Les amendements Accoyer et Mattéi: leur importance pour la psychanalyse et les psychothérapies *
« Art.
L3231 : Les psychothérapies constituent des outils thérapeutiques utilisés
dans le traitement des troubles mentaux.
Les
différentes catégories de psychothérapies sont fixées par décret du ministre
chargé de la santé. Leur mise en œuvre ne peut relever que de médecins
psychiatres ou de médecins et psychologues ayant les qualifications
professionnelles requises fixées par ce même décret. L'agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé apporte son concours à l'élaboration
de ces conditions.
Les professionnels actuellement en activité et non titulaires de ces qualifications, qui mettent en œuvre des psychothérapies depuis plus de cinq ans à la date de promulgation de la présente loi, pourront poursuivre cette activité thérapeutique sous réserve de satisfaire dans les trois années suivant la promulgation de la présente loi à une évaluation de leurs connaissances et pratiques par un jury. La composition, les attributions et les modalités de fonctionnement de ce jury sont fixées par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé et du ministre chargé de l'enseignement supérieur. »
Cet
amendement au Code de la santé publique, proposé par Bernard Accoyer, député UMP de Haute-Savoie, lui-même médecin, voté
à l'unanimité par l’Assemblée le 8 octobre 2003, a plongé dans l’ébullition un
milieu qui ignorait jusqu’alors qu’il formait aux yeux des pouvoirs publics une
cible administrative comme une autre. Après un concert de protestations
professionnelles, mais aussi médiatiques, et des concertations tous azimuts, Jean-François
Mattéi, ministre de la santé, a proposé la
reformulation suivante :
«
L’usage du titre de psychothérapeute est réservé aux professionnels inscrits au
registre national des psychothérapeutes. L’inscription est enregistrée sur une
liste dressée par le représentant de l’État dans le département de leur
résidence professionnelle. Sont dispensés de l’inscription les titulaires d’un
diplôme de docteur en médecine, les psychologues titulaires d’un diplôme d’État
et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs
associations. Les modalités d’application du présent article sont fixées par
décret. »
Adopté
par le Sénat le 19 janvier par 198 voix contre 197, cet amendement, qui va
revenir devant l’Assemblée, n’est en rien définitif.
Or cette reformulation, soutenue par la plupart des grandes associations de psychanalystes, sauf l’Ecole de la Cause (Jacques-Alain Miller), et par un groupe de psychanalystes opposé à l’idée même de légiférer (cf. Le manifeste pour la psychanalyse), est censée mieux répondre aux mêmes attentes qui avaient motivés l’amendement Accoyer. Ces attentes ont une prémisse commune : une définition légale du psychothérapeute biaise désormais la discussion scientifique au nom de la nécessaire protection du public « fragile ». En conséquence, les psychanalystes, détenteurs d’un savoir sophistiqué, culturellement et socialement classant, se retrouvent de facto amalgamés à des « psys » dépourvus de caution intellectuelle et historique. Mais faut-il se réjouir de la reconnaissance administrative de leur autonomie en matière de formation et de qualification ? Pour leur part, les psychothérapeutes informels, qui s’épouvantaient avec Accoyer de la médicalisation forcée de leur pratique, auraient préféré l’amendement Gouteyron, qui instituait des « collèges » distincts pour les psychiatres, les psychologues, les psychanalystes et les psychothérapeutes, lui aussi en vue de «garantir la déontologie des praticiens et la sécurité des usagers». Car le spectre d’une politique de santé mentale aux objectifs et aux normes communes quelles que soient les pratiques et les clientèles n’est en rien éloigné par l’amendement Mattéi. En tiers, enfin, les tenants des thérapies cognitivo-comportementales (TCC), calculées précisément pour répondre aux critères psychométriques qui satisfont aux impératifs de gestion de la santé (mentale ou pas), se réjouissaient, pour citer un forum sur Internet, qu’on « fasse enfin sortir le loup du bois ». La récente publication de l’expertise INSERM sur les psychothérapies a d’ailleurs rappelé où se situent les enjeux à long terme, au-delà des corporatismes ou des privilèges associatifs : concluant à la supériorité des TCC sur les psychothérapies « dynamiques », où la psychanalyse (visée au cœur), est en réalité diluée dans un conglomérat informe de méthodes vaguement post-freudiennes mais « relationnelles », ce rapport, pourtant si prudent sur ses propres résultats, a été immédiatement interprété dans la perspective non seulement de la rentabilité économique, mais carrément du sérieux scientifique, voire de la responsabilité morale (et nul besoin de préciser au détriment de qui).
A l’arrière-plan, enfin, se profilent aussi d’autres enjeux, cruciaux, mais prudemment renvoyés à de futurs décrets d’application. Les psychothérapies seront-elles remboursées ? Sur quelles bases ? Pourra-t-on poursuivre un psychothérapeute pour faute ? Quelle part sera dévolue à l’université dans leur formation ? Sur quels critères homologuer les associations qualifiantes (les associations de « vrais » psychanalystes, et celles de psychothérapeutes « sérieux ») ? Question enfin extrêmement grave et qui ne paraît pas avoir reçu l’attention méritée, comment leur fonctionnement institutionnel actuel sera-t-il altéré, avec quels effets, non seulement sur la liberté de pensée de leurs membres ni médecins ni psychologues, désormais dépendants comme jamais de leurs instances, mais même sur l’authenticité de leur démarche éthique et intellectuelle ?
Je l’ai dit, une fraction considérable des praticiens de la psychanalyse, dont la voix a d’ailleurs progressivement couvert celle des thérapeutes non-psychanalystes, se dit rassurée par le tour que prennent les événements. Ce soulagement est à mon avis trompeur, et je dirai pourquoi. Car il reste à mieux saisir la nature de la réponse apportée par le milieu « psy » aux défis actuels, réponse qui a été, et qui reste, je le dis sans intention péjorative, corporatiste (il y va en effet de la survie de milliers d’acteurs). Et je proposerai donc une tentative de lecture plus distanciée de ces défis, disons, à partir des années 80 — lecture qui, je l’espère, permettrait de suggérer quelques coups justes à jouer dans une partie compliquée, et qui n’est nullement achevée. Or ces coups justes, vais-je soutenir, sont plus des questions empiriques à poser (auxquelles il faudrait se donner les moyens de répondre) et bien moins des solutions à des difficultés dont on fait état comme d’évidences (la protection du public fragile en est une), mais dont une bonne partie sont parfaitement imaginaires.
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« Les » psychothérapies, de la façon la plus englobante possible, englobent l’ensemble des réponses données par des professionnels ou des semi-professionnels à des demandes de soins psychologiques (ou du moins, vécus ou auto-catégorisés comme « psychologiques »). Elles vont du « travail sur soi » utilitaire (à la limite de la simple prise de conscience dans la recherche de performances au travail, dans le couple) à la gestion de malaises infra-cliniques que les clients ne tiennent pas à médicaliser, les psychothérapies ayant alors des accointances avec les « médecines douces [1] . Puis, et l’on franchi là un seuil crucial, elles s’adressent aux états « névrotiques », qui sont spécifiquement pris en charge par les « psychothérapies psychanalytiques », ou bien alors aux symptômes pris un à un comme cibles, sans exploration personnelle fouillée (objets privilégiés des thérapies cognitivo-comportementales : TCC). On passe de là aux prises en charge au long cours de pathologies chroniques, exigeant un soutien constant et une surveillance avertie (de l’alcoolisme à la schizophrénie), que de moins en moins de psychiatres ont les moyens matériels d’assumer en libéral ou dans le public, mais qui relèvent de leurs attributions Et l’on arrive enfin à la psychanalyse stricto sensu, occupant le pôle opposé mais symétrique du plus bas degré de la psychothérapie, puisqu’elle propose moins un travail sur soi, qu’une élucidation (partielle) du labeur que l’autre (mon semblable, mon déplaisant « prochain », mon partenaire sexuel, voire mon monde social et sa langue) impose à chacun. Mais cette élucidation est indirectement thérapeutique (guérir est l’effet, non le but). Offrant à l’individu moderne une de ses dernières grandes aventures intérieures, elle est enfin valorisée par la haute culture comme un lieu d’exception.
Si l’on ne veut pas sombrer dans le débat préalable de savoir si la psychanalyse est ou pas une psychothérapie, ou si les psychothérapies doivent ou non être médicalisées, il suffit, j’insiste, de partir du fait de la demande de soins psychologiques : de quelque façon subtile ou prudente que le destinataire de cette demande se représente ce qu’il fait, c’est à ce titre, et à ce titre seul, qu’il sera traité en psychothérapeute — et, ajouterai-je, que cela lui plaise ou non. En un mot, peu importe désormais que le mot « soin » figure dans une demande comme : « Soignez la maladie dont je souffre ! », ou dans cette autre, désormais essentiellement analogue dans nos sociétés : « Prenez soin de moi ! ». Le temps n’est plus ou le caractère très articulé et hiérarchisé conceptuellement de l’offre de soin permettait encore de dire, pour citer Lacan, qu’une psychanalyse, c’est ce qu’on demande à un psychanalyste : on travaille (surtout quand on est débutant) à la rigueur en psychanalyste avec la souffrance psychique, mais les patients découvrent souvent au fur et à mesure la technique propre à ceux qu’ils consultent, et de toutes façons, la prodigieuse extension de la culture psychologique à tellement abrasé les différences entre les méthodes, aux yeux du public comme des acteurs de la santé mentale, que fort nombreux sont les éclectiques, qui conjuguent psychothérapie psychanalytique, TCC, hypnose, et parfois avec le même patient.
Conformément aux prédictions de Robert Castel[2] , la norme ultime de tout traitement psychothérapeutique, qui a été dans les faits la psychanalyse jusqu’aux années 80, est donc devenue la triste victime de son succès. A mesure que s’incorporaient aux discours quotidiens les idéaux « relationnels », une certaine attention à l’enfance comme l’âge à scruter où toute la vie future se déciderait, dans la mesure aussi où la sexualité épanouie est revendiquée comme un lointain héritage freudien, ou que la lecture « oedipienne » des liens familiaux envahit les médias, tandis enfin que des mots comme « refoulement » n’ont plus besoin de légitimation théorique, plus rien ne permet de parer à la vulgarisation-dépréciation de la psychanalyse. Sa capacité à en imposer, point décisif que masque en ce moment un pur succès de lobbying, par l’autorité liée à sa difficulté intrinsèque, s’est définitivement émoussée. Les thérapeutes non-psychanalystes savent en effet que ce qu’ils offrent n’arrive pas à la cheville des productions freudiennes ; cela ne les intimide plus, et ils en font même un argument pour s’approprier des formes de malaises psychologiques plus diffus qui ne justifieraient pas d’une démarche aussi longue et coûteuse qu’une cure[3] . C’est ce double effet (1. caractérisation de la psychothérapie par le fait social massif d’une demande indistincte de soins psychologiques, et 2. ruine du paradigme de la psychanalyse comme norme des autres thérapies de type relationnel) qui a abouti à la situation présente.
Voilà qui rend quasi illisible le chiffre considérable des personnes ayant suivi en France une psychothérapie, comme le jugement globalement favorable qu’elles expriment. Il y aurait eu ainsi environ 800000 personnes de plus de 15 ans en psychothérapie en 2001, soit 1,7% de la population, sans compter les enfants qui sont de gros consommateurs (on ajoute alors, Dieu sait pourquoi, 200000 au premier chiffre), et, en incluant cette fois ceux qui ont dans le passé eu recours à ce type de soins, 5,2% de la population générale, soit 3 millions d’individus concernés (avec les enfants, qu’on ajoute selon les mêmes obscurs critères). Ces chiffres ont été obtenus par sondage sur 8069 adultes ventilés selon la méthode des quotas par l’institut BVA, d’une part, et, d’autre part, réexaminés à la lumière d’une enquête en ligne du magazine Psychologie[4] , dont la méthodologie ressemblait fort à la méthode controversée de l’enquête américaine du Consumer Report de 1995, laquelle avait donné lieu à des études statistiques fouillées, mais peu concluante[5] . Curieusement, le taux de satisfaction dans les deux enquêtes françaises est identique (84%)…
Que valent ces impressionnantes données numériques ?
Pas grand-chose. Car, comme ce sondage a été suffisamment bien conçu pour estimer le niveau d’information des répondeurs, on y découvre que plus de 40% ignore la méthode qui leur a été appliquée — quand ils n’appellent pas psychothérapie les 15 minutes bimensuelles chez le médecin qui renouvelle leur ordonnance de psychotropes. De plus, la confusion entre psychothérapeute, psychiatre, psychologue ou psychanalyste y est courante. A supposer, ensuite, qu’il y ait entre 12 et 30% de personnes « en analyse » (selon l’inclusion ou pas des « psychothérapies d’inspiration psychanalytique » dans l’échantillon), presque 60% des « analysés » (car la plupart semblent considérer avoir fait une psychanalyse, aurait-elle duré six mois) sont incapables d’identifier l’école dont relève leur psychanalyste. Plus cocasse, est fréquemment considérée « thérapie de couple » une thérapie où l’on parle de son conjoint, pas celle où l’on se rend en sa compagnie. On pourrait se consoler avec le public mieux informé de Psychologie, notre seconde source. Mais si les titres des psychothérapies y sont mieux repérés, surtout s’il s’agit des psychothérapies humanistes (rogériennes, psycho-corporelles, etc.), les bizarreries n’y sont pas moindres. Ainsi, dans ce second échantillon (nullement représentatif, lui, comme l’échantillon sondé par BVA), 40 % des patients seraient censément « en analyse », ce qui se ventilerait : 20% d’analyse freudienne, 7% de lacanienne, 4% de jungienne et 0,5 % de kleinienne, le reste, soit 9,5%, étant défini par les intéressés comme de la « psychothérapie analytique ». Je passe sur la qualité des antennes nécessaires à la détection des qualités lacaniennes ou freudiennes du silence (au moelleux du divan ?), pour m’étonner de la place minime des psychothérapies psychanalytiques. Comment peuvent-elles ne compter que pour 25% des analyses ? Leur rythme plus lent (en France 2 à 3 séances par semaine), et la disposition en face-à-face les rendent, de l’avis général, plus courantes que la cure standard[6] . Si la psychanalyse, dans ce public présumé mieux informé, est soumise à de pareilles distorsions d’image, aussi improbables au vu des inquiétudes actuelles des praticiens, on se demande par contrecoup ce qui a été saisi dans les autres cas. Quand à ce que déclarent les psychiatres libéraux, sur lesquels on dispose d’une enquête de 1994 du Syndicat des Psychiatres Français, et qui tous ou presque se déclarent psychothérapeutes, si 60% se réfèrent à la psychanalyse et le reste à « rien de spécifique », la moitié déclarait pratiquer la psychanalyse (à raison de séances d’une demi-heure au moins), un sixième les TCC, ou l’hypnose, ou les thérapies familiales (exemple du syncrétisme actuel) et un sixième encore la relaxation[7] .
Tout n’est pas ici nécessairement erroné. Si chaque psychothérapeute reçoit environ 60 patients par an, toutes techniques confondues, ce qui paraît raisonnable, on retrouve par une règle de trois à peu près les 10 à 15000 praticiens censés exercer en France[8] . Mais en divisant quelque chose par quelque chose, on finit toujours par retrouver quelque chose. Autant dire que le besoin d’accorder entre eux ces chiffres est criant, et qu’un sondage ou une enquête en ligne sont loin du degré de précision requis pour éclairer des décisions de l’importance de l’amendement Accoyer.
En fait, la mise en scène de ces chiffres donne leur véritable sens. Dans un exposé aux Etats-Généraux de la Psychothérapie en mai 2001, Serge Ginger, Gestalt-thérapeute militant pour un statut des psychothérapeutes (catastrophé à l’époque du tour restrictif que lui donnait l’amendement Accoyer), les ponctue de détails plutôt malaisés à relever dans la pluie des statistiques, mais qui touchent juste : après une psychothérapie, dit-il, la consommation de psychotropes baisserait considérablement (d’un tiers pendant la thérapie, pour chuter à 5% après, selon les répondeurs en ligne de Psychologie). Il est certain qu’il s’agit d’un poste de dépense élevé pour la sécurité sociale ; l’intention est donc transparente. Mais il n’est pas sûr que les consommateurs de psychotropes distinguent clairement anti-dépresseurs, hypnotiques, benzodiazépines, neuroleptiques et régulateurs de l’humeur, et peut-être même toutes ces substances d’autres, qui ne sont pas des psychotropes du tout. D’autre part, comme il est crucial de monter en épingle la relation des Français aux psychothérapeutes (qui est quatre fois moindre qu’aux États-Unis, où, il est vrai, le conseil spirituel occupe une grande place), il ajoute : « Lorsqu’on admet que l’impact d’une psychothérapie touche directement les proches (conjoint, parents, enfants), on voit de suite qu’en réalité, la psychothérapie concerne, plus ou moins directement, près de huit millions de Français »[9] . Ce style de commentaire pseudo-sociologique n’est nullement exceptionnel, et s’il n’est peut-être pas faux, il est aussi important de souligner qu’il n’existe aucun moyen, aujourd’hui, de savoir en quoi.
On ne peut en tout cas tirer de ces indications, et je veux commencer par insister sur ce point, rien qui alimente aucune position, quelle qu’elle soit, tellement elles sont ployables à toutes les rhétoriques, et peuvent alimenter toutes les peurs absurdes comme toutes les méconnaissances dangereuses. C’est là un vaste chantier qui s’ouvre, dont on ne peut prédire quels résultats il va produire, mais dont l’urgence est patente.
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La vraie difficulté est donc qualitative. On ne peut lancer une étude sans savoir quelles questions poser à quel objet, dans quel but, dans quel contexte, avec quels moyens statistiques, et pour vérifier quelles hypothèses. Or sur la voie des bonnes définitions comme des bonnes questions, on rencontre toute une série d’obstacles.
Certains sont connus.
On dénombrerait, dit-on, au moins 400 formes de psychothérapies. De fait, détecter l’intrus dans la liste suivante deviendra peut-être un jour un grand jeu de société : bio-énergie, psychosynthèse, Gestalt-thérapie, sophrologie, neurovégétothérapie, respiration holotrophique, programmation neuro-linguistique (si souvent confondue avec le conditionnement neuro-associatif), analyse transactionnelle, bio-analyse, somatothérapie, accompagnement post-traumatique, massage psychocorporel, psychothérapie corporelle intégrée, étiopsychologie, relaxologie, co-conseil, analyse psycho-organique, cri primal, rebirth ou bio-respiration, thérapie client-centered, rolfing, andragogie, kinésiologie, sophia-analyse, stratégie de vie, sans oublier healers, praticiens de la relation d’aide, graphométriciens, agents d’intervention de crise et médiateurs ethnocliniciens[10]. Non seulement plusieurs d’entre elles sont interchangeables, mais leur efficacité spécifique dépend explicitement de facteurs comme la personnalité du praticien et du groupe qu’il structure autour de lui. Ces groupes, pour ce qu’on a pu apprécier aux Etats-Unis (les études plus récentes et plus françaises manquent cruellement), se font et se défont avec rapidité. Tous prônent un éclectisme consolidé par la récusation des sociabilités conventionnelles et de tout intellectualisme[11] . Mais les versions les plus récentes ne manquent pas de cautions de respectabilité : une société savante internationale, un journal (avec comité de lecture, peer-reviewing, etc.), des programmes de formation longs et standardisés. De telles « références » servent, je suppose, à intimider les bureaucrates, mais leur contenu scientifique n’engage, pour le moment, que leurs lecteurs. (Je mets à part, pour y revenir, les pratiques dont l’effet psychothérapeutique est officiellement marginal, comme les spiritualités inspirées de l’Orient, ou la dégénérescence de la vieille psychologie industrielle autoritaire, au service des patrons rationnels des années 50, en « développement personnel » autogéré.)
Or, d’autres obstacles à une réflexion sérieuse sont moins apparents. J’en vois en fait quatre : 1. l’« imaginaire professionnel », pour citer Robert Castel, des psychanalystes ; 2. les fantasmes des « usagers » (et sur les usagers), avec tout ce qu’un principe de précaution généralisé entraînerait de contre-productif ; 3. Les réticences de l’establishment médico-psychologique, qui pourrait être entraîné plus loin qu’il ne souhaite si l’on posait à fond la question des psychothérapies ; 4. Les carences de l’expertise sociologique depuis les années 80 — que je traiterai à part.
Les interventions de Jacques-Alain Miller dans la presse illustrent le premier point [12] ; elles témoignent avant tout de la certitude des psychanalystes d’avoir raison sur des questions où, jugent-ils, leur discipline, son histoire, voire son épistémologie, leur garantit la position de surplomb qui devrait en faire les interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics. Il n’y a qu’un inconvénient. C’est qu’on peut avoir raison et se faire politiquement balayer. Comprendre ce fait tout simple suscite dans les discussions qui bruissent dans le milieu une réaction bien révélatrice : chacun rappelle avec force son attachement à ses principes de non-ingérence de l’Etat, ou son refus de la médecine mentale « objectiviste », comme si ce rappel, transcendant la crispation personnelle qu’il reflète (et il y a de quoi, assurément, se faire du souci, pour soi et pour ses patients !) allait miraculeusement réveiller une conscience collective endormie. Bien des psychanalystes comprennent aujourd’hui que si la psychanalyse a bénéficié d’une pareille immunité en France, ce n’était pas du fait de sa structure interne, ni de sa logique du sujet, ni du rapport quasiment hors-social qu’elle instituait par son abstention de principe à l’égard de ce qui est dit (sur le divan), ni par son prestige culturel repoussant avec tranquillité toute mise en cause, mais aussi, peut-être surtout, parce qu’elle profitait de niches juridiques, économiques, sociologiques, politiques, culturelles, dont la relative inertie a été confondue avec une promesse d’éternité. Seuls, semble-t-il, ceux qui ont été mêlés à l’évolution des hôpitaux psychiatriques, et qui ont mesuré la vanité des arguments cliniques quand il s’agit de « rationaliser les soins », ont senti le vent venir. La plénitude d’existence que procurait le statut de psychanalyste, livrant à la fois des clés fascinantes pour déchiffrer les agressions d’un monde extérieur qui nie souvent l’inconscient, avec les moyens financiers d’une passion unique, en résonance avec la haute culture, mais offrant aussi la sécurité non-négligeable de postures où des notables installés, aux commandes d’appareils considérables, peuvent se vivre eux-mêmes en même temps, fort sincèrement, comme des personnages subversifs, savants maudits par leurs pair, ou défenseurs héroïques de valeurs universelles mais « universellement refoulées » — voilà ce qui a obscurci la teneur des essais méritoires de sauver ce qui devait l’être. Car ces postures n’exercent plus l’effet puissant qui a été le leur jusqu’à la mort de Lacan ; elles continuent à captiver le petit peuple de la psychanalyse, et, par nostalgie, une frange vieillissante de l’intelligentsia. Mais ces propos acerbes, seraient-ils drôles et pertinents en leur fond, sont désormais prisonniers de la bulle « psy », et ne mordent plus sur le monde[13] . En somme, l’imaginaire professionnel des psychanalystes les menace de voir leurs efforts (efforts légitimes, qu’on m’entende bien), faute d’écho efficace, se réduire à des gesticulations corporatistes, souillées d’alliances circonstancielles et contre-nature, avec le risque accru de se révéler aux yeux de leurs vieux rivaux positivistes comme la caste faillie qu’on va enfin déboulonner de son socle. La psychanalyse a commencé ; elle pourrait aussi finir.
Les fantasmes des usagers, ou plus exactement les fantasmes qu’on construit à l’usage des usagers, dans une opération de captation intéressée de la fonction du porte-parole, sont un second obstacle à déblayer. On peut être franchement consterné du procédé. Que dire, par exemple, des glissements successifs par lesquels Françoise Sironi, dans un article récent[14] , en vient à supposer qu’il faut un statut des psychothérapeutes pour prévenir les abus sexuels sur les patients ? En quoi, grands dieux, un tel statut changerait-il quoi que ce soit ? Comme si leur niveau universitaire avait jamais empêché des sexologues, médecins éminents, couverts de titres, de se faire poursuivre devant les tribunaux pour viol, comme si le crime n’exploitait pas tous les moyens honorables, justice, secours aux enfants, que sais-je encore, précisément pour se perpétrer. Va-t-on pour autant interdire la médecine, les magistrats, les associations d’accueil aux enfants ? Malheureusement, il n’existe pas de lois contre les gens qui ne respectent pas les lois. Il y a des lois, c’est tout. La seule chose qui pourrait empêcher le non-respect de la loi, ce serait de la remplacer par des prescriptions obligatoires, contrôlées à tout instant ; c’est le totalitarisme, et il est évidemment incompatible avec les prémisses de Sironi. Celle-ci prétend alors que ces abus sont suffisamment fréquents pour justifier l’intervention urgente des pouvoirs publics. Sur quelles bases ? On ne sait même pas, je l’ai dit, combien il y a de psychothérapeutes en France, ni en quoi l’échantillon de « victimes de sectes » auquel elle joint celui des « victimes de psychothérapies » auto-proclamées (et l’on a vu quoi penser des capacités des gens à discriminer ce qui est une psychothérapie et ce qui ne l’est pas) serait représentatif de quoi que ce soit. Pour relire ensuite le cas qu’elle offre, celui de la religieuse violée, il est lui-même obscur (le « développement personnel » est-il une psychothérapie ? En quoi s’agissait-il d’ailleurs de « développement personnel » plutôt que de n’importe quel happening ? Est-ce donc la psychothérapie supposée elle-même qui est en cause, et non la fraude, ou l’usurpation de titre ? En quoi enfin ce viol n’est-il pas un viol par séduction ordinaire, qui aurait pu se passer avec ce thérapeute comme avec un prêtre ?). J’insiste sur le caractère naïf de ces questions. Le point frappant, c’est que Sironi en tient les réponses pour si évidentes, qu’elle ne songe pas un instant qu’un contre-exemple à l’irénisme de Jacques-Alain Miller, son adversaire, ne prouve pas qu’il se trompe. Mais on a deviné ce qui se passe : c’est que le lieu d’où elle parle, d’où elle vise la psychanalyse comme un obstacle à la salutaire régulation des psychothérapies, est un lieu d’élaboration théorique antagoniste, qui veut faire reconnaître sa supériorité : on y promeut une technique psychodynamique anti-freudienne, imprégnée d’ethnopsychiatrie, et qui prend au sérieux la problématique de la Trauma Theory. Je vais y revenir, mais on peut déjà la réduire en gros à cette idée qu’il y a des traumatismes réels (et non fantasmés, comme le soutenait Freud). La cure par la parole est alors incriminée comme une pratique de quasi « tortionnaire », dans la mesure où elle donne au traumatisme un doublon psychique, à verbaliser impérativement. Le tour particulier que lui donne Sironi, c’est qu’en enracinant ces traumatismes réels dans un contexte politique, elle entend créditer par ricochet les usagers qui se plaignent (ou se plaindraient) d’une vertu civique. Ce ne sont pas des « naïfs », encore moins des névrosés qui fantasment, mais l’extension contemporaine de cette vaste masse de femmes effectivement martyrisées qui ont renversé politiquement les diagnostics d’hystérie et d’autosuggestion où la psychanalyse les enfermait.
Laissons de côté le débat doctrinal. Car, paradoxalement, de telles conjectures révèlent surtout l’extraordinaire mépris qu’on voue au dit sujet « politique », comme au sujet du droit. Déjà, l’exposé sommaire qui précède l’amendement Accoyer contenait les propos suivants : « [les psychothérapies prétendues] peuvent faire courir de graves dangers à des patients qui, par définition, sont vulnérables et risquent de voir leur détresse ou leur pathologie aggravée. Elles connaissent parfois des dérives graves. Depuis février 2000, la mission interministérielle de lutte contre les sectes signale que certaines techniques psychothérapiques sont un outil au service de l’infiltration sectaire et elle recommande régulièrement aux autorités sanitaires de cadrer ces pratiques. » Or, comment ne pas voir que si on ne commence pas par supposer assez de bon sens à une personne qui souffre psychiquement pour distinguer le violeur du thérapeute, il n’y aura pas de limites au réseau de protections dont il faudra l’entourer ? Non seulement il n’existe pas de loi contre ceux qui enfreignent la loi, uniquement des peines, mais les lois ne peuvent pas être rédigées pour ceux qui ne sont pas raisonnables. Et on peut souffrir psychiquement et être raisonnable. Ou alors, disons les patients mineurs jusqu’au bout, et prenons sur nous de porter plainte contre leurs thérapeutes, même s’ils s’en estimaient contents — pauvres victimes inconscientes à protéger de leur inconscience ! Du cas particulier (tel abus), on ne peut justement pas aller au cas général sans détruire ici ce qui fait du cadre un cadre légal. Mais l’arsenal juridique pour punir existe : il suffit de juger pour escroquerie, viol, etc. Dans ce système ambigu, où l’on mobilise de la main droite l’usager-citoyen en lui imputant de la main gauche une faiblesse psychique disqualifiante, nul doute que les experts vont proliférer, capable de discriminer les seuils inscrutables, voire, comme Sironi, d’écarter à coup sûr les effets (si évidents) d’un « transfert négatif »[15] . Or c’est en toute franchise que Sironi se place sous le patronage du Centre Georges Devereux, et qu’elle tient pour naturel de glisser des sectes aux psychothérapies. Il n’en est pas moins entièrement conjectural qu’on puisse empiriquement lier psychothérapies et sectes, ou parler d’abus majeurs liés aux psychothérapies en tant que telles. Il n’est pas exclu qu’un tel lien soit établi un jour ; mais pour le moment, qui s’en est donné les moyens ?[16] . Ce qui donc émerge du débat, c’est plutôt la mise en forme militante de ce que je ne crains pas, jusqu’à preuve du contraire, d’appeler des « fantasmes d’usagers » : où se dessine en creux une figure normative nouvelle de ce que les gens devraient attendre de leurs psychothérapies (pour ne pas être dupés), où s’esquisse aussi la mise sous tutelle soft d’aspirations intimes. Bien sûr, tout cela ne fait pas partie du programme politique de Sironi ; elle l’a prouvé par d’autres travaux[17] . Mais c’est en quoi son article est exemplaire : il fraye la voie au strict contraire de ce à quoi elle aspire. Malheureusement, le contexte sécuritaire du débat sur la santé mentale laisse présager le pire, tant l’image des abus dans les médias tend à recouvrir leur proportion dans des ensembles sociaux déjà lourdement régulés.
Les réticences de l’establishment médico-psychologique à un traitement radical de la question des psychothérapies sont, je suppose, encore un autre obstacle méconnu à la simple formulation des bonnes questions. Une mauvaise conscience certaine envahit depuis peu les hôpitaux universitaires. Sans doute, l’idéologie majoritaire soutient encore que le psychiatre est ès-qualité psychothérapeute (puisque la psychothérapie qualifie un acte médical, et qu’un interne est censé l’avoir appris durant les stages pratiques). Mais on voit s’ouvrir depuis 2000, à gauche et à droite, dans les facultés de médecine, sur le modèle du Diplôme Universitaire de Lyon, des DU de psychothérapie, pour lesquels se trouvent assez miraculeusement des fonds et des enseignants. On est loin encore de se demander si le modèle suisse ne serait pas le bon, où le psychiatre doit par principe se former dans un organisme extérieur, conventionné par les cantons, à une technique qui implique un « travail personnel » (la psychanalyse, mais pas seulement). Toutefois, en France, coexiste avec la confiance dans le titre de psychiatre les restes de la période ancienne, où il était clair, précisément parce qu’on était psychiatre, qu’il fallait faire en plus une démarche personnelle (idéalement une analyse). Dans des hôpitaux du cadre, à la différence des hôpitaux universitaires, une petite pression continue, semble-t-il, à s’exercer dans ce sens. Or un mouvement de ce type serait peut-être en train de renaître, à la faveur d’une modification insensible des attentes de jeunes internes davantage demandeurs de recherches psychologiques[18] .
Or, là encore, les enjeux sont complexes. Le rapport Pichot-Allilaire de 2003, de façon transparente, conçoit la psychothérapie comme un acte complémentaire de la prescription de psychotropes. Il en ressort que la psychothérapie en elle-même, si elle est pratiquée à part par un psychologue, ne saurait en son fond valoir que sous la tutelle du médecin prescripteur, qui devrait rester aussi l’évaluateur. Ce rapport reflète des soucis venus des Etats-Unis : les enquêtes attribuent toujours la palme de l’efficacité aux thérapies combinées (psychotropes et TCC), mais les assurances remboursent les médicaments, pas le suivi psychologique, alors qu’il est raisonnable de penser que le jeu en vaudrait la chandelle. D’où le souci des autorités médicales de protéger le label « psychothérapie » de l’invasion par des pratiques informelles, non seulement parce que le statut du psychiatre en tant que vrai thérapeute de l’esprit serait dégradé, ou du moins banalisé, mais aussi parce que les maladies psychiques ne peuvent pas devenir aussi informes que ces malaises diffus à quoi s’adressent les thérapies informelles : la dépression dite « résistante », les troubles obsessionnels-compulsifs, les phobies, voilà du dur. Le mou, ce sont les deuils transitoires, les dépressions qui cèdent sous placebo, etc. La pente sociale à instrumentaliser les psychiatres comme des religieuses laïques au secours de troubles fluctuants hérisse notoirement la profession, qui ne s’intéresse au tabagisme que si c’est une addiction, ou aux malheurs de la vie que dans le cadre du stress post-traumatique constitué. Ces inquiétudes motivent la pression médicale pour réglementer les psychothérapies. C’est un renforcement indirect du périmètre de l’exercice légitime de la médecine mentale, qui soigne des maladies qui sont de vraies maladies. Entre les compétences neurobiologiques qui font le prestige des hiérarques, et le tout-venant de la misère hospitalière et extra-hospitalière, la zone intermédiaire indécise exige des défenses solides. D’un autre côté, on aurait tort de croire les professeurs acquis unilatéralement aux neurosciences ; la nostalgie de la vieille clinique les hante encore. Pourvu qu’elles offrent des garanties de sélection, les écoles de psychanalyse huppées et orthodoxes n’ont pas perdu la bataille. Mais ce tropisme compréhensible des mandarins risque de se heurter à une autre contrainte, qu’on a perdue de vue dans les débats d’après l’amendement Accoyer alors qu’elle était au cœur des soucis dans la discussion qui l’a précédé. Car si l’on déshospitalise en masse (fermeture de lits, substitution de nouveaux neuroleptiques moins sédatifs aux anciens, gros efforts de réinsertion sociale, collaboration avec les familles, les associations, etc.), il n’en reste pas moins que les files actives des CMP (Centres Médico-Psychologiques), qui sont comme les bassins de refoulement des pavillons fermés des asiles, tendent désormais vers l’infini. Il faut donc assurer des soins hors-hôpital à une cadence infernale. Des psychothérapeutes accrédités désengorgeraient le système. Il est clair toutefois, qu’il en faudra plus que l’élite choisie des grandes sociétés de psychanalyse. Il faudra faire des compromis. Mais il n’est pas sûr que les TCC puissent entièrement prendre en charge ce champ, dans la mesure où, dans la nature, et non plus en laboratoire, les supériorités vantées de ce modèle sur les psychothérapies dynamiques (psychanalytiques, surtout), fondent comme neige au soleil, sous la pression de la demande des patients, toujours plus complexe que prévue, et de l’ethos particulier qu’exige le suivi au long cours de malades chroniques[19] .
Du côté des professeurs de psychologie, la même supposition prévaut que le diplôme de psychologue-clinicien devrait suffire (tellement les stages mettent les étudiants au contact de patients et de superviseurs expérimentés). De même, survit la pratique de la démarche personnelle hors du cadre universitaire, du fait même qu’on est psychologue, et sans qu’elle soit imposée par autre chose que l’idéalisation du rôle à jouer. Or le fait est qu’il n’y a pas de formation à la psychothérapie à l’université. Avouant à demi-mot la difficulté à laquelle l’acculent certains psychothérapeutes militants (qui invoquent des « formations » aux délais ahurissants : des années pour apprendre la bio-énergie !), Roland Gori a fait circuler un projet de refonte des cursus parant la critique[20] . Il veut prendre à contre-pied ce que Françoise Champion appelle les « psychothérapeutes non-académiques » (car ils peuvent être diplômés, ce qu’ils font n’est pas légitimé par l’université). Bien documenté, ce rapport compare les programmes universitaires européens, afin de ne pas compromettre le pilier de l’institution psychologique en France, la loi de 1985, qui protège le titre de ses diplômés[21] . Il suggère de spécialiser certains psychologues par un renforcement de leur expérience clinique, avec deux idées en tête : pallier « la pénurie de psychiatre » (alors que la France a un taux de psychiatres par habitants des plus hauts du monde), et répondre aux demandes de soins plus informelles, en protégeant le public des charlatans. Puis Gori réclame, en échange des efforts, des postes pour les psychologues ainsi formés. Qui peut croire que de tels postes ne conduiraient pas à des statuts les protégeant ?
La critique du modèle subordonné de psychothérapie (un supplément aux psychotropes) est également très nette. Il est hors de question de céder sur le privilège des psychologues, garanti en 1985, de faire des diagnostics et de participer aux soins de façon autonome — ce qui est, notez bien, en contradiction avec l’article L372 du Code de la santé publique, qui fait de tels actes un exercice illégal de la médecine.
Or, tout cela rend pressant « le » problème : comment ne pas diluer la psychologie comme science ? Comment éviter l’inscription fatale des psychologues dans le Code de la santé publique au titre IV des « professions de santé », en compagnie des sages-femmes et des dentistes, avec sa réduction à une simple technique et la subordination aux médecins qui en découle aussitôt ? En la divisant en spécialités, comme la médecine — et implicitement, à parité, propose Gori. Sans que les choses soient si claires, son propos suggère néanmoins que les psychothérapeutes dûment formés seraient comme des psychiatres-sans-médicaments, sans que ce soit une déficience plus grave que d’être cardiologue sans rien savoir du cancer du foie. La querelle des psychothérapeutes, on le voit, est ici l’occasion « d’aller plus loin », dit Gori : en fait de relancer la guerre avec les psychiatres (encore que les deux clans s’entendent pour dénier aux généralistes la moindre compétence psychothérapeutique !). Mais une part de son argument consiste alors à retourner contre la psychiatrie sa crainte d’être débordée par des demandes impossibles à satisfaire, d’origine sociale, ou pire, politique, qui prendrait la forme gênante de symptômes mentaux sous-déterminés : aux psychothérapeutes de prendre ces mal-être en charge, pour prévenir, contre les effets pervers du paradigme objectiviste et donc impersonnel de la médecine scientifique, toutes les frustrations dont font état les malades, au point de porter leurs griefs en justice. On ne saurait mieux offrir une solution clé en main au malaise social, au moyen de ce qui est, quoi qu’on dise, une offre « technoscientifique » des psychologues. La prédiction de Robert Castel touchant les psychologues des années 80 se réalise : « la présence de cette masse de qualification sans emplois pousse à la création d’emplois correspondant aux qualifications, et contribue ainsi au développement du champ médico-psychologique et médico-social »[22] . Or les psychologues ont-ils les moyens de jouer ce rôle de charnière ? J’aimerais savoir, pour mentionner le rôle envisagé de tampon entre les sujets et la technostructure médicale, ce qui protégerait les protecteurs, et qui bloquerait la judiciarisation des actes psychothérapeutiques censés anticiper la judiciarisation des actes médicaux... Sans compter le décalage suspect entre le discours humaniste, anti-scientiste, et l’offre plus tactique d’un pansement psychosocial là où ça fait mal. En somme, psychiatres et psychologues sont profondément atteints par l’affaire du statut des psychothérapeutes : c’est le périmètre de leur pratiques légitimes qui tremble sous le coup de la demande sociale. Et si les psychologues en profitent pour s’aventurer, au moyen même de cette pression sociale, sur la chasse gardée des psychiatres, ces derniers se barricadent derrière un positivisme de bon aloi — ce qui pourrait, si l’on n’y prend garde, rallumer les feux de l’anti-psychiatrie la plus bête. Or, le commun dénominateur de ces deux mouvements est simple : c’est l’incapacité à mettre en perspective critique le mythe de la « demande des usagers », tenue pour un fait brut.
Ces trois obstacles à l’élaboration des bonnes questions semblent donc déboucher sur des questions de sociologie : que sait-on, au juste, du public qu’on s’empresse de protéger, qu’on aplatit sur le seul rôle des « usagers », et plus généralement, de la fonction sociale des soins psychiques (informels ou véritablement thérapeutiques) dans le champ actuel de la santé mentale ? Que sait-on, ensuite, des « psys », tels qu’on les amalgame (universitaires et non-universitaires, employant des techniques reconnues ou pas, et sans que ces deux dimensions coïncident toujours) ? Va-t-on aujourd’hui remplacer l’enquête empirique sur qui, quoi et comment, par un « principe de précaution » appliqué lui-même sans précautions ?
*
Or que sait-on donc, sociologiquement, de ces problèmes ? La réponse est claire : rien.
Je n’ai aucune volonté provocatrice : que le lecteur essaie d’évoquer une référence bibliographique majeure sur l’évolution des traitements psychothérapiques considérée comme problème social et politique, depuis les années 80, une étude épidémiologique de l’INSERM, le moindre rapport du Ministère de la santé ; en sociologie, quelques chapitres dispersés[23] ; en économie de la santé, le néant. Le sondage BVA dont j’ai parlé plus haut n’est significatif de rien, ai-je dit : je me reprends, il est significatif, accompagné de ses commentaires biaisés, du vide qu’il sert à couvrir. Il semble qu’après la magistrale Gestion des risques de Robert Castel, en 1981, il y a 25 ans, la recherche sur le domaine se soit entièrement tarie[24] .
Voilà pourquoi ce livre offre une base commode : en mesurant les décalages entre ce qu’il prédisait et ce qu’on peut observer aujourd’hui, le phénomène actuel pourra peut-être donner lieu à des hypothèses moins soumises aux passions que celles qu’on nous assène en ce moment comme des évidences — qui imposeraient, en plus, des plans d’urgence.
Robert Castel énumérait trois axes qui paraissaient, en 1981, commander l’évolution à venir de la santé mentale, autour des psychothérapies envisagées comme des faits sociaux, scientifiques et politiques : « [1.] un retour en force de l’objectivisme médical qui replace la psychiatrie dans le sein de la médecine générale ; [2.] une mutation des technologies préventives qui subordonne l’activité soignante à une gestion administrative des populations à risques ; [3.] la promotion d’un travail psychologique sur soi-même qui fait de la mobilisation du sujet la nouvelle panacée pour affronter les problèmes de la vie en société »[25] . Je propose de reprendre ces entêtes avec l’hypothèse que l’amendement Accoyer, dont il est vain de croire qu’il tombe du ciel, marque dans un processus ancien une césure définitive.
*
C’est donc sur la psychanalyse que j’entends conclure.
Il
est vraisemblable, en effet, que l’amendement Accoyer
comme l’amendement Mattéi, frappe paradoxalement à
peu près la seule psychothérapie pratiquée par des non-médecins
et des non-psychologues sur laquelle on puisse avoir
des garanties, tout en n’empêchant pas que les pratiques douteuses se
perpétuent. (Mutatis mutandis, on risque une législation aussi fragile
que les lois anti-sectes, qui mordent sur les libertés publiques et s’exposent
à l’arbitraire des tribunaux.)
La
première menace sur la psychanalyse est le tarissement de son recrutement hors
du milieu médico-psychologique. Mais c’est une forte caution,
je pense, que des linguistes, des juristes, des sociologues, des philosophes,
des biologistes ou des mathématiciens, se destinent à cette discipline, et se
plient aux formations dispensées dans des institutions qui existent depuis des
dizaines d’années, et dont les travaux sont célèbres. C’est même le champ entier
de la santé mentale qui s’est ouvert en grand aux sciences sociales ces
dernières années, précisément pour se mettre au diapason de son objet. Car
comment les sociétés de psychanalyse défendront-elles leurs membres administrativement
fragiles (ni psychologues ni médecins) ? Comment fermer la porte à
l’inquisition de l’Etat sur les types de formation et
la déontologie des pratiques, après s’être placé sous sa tutelle pour,
croit-on, « sauver » la psychanalyse[40] ? On se demande
comment on évitera en France l’obligation de dénoncer les abus sexuels dont
aurait eu connaissance un praticien — ce qui empoisonne déjà le quotidien des
psychanalyses anglo-saxons… Quelles sociétés, enfin, et sur quels critères,
seront accréditées pour garantir la formation (la Société Psychanalytique de
Paris rappelle à qui veut l’entendre qu’elle est la seule « déclarée
d’utilité publique ») ?
La
seconde menace concernerait alors la sociologie des psychanalystes : si
les praticiens deviennent dépendants d’instances professionnelles, la menace
d’en être exclu pour déviance deviendra maximale : ce sera pour beaucoup,
ou en formation, ou bien ni psychiatres ni psychologues, une épée de Damoclès.
Après avoir rejeté toute contrainte « ordinale » para-étatique,
quantité d’associations devront l’incorporer de force, en mettant en péril
l’indépendance chérie des opinions et des parcours. Or les multiples sociétés
de psychanalyse existantes sont nées de scissions où les haines personnelles
ont joué un rôle indémêlable de la polémique savante. Il y a quelque
chose de positivement angoissant, vu l’histoire du mouvement analytique en France,
à voir confier à de pareils groupes des tâches même indirectement qualifiantes[41].
Enfin, le risque, dit-on, serait extrême d’une distorsion de l’offre au profit de thérapies remboursées (la TCC, bien sûr, parce qu’elle est plus mécaniquement évaluable), la psychanalyse ne l’étant pas. C’est moins clair. Rien ne permet de penser que les gens qui s’adressent aux analystes exigeraient des feuilles de soin, et qu’ils renonceraient en cas contraire. Mais rien n’empêche de le craindre. D’après des membres des commissions réunies avant l’amendement Accoyer, on aurait juste voulu raccourcir les files d’attente du service public en accréditant quelques psychothérapeutes extra-hospitaliers ; aller au-delà serait une charge écrasante (peut-être 3 milliards d’euros par an) ; le danger lié aux remboursements paraît donc un peu plus lointain.
Or
s’il est lointain en France, ce n’est pas sans raison. Il est très présent en
Allemagne, par exemple, où la psychanalyse et toutes les psychothérapies,
soigneusement encadrées par les compagnies d’assurance, en ont été presque
détruites — sans doute à cause de ce système, mais sûrement pas uniquement à
cause de lui. Car on ne peut détacher ces faits de la crise particulière de la
culture en Allemagne, comme du genre de psychanalyse qui y fut réimportée des Etats-Unis après 1945, et qui y a prospéré sans
enracinement intellectuel ni culturel. Or, à mon avis, c’est exactement la
raison pour laquelle l’amendement Accoyer devrait
être pour la communauté psychanalytique française l’occasion d’une remise en
cause de son « imaginaire professionnel ». Si la psychanalyse veut
incarner la psychothérapie non strictement médicale de référence, le prix à
payer est en effet, au terme de cette étude, assez évident. Il est tout
simplement impossible aux psychanalystes de continuer à entretenir le mythe de
l’innocence politique de leur pratique, comme de refuser, au nom de la pureté
de la doctrine, d’assumer les effets de sa distorsion dans la culture. Or cela
impliquerait peut-être une nouvelle forme de division intérieure
co-extensive à l’identité de psychanalyste, du moins chez ceux qui
peuvent la soutenir : au lieu de surprofessionnaliser
les cures et de jauger le talent à l’étendue de la clientèle, on devrait sans
doute consacrer une part essentielle de son temps à prouver hors-ghetto
les effets singuliers de la psychanalyse. Mais il ne s’agit pas de surinvestir
le champ médico-psychologique : il s’agit de la
faire exister dans le champ de la sociologie, du droit, de la littérature, que
sais-je encore. On ne peut plus sous-traiter cela aux vulgarisateurs. Or il est
moins gratifiant de parler en psychanalyste à des profanes que de
psychanalyse aux collègues. La timidité polémique des psychanalystes est
étrange, par exemple, vu le monceau d’idioties qui s’écrit sur Freud ;
mais il est plus aisé de s’estimer incompris des imbéciles que de les honorer
d’une réponse. Or tout cela pourrait finalement s’avérer dangereux. Et je
demande sérieusement si les excellents propos sur l’éthique analytique ne
renforcent pas un culte de la pureté qui verse dans une méconnaissance noire
des conditions d’existence de la discipline. Mettre en avant ceux qui sont psychanalystes
« et… » (juristes, médecins non-psychiatres, artistes, etc.) sans leur imputer d’échec
à assumer les conséquences de leur engagement, voilà en tout cas qui nous
extrairait de l’ornière du débat sur la psychanalyse « pure » opposée
aux « psychothérapies psychanalytiques » (sur des critères
futiles) ; voilà aussi qui liquiderait ces attitudes défensives où l’on se
réjouit de voir que ses adversaires font du Freud « sans le savoir ».
Seules, bien sûr, une créativité riche et une lucidité supérieures à tout ce
que peuvent promettre les formes bâtardes de thérapies post-psychanalytiques
aidera l’héritage de Freud à subsister. Or une telle présence exige un
travail renouvelé. Sinon, on pourra à bon droit un jour rétorquer que
l’éthique analytique, comme l’éthique kantienne, a les mains pures parce
qu’elle n’a pas de mains. Mais avoir raison, encore une fois, n’empêche pas de
sombrer socialement. Et je rejette vigoureusement l’idée qu’il s’agirait là
d’états d’âme franco-français : Christopher Bollas,
dans des pages vigoureuses, pointe dans la même direction à partir du destin de
la psychanalyse en Grande-Bretagne[42] . De deux choses l’une en effet :
comment invoquer la nécessité pour les psychanalystes d’avoir une formation
psychiatrique ou psychologique, alors que ces deux disciplines ont évolués dans
le sens d’une répudiation toujours plus radicale de ce qu’elles ont dû,
un temps, à la psychanalyse ? Pourquoi ce mépris insondable pour ceux, au
contraire, qui l’ont à ce point incorporée à leur compréhension du monde
culturel et psychologique, que l’essentiel, peut-être, du désir
d’analyse procède désormais d’eux, et que Christian Vasseur, avec une hargne
sidérante, désigne comme ces « philosophes, écrivains, journalistes,
acteurs » qu’il faut faire taire en matière de santé mentale[43] ?
De toutes parts, on aura pressé Bernard Accoyer, puis Jean-François Mattéi, de revoir leurs amendements. Mais, j’espère l’avoir montré, ce projet législatif est porté par un processus historique, médical, culturel, impliquant des stratégies de pouvoir universitaire, des lacunes du système de santé (qui dépendent parfois plus de la pénurie actuelle que de vices de structure), des règlements de compte idéologiques, des facilités bureaucratiques, d’incontestables ambitions hégémoniques et normatives issues de grandes associations de psychanalystes (car qui oubliera jamais que le ministre avait proposé de retirer le premier amendement Accoyer de la navette parlementaire, et que ce sont des sociétés de psychanalystes, et même de psychanalystes lacaniens, qui ont réclamé son maintien et sa désastreuse reformulation) et surtout, une liste immense de points d’interrogation, auxquels il est facile de tenter d’échapper à coups de scandales circonstanciels. Que ce projet soit modifié ne changera strictement rien aux défis qui sont devant nous. Modifié comme il le serait aujourd’hui[44] , l’amendement Accoyer, qui reviendrait en force si l’amendement Mattéi n’est pas acceptable, créerait d’autres désordres. Et la prétendue sortie de la psychanalyse du champ de la réglementation n’est possible que si l’on réglemente justement où elle commence. Mais plus généralement, depuis 25 ans, on ignore, sinon tout de l’évolution de la santé mentale en France, presque tout de la place qu’y ont les psychothérapies. L’élucider avec rigueur exigerait du temps. Ce temps, seul le législateur peut imposer qu’on le prenne, et obtenir des intéressés, universitaires, responsables d’associations, de l’ANAES comme de l’INSERM et du CNRS que ce temps soit utilisé comme il convient. Disant cela, j’ai d’ailleurs conscience de prendre le contre-pied d’opinions vivement défendues ailleurs (notamment par Elisabeth Roudinesco, ou encore Yves-Charles Zarka), qui ont vu dans toute cette affaire un abus de pouvoir de l’expertise sociale, ou médico-sociale, se substituant plus ou moins à une conscience politique collective qui ne devrait pas se laisser imposer les nouvelles normes technocratiques de la « santé mentale ». Mais je le maintiens : il n’y a justement pas assez d’expertise dans ce champ, elle manque au contraire cruellement, et depuis assez longtemps. Et ce qu’on peut craindre, c’est une loi portée par des revendications catégorielles se masquant à elles-mêmes, en toute bonne foi, d’ailleurs, les effets destructeurs et même auto-destructeurs de décisions objectivement mal éclairées.
A
moins qu’une loi, une fois mis en balance les problèmes qu’elle résoudrait et
ceux qu’elle créerait (et qui n’apparaissent, eux, que si l’on élargit
suffisamment la perspective), ne soit ici, tout simplement, un peu trop...
* Je remercie, pour leurs conseils
et leurs avertissements, Jean Allouch, Claude Boiocchi, Françoise Champion, Alain Ehrenberg, Laurent Jeanpierre, Sophie Mendelsohn,
Geneviève Morel, Jean Naudin, Marcelo
Otero, Richard Rechtman et
Henry Rey-Flaud.
J'ai
utilisé de nombreuses références désormais disponibles en ligne: voyez,
entre autres, la page de "Touche pas à mon psy!" et le site Oedipe.
[1]
Malgré ce
rejet de la psychanalyse (ou son « dépassement »), ces
psychothérapies lui ont emprunté presque toutes les conceptions théoriques, en
les inversant, parfois, mais en restant soumis à leurs problématiques. Qui oublierait
tout ce qu’elles doivent à Wilhelm Reich, le disciple
gauchiste et rebelle de Freud ? Et il est facile de deviner sous les
« niveaux » d’Eric Berne, le fondateur de
l’analyse transactionnelle, l’héritage simplifié jusqu’à la caricature de la
fameuse tripartition moi, surmoi, ça. Ces thérapies mettent souvent l’accent
sur le corps vécu, dans un rejet de l’intellectualisme freudien, où
l’inconscient est inféré. Si elles font enfin appel aux groupes, c’est dans le
rejet des conventions sociales dominantes et aliénantes. Voilà pourquoi, vus de
loin, ces groupes psychothérapeutiques « humanistes » ressemblent à
des sectes, alors que leur fonctionnement est fort différent (comme l’atteste
le turn-over des clients et leur approche consumériste-éclectique).
[2]
Robert
Castel, La gestion des risques : De l’anti-psychiatrie à l’après-psychanalyse, Minuit, 1981. Ce livre est la suite
de L’ordre psychiatrique : L’âge d’or de l’aliénisme, Minuit ,1976.
Mais il est aussi une forme d'auto-critique du Psychanalysme
de 1973 (chez Flammarion), et de ses excès.
[3]
Sur cet aveu
d’infériorité théorique et intellectuelle, extrêmement banal, et son peu de
conséquences pratiques, cf. le Journal Français de Psychiatrie
(2000) 11 : « Etudes et commentaires sur
les psychothérapies » et (2001) 12, « Psychothérapies : enjeux,
éthiques et politiques. Etudes et commentaires
II ».
[4]
Voir le
dossier de Psychologies (2001) 197, avec les commentaires de Serge Ginger et Isabelle Taubes.
[5]
Voir le Journal
of the American Psychological Association, vol. 51, n°10, octobre 1996.
[6]
Les écoles non-lacaniennes jugent, souvent mais pas toujours, qu’il y
a analyse à partir de 3 séances (de 45mn) par semaine, allongé.
[7]
Données
rappelées dans le rapport « Sur la pratique de la psychothérapie » à
l’Académie de médecine, par les Prs Pichot et Allilaire en juin 2003.
[8]
En 2001, le
rapport des Drs Piel et Roelandt, « De la psychiatrie vers la santé
mentale », Rapport de mission au Ministère de la Santé, comptait
12000 psychiatres, et 36000 psychologues. On estime aussi à 6500 le nombre de
psychiatres exerçant en libéral, et à 4000 celui des psychologues travaillant
en institution (hôpitaux, centre médico-psychologiques,
etc.). Mais sur les 10 à 15000 psychothérapeutes supposés en activité, dont un
nombre avéré sont dûment diplômés de psychologie clinique, pratiqueraient-ils
les techniques les plus étranges, 6000 au moins n’auraient aucun titre officiel
(et parfois même pas de qualification acquise auprès d’une école privée).
Là
encore les évaluations varient. D’autres parlent de 30000 psychothérapeutes, et
selon qu’on veut ou pas reconnaître leur titre, de 5000 psychanalystes. En
fait, seuls ceux que comptent le rapport Piel
et Roelandt entrent dans des catégories
vérifiables ; tout le reste n’est qu’estimation.
[9]
Voyez son
texte à http://www.psycho-ressources.com/bibli/psychotherapie-visage.html.
[10]
Il n’y a pas
d’intrus…
[11]
Ce sont
encore des études anciennes qui nous renseignent, telles le rapport du CORDES
en 1980, « Résistance à la médecine et démultiplication du concept de
santé », dû à Jean Carpentier, Robert Castel, Jacques Donzelot,
Jean-Marie Lacrosse (un des rares à s’intéresser au
domaine après 1981), Anne Lovell, Giovanna
Procacci.
[12]
Le monde, 30 octobre 2003, « De
l’utilité sociale de l’écoute », L’humanité, 1er
décembre 2003, « Le manifeste du Forum des psys », Le Figaro,
5 décembre 2003, « La réglementation dangereuse ». D’autres articles
reflètent cet état d’esprit : Elisabeth Roudinesco,
« Les faux-semblants de l’amendement Accoyer »,
Le Monde, 23-24 novembre 2003.
[13]
Témoin le
début de cet éditorial de Charles Melman pour le Journal
Français de Psychiatrie (2000) 11: « Une large offensive
vis-à-vis des pouvoirs publics et de Bruxelles a été déclenchée par un
consortium de groupes de psychologues et de psychoactivistes
pour obtenir la mise en place d’un diplôme d’Etat de
psychothérapeute. […] Ils ont même commandé à Afnor, société d’experts
habituellement chargée de labelliser les cuisinières à gaz et les
réfrigérateurs, une étude pour définir, après enquête auprès des praticiens et
des usagers, les normes de qualité du psychothérapeute NF.
Le résultat pourrait paraître surréaliste si n’y manquait une pointe d’humour.
Retenons toutefois que le futur psychothérapeute trois étoiles sera
autonettoyant puisqu’il devra obligatoirement passer par un "travail
personnel sur lui-même" sans qui quiconque puisse deviner les moyens de ce
décapage ». La remarque est juste. Mais suffit-il de suppléer un tel
brevetage industriel par un trait d’humour, justement, qui ne consiste, en
bonne doctrine, qu’à ce que les idéaux du moi fasse bonne figure au sein du
désastre ? C’est l’identité imaginaire qu’on conforte ainsi
(« Psychanalyste, c’est bien autre chose ! » dit le surmoi au
moi, pour le consoler), ce qui a son prix, mais ne fait pas le poids. Bien
supérieure est sa proposition récente d’un simple
« annuaire », confié à l’ANAES, où les
psychothérapeutes déclareraient publiquement leurs titres à pratiquer et leurs
méthodes (à condition encore que le contrôle de la vérité de cet annuaire ne
rétablisse pas l’inquisition).
La
labellisation par l’Afnor, organisme saisi en 1994 par la Fédération Française
de Psychothérapie, s’est heurtée à un écueil : n’étant pas une instance de
réglementation, l’Afnor ne travaille que sur des consensus. Or il n’y en a pas
(ou alors négatif : le Conseil de l’ordre considère qu’il existe des
« actes psychothérapeutiques », mais nul besoin de spécialistes de cet
acte, les psychologues-cliniciens jugeant, eux, que
leur diplôme est une garantie), sauf celui, artificiel, qu’on crée en ajustant
des issues d’associations comme l’UNAFAM (Union
Nationale des Amis et Familles de Malades Psychiques) et les revendications des
groupes brocardés par Melman.
(Or
le risque est justement de diluer la représentativité d’associations majeures
comme l’UNAFAM, si prudente en l’espèce, avec des
groupes hétéroclites mais bruyants, comme « Psychothérapie
vigilance »).
[14]
Le monde, 11 novembre 2003, « Les
laissés-pour-compte de la psychanalyse ».
[15]
Il faudrait
ici aborder un autre aspect, juridique et non plus psychologique, de
l’expertise nouvelle appelée à se développer dans ce no man’s land du
déficit psychique de basse intensité et des droits du citoyen : c’est la
notion d’« intégrité psychique » qui émerge dans les procès pour
harcèlement sexuel ou moral. Voir Cyrille Duvert, Sectes
et droit, Thèse de Doctorat en droit privé de l’Université de Paris II,
1999.
[16]
Françoise
Champion, dont c’est au CNRS le domaine de recherches, témoignait il y a peu de
la difficulté à se procurer même les bulletins internes des mouvements
spirituels à vocation psychothérapeutique. Le milieu est des plus complexes à
pénétrer. Les données sur les pratiques incriminées sont d’interprétations
contradictoires. Elles n’ont justement rien du spectaculaire qu’on croit, et ne
sont pas forcément pathogènes sur tout le monde.
[17]
Françoise Sironi, Psychologie de la torture. Penser le mal et les
bourreaux, Paris, Odile Jacob, 1999.
[18]
Même dans les
instituts formant aux thérapies comportementales et cognitives, l’idée que le
thérapeute devrait lui aussi se soumettre à la technique qu’il manipule fait
son chemin. Il faut dire qu’ils ont le vent en poupe. Les demandes qu’elles
reçoivent chaque semaine se chiffrent par centaines. Les médias leur font une
part croissante, d’autant que des best-sellers (Christophe André,
François Lelord) ont relooké leur image de pratiques
scientistes indifférentes au bonheur et à l’épanouissement des individus.
[19]
J’ai entendu
un professeur de psychiatrie, psychanalyste en formation, mais qui publie en
neurosciences, avouer, parlant de son intersecteur infanto-juvénile, que si la psychanalyse ne faisant rien du
tout à ses autistes, elle soignait en revanche très bien les soignants, les
mobilisant sans cesse contre la désespérance. Il ne lui en fallait pas plus. Ce
n’est pas du cynisme. Seule une véritable passion pour les fous mobilise
années après années les soignants. Or la psychanalyse, conçue comme une
expérience intime radicale, étendue à la vie entière, est un des ressorts les
plus puissants de cette passion. J’ose dire qu’elle est aujourd’hui
irremplaçable dans ce rôle. Et voilà encore une situation intraitable née de
l’amendement Accoyer retoqué :
que faire quand la psychanalyse est la seule « psychothérapie
lourde » ?
[20]
Roland Gori est membre du Conseil National des Universités, 16ème
section (psychologie). Voir son rapport.
[21]
Voire qui les
surprotège. Se croyant à l’abri de l’amendement Accoyer
grâce à leur DESS de psychologie, bon nombre de praticiens découvrent que ce
diplôme ne suffit pas. Car, le titre de psychologue-clinicien
suppose en plus licence et maîtrise. En fait, les facultés de psychologie ont
attiré des spécialistes d’autres sciences humaines, parfois très qualifiés,
pour relever leur niveau et augmenter leur volume d’étudiants. Mais elles se
sont gardé de leur procurer un sésame professionnel, vue la pénurie de
débouchés : il y a en France aujourd’hui plus de psychologues en formation
que de psychologues en exercice.
[22]
R. Castel,
p.141.
[23]
Par exemple
chez Alain Ehrenberg, Marcel Gauchet et Gladys Swain. Comme c’est infiniment
moins connu, je signalerai toutefois, en philosophe, les remarques d’Alasdair MacIntyre dans After Virtue (Duckworth, 1985), qui spécule avec ingéniosité sur le
remplacement dans l’univers moral actuel, des trois « personnages-types » du
19ème siècle impérial allemand, par exemple, l’officier prussien, le professeur
d’université et le social-démocrate, par le manager, l’esthète-hédoniste
riche et le psychothérapeute (p.27-30). Ses raisons sont complexes, je ne les
débats pas. Mais nous serons un jour à la recherche de covariations
fines, et celle-ci n’est pas la plus inepte.
[24]
C’est presque
un problème sociologique que l’éclipse soudaine des grands sujets
sociologiques. Je citerai quand même un bon mais bref essai de Michel Lacroix, Le
développement personnel, Flammarion, 2000 et du même, La spiritualité
totalitaire : Le New Age et les sectes, Plon, 1995. C’est en
sociologie de la religion qu’on trouve des recherches sur les
psychothérapeutes ! Voyez, outre Françoise Champion, les travaux de
Martine Cohen.
Cela
ne signifie évidemment pas qu’il n’y ait aucune recherche psychologique à la
fois distanciée et critique sur les psychothérapies ; au contraire, il y a
des résultats neufs et intéressants dans le domaine, mais ils ne satisfont
personne. Les trois plus remarquables sont ainsi, 1° la preuve qu’il vaut mieux
faire une psychothérapie que rien du tout (ce qui a été établi sur des patients
suivis sur plusieurs dizaines d’années) ; 2° la confirmation de la quasi
équivalence des effets thérapeutiques qu’on peut mesurer de façon fiable,
quelle que soit la méthode revendiquée par le praticien (TCC ou psychodynamique-psychanalytique), pourvu qu’on ait affaire
à des pathologies assez établies, qu’on prenne un recul de plusieurs années et
qu’on confie les sujets à des praticiens chevronnés ; 3° que le facteur
prévalent dans ces améliorations est la personne du praticien et la relation
qu’il sait établir avec le malade. Ces trois données, prises ensemble, révèlent
aussi l’importance des cas où la psychothérapie, entre les mains de quelqu’un d’expérimenté, réclame qu’on diverge parfois des normes
officielles et qu’on tienne compte des conditions spéciales propres au malade
(et pas juste à sa maladie). Du coup, le paradoxe est que les effets les plus
nets, les plus observables, sont aussi corrélés à un contrôle moindre sur les
conditions de leur production. Car bien sûr, il y a une menace de circularité
entre la définition du praticien « chevronné », de l’application
« correcte » de la méthode soumise à un test comparatif, et ses
« effets » (on peut toujours expliquer une faible réponse des
patients par des échecs contingents de l’application de la méthode) ; et
il y a aussi une forte instabilité des mesures, fonction du caractère difficile
à caractériser et vraisemblablement peu reproductible des liens interpersonnels
en jeu, qu’on amalgame dans des données statistiques trompeuses si on veut en
tirer plus qu’elles ne résument. En français, on trouvera un résumé des
problèmes et un état de la question dans Daniel Widlöcher
& Alain Braconnier (dir.), Psychanalyse et psychothérapie,
Flammarion, 1996 et Daniel Widlöcher, Les
nouvelles cartes de la psychanalyse, Odile Jacob, 1996, chapitre 1. Je
privilégie ces références parce qu’elles ne perdent pas de vue la croix de toutes
ces enquêtes : l’issue d’une psychothérapie n’est pas évaluable par le
retour à l’état supposé sain d’avant sa maladie (la redditio
ad integrum) : la nouveauté et le changement
comptent de façon décisive, d’autres façons de se considérer ou d’autres perspectives
existentielles pouvant grandement altérer le poids subjectif pénible de
manifestations symptomatiques qui, du point de vue de l’observateur extérieur,
n’ont pas vraiment disparu.
[25]
R. Castel,
p.15.
[26]
Témoin ce professeur,
fin connaisseur de la psychiatrie phénoménologique, clinicien attentif à ses
patients comme des sujets, mais qui doit sa chaire à des publications
d’immunologie sur la schizophrénie dont il avoue sans mal le caractère
circonstanciel.
[27]
Cette avancée
discrète de la médicalisation des psychothérapies par les TCC pèse lourd, et
séduit les médecins toutes disciplines confondues. Il faudrait examiner avec
soin pourquoi. Tout à l’inverse des recherches patientes à entreprendre, le
« Manifeste du forum des psys », rédigé sur un ton de Cassandre,
déclare : « Le communiqué [de Jean-François Mattéi
sur le rapport Cléry-Melin] et l'amendement [Accoyer] sont les deux faces d'un même projet dont la
réalisation mettrait en coupe réglée la santé mentale en France au bénéfice des
cliniques privées, et mettrait au pas la psychanalyse et les psychothérapies au
bénéfice des laboratoires pharmaceutiques : nos professions sont en effet
les principaux obstacles empêchant le triomphe total des psychotropes, dont les
Français sont d'ores et déjà les premiers consommateurs dans le monde ».
Là encore, où sont les preuves ? Et si, au contraire, bien des
psychothérapies n’étaient possibles que parce que les psychotropes sont
efficaces ? Cette théorie du complot aux multinationales mélangée de
course au moins-disant pour s’attirer les faveurs de Bercy ne fait qu’offrir le
flanc à des réfutations empiriques. Quant au rapport Cléry-Melin,
portant très généralement sur la santé mentale, il méritait plutôt une lecture
fine que de ces accusations ; et il reflète des aspirations qui ne
disparaîtront pas magiquement parce qu’elles déplaisent.
[28]
Voir
là-dessus les constatations de Christophe André, dans le Journal Français de
psychiatrie (2001) 11. Le fait est d’autant plus troublant que dans les
travaux scientifiques, les thérapies psychodynamiques
(confusément définies, dans la plupart des cas) servent de faire-valoir aux
TCC ; elles sont ce que les TCC doivent remplacer. On mesure, ici
comme ailleurs, le décalage incroyable entre les stratégies scientifiques et
les usages sociaux.
[29]
C’est
pourquoi une proposition de bon sens est celle de Marc Strauss : que les
futurs psychothérapeutes aient une connaissance des grandes pathologies,
laquelle ne s’acquière qu’à l’hôpital. L’usage banalisé de nouveaux
antipsychotiques (rispéridone, olanzapine)
permet en effet à plus de gens d’échapper aux structures fermées, et pour dire
le mot, d’avoir l’air plus « normal ».
[30]
Je pense aux
problèmes liés aux abus sexuels. La non-dénonciation de crime, en ces matières,
l’emporte sur le secret médical. Aux Etats-Unis, par
exemple, voilà qui oblige les psychothérapeutes qui veulent faire leur métier à
se mettre directement en infraction avec la loi. Ira-t-on se confier à
quelqu’un qui est forcé de révéler à la justice ce dont il a
connaissance ? Soumettra-t-on les soins mentaux, le respect dû à
l’élaboration de la douleur, au dernier « mal absolu » à la
mode ? Voilà un point en tout cas où le juridisme et la protection des
« usagers » menace d’anéantir tout bonnement la dimension psychique
elle-même.
[31]
Du moins en
France. Si l’on veut voir à quoi ressemblerait une « société
psychothérapeutique avancée », il convient de se tourner vers le Canada,
où pratiquement tout, des incivilités mineures aux crimes, fait l’objet d’une
prise en charge psychologique : Marcelo Otero Les règles de l'individualité contemporaine. Santé
mentale et société, Les Presses de l'Université Laval, 2003.
[32]
Voir tout
récemment « la victimologie en excès », Rhizome, Bulletin national
santé mentale et précarité, 12, juillet 2003. On y lit comment un PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder)
aux formes faibles, sinon exténuées, capte à la fin l’ensemble des souffrances
liées à des circonstances pénibles et les réintègrent sous les concepts de la
psychiatrie moderne : thérapie cognitivo-comportementale,
prédisposition génétique, psychotropes, etc., avec, cependant, un reste
intraitable, qui légitime une assistance psychosociale interminable.
[33]
Le monde, 30 octobre 2003, « De
l’utilité sociale de l’écoute ».
[34]
Avec la
progression de la culture psychologique de masse le besoin d’interventions
psychologiques est devenu proliférant à l’intérieur même du système officiel
de santé publique, qu’on aurait cru mieux capable d’endiguer des dérives.
Songe-t-on assez, ainsi, à l’évolution de la psychologie médicale d’autrefois,
presque purement descriptive, vers des actes multipliés de « soutien
thérapeutique » aux mourants, ou vers l’accompagnement des malades
somatiques graves ? Et on n’imagine plus, désormais, la psychologie
scolaire comme une pure machine à aiguiller : les parents réclament des
soins pour l’agitation, l’échec, voire les dyslexies mineures. Et comment
fonctionneront les structures d’accueil pour toxicomanes ? Bref :
dans ces mailles serrées de l’assistance psychosociale, la dimension
« psycho » est de plus en plus, en fait, psychothérapeutique. Or il
est patent que les acteurs de ces réseaux (ni psychiatres ni psychologues, mais
infirmiers, assistantes sociales, orthophonistes, bénévoles, etc.) seraient
plongés dans les pires difficultés si l’on formalisait de trop leurs
pratiques : ils seraient juridiquement menacés d’outrepasser leur
rôle. Mais assistance sociale et aide psychologique sont si mêlées que
l’efficacité des dispositifs en pâtirait.
Or,
l’effort des pouvoirs publics en vue de faire émerger devant elles des
associations ou des structures privées qu’ils réguleraient de loin, tout en
contrôlant en aval leurs résultats, est un mouvement de fond de toute gestion
étatique. D’où le problème : faut-il accepter cette délégation indirecte,
et si non, comment s’y opposer ?
[35]
Pour juger
comment elle se présente aujourd’hui, voyez par exemple le récent dossier du Nouvel Observateur sur le « développement
personnel ».
[36]
Renseignements
puisés in Claude Boiocchi, « L’idéologie de la
réussite : Décryptage d’une littérature à succès », Diplôme
universitaire de l’Institut Français de Presse (IFP), 1998-1999, non-publié.
[37]
Les mêmes
questions se posent pour les psychanalystes, milieu opaque à toute enquête.
Dans le monde anglo-saxon, je signale toutefois le livre de Douglas Kirsner, Unfree
Associations: Inside Psychoanalytic
Institutes, Process Press,
2000. Les rares données françaises dont on dispose remontent au projet de l’APUI (Association Pour Une Instance), qui, partie d’un
assez mesquin problème de TVA, avait suggéré en 1989, avec Serge Leclaire, d’auto-organiser la
profession avant que l’Etat ne s’en charge. Quel
tollé ! Car le refus de tout contact avec l’Etat
est conçu comme une preuve d’innocence sociale par la plupart des
psychanalystes — comme si, en réalité, les patients n’avaient jamais affaire à
l’hôpital public ni à la sécurité sociale, ou les psychanalystes au fisc ou à
l’université.
[38]
Sur Carl
Rogers, voir L’approche centrée sur la personne, Anthologie de textes
présentée par Howard Kirchenbaum et Valérie
Henderson, Randin, 2001.
[39]
En effet, les
ostéopathes, très mal vus par le Conseil de l’ordre, on réussi, via
Bruxelles, à imposer à la Cour de cassation qu’ils ne pratiquaient pas
illégalement la médecine. Or c’est un lobby de psychothérapeutes européens
qui réclamaient un statut ; et si seul le titre de
« psychothérapeute » est protégé, c’est imparable. Quant à la
psychanalyse, son statut équivoque servirait bien sûr de position de repli,
avec pour conséquence que certains psychanalystes réclameront d’eux-mêmes
leur encadrement par l’Etat…
[40] Comme le soutient par exemple Marilia Aisenstein dans « La
psychanalyse va mieux », Libération, mardi 9 mars 2004.
[41] Il est vraisemblable que la moitié des psychanalystes en exercice en France n'appartiennent à aucune association, à cause de la longue histoire d'anathèmes, de querelles personnelles, de népotisme et de concentration des pouvoirs, jointe à la stérilité intellectuelle, qui a fait tout leur charme (surtout autour des années 80). Ce passé destructeur est encore vivace, même si beaucoup de « non-inscrits », comme on les appelle, ne seraient plus si éloignés de collectifs où ils travaillent. Enfin, on voit mal comment mettre la psychanalyse hors du champ de l'amendement sans dire en quoi elle consiste, et sans le faire garantir par l'Etat ou une instance administrative quelconque; car il serait trop commode de créer des sociétés de « psychanalyse » où abriter les fameuses pratiques réputées problématiques (sans que personne d'ailleurs ne soit en mesure de au fond dire en quoi), et d'autant que, historiquement, c'est presque toujours à partir d'elle que sont nées les nouvelles psychothérapies, et qu'on voit mal un fonctionnaire ou un juge trancher.
[42]
Christopher Bollas, « Quitter le courant » in Courants de
la psychanalyse contemporaine, dir. André Green, numéro hors-série
de la Revue Française de Psychanalyse (2001), notamment p.238-242.
[43]
Voyez « L’amendement à l’amendement » qu’il propose. Christian
Vasseur, collaborateur dès le départ de Bernard Accoyer,
est un dirigeant syndical des psychiatres. Il est aussi psychanalyste à la SPP.
[44]
Voir toujours
"L’amendement à l’amendement" de Christian Vasseur.
Il y a en effet de bonnes raisons d’ordre juridique pour que l’amendement Mattéi soit en fait intenable : la principale est l’impossibilité d’imposer à quiconque d’appartenir à une association professionnelle pour exercer une activité (il y a en effet un principe constitutionnel de libre établissement), si cette association n’est pas investi de pouvoirs bien particuliers — précisément ceux qui forceraient les associations de psychanalystes, comme l’ordre des médecins, par exemple, à s’imposer des normes pour la formation et aussi des règles universelles de déontologie incompatibles avec la non-intrusion de l’Etat, qu’elles revendiquent haut et fort. Mais il y a aussi la position ultra-conservatrice de tous ceux qui veulent barrer la route aux analystes-amateurs (les dangereux littéraires ou sociologues, sans doute, ignorants de la clinique psychopathologique, et qui seraient en outre les seuls en ce monde à ignorer leur ignorance), de tendance lacanienne, et contre qui les exigences de diplôme de l’amendement Accoyer seraient peut-être une défense. Sur le site de la SPP, Bernard Brusset défend une position de ce genre.