’il exprime, que
tout ne soit à l’asile que corpus de manœuvres et gestes à faire, est
injustifiée en ce que c’est uniquement sous certaines descriptions, que
cela semble être le cas. Il y a finalement peut-être moins lieu de se plaindre
de ce qui s’est fait dans les asiles du 19ème siècle, que des
descriptions qu’on en a fournies au siècle suivant…
En matière de gestes,
Foucault n’est guère plus avisé que Mme de Staël. Schiller lui baisant les
mains cinq minutes seulement après qu’ils aient fait connaissance, elle en
conclue aussitôt qu’il lui déclare sa flamme. Mais qu’en dit Schiller
lui-même ? Quelle est sa version des faits ? Schiller raconte à une amie
une version bien différente du même événement. Voici ses raisons d’agir :
Agacé
par cette femme qui parle sans trêve et ne lui laisse terminer aucune phrase,
il lui prend les mains afin de pouvoir la calmer et essayer d’achever son
propos[46].
[1] M. Foucault, Le pouvoir psychiatrie, p. 43.
[2] Ibid., p. 164.
[3] Ibid., p. 12.
[4] Ibid., p. 18.
[5] Ibid., p. 34.
[6] Ibid., p. 18.
[7] Ibid., p. 138.
Je souligne.
[8] Vincent Descombes, « Philosophie du jugement
politique » in La pensée politique, juin 1994, n°2, p. 134.
[9] Je retiens ici la définition que Vincent Descombes
donne du décisionnisme, dans Le raisonnement de l’ours, p. 33.
[10] V. Descombes, Le moment français de Nietzsche,
p. 125.
[11] Paul Veyne, Foucault révolutionne l’histoire, p. 375.
[12] Ibid., p. 348.
[13] Ibid., pp. 357-8.
[14] Ibid., p. 358.
[15] M. Foucault, op. cit., p. 252.
[16] Ibid., pp. 251-252.
[17] Idem.
[18] Ibid., p. 253.
[19] Idem.
[20] Idem. Je souligne.
[21] Archambaut, « Statistique de l’asile des aliénés de Mareville »
in Annales médico-psychologiques, 1844, Tome III, p. 436.
[22] Soit quasiment un sur deux, ce qui est considérable.
[23] Antoine Bayle, Nouvelle doctrine des maladies
mentales, p. 36.
[24] Ibid., p. 15.
[25] Ibid, p. 46.
[26] On désigne par pseudodémence la présentation
démentielle d’une affection psychique. J.-M. Azorin note dans son article
« Pseudodémences dépressives » qu’il s’agit d’une « atteinte
intellectuelle réversible liée à un désordre psychiatrique primitif,
accompagnée d’anomalies neuropsychologiques qui évoquent un déficit dû à un
processus neuropathologique, malgré l’absence apparente de celui-ci ». In
Habib, Joanette & Puel, Démences et syndromes démentiels : approche
neuropsychologique, Masson, Paris, 1991, p. 101, 298 pages.
[27] Bourdin, Recherches statistiques sur l’aliénation
mentale, p. 146.
[28] Dont Bayle dit page 37, op. cit., qu’elle
« porterait souvent les malades à commettre des actes de violence, si on
ne les retenait à l’aide de la camisole ».
[29] René Laennec, Propositions sur la doctrine
d’Hippocrate, p. 35.
[30] Magendie ne s’est jamais privé de dénigrer la médecine
de son temps, et l’on sait par Flourens qu’il ne croyait à rien, et à la
médecine moins qu’à toute chose. Jean Henri Baudet, qui rapporte l’anecdote
dans Histoires de la médecine, p. 155, signale que cette attitude
critique lui valut un rappel à l’ordre du Conseil Général des hôpitaux en juin
1837.
[31] Claude Bernard, Principes de médecine expérimentale,
p. 98.
[32] François Chast, « les médicaments » in
Grmek (dir), Histoire de la pensée médicale en Occident, p. 218.
[33] Jon Elster, Le laboureur et ses enfants, p. 90..
[34] V. Descombes, Le raisonnement de l’ours, p.
120.
[35] Idem.
[36] E. Anscombe, L’intention, p. 79. Les italiques
sont de moi.
[37] Ibid., p. 148.
[38] Ibid., p. 94.
[39] Idem.
[40] V. Descombes, « préface » in E. Anscombe, L’intention,
p. 16.
[41] Ibid., p. 17.
[42] E. Anscombe, op. cit., p. 137.
[43] Ibid., p. 44. C’est moi qui souligne.
[44] Ibid., pp. 80-81.
[45] N. R. Hanson, Patterns of
Discovery, p. 18. Cité in A.
Barberousse (dir.), L’expérience, p. 139.