Vous avez dit "signifiant"?

Pierre-Henri Castel

25 octobre

(transcription de Lionel Fouré)

Sursaut!

Cela a été sûrement un sursaut - il y a des témoignages précis des gens de cette génération qui sont encore vivants - en tous cas un effet de surprise, lorsque Lacan a introduit dans les textes théoriques publiés dans les revues officielles du mouvement analytique français, la notion de signifiant.. C’était un machin hyperbranché, un peu comme quand Freud parle du processus catalytique. La catalyse, en 1909, ça faisait trois ans que ça avait été découvert, c’est un processus complètement mystérieux. Sauf que, à la différence d’une métaphore chic, je crois qu’assez peu de gens ont réalisé que c’était à la fois le résultat d’une lecture de Freud qui pour nous est quasiment perdu - puisque ces séminaires de Freud consacré à Dora et à l’homme aux rats en particulier n’existent pas - et les gens ne se sont manifestement pas aperçus que c’était quelque chose qui était destiné à avoir une suite de plus en plus importante. Si bien que pour nous le signifiant, c’est si j’ose dire le signifiant de Lacan ; que si vous voyez le signifiant quelque part, vous pouvez être sûr que c’est un lacanien qui cause, ou quelqu’un pour qui Lacan a joué un rôle absolument décisif.

Alors, ça a une fonction qui est tout à fait frappante : il y a plein de textes que vous pouvez trouver dans les Ecrits qui est une manière de se situer par rapport à Freud chez Lacan, en disant qu’il y a quand même une chose étonnante, c’est que Freud n’ait pas connu Saussure. Ce qui est une proposition extravagante, n’est-ce pas, en soi ! Pourquoi est-ce qu’il aurait connu Saussure, dans la mesure où le Saussure en question, comme je vais vous le montrez, c’est un Saussure - qui n’est pas le produit de l’imagination de Lacan - mais qui est en tout cas un Saussure tellement particulier, très différent de ce que pouvait être dans les années 50 l’usage qu’on avait dans la référence à Saussure - qui était quasi inexistante, contrairement à ce qu’on croit. Les gens connaissaient Jakobson, Troubetskoy, Hjelmslev, mais certainement pas Saussure. C’était pas un truc qui était très coté. Et… donc, les cours de 1916, ceux qui ont été rassemblés par Tullio de Mauro dans l’édition actuelle du Cours, auraient inspiré, auraient dû frapper Freud. Disons que le structuralisme auquel on fait référence - cet espèce de mythe de Saussure ancêtre du structuralisme, c’est un mythe jakobsonien, c’est celui de Roman Jakobson. C’est un mythe dans la mesure où Jakobson attribue à Saussure peut-être beaucoup plus, finalement, qu’on ne lui doit, ce qui permet de construire une généalogie glorieuse avec les linguistes tchèques, avec les formalistes russes, et surtout avec le prince Troubetskoy, le père de la phonologie structurale. Lorsque Lacan va aller sélectionner cette notion de signifiant, il ne va pas s’intéresser, il ne s’intéressera jamais, à ma connaissance – mais peut-être que vous connaissez des textes qui disent autre chose - à un autre structuralisme que le structuralisme phonologique. Par exemple, il ne s’intéresse jamais à Harris, il ne s’intéresse jamais à Tesnière, c’est-à-dire aux grammairiens, et que d’autre part, il considère que quelqu’un comme Chomsky par exemple ne fait pas partie du structuralisme, alors que quelqu’un comme Chomsky, lui pense au contraire, qu’il est véritablement celui qui a compris ce que c’est que la structure du langage. De façon plus étrange, et sur laquelle je vais revenir, il ne s’intéresse pas non plus au grand concurrent de Jakobson qui est Hjelmslev, dont il ne fait quasiment jamais mention.

Une des choses les plus troublantes, c’est certainement la façon dont il parle de Chomsky. Il en parle dans quelques séminaires, en particulier il parle de la fameuse phrase : " des idées vertes dorment furieusement ", qui est donné comme exemple de phrase grammaticale par Chomski, mais qui est une phrase qui n’a aucun sens. Et il développe là-dessus quelque chose que nous allons retrouver, c’est l’idée qui est que ça n’a peut-être aucun sens, mais que ça a un effet de sens. Et il essaie comme ça, de retracer l’idée que cette phrase pourrait être une production poétique, et que ce que Chomsky appelle la stérilisation du sens pour mettre en évidence la grammaticalité et l’intuition que nous avons de la grammaticalité de la phrase, le met complètement en dehors de la problématique qui l’intéresse, et qui est celle justement des effets de sens. C’est quelque chose de très étrange, parce que la linguistique de Chomsky pousse jusqu’au bout la logique de la calculabilité et de la déductibilité des formes. C’est-à-dire qu’à partir d’une théorie linguistique, une théorie grammaticale produit des types de phrase – d’ailleurs c’est très amusant, il y a parmi les linguistes ceux qui mettent des mots, et puis il y a ceux qui disent : " est-ce qu’on peut avoir : déterminant/groupe nominal/groupe verbal/déterminant/groupe verbal, est-ce qu’on peut avoir… etc ", les gens réfléchissent, disent oui, non - ça peut se passer à un niveau très abstrait, pas forcément en disant : un chat est un chat. Le projet de Chomsky est surtout - c’est ça qui doit arrêter probablement Lacan - c’est un projet poppérien. C’est-à-dire que pour Chomsky, il s’agit véritablement de formuler des hypothèses sur la structure de la langue, et de tester ces hypothèses.

Autrement dit, lorsque je suis appelé à porter un jugement sur la grammaticalité d’une phrase, et que je consulte mon intuition linguistique, la consulter, c’est une expérience, avec cette chose extrêmement étrange chez Chomsky - qui veut absolument implanter ce modèle dur de l’hypothèse falsifiable avec l’expérience grammaticale ou pas grammaticale, une théorie qui produit des séquences de catégories qui ne sont pas grammaticales et considérées comme réfutées - c’est que si c’est le cas, c’est la seule théorie dans laquelle il n’y a pas d’instrument. Je produis la phrase – ce qui est quand même étrange, hein, comment puis-je produire une phrase non grammaticale ? Or, pour dire qu’elle n’est pas grammaticale, il faut déjà que je la produise. Si je dis : "  le chat souris la mange ", il faut que je puisse le dire pour que je m’aperçoive que ça n’est pas grammatical. Mais l’expérience que je fais, l’intuition à laquelle je fais appel, ce n’est pas la lecture d’une mesure sur un instrument. Il n’y a aucun instrument dans la "méthode expérimentale" qui est explicitement revendiquée dans la stratégie poppérienne de Chomsky. C’est quelque chose de très troublant, parce que c’est… disons quelque chose qui a une forme causale ; Chomsky pense que la grammaticalité, c’est quelque chose qui est encodée dans le cerveau.

Ça se vérifierait donc de cette manière là, la grammaticalité, par un enracinement de type matériel dans le cerveau; c’est assez distinct, comme réel, de ce que Lacan appellera plus tard le réel : c’est impossible, on ne peut pas le dire. Et pourtant, quand je juge de l'agrammaticalité d'une phrase, je fais effectivement référence à un impossible. C’est pour ça d’ailleurs, comme on l’observe très souvent, que la grammaire est vécue comme un espace d’interdit. C’est-à-dire que comme nous ne réussissons pas très bien à savoir pourquoi on peut dire une chose plutôt qu’une autre, pourquoi la syntaxe " c’est pas des choses qu’on rigole avec " - comme disaient des élèves en employant une phrase qui est grammaticale (laide, argotique, mais acceptable. C’est ça qui est étonnant. Elle ne se dit pas, elle est un niveau de langue tout à fait particulier, mais elle est grammaticale.

Bon, un des problèmes qui se pose donc d’emblée avec la notion de signifiant, c’est de savoir si c’est passé de mode. Evidemment, c’est passé de mode ….... avec la phonologie, je vous en dirais quelque mot, qui ne fait aujourd'hui aucune espèce d’usage de la notion de signifiant. On récuse totalement aujourd’hui l’idée d’une science qui serait purement descriptive, qui se contenterait de dire quels sont les éléments qui sont à combiner pour produire les différences sémantiques pertinentes dans une langue. Et Saussure, c’est de la linguistique pour les gens qui n’en font pas. Pour …….. les manuels de philosophie en général, le linguiste c’est Saussure, c’est-à-dire le seul linguiste qu’aucun linguiste n’a lu. Alors, le danger d’un mot qui est d’autant plus déraciné de sa vie scientifique qu’il avait dans les années 50, c’est qu’il fonctionne comme un "catchword", autrement dit comme un signe de ralliement et comme un support dogmatique. Il y a un bon moyen de se faire reconnaître comme lacanien, c’est parler de signifiants à tout bout de champ.

Si bien qu’on a oublié – je dis vraiment, sérieusement ça, même si c’est un peu choquant – les difficultés, l’usage de ce concept au moment où il est introduit dans les sciences de l'homme et notamment dans les sciences psychologiques. C’est-à-dire qu’on a oublié la trajectoire psychiatrique de Lacan – j’exagère, hein, mais vous voyez ce que je veux dire – et en particulier l’exigence d’une sémiologie, ou plus exactement d’autre chose qu’une simple sémiologie en psychiatrie, devant la maladie mentale, qui ne soit pas non plus le recours à une pure empathie ou à un déchiffrement de la souffrance à partir de sa réceptivité de la souffrance. Et l'on oublie aussi l’opposition toujours très vive entre les partisans de la sémiologie psychiatrique classique, et tous ces gens qui réfléchissaient profondément sous la houlette de Minkowski à la nécessité très vivement ressentie à l’époque d'une psychiatrie rénovée. Bien sûr, il y a quelque chose qui ne marche pas, c’est que la sémiologie psychiatrique, c’est que ça ne marche pas toujours. Ce n’est pas parce que quelqu’un a les signes d’une maladie mentale que c’est cette maladie là qu’il a. C’est les signes que vous ne voyez pas qui déterminent la vraie maladie. C’est le problème. C’est les signes qu’on ne voit pas, et non les signes qu’on observe. Or, la tendance évidemment, c’est de classer les gens par rapport aux signes qu’on observe, en oubliant que c’est celui qu’on n’a pas vu, qui ne s’est pas encore manifesté, etc, qui peut être décisif. On peut comme ça s’occuper pendant des années et des années d’une personne qui ne vous dira qu’après 8 ou 10 ans que, un jour elle a entendu une petite voix dans sa tête qui lui disait " pédé !" Simplement c’est ce signe là, et pas du tout l’immense ramification de tous les autres signes observés qui est le signe crucial. Donc une sémiologie est à la fois méritante et trompeuse. Il faudrait donc une sémiologie où le signe qu'on observe prend sens en relation à d'autres qui sont structurellement présents, mais qui sont peut-être empiriquement non objectivés. C'est une dimension capitale de l'usage de la notion de signifiant à son articulation précise avec la sémiologie psychiatrique: il faut une raison aux signes, un horizon structural.

La deuxième chose, que je vais essayer de souligner, c’est que la notion de signifiant a des sources substantielles dans la conception freudienne des représentations, et en particulier, celle de la première topique. Je suis un maniaque d’une notion particulière dans la première topique, celle de représentation par contraste, qui est systématiquement gommée, effacée, même dans les traductions de Freud, et qui est incontestablement une des sources essentielles du raccord que Lacan va faire à Freud. Contrairement à ce qu’on croit, je ne crois pas du tout que ce soit l’idée de Vorstellungsrepräsentanz qui en soit la matrice. Disons que c’est à partir d’une théorie du signifiant que le Vorstellungsrepräsentanz freudien, qui est donc des années 1914-1915, dans la métapsychologie, prend son sens. C’est que dès le départ, initialement - et même dans la Traumdeutung, j’essaierai de vous le montrer, précisément en lien à la névrose obsessionnelle - la notion de Kontrastieriendevorstellungen, c’est-à-dire des représentations par contraste, joue un rôle absolument structurant chez Freud. Elle est liée à la théorie du Gegenwillen, de la contre-volonté, qui définit la nature intentionnelle, comme acte de la volonté, du refoulement. C’est vraiment un certain type de représentation qui angoisse. Ça vient de France, comme beaucoup de concepts français, qui sont cachés, parce que c’est que les Anglais ou les Allemands qui font de la bonne histoire de la psychanalyse ; alors du coup personne ne sait qu’en réalité tout ça se sont des notions françaises, qui viennent d’un esprit absolument génial, qui était le père de Paulhan - de Jean Paulhan - qui s’appelait Frédéric Paulhan. Frédéric Paulhan était un extraordinaire psychologue, qui a travaillé sur cette notion de représentation par contraste qui vient de l’hypnose. La représentation par contraste, c’est ce qui se passe quand on a plongé quelqu’un dans le dernier degré de l’hypnose, qu’on lui dit de lever le bras gauche, et qu’il lève le bras droit. Quand on lui dit de cligner de l’œil gauche il cligne de l’œil droit, quand on lui dit de dire " blanc ", il dit " noir ". Il est totalement sous influence, mais la seule trace de sa subjectivité, c’est de choisir le contraire logique de ce qu’on lui demande de faire. Ça c’est quelque chose je crois d’extrêmement important, parce que c’est ce que j’ai essayé d’appeler quelquefois " la dernière trace de la subjectivité dans l’hypnose ", c’est l’activité par les représentations par contraste. Ça a énormément frappé les gens, c’est pas très visible, on le voit chez Janet - que Freud ne cite jamais alors qu’il l’a intégralement lu – et qui est une des sources, dans la Traumdeutung, de sa théorie de sa représentation par contraste et de la contre-volonté.

La troisième et dernière difficulté interne à la psychanalyse, auquel ça correspond, c’est qu’il y avait une crise de l’écoute qui est certainement lié au fait que la psychanalyse intéressante dans ces années-là c’est la psychanalyse kleinienne, qui est une psychanalyse extrêmement visuelle, qui est une psychanalyse qui repose sur la notion d’espace intérieur, de visualisation des espaces intérieures, n’est-ce pas, de conflits d’objets à l’intérieur de cet espace, et qui suscitait déjà une critique majeure. L’idée de mondes intérieurs et d’objets intérieurs… une critique qui était très présente chez les anglais que connaissait bien Lacan, qui est la critique suivante : c’est tout à fait possible que nous fantasmions un espace intérieur à l’intérieur duquel il y a des objets, mais de ce que je me fantasme un espace intérieur avec des objets, il ne suit pas que j’ai le droit de traiter cet espace intérieur comme un concept opératoire de la psychanalyse décrivant la mécanique psychique. L’objection fondamentale que les gens faisaient à Mélanie Klein, à l’époque, c’est qu’elle confond mon activité fantasmatique et la théorie que je fais de cette activité fantasmatique. Or, ça commande très fortement – quand vous faites ce rapprochement, cette critique que les Anglais faisaient aux kleiniens à l’époque – un certain rapport au patient. Ecouter quelqu’un projeter ce qu’il raconte dans une scène - qui est une scène psychique interne, où on voit les objets, les objets avec les relations avec ces objets - et faire de la théorie dans les termes même de la chose, c’est se soumettre à une topologie particulière, dans laquelle la visualisation, l’incorporation du patient lui-même en train de parler à l’intérieur de l’espace interne que fantasme l’analyste pour l’accueillir, joue un rôle complètement organisateur dans la cure. Mais comment contrôle-t-on ceci? Ou est la possibilité d'une distance critique, d'une évaluation épistémologique de ce genre de relation dans le transfert?

Alors, ce que je propose de faire, c’est de montrer qu’une fois qu’on a liquidé la caution linguistique - entre guillemets, la caution " scientiste " - qu’on pouvait peut-être trouver à l’époque, dans les années 50, dans la notion de signifiant, on peut essayer de faire émerger ce que Lacan a créé d’original avec ce terme. Et que la pierre de touche dans cette démarche, ce serait de dire : ce que Lacan a trouvé d’original, c’est pas du tout l’explication de difficultés grâce au recours à la notion de signifiant, c’est de s’enfoncer dans les problèmes que les linguistes, confrontés au problème du langage, ont eu eux-mêmes, et qui les a poussé à forger une théorie du signifiant, théorie qui est elle-même extrêmement contradictoire et diversifiée. Ça, c’est ce que je vais faire aujourd’hui ; ce que je ferai dans la suite également, c’est de dire qu’au fond, le signifiant s’intégrait très bien dans les années 53-54 à l’analyse du symbolique qu’avait commencé à faire Lacan - la dimension d’un ordre tiers - et que le signifiant pouvait apparaître comme un moyen de traiter concrètement la catégorie de symbolique. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, c’est que Lacan a inventé le symbolique avant d’avoir recours au signifiant. Ça c’est extrêmement important, et donc, il faut bien se rappeler que la notion de signifiant n’a de sens que dans le cadre de ce qu’il appelle la théorie du symbolique, de ce dont je parlais l’an dernier, de cette notion d’ordre, de loi, de règle, que j’avais largement développer. Le signifiant donne une dimension concrète à cette analyse du symbolique. La deuxième chose, c’est qu’elle permet de rectifier ce qui était la tarte à la crème de la critique du freudisme, et en même temps il faut bien le dire une pratique très réelle, d’après ce que j’ai pu voir en feuilletant les revues de l’époque, qui est l’identification du symbole à sa version… à la version de 1914 de la Traumdeutung avec : " comment voir le phallus partout ", dans les chapeaux, dans les cigares, ou bien c’était une sorte d’amplification – et j’emploie le mot jungien d’amplification à dessein – une sorte d’amplification imaginaire qui rendait très poreuse, dans les faits, la pratique des théories kleiniennes, et puis la technique de l’amplification chez les jungiens par exemple. Il est sûr que si vous demandez à quelqu’un de développer de l’imaginaire à partir de ses rêves, dans une ambiance fantasmatique, et on voit assez mal pourquoi on ne pourrait pas interpréter ça aussi bien en terme de relation d’objets ou d’archétypes, sur le fond. Et pratiquement – pratiquement - ça avait tout à fait une signification. Si bien que tout le processus de symbolisation, qui est la notion de Symbolisierung, culmine (d’après ce que j’ai pu tout récemment découvrir) dans l'expression chez Freud de Wirklichkeit der Symbolisierung qui est dans les Etudes sur l’hystérie, autrement dit, mais oui, "l’efficacité symbolique". C’est-à-dire l’idée que la conversion, c’est la production, à partir d’un certain nombre d’éléments, de quelque chose qui va devenir un symbole, et qui fait que le symptôme hystérique va symboliquement s’incarner à l’intérieur d’une anesthésie, d’une rêverie, etc. Et tout ce processus qui n’a rien à voir avec un symbolisme mythico-poétique, ce processus de la symbolisation se trouvait sans répondant technique. Autrement dit : " comment est-ce qu’on observe ce processus de la Symbolisierung dans les cures ? ".

Ce que je voudrai faire cette année, ce n’est pas de montrer – enfin je me dresse très fortement contre un usage dogmatique de la pensée de Lacan – ce n’est pas du tout de montrer que le signifiant est une solution à un problème, c’est que c’est un problème appliqué à un autre. C’est-à-dire : c’est un problème linguistique – et je vais vous montrer pourquoi dans les années 50 c’était un fichu problème linguistique – qui enveloppe un certain nombre de contradictions, et ce sont ces contradictions qui sont appliquées aux contradictions de l’expérience analytique. Là où on commence à perdre la tête avec la fabrication de ces systèmes lacaniens sous lesquels nous sommes noyés, c’est lorsqu’on perd la dimension problématisante du recours à la notion de signifiant. Et en superposant les unes aux autres, on fait apparaître le reste à penser, c’est-à-dire ce qui met vraiment au travail la théorie analytique.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la fameuse phrase " l’inconscient est structuré comme un langage " : c’est que justement ça n’est pas un langage. Et que ce " comme " ne définit pas un rapport de modèle, dans lequel quelque chose deviendrait intelligible à travers le modèle dans lequel il est traduit terme à terme. Il est comme un langage, au sens où justement, ce qui compte, c’est que là où on n’arrivera pas à le traiter comme un langage, l’inconscient est le plus présent. C'est par là, en ayant recours à cette notion de signifiant, que Lacan, dans les années 50 et 60, jusqu’au graphe, en tout cas, met en évidence ce qui est en cause dans cet autre "catchword" que vous avez chez Freud qui est la notion de Vorstellung – de représentation -, et qui met en cause ce avec quoi Freud se bat, si j’ose dire, théoriquement, dans la notion de Vorstellungsrepräsentanz. C'est une manière de rouvrir le problème – le problème, la difficulté – à partir d’une autre série de difficultés. Je dirai : si l’inconscient était un langage, et était structuré en un langage - et non pas comme un langage - on ne voit pas du tout le prix qu’il y aurait à "bien dire". On ne voit pas du tout pourquoi bien dire serait un achèvement – quelque chose dont Lacan a pu dire qu’au fond, la cure, c’est de réussir à bien dire, non pas à dire ce qu’il y a, au sens où dire ce qu’il y a ce serait trouver quelque chose d’adéquat. Non, bien dire, c’est être dans la juste tension du symbolique.

Donc, le langage et sa structure signifiante, ce n’est pas un modèle; c’est dans ce sens que Lacan se distingue, mais alors totalement, de ce qui était l’industrie du structuralisme, où vous prenez n’importe quoi qui diffère de n’importe quoi, vous ajoutez " ème " à la fin – alors mythème, modème, textème…, on peut faire des " cendrièmes " n’est-ce pas ? -, ils sont tous différents les uns des autres, et leur simple différence, par une sorte de pouvoir magique, produit du sens. Donc, il y a les filmèmes , etc… et donc vous avez cette espèce d’industrie sémiotique typiquement française et parisienne des années 70, qui a sombré dans l’oubli le plus total, mais qui permettait de produire de façon absolument gigantesque, avec l’apparence de la crédibilité intellectuelle, une quantité effarante de systèmes structuraux. Vous en avez chez Barthes, vous en avez un petit peu partout. Je crois que le dernier monstre de cette époque c’était Greimas. La sémantique de Greimas était véritablement typiquement une technique combinatoire, où on supposait la différence d’un pouvoir organisateur sans qu’à aucun moment on s’interroge sur ce qu’elle était. Et voilà pourquoi se servir de la notion de signifiant – si je peux comme ça me servir …. de la difficulté de la pratique – n’est pas en soi une justification, ce n’est aucunement une sécurité épistémologique qu’on pourrait avoir, c’est ce que Lacan nous appelle à faire quand il nous demande de lire des choses de ce genre, c’est à modifier de manière raisonnée notre rapport naïf au langage, aux dires dans lesquels nous vivons, etc.

C’est ce sursaut – on va aller voir ce qu’il veut dire par là – c’est ce sursaut qui me paraît bien manquer, qui motivait cette année, n’est-ce pas - un peu comme l’an dernier je me scandalisais du massacre de la théorie de la sexuation dans les polémiques actuelles - c’est ce sursaut que j’aimerais bien essayer de vous faire réexpérimenter au sens où s’y engage vraiment qu’est-ce que c’est que fabriquer de la théorie analytique par rapport à une expérience, par rapport à ce que les gens peuvent dire, en revenant au fond à : " qu’est-ce que je vais faire de tels énoncés ? qu’est-ce que je vais faire de tels ensembles de rêves ? ". Et en essayant non pas de faire mieux que Lacan, mais en tout cas peut-être de voir ce qui se passe quand on travaille comme Lacan avec le matériel analytique, et la culture scientifique dont on peut disposer à l’heure actuelle.

Pour vous faire sursauter, je vais commencer par dire que s’il y a bien une idée linguistique complètement bizarre, c’est celle de signifiant. Pourquoi est-ce que c’est une idée très bizarre ? D’abord parce qu’on attribue à Saussure quelque chose qui est la découverte d’un principe positionnel – vous avez des séquences de sons, d’éléments linguistiques, en général ce sont des sons, comme par exemple pour une expression " chapeau ", il suffit de permuter un des composants de cette chaîne : " château ", pour s’apercevoir que vous avez une signification différente - et que tous les éléments qui composent une chaîne signifiante ont une fonction qui non seulement est positionnelle, mais oppositionnelle. C’est-à-dire que non seulement ça dépend de leur place, mais ça dépend du type de contraste dans lequel ils entrent à l’intérieur de la série dans laquelle ils sont prononcés. Si bien que dans la présentation - je dirai standard - que vous avez de cette doctrine – les Leçons sur le son et le sens de Jakobson – qui sont délibérément écrits pour assonner, c’est un titre qui a été choisi pour faire entendre ce que ça pouvait être que les leçons sur le son – c’est une manière d’articuler le sens et le son par un système dans lequel la position est toujours en soi une opposition des sens les uns aux autres. C’est-à-dire que vous avez d’un côté des termes, puis de l’autre côté vous avez des oppositions.

Or on peut arriver à un degré d’abstraction qui permet d’appliquer ce type de modèle à n’importe quoi. Les formalistes russes, pour d’autres raisons, avaient travaillé sur les costumes : pourquoi dans certaines fêtes, il y a des gens qui mettent des costumes courts et d’autres des costumes longs, d’autres ont des costumes clairs et d’autres des costumes foncés. Ils ignoraient l’existence de Saussure, et on peut dire qu’il y a une certaine intuition du fonctionnement des signes sur un mode oppositionnel, et que c’est en fonction de ce à quoi quelque chose s’oppose, qu’il prend lui-même sa valeur à l’intérieur du système. Mais, ce qu’on oublie toujours, c’est que les formalistes russes, les grands formalistes russes qui ont formé Jakobson, se sont toujours gardés d’exporter ce modèle de l’opposition à l’infini. Ils se sont toujours gardés de le faire fonctionner comme quelque chose qui serait une sorte d’ontologie naïve, avec d’un côté les termes et de l’autre côté la différence, et on se contenterait simplement de faire fonctionner ça quelque soit la substance, quelque soit le support. C’est toujours investi dans des objets très particuliers. Objets qui nous intéressent tout à fait comme analystes, c’est-à-dire les masques, c’est-à-dire les costumes, c’est-à-dire les reflets, etc, c’est-à-dire les combinaisons dans les histoires, chez Propp - comment tels ou tels éléments peuvent permuter dans une histoire.

Mais ce qui était désolant, et ce qui arrive au comble du ridicule avec Greimas, c’est que vous avez vraiment des gens qui ont pensé qu’il pouvait y avoir une sorte d’ontologie structuraliste, avec d’un côté la plénitude et de l’autre côté la différence – comme les gens qui croient que pour faire le gruyère, il suffit de mélanger le fromage avec les trous, et que ce sont deux entités dont le gruyère est le résultat. Cette mythologie de la différence a été très développée.

Le problème de ce sens, c’est que c’est quoi ce sens, quand je vais de chapeau à château ? Ce sens-là ouvre un abîme qui est celui de la signification.

Dans les mêmes années ou les français s’enferment dans la production industrielle d’une sémiotique avec des concepts en " -èmes ", aux Etats-Unis se développe une théorie de la signification extrêmement importante – celle dont Davidson est un des artisans – qui est une réflexion critique sur Frege, Russell, et sur quantité d’autres choses – où pour savoir ce que c’est qu’une signification, on ne cherche pas du tout à permuter des signifiants. Pour savoir ce qu’est une signification, on travaille sur l’idée qu’on ne sait pas ce que c’est que la signification, mais on sait ce que c’est qu’avoir la même signification. Que l’énoncé p ait la même signification que l’énoncé q, c’est tout simplement quand p peut paraphraser q. Et qu’est-ce que le critère de la paraphrase ? C’est un critère qui est strictement logique. C’est que l’énoncé p a les mêmes conditions de vérité que l’énoncé q. Si l’énoncé p a les mêmes conditions de vérité que l’énoncé q, il a la même signification. Ce critère, c’est ce qu’on appelle le critère de Tarski en logique, c’est un critère qui permet de travailler sur la théorie des modèles, et qui a été appliqué d’une façon absolument géniale – dans les années 60-70 – par les sémanticiens américains de l’analyse du langage. Cette notion de signification, je vais revenir dessus, parce que vous voyez, il y a déjà une tension qui s’organise et que nous connaissons bien chez Lacan : le sens, soit c’est quelque chose qui opère dans des permutations signifiantes, soit ça fonctionne par rapport à la signification et donc à des conditions de vérité.

Chez Lacan, il suffit d’ouvrir les séminaires des années 60 où on passe comme ça subrepticement de la notion de sens à la notion de l’effet de sens, et à la notion de signification, sans que jamais on ait une articulation extrêmement précise. Une des idées que je soutiens souvent, c’est que ça a des conséquences sur le sens de certains discours dans la pathologie mentale. Il y a des discours qui ont du sens et qui n’ont aucun effet de sens. Par exemple, les discours qui n’ont aucun effet de sens, ça frappe certains cliniciens. C’est pas du tout vain de stratifier quelque chose comme le sens, l’effet de sens, et la signification. Une théorie du signifiant, à l’état pur, en est absolument incapable. Je dirai même qu’elle nous aveugle là-dessus. Ça conduit Lacan dans sa théorie de la psychose, qui repose sur une notion de signifiant, à ne pas stratifier les choses qu’il stratifiera plus tard. La question de savoir par exemple si un psychotique peut faire une métaphore est tout à fait ouverte. J'y reviendrai.

Le deuxième principe problématique dans le structuralisme, après le principe positionnel, c’est le principe combinatoire. C’est qu’on peut tout dire - tout dire, je souligne ce point – avec une batterie de signifiants. Ce qu’on appelle tout dire, c’est engendrer tout les mots d’un dictionnaire. Je voudrais quand même vous faire remarquer qu’on peut négativement engendrer tous les mots du dictionnaire. C’est vrai que le français par exemple, ça fonctionne avec je crois n sons consonantiques et n sons vocaliques, qui sont pas discriminant d’ailleurs, tous. Mais il y a une chose qu’on ne sait absolument pas faire, et qui est pourtant essentiel, et qui est aujourd’hui la base de la phonologie scientifique. Personne n’est foutu de déduire les syllabes d’une langue. On est tout à fait capable de faire le tableau des sons discriminants d’une langue ; en espagnol vous avez pour les voyelles " a ", " e ", " i ", " u " et vous n’avez rien d’autre que ces sons. Personne n’est capable de produire un algorithme qui à partir de ces sons élémentaires, produit des syllabes. Et c’est extrêmement inquiétant, parce que n’importe quel enfant de 4 ans est capable non seulement de décomposer tous les mots avec des syllabes, mais lorsqu’il invente et produit des mots il n’utilise que des syllabes reconnues comme des syllabes de sa langue par tous les locuteurs. Ce qui prouve qu’il est capable d’engendrer la série des syllabes. Donc on ne sait pas calculer les syllabes d’une langue. Or, ce qui nous intéresserait aujourd’hui, et ce qui intéresse les phonologues aujourd’hui, c’est pas du tout ce principe purement combinatoire, c’est le principe de la construction interne. Et ce principe les a amené à revenir totalement sur l’opposition entre phonologie et phonétique, entre les sons comme on les prononce et les sons tels qu’ils valent dans un système, en disant que ce dont nous avons besoin, c’est une théorie articulatoire. Comment les mots s’articulent, syllabe par syllabe, puisque c’est la syllabe dans laquelle on articule. Le problème est très différent. Et si on a une théorie articulatoire, on produit des morphèmes, puisque le minimum du mot c’est la syllabe - il n’y a pas de mot en dessous de la syllabe, ça n’existe pas, surtout dans les langues monosyllabiques comme le chinois et l’anglais par exemple, puisqu’on peut dire que l’anglais d’une certaine manière, c’est une forme phonologique du chinois ; c’est plein de monosyllabes. Et les gens qui s’intéressent – par exemple Jakobson s’y est intéressé et Chomsky en faisant de la phonologie s’est intéressé à cette question articulatoire – et à la question de savoir si après tout quand on articule, est-ce qu’on n’articule pas non seulement du sens en général, mais des morphèmes grammaticaux ? Donc double articulation - non pas au sens de la linguistique qui décompose, mais au sens de la linguistique qui construit effectivement comment sont fait les mots du langage : une articulation phonologique et une articulation cognitive et sémantique. Vous voyez ce principe combinatoire est un principe dont on peut tout à fait nier qu’il est combinatoire, puisqu’on sait pas comment il combine les mots qui existent. Et qu’on prétend tout dire, alors que ce qu’on appelle " tout dire ", c’est en réalité non pas tout dire, mais produire les mots du dictionnaire, desquels on est parti pour isoler les éléments. Là, c’est extrêmement peu productif, c’est pour ça que – sauf en phonologie pour isoler les sons quand on fait des analyses de corpus – plus personne ne fait d’analyse structurale en linguistique.

Troisième principe, qui est le plus connu, c’est le principe de généralité sémiotique, c’est-à-dire que tout communication peut être analysée en terme de combinaison, de recombinaison d’éléments qui s’opposent. Pourquoi ? Parce que tout simplement, on s’est aperçu que la théorie des codes, en particulier des codes élémentaires, des codes informatiques, des 0 – 1, permettait de maintenir comme le trognon réel de la différence structurale. C’est ce dont j’étais parti l’an dernier, en analysant ce que Thierry Simonelli avait écrit sur les chaînes de Markov. Ça pose un grave problème, parce que si tous les systèmes de communication peuvent s’analyser en terme de différences oppositionnelles, qu’elle est la spécificité du langage naturel ? On part du langage naturel qui est un modèle… en particulier de sa phonologie qui est un modèle pour expliquer le reste ; ça marche tellement bien que du coup on ne sait pas ce qui fait la spécificité du langage naturel, on ne sait plus ce qui fait la spécificité du langage naturel. Sauf à construire – c’était le projet de Hjelmslev – une axiomatique complètement spécifique des langues naturelles suivant un certain nombre de règles de combinaison propre à des éléments prédéfinis.

Ce qui est quelque chose de tout à fait fascinant, c’est que Hjelmlev – qui connaissait fort bie n le logicien Carnap – en vient à penser que lorsqu’on est arrivé aux éléments ultimes - qu’il appelle les " cénèmes ", la décomposition en éléments oppositionnels et complètement combinatoire – ça coïncide trait pour trait avec les noyaux syntactico-sémantiques qu’en logique on utilise pour construire les expressions bien formées qui sont susceptibles d’être à la base des théorèmes, des tautologies, des antilogies, des déductions, etc. Avec cette idée chez Hjelmslev, qu’ultimement, la linguistique qu’il préconise, qui ne fonctionne plus qu’avec de purs termes oppositionnels combinatoires, c’est la logique de la logique. Vous savez ce que c’est qu’un foncteur de Scheffer, c’est un opérateur logique qui permet… il n’y a besoin que d’un seul opérateur logique pour dire toutes les formules logiques, celles avec " et ", " ou ", " implique ", etc. Le foncteur de Scheffer, qui est d’ailleurs très frappant, c’est une barre, qu’on appelle " barre de Scheffer ", qui montre bien le caractère du trait véritablement articulatoire qui a été choisi pour cette raison même d’ailleurs par Scheffer. L’idée même de Hjelmslev, c’est que ultimement, on pouvait tout construire par comme articulation par des foncteurs de Scheffer. Alors, ça vous amène à buter sur… du trait. Du pur trait. C’est-à-dire que Hjelmslev ça aboutit au pur trait, à la lettre comme élément ultime, radical, incompressible, qui est le noyau dur de ce qui a derrière toute théorie du signifiant.

A l’autre opposé, l’autre extrême, ce principe de la communication, chez Jakobson, est prise dans une perspective extrêmement différente. C’est-à-dire que ce que va faire Jakobson, ce n’est pas de provoquer l’effondrement vers l’abstraction de la notion de signifiant, c’est de chercher à l’intérieur de la notion de signifiant des corrélations, qui seraient indépendamment de la référence ou du sens des corrélations qui valent par elles-mêmes. Alors, c’est un mythe. C’est un mythe extrêmement important qui a animé de façon souterraine Jakobson. Jakobson est quelqu’un à multiples facettes. Il y a le linguiste officiel qui dans toutes ses conférences mettait un malin plaisir à répondre à tout le monde dans sa langue natale, ce qui paraît-il provoquait un effet extrêmement impressionnant, parce qu’à la dix-sept ou dix-huitième langue que parlait Jakobson pour répondre aux gens, qui devinait à l’accent des gens qu’elle était la langue dans laquelle il leur répondrait – qui rendait la lecture de ses œuvres – enfin des œuvres qu’on a rassemblées, parce qu’on a rassemblé qu’une partie de ses articles, mais c’est parce que Mouton a dû refuser de publier plus de douze volumes, donc quand vous les lisez tous, n’est-ce pas, il y aura aussi des trucs qui malheureusement ne pourront pas être rassemblés, c’était quelqu’un de totalement prolifique. Jakobson avait donc une existence souterraine. Jakobson était un poète russe en même temps, qui écrivait sous un pseudonyme, et qui a été en particulier fasciné par une personne, qui est Khlebnikov, je ne sais pas si vous en avez déjà lu ? Khlebnikov, c’est le poète russe schizophrène, fou, pauvre, enfin le poète russe, qui avait inventé cette langue extraordinaire qu’on appelle le " Zaoum ". Le " Zaoum ", c’est l’idée que le poète, c’est celui qui réussit à articuler un certain nombre de sons ensemble, de manière telle que ça fasse sens pour tout le monde. Un petit comme le parler en langue des apôtres, n’est-ce pas, il y a l’idée d’une manipulation du russe, de sonorité, de combinaisons purement sonores telles qu’elles captent une émotion, indépendamment de la langue – le russe, le français ou l’anglais – dans laquelle elles sont exprimées. Alors, c’est très impressionnant, les poèmes de " Zaoum ", c’est pas….. c’est très sonore, il faut que ce soit lu par un russe pour qu’on entende un petit peu de quoi il s’agit, mais si vous voulez, la dimension mythique de ce que Jakobson lui-même a cherché de façon très scientifique ; autrement dit, il a cherché à montrer que dans les systèmes phonologiques isolés par Troubetskoy, pour les langues du monde – pour chaque langue, Troubetskoy avait pour chaque langue connue à l’époque fait le tableau consonantique et vocalique. Il y avait des invariants, des invariants significatifs. Il a cherché par exemple quelles sont les langues où il y a le moins de voyelles possibles, et quelles sont ces voyelles, les langues où il y a le moins de consonnes possibles, quelles sont ces consonnes, est-ce qu’elles se recoupent, est-ce que ce sont toujours les mêmes, est-ce que la présence d’un phonème particulier implique nécessairement à chaque fois l’existence d’un autre phonème dans le même système ? A la recherche, si vous voulez, d’une cohésion qui renvoie à une langue universelle, et qui permette d’inscrire quelque chose sur un mode scientifique ce que Khlebnikov avait cherché à attraper au niveau poétique. Dans ses Entretiens, qui est l’un des seuls endroits où Jakobson raconte ce qu’il voulait vraiment faire: le côté science d’un côté, puis le côté complètement folie-poétique de l’autre, qui était lié au constructivisme russe. Là aussi, je vous ferai remarquer, il y a une question de réel. C’est pas un réel du trait, de la lettre ultime et du trognon, c’est le réel de quelque chose qui touche le corps dans l’exercice du langage. Voyez cet envers de la linguistique structurale qui n’a ici rien de gris, qui n’est pas le sémiotique des années 70. Alors, ça c’est une des premières dimensions, celle des universaux phonologiques.

La deuxième chose que Jakobson va essayer d’apporter qui est un deuxième axe de sa recherche, c’est l’idée que les permutations produisent des effets de sens parce que toutes ces permutations sont en réalité quoi ? des métaphores et des métonymies. Et que si je permute tel ou tel signifiant à l’intérieur de telle ou telle chaîne, que ce soit un mot, je produis un effet de sens, et que les effets de sens sont pour ainsi dire captés à l’intérieur d’un circuit de métaphores et de métonymies. Ce qui a une signification grammaticale. Il y a deux axes ; il y a un axe syntagmatique puis un axe paradigmatique. Dans un axe syntagmatique, vous pouvez après chaque mot – par exemple après un article il ne peut venir qu’un nom, après un nom il peut venir un adjectif ou un verbe ou un adverbe, etc, et à l’intérieur, en colonne d’une certaine manière, vous avez des permutations possibles, vous pouvez mettre tel ou tel verbe, vous pouvez mettre telle ou telle catégorie grammaticale. C’est que la notion de métaphore et de métonymie est une notion qui est à la fois faite pour penser l’effet de sens, au sens poétique, et pour penser la grammaticalité, c’est-à-dire la cohésion interne, la substituabilité sur deux axes de chacun des élément d’une langue. Et donc il y a une géométrie, si vous voulez, une géométrie interne du signifiant, qui fait que métaphore et métonymie, axe paradigmatique / axe syntagmatique, ce sont des opérateurs primitifs, qui permettent, ultimement, de capter le sens en général. Le sens en général, c’est toujours ce qui va pouvoir être attraper par cette opération de permutation. Là encore, je souligne ce point parce qu’il n’est pas très clair, il faut vraiment profondément entrer dans les détails de ce que Jakobson raconte pour s’en apercevoir, jamais un sens ne peut être un sens purement sémantique. Toujours un sens est un effet de sens. Et cet effet de sens, comme il est pris dans une combinatoire, nous sommes obligés de lui reconnaître une qualité musicale. C’est que c’est pas qu’il a en soi une qualité musicale, qui est exprimée dans un langage, c’est parce qu’il est pris dans un langage, avec des permutations et des formes, que nous ne pouvons le penser que comme un effet de sens.

Ce qui aboutit, n’est-ce pas, à l’analyse fort célèbre que Lévi-Strauss et Jakobson ont fait des " chats " de Baudelaire, qui est un texte que je crois tous les gens qui ont connu le structuralisme en détail ont vu passer, hein, la fameuse analyse, très célèbre dans les années 70, des " chats " de Baudelaire, où Lévi-Strauss et Jakobson montrent que les permutations de son – alors évidemment on trouve toujours des paires d’opposition, des sons voisés, des sons sourds, des sons clairs, des sons fermés, tout ce que vous voulez – permettent de restituer une sorte d’harmonie. Et avec l’idée qu’on capte quelque chose du réel, absolument du corps qui vibre à l’intérieur de ses combinaisons signifiantes. Riffaterre, qui est un des maîtres en poétique, a écrit un article dévastateur sur ce texte-là, qui a suscité une réponse de Jakobson, etc… en faisant remarquer qu’il n’y a fondamentalement aucune raison pour que ça nous plaise. C’est absolument pas parce que quelque chose est permutable, régulier ou cyclique, que pour autant, ça doit nous plaire. Qu’il y a là une confusion, fait-il observer, entre ce qui est de l’ordre de la jouissance esthétique, et ce qui est de l’ordre de la beauté formelle. C’est un très vieux débat, en philosophie, hein, de savoir si un cercle est beau. Il y a une tradition platonicienne, qui dit que les formes pures sont belles. Un cercle bien rond, c’est beau, c’est un beau cercle. Puis il y a cette tradition, dans laquelle, évidemment Riffaterre s’inscrit, qui dit que justement la beauté – ce qui est de tradition kantienne – c’est toujours un élément d’asymétrie, un grain de sel, quelque chose qui justement à l’intérieur de la symétrie, introduit le charme, ou ce que l’esthétique classique appelle le je-ne-sais-quoi. Justement là, dans quelque chose de purement symétrique et d’ordonné, introduit cet élément de plaisir qu’on arrive à localiser nulle part, mais qu’on arrive à ne localiser nulle part que parce que la forme elle-même est bien construite. Vous savez que ça intéressait beaucoup Kant, puisque Kant était laid comme un poux, mais on trouvait son regard absolument admirable, et qu’un bel homme, par exemple, c’est pas un homme beau. C’est extrêmement sexualisé, comme représentation, c’est intégré à une théorie du masculin et du féminin, chez Kant – c’est cette idée anti-classique que la forme pure ennuie, que la régularité nous ennuie, mais que c’est la dissonance à l’intérieur de la régularité – il faut quand même qu’il y ait de la régularité – qui produit l’effet esthétique.

Et c’est là, vous voyez, où je crois que quelqu’un comme Lacan, par exemple n’aurait jamais commenté les " chats " de cette manière-là. Ça ne sert à rien de dire que c’est une belle totalité imaginaire, close, symétrique, complètement complète ; c’est le point d’échappement qui est l’indication, à l’intérieur de l’objet, du trou du désir.

Je vais terminer par un petit point d’histoire de la linguistique, l’histoire de Saussure, pour que quand même vous voyez un petit peu que Saussure, c’est autre chose que ce qu’on croit. Saussure est devenu instantanément célèbre en Europe, pour avoir été le premier capable de caractériser la voyelle manquante de l’indo-européen. On savait en comparant toutes les langues européennes – c’est quelqu’un qui a fait sa formation de linguiste-grammairien, au sens où la linguistique du 19ème siècle c’est la grammaire comparée de l’indo-européen, qui permettait de comprendre comment toutes les langues européennes s’étaient structurées comme elles s’étaient structurées. On remontait comme ça de structures en structures, on construisait l’indo-européen. Et puis on avait un problème – je ne rentrerai pas dans le détail – c’est qu’en indo-européen, il semble qu’il y ait plusieurs types de " a ", de " a " qui sont différemment positionnés. Et ce que Saussure a fait, c’est qu’en appliquant la méthode du Cours, c’est-à-dire en appliquant le système d’une différence positionnelle sur d’immenses listes de morphèmes qu’on connaissait - en particulier de la langue qui est la plus proche de l’indo-européen qui est l’ancien lituanien. L’ancien lituanien est la langue qui ressemble le plus à ce que l’on construit quand on construit l’indo-européen. Il avait montré qu’on pouvait isoler par là la nécessité pour rendre compte de ce système d’une lettre supplémentaire, dont nous ne savons absolument pas - souligne Hjelmslev, qui est un des grands commentateurs de ce mémoire sur les voyelles de Saussure - dont nous ne savons absolument pas comment elle se prononce. Et ce que nous savons, c’est qu’elle existait, et qu’elle est indispensable à l’explication de toute la dérivation des langues indo-européennes modernes. On ne sait pas comment on la prononçait, on ne sait pas sa position articulatoire, on ne sait évidemment pas quels étaient les usages qu’elle pouvait avoir, mais on sait qu’elle existait. C’est une pure lettre. Alors il se trouve que quand Saussure a fait cette découverte, qui est probablement je dirai le sommet de la grammaire de l’indo-européen, il avait 19 ans – donc il a été immédiatement élu, c’est un peu gênant, mais enfin il a été élu dans les meilleures sociétés de linguistique européenne, il avait 19 ans, en présentant ce mémoire sur les voyelles qui a sidéré l’Europe savante, il n’a pas eu de difficulté à avoir un poste à la fac pour enseigner la grammaire comparée. Il a attendu ensuite une trentaine d’années.

Vous voyez qu’en fait cette méthode, cette méthode-là, c’est pas une méthode inventée dans le Cours, c’était la méthode qui était partout appliquée, simplement il a juste produit l’illustration la plus spectaculaire, en travaillant non pas sur des formes verbales, mais sur des sons, des éléments qui devaient être prononcés mais dont on ne savait pas comment il se prononçaient.

C’est ce mémoire sur les voyelles qui inspire Hjelmslev. C’est-à-dire c’est une pure analyse combinatoire sur quelque chose dont on ne sait pas si ça se prononce ou pas, comment ça se prononce ou pas, qui permet d’examiner la valeur d’un son. Ça a une valeur extrêmement importante, si vous réfléchissez un peu. Ça veut dire au fond, le signifiant n’est pas cette espèce de son qui va mettre en ordre des pensées. Il n’y a certainement pas, dit Hjelmslev à ce niveau là, une masse amorphe de pensées, et puis des coupures introduites par des sons qui vont distinguer ces pensées les unes des autres, et transformer la masse amorphe de ces pensées en quelque chose qui est articulé. C’est un pur travail combinatoire, et comme dit Helmslev, la grande gaffe, la grande erreur de toute la linguistique jakobsonienne, c'est de reconduire le postluat d'un continu de sens que le signifiant viendrait ordonner, découper - et on pourrait dire d’une certaine manière que pour Hjelmslev, ce serait aussi celle de Lacan, qu'il prolonge dans l'idée de "point de capiton", idée qui reste subordonnée à la vision saussurienne d’un continu de sens dans lequel le signifiant dévient couper les unités significatives. Il y a en effet un schéma célèbre de Saussure où on présente souvent comme ça ces découpages. C’est que au départ Saussure se moque bien de ce qui est articulé. C’est un pur calcul combinatoire. Dans le cours, il va dire au fond, qu’est-ce qui fait que je peux penser à " chaise ", à " chapeau " et à " château " comme des choses différentes, comme des significations différentes? Comment est-ce que se découpe, dans le continuum des significations – on suppose qu’il y a un continuum, ce qui est assez bizarre, de supposer au départ que c’est un continuum, que c’est pas des granulés – qu’est-ce qui fait que ça coupe ? Or pour Hjelmlev, c’est une régression par rapport au pur chef-d’œuvre qu’est le Mémoire sur les voyelles. Et il a de bonnes raisons.

Si vous avez lu dans votre jeunesse le Cours de linguistique générale - le Cours de linguistique générale, vous savez, est une immense escroquerie éditoriale ! Le Cours ne peut à mon sens se lire que dans l’édition publiée chez Otto Harrasowitz, où on voit ce que c’est. C’est des petits morceaux de papiers, dans un ordre absolument digne d'un capharnaüm, collés les uns après les autres, dont la datation est complètement énigmatique, qu’on continue encore aujourd’hui paraît-il de trouver quand on vide des tiroirs à l’université de Genève, on trouve des morceaux du cours de Saussure, il paraît que c’est complètement dément, il écrivait ça n’importe où, il le déposait n’importe où, il faisait ses cours comme ça. Donc Tullio de Mauro vous donne l’impression d’un truc complètement lissé, qui est d’ailleurs le reflet de ce que les étudiants lisaient – quand Saussure faisait le cours, c’était paraît-il complètement magistral, tout avait l’air de couler, puis ensuite on s’apercevait qu’il avait trois morceaux de carton, qu’il ne savait plus dans quel ordre les mettre pour les ranger dans sa poche. Et donc l’édition originale se contente de vous mettre dans l’ordre de classement à peu près convenable, toutes les choses qu’il y a. Et tout ce qui n’est pas systématique chez Saussure, tout ce qui est réflexion sur le langage, a tout simplement été expulsé de l’édition de T de M. Et en particulier, je voulais vous le photocopier, un passage extraordinaire qui vous montre un peu comment pensait Saussure, et pourquoi Saussure a sidéré les étudiants qui l’écoutaient. Je vais vous lire ce petit passage:

" Le seul mot d’ellipse a un sens qui devrait faire réfléchir. Un tel terme paraît présupposer que nous savons initialement de combien de termes devrait se composer la phrase, et que nous y comparons les termes, dont, de fait, elle se compose, pour constater les déficits. Mais si un terme est indéfiniment extensible dans son sens, on voit que le compte que nous croyons établir entre n idées et n termes est d’une puérilité absolue, en même temps que d’un arbitraire absolu. Et si en quittant la phrase particulière nous raisonnons en général, on verra probablement très vite que rien du tout n’est ellipse, par le simple fait que les signes du langage sont toujours adéquats à ce qu’ils expriment, ¾ quitte à reconnaître que tel mot ou tel tour exprime plus qu’on ne croyait. <Réciproquement, il n’y aurait pas un seul mot doué de sens sans ellipse, mais dès lors pourquoi parler d’ellipse (comme Bréal), comme s’il y avait une norme quelconque au-dessous de laquelle les mots sont elliptiques. Ils le sont sans aucune interruption ou sans aucune appréciation exacte possible du […]>. L’ellipse n’est autre chose que le surplus de valeur "

Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, éd. Engler, fasc. 4, Otto Harrasowitz, Wiesbaden, 1974, p.35.

Ce fragment ignoré des éditeurs posthumes fait partie d’une liasse découverte en partie en 1958. L’apparat critique lit dans la lacune […] : " aucune appréciation exacte possible du [sens respectif de chaque élément] ". Enfin le texte n’a pas de point final, laissant peut-être en blanc la qualification de la valeur sur quoi il s’interrompt.

Pourquoi ce texte est-il totalement fascinant ? Parce que si vous êtes un théoricien du signifiant, il n’y a pas d’ellipse. Si vous pensez que les mots sont faits de signifiants, que le langage est fait de différences oppositionnelles, il ne peut rien manquer ! Ou alors, tout manque ! Or comme nous parlons d’ellipse - ce que dit Saussure ici – comme nous parlons d’ellipse, ça veut dire que la théorie du signifiant ne peut justement pas être ce qu’on en a fait ultérieurement. C’est-à-dire une théorie de la décomposition analytique de ce qu’il y a réellement dans le langage. Ce qui est totalement fascinant, c’est que ce qui est distingué ici, c’est l’effet de sens de l’ellipse, de ce qu’on appelle le signifié comme contrepartie de la différence signifiante.

Ce fragment est ignoré des éditeurs posthumes, il a été découvert dans une liasse en 1958. Alors il y a des petits trous à l’intérieur, et comme il n’y a pas de point à la fin, l'éditeur se demande si quand il dit " l’ellipse n’est autre chose que le surplus de valeur " - il n’y a pas de point – on sait pas s’il n’a pas voulu ajouter quelque chose, on ne sait pas quoi. C’est elliptique… C’est ça qui est tout à fait… je crois qu’on peut très rapidement rentrer dans cette logique là. Ce que ça veut dire, c’est que plus vous poussez le signifiant dans le sens de la lettre et de la barre, moins vous avez d’effet de sens. Plus vous le poussez dans le sens de quelque chose qui va contrôler l’effet de sens, moins vous avez de lettres. Ben ça, par exemple, chez Lacan, vous avez une théorie de la lettre, vous avez une théorie du trope, de la métaphore, de l’effet de sens, du pas-de-sens, etc… Ça, c’est une contradiction de la théorie du signifiant. C’est-à-dire une contradiction interne, profonde. Présente chez Saussure. C’est cette contradiction là qu’il faut réussir à appliquer aux contradictions qui intéressent cliniquement les psychanalystes. C’est ça ce que j’appelle appliquer un problème à un problème.

La troisième chose géniale chez Saussure, vous le savez peut-être, c’est ce qu’on appelle les hypogrammes. Alors les hypogrammes, c’est un truc complètement dément. C’est que Saussure, évidemment qui lisait le latin comme le français, sinon mieux, s’est aperçu que dans la poésie latine, quand on regarde les lettres, et qu’on les suit – au lieu de les suivre, n’est-ce pas, dans l’ordre dans lequel elles se déroulent – mais en faisant des sauts, de temps en temps, on trouve des poèmes à l’intérieur des poèmes. Et même à l’intérieur des poèmes qu’on trouve à l’intérieur des poèmes, en reprenant une lettre sur quatre, ou sur trois ou quatre, en se donnant un petit peu de marge, on retrouve encore des poèmes etc, etc… Chose tout à fait fascinante, parce qu’on s’est dit : mais est-ce que toute la poésie latine n’est pas fabriquée sur un procédé complètement oublié de manipulation et d’emboîtement, de certaines formules littérales, qui font qu’il y a des poèmes à l’intérieur des poèmes à l’intérieur des poèmes ? Chose sidérante, c’est que tous les sens, à partir du moment où vous commencez à manipuler les choses et à vous dire : mais si par exemple, le texte que je viens de lire, je prends que les premières lettres, puis la troisième, etc, puis je m’aperçois que tout à coup ça fait un mot ! Et puis je reprends des choses comme ça, j’essaie de fabriquer des mots, puis je m’aperçois qu’en réalité, pour fabriquer ces mots, il faut juste que je saute cinq ou six lettres - parfois sept, parfois huit, parfois trois, parfois quatre, mais en général c’est plutôt cinq ou six -, est-ce que c’est intentionnel, ou est-ce que ce n’est pas intentionnel ? Comment savoir si c’est intentionnel ? Et comment même savoir où est l’intention ? Est-ce qu’elle est dans l’inconscience ? Est-ce qu’elle est dans l’inconscience, est-ce qu’il savait ce qu’ils faisaient les poètes latins, demande Saussure, quand ils faisaient des choses comme ça ? Autrement dit quand vous avez une vision de signifiant, et que vous l’éclatez dans un registre combinatoire, tout le sens – et même des sens pas prévu – se mettent à pulluler à l’intérieur du dispositif , avec des régularités - des régularités qui sont relativement irrégulières, mais qui sont quand même suffisamment consistantes. Effet paradoxal, plus la combinatoire est fermée – la combinatoire littérale – et plus vous pouvez avoir de sens ! Ça dépend ce qu’on fait avec cette combinatoire, ça dépend comment cette combinatoire est utilisée pour combiner. Alors, ça c’est absolument fascinant, parce que – c’est très certainement… d’ailleurs Lacan le dit , c’est là où Saussure… il s’aperçoit à la fin que si Saussure avait lu Freud, alors il aurait compris, n’est-ce pas ! C’est pas du tout : si Freud avait lu Saussure, j’aurais pas eu besoin de me fatiguer à faire la théorie du signifiant. C’est : si, là, Saussure avait lu Freud - dans l’autre sens - il ne se serait pas étonné.

Ce que je vais essayer de travailler, c’est que : il y a donc une théorie extrêmement contradictoire, dans lesquels s’étalent des notions que nous connaissons bien chez Lacan, qu’on voit dans son travail - dans la théorie du graphe, dans la théorie du contrôle de l’effet de sens, dans la rétroactivité du sens, etc – et puis vous avez une théorie de la lettre, très obscure, qui continue très longtemps. Tout ça, ça ne tient pas très bien ensemble. Mais ça ne tient pas très bien ensemble non plus dans la théorie linguistique du signifiant. Ce sont des gouffres qui sont ouvert par ce rapport particulier au langage que vous trouvez chez Jakobson ou chez Saussure, chez Hjelmslev. Ce que je trouve de tout à fait intéressant, ce serait qu’on réussisse d’une certaine manière, non pas à traiter le signifiant comme le modèle de la rationalité psychanalytique chez Lacan, mais à refaire avec lui le travail de savoir quand est-ce qu’il faut plutôt avoir recours à cette façon de penser le signifiant qu’à une autre, de manière à ce que ça nous désenssable les portugaises, et que le rapport aux énoncés, le rapport aux segments des énoncés, la façon de les découper, etc, puissent avoir un caractère moins mécanique que d’habitude. Et ça obligera très certainement – enfin moi je ne suis pas du tout partisan de conserver le mot de signifiant pour rester lacanien – ça nous amènera très certainement – c’est pour ça que je vous ai apporté du Davidson, des choses comme ça – à essayer de voir ce qu’on pourrait faire en introduisant une analyse de ce que c’est que la signification en terme de valeur de vérité, par exemple, est-ce que c’est pas une bonne manière de neutraliser toutes sortes de questions, de bien séparer par exemple la signification de l’effet de sens.

C’est pour ça que je vous recommande de lire l’essai de Davidson sur la métaphore. Davidson fait la réflexion à la fois la plus simple et la plus géniale sur la métaphore, c’est pour dire que " la terre est bleue comme une orange ", il faut que " bleu " veuille dire bleu, que " comme " veuille dire comme, et que " orange " veuille dire orange. Que " bleu " n’ait pas d’autres significations que bleu, que " orange " n’ait pas d’autres significations que orange, et que " terre " n’ait pas d’autres significations que terre. C’est la seule manière de pouvoir dire : " la terre est bleue comme une orange ". Et il y un texte totalement génial de Davidson, dans lequel il n’y a pas du tout d’effet extraordinaire, au contraire, la métaphore, ça suppose que " bleu " veuille dire bleu au sens où la mer est bleue. Et que " orange " au sens où le fruit est orange. Et que la terre soit ce sur quoi je marche. Et que ça ait cette signification. Et que toute la difficulté est de réussir à extraire dans le langage, à décanter dans le langage, ce qui est la signification, et ce qui est le sens. Et ça suppose des outils d’analyse particuliers.

La prochaine fois, je vais faire quelque chose que je n’ai jamais fait, je vais vous déplier, extrêmement soigneusement, un cas de névrose obsessionnelle, une névrose obsessionnelle qu’on peut qualifier sans mal je dirai de gravissime – enfin, celle-là est extrêmement spectaculaire – dans laquelle je voudrais vous montrer comment justement, en termes freudiens, classiques, quelque chose du signifiant permet de saisir ce qui se passe au niveau du désir, c’est-à-dire comment justement seule une théorie du signifiant permet de maintenir la contradiction, de valider la contradiction du désir avec lui-même, et de ne pas céder sur ce que je dirai une sorte de manière de dire " voilà ce que la personne dit, voilà ce qu’elle veut vraiment, voilà la signification de ce qu’elle dit, voilà le sens de son fantasme ". Tout simplement parce que je crois que seule une analyse en terme de signifiant permet de voir comment une contradiction est remplacée par une contradiction, qui est remplacée par une contradiction. Et comment cette dynamique de cette substitution des contradictions les unes par les autres, c’est la logique interne du désir, et qu’il ne se capte qu’à ce titre là. C’est pour ça que le coup de force de Lacan a porté spécifiquement sur la névrose obsessionnelle, dans la publication du mythe individuel du névrosé. Parce que dans le mythe individuel de névrosé, parler du mythème dans la névrose obsessionnelle, c’était une manière, non pas de faire simplement chic, mais d’attraper de façon extrêmement judicieuse ce que Lévi-Strauss avait parfaitement bien capté, à savoir que dans la production d’un mythe, c’est l’inexplicable attrapé dans une certaine tension – le cru et le cuit -, qui va être remplacé par l’inexplicable attrapé dans une autre tension – du miel au cendre – qui va être remplacé par etc, etc, etc. Que tout un système mythique, c’est tout un système qui déplace les contradictions autour d’un impossible, d’un point impossible. Et c’est là où justement, à la fois on retrouve la profonde vérité de l’analyse de la névrose obsessionnelle chez Freud en terme de représentation par contraste, de contre-volonté – ce que je désire c’est ce que je ne veux pas, ce que je ne veux surtout surtout surtout pas, c’est le critère même de ce que je désire, je ne cesse d’y penser et j’en veux pas : le phénomène même de l’obsession, dans son noyau le plus tenaillant, mais non seulement en récupérant cette qualité descriptive ou phénoménologique de la description freudienne, si vous voulez, mais en même temps en permettant d’en penser la structuration interne. Avec cette idée très curieuse, que c’est la seule manière d’accéder à la contradiction interne du désir. Et c’est ce que j’essaierai la prochaine fois de vous développer.

Questions :

- Dans votre ouvrage que vous avez fait sur l’introduction à l’interprétation du rêve de Freud, vous parlez à la fin aussi, justement, de la névrose obsessionnelle, comme quoi justement ce serait régulateur – même si Freud lui-même n’en parle pas véritablement – de la distinction entre le désir et la contre-volonté, en tout cas de ce que vous semblez dire de ce que Lacan a cherché à faire. Et donc ce serait déjà chez Freud…

- Je pense que la Traumdeutung… il ne faut jamais perdre de vue que la Traumdeutung a été écrit – le seul patient dont Freud parle à Fliess dans la période cruciale, dans la période 1898-1900, c’est " E " dans la correspondance. " E " c’est un obsessionnel, probablement d’ailleurs c’est celui… il en est question d’abord dans la Traumdeutung quand on compare la correspondance avec le texte. Et je crois que… pourquoi la névrose obsessionnelle ça a toujours été l’énigme de la psychanalyse, c’est tout simplement parce que les hystériques on n’a pas besoin de faire des analyses pour les guérir, les gens savaient très très bien qu’on pouvait hypnotiser les hystériques, qu’on pouvait aussi leur suggérer de guérir pendant qu’on y était, ça coûtait pas plus cher. Tandis que les névrosés obsessionnels, essayez de les suggestionner, les névrosés obsessionnels ! C’est la mer à boire ! On peut leur donner des antidépresseurs. Mais essayez de suggestionner un névrosé obsessionnel en lui disant : " et si vous alliez mieux ? " Ça empire aussi sec… il y a quelque chose dans la névrose obsessionnelle qui est – ben dont je vous raconterai quelques épisodes – qui peut d’ailleurs virer au dernier comique, sauf curieusement, c’est comique quand on décrit le mécanisme, mais chaque fois qu’on y instancie un épisode particulier, c’est à pleurer. C’est totalement auto-destructeur. Donc ce n’est pas guérissable par la suggestion. Si ce n’est pas guérissable par la suggestion, la vraie preuve de la pertinence de la psychanalyse n’est pas de soigner les hystériques ; c’est de soigner les obsessionnels. C’est pour ça d’ailleurs que vous lisez dans la littérature courante l’idée que pour s’occuper des obsessionnels, il faut les hystériser. Fastoche ! Si vous hystériser quelqu’un, vous pouvez lui faire n’importe quoi, par exemple le guérir. Fugitivement, mais enfin ça suffit pour s’en vanter. Traiter la névrose obsessionnelle, en tant que névrose obsessionnelle, c’est-à-dire pas en produisant un espèce d’univers imaginaire dans lequel la suggestion va devenir possible, mais en allant explorer le noyau de la relation transférentielle de l’obsessionnel, de son rapport à la contre-volonté, c’est autre chose. Un obsessionnel, c’est quelqu’un qui vous demande de lui donner des ordres, pour qu’il se sente libre de vous désobéir, avec cet espèce de phénomène fondamental des névrosés obsessionnels, c’est que se sont des gens qui vous ligotent totalement. Dites quelque chose, et immédiatement vous aurez tort. Ça va produire non pas obligatoirement l’effet contraire, mais même si ça produit le bon effet, ce sera à contre-cœur. Forcez-moi à être libre, pour que je puisse vous désobéir. C’est un dispositif comme ça, dans lequel on voit très bien que c’est un rapport de maître à esclave qui s’est goupillé de manière telle, que tant qu’on n’a pas persuadé l’obsessionnel que le maître est mort, c’est fichu. Et allez persuader un obsessionnel que le maître est mort… C’est la mère à boire !

C’est ça qui est le vrai dispositif, c’est-à-dire d’essayer de comprendre comment se produisent les déplacements de contradiction à l'intérieur desquels on peut s’enliser dans un rapport psychothérapeutique, avec l’obsessionnel. Une théorie du signifiant, ça ne se valide peut-être que dans la cure de la névrose obsessionnelle. Car dans toutes les formations de rêve, de récits de rêve – et encore, quand il rêve, tout le monde n’a pas cette chance, d’avoir des obsessionnels qui rêvent – mais quand ils rêvent, quand ils font des actes manqués, quand ils font des choses comme ça, il faut essayer d’attraper la contradiction, puis essayer de voir s’il n’y a pas un déplacement de cette contradiction, avec comme issue (comme issue?), c’est qu’il y a extrêmement peu de jeu autre que le déplacement même des contradictions. Finalement, le déplacement des contradictions, la construction du mythe individuel du névrosé, comme dit Lacan, qui est la condition pour voir s’il y a quelque chose à faire, pose la question de savoir si on peut introduire là-dedans un élément perturbateur dont la perlaboration aboutira à lever éventuellement tel ou tel type d’inhibition. C’est pour ça que le bon conseil technique à donner devant les névrosés obsessionnels c'est : surprenez-les ! La surprise est la meilleure chose qui soulage les obsessionnels. Surprendre un obsessionnel, ça veut dire quoi en réalité ? Ça ne veut pas dire entrer dans le système de contradiction au point qu’il ne sait plus comment faire pour faire fonctionner la contradiction. Mais c’est certainement le genre de patient avec lequel il y a le plus besoin d’esprit. Fondamentalement, c’est là où le Witz a son efficace ; c’est les seuls patients dans lesquels on peut, toc, on peut ponctuellement réussir comme ça à bouger les choses.

- Ce n’est pas ça qu’a découvert Watzlawick, alors ?

- Vous pensez aux théories de Palo-Alto, de la communication…

- Oui. Parce qu’il y a cette façon… de dire : " allez plus mal "…

- Oui, mais alors ça il faut pas trop essayer, quand même. Je veux dire...

- Enfin eux, en tout cas, ils s’en vantaient.

- Oui, il y a une gestion des paradoxes de la communication, mais c’est quand même associé fondamentalement à des pathologies genre schizophrénie, dans lesquels il n’y a pas de jouissance conservée à l’intérieur de la contradiction. Ce sont des troubles de l’association. Alors effectivement ça peut gérer des rapports humains au niveau de l’échange, c’est-à-dire en prenant la personne totale en lui disant : " allez plus mal ", pour qu’il aille mieux . Mais à aucun moment ça va entrer dans le grain de la vie mentale qui est ce qui spécifie que telle personne est ce qu’elle est. C’est-à-dire des associations à proprement que font les névrosés obsessionnels quand ils arrivent à associer… Mais effectivement, toute l’interprétation que je fais de la Traumdeutung repose sur cette idée que contrairement à ce qu’on raconte souvent, l’association n’est absolument pas par ressemblance et déplacement. Ce n’est pas l’association humienne. Elle est réservée à un truc extrêmement particulier, l’association humienne, à l’intérieur de la Traumdeutung ; l’association essentielle, c’est l’association de Frédéric Paulhan, c’est l’association par contraste. C’est dans l’association par contraste, que s’investit le jeu du désir et de la contre-volonté. Ce que je désire, c’est ce dont je ne veux pas. C’est la seule chose qui légitime l’idée que lorsque quelqu’un vous dit " blanc ", il faut entendre " noir ", dans certains contexte précis. Et que c’est vraiment dans ce sens là qu’il y a une cohérence forte de l’association. On n’évitera pas, d’ailleurs, vous voyez bien, on n’évitera pas la logique. Parce que pour qu’il y ait de la contrariété ou contradiction, il y a de la sémantique. C’est-à-dire il y a une référence ou signe, à quelque chose. Impossible de penser la contradiction….. Chez Lacan, la notion de signifiant… il est tellement soucieux de déplacer la question au sens le plus trivial qu’il insiste sur la notion de signifiant en déstratifiant ces nuances - de la signification, de l’effet de sens, et du sens au sens de signifiant.

- Et ça, c’est un effet de son nominalisme, comme vous le disiez l’année dernière ?

- Alors le nominalisme de Lacan… Comme dit Hacking, il y a deux nominalismes. Il y a le nominalisme des premières années de philosophie qui consiste à croire que les choses sont les noms qu’on leur donne. Et qu’il suffit d’appeler les choses autrement et elles sont différentes. Ça c’est le nominalisme qui est en réalité un essentialisme qui consiste à dire que les noms sont les véritables essences des choses. Et il y a le nominalisme fin, qui est le sien, celui de Goodman, qui consiste à dire que les choses ne se ressemblent pas avant d’avoir reçu un nom. C’est tout à fait différent. Le nominalisme d’Occam, c’est ça : aucune chose ne ressemble à une autre, si elle n’a d’abord reçu un nom. Et que les ressemblances à l’intérieur d’une classe ne sont pas les produits mystiques de la différence entre les éléments, c’est le fait qu’on leur a donné un nom. Ça c’est le nominalisme de Lacan. Avec cette distinction extrêmement particulière, c’est qu’il y a quand même quelque chose qui chez Lacan, est une ressemblance qui préexiste au langage, et qui n’existe que pour une seule chose, c’est mon image. C’est-à-dire que le seul point d’ancrage imaginaire, où il y a de la ressemblance avant le langage, c’est mon image. Et le problème c’est que ça ressemble tellement que mon image est partout ! Que dans certains phénomènes d’explosion de la dimension langagière, je peux littéralement me voir partout (le Capgras ou le Fregoli). Ça, ça introduit un élément de restriction extrêmement important, hein, l’idée que mon image, c’est la seule ressemblance qui existe avant le langage. Mais sinon, tout ça ne sont des livres que parce qu’il y a " livre ". Et nous ne sommes des hommes que parce qu’il y a le mot homme. Donc c’est ça la limite du nominalisme, à mon avis, chez Lacan. Il y a quand même de la ressemblance qui existe avant le mot, mais une seule chose : mon image.

- Image à entendre au sens image visuelle ? Parce que dans ce cas-là…

- C’est compliqué… chez l’aveugle …

- Voilà, vous avez tout à fait raison. Vous savez qu’il y a des gens qui ont des déficiences sensorielles particulières, c’est tout à fait étrange, moi je n’ai jamais eu de patients comme ça. Il y a ici des psychiatres qui ont bossé avec des sourds. Les sourds, les paranoïaques sourds, c’est extrêmement impressionnant. Le cas le plus pur de syndrome interprétatif que décrivent Sérieux et Capgras, c’est un gars qui était totalement sourd, congénital. C’est-à-dire qu’effectivement, vous êtes immergé dans le sous-entendu. Au sens le plus anéantissant : tout est sous-entendu. Vous savez que les sourds sont très susceptibles, déjà, et le moment de franchissement est parfois peut-être plus facile pour eux. Les aveugles… je crois qu’il y a beaucoup de choses de ce que nous avons l’image visuelle qui est kinesthésique. L’application de la peau est essentielle. Je crois qu’il y a des phénomènes d’application de la peau et, quand j’ai les yeux fermés, de production de l’image de mon corps par la rétroaction de mes sensations tactiles et de mes sensations musculaires, qui sont essentielles chez le nourrisson, qui fait que quand il a une mauvaise motricité, il y a des choses qui vont pas bien se goupiller quelque part, sauf s’il y a suffisamment de redondances, mais qui est déjà de l’ordre de l’image. Par exemple quand je me sens dans ma motricité – les enfants qui peuvent sentir le poids de leur corps, etc – c’est de la production d’une image. C’est pas une image avec le caractère de la plasticité d’une forme, néanmoins c’est une image ; on n’a pas tord de parler d’image kinesthésique. Bon, cela dit… j’en sais rien ! C’est pas parce que quelqu’un est aveugle qu’il est dépourvu de stade du miroir. D’ailleurs, hein, dans la description princeps de Lacan, l’enfant est dans les bras de la mère.

- Et après il rajoute un trou, en plus, je crois.

- Il y rajoute un trou, et quand la petite fille se passe la main sur le sexe, elle se passe la main sur le sexe. C’est-à-dire qu’elle ne peut réaliser que c’est son image qu’en s’éprouvant dans la motricité vis-à-vis de cette image… On en reste là ?