Epistémologie génétique

Psychologie, philosophie de la connaissance, épistémologie

Synthèse de la philosophie de la science et de la théorie de la connaissance opérée sur des bases évolutionnistes à partir de la psychologie du développement.

L'idée d'une théorie de la connaissance articulée à la fois à l'évolutionnisme et à la psychologie du développement remonte à James Baldwin et Stanley Hall. Mais le renouveau du projet chez Piaget, dans les années 50, se distingue des ambitions philosophiques du 19ème siècle par son recours à une psychologie génétique assise sur de solides bases expérimentales, une prise en compte de la critique du psychologisme en logique, et une idée d'évolution moins biologique que historique. La conjugaison de ces trois facteurs d'explication des structures de l'esprit est d'ailleurs une des principales sources d'inspiration du cognitivisme contemporain.

Comment naissent les concepts scientifiques dans l'esprit humain? Plutôt que de répondre par l'histoire des sciences, Piaget propose d'appliquer au problème sa théorie des stades en psychologie de l'enfant en invoquant deux postulats: 1) l'identité de but de l'enfant et du savant (la connaissance objective); 2) la récapitulation de la phylogenèse par l'ontogenèse (dans une perspective évolutionnaire). Reprenant à Comte le motif de la hiérarchie des sciences, Piaget l'adapte. C'est désormais la psychologie qui en occupe le sommet. Mais elle en est aussi la base, puisqu'elle a pour objet l'explication des compétences logico-mathématiques des individus, et de leur mode d'acquisition, compétences qui sont, comme chez Comte, la condition intiale du système des sciences, mais aussi l'adaptation la plus parfaite à un réel en mouvement saisi et stabilisé dans ses formes abstraites (groupes de transformation, morphismes, théorie des catégories), lesquelles témoignent d'une capacité humaine ultime à la manipulation mentale. Piaget parle ainsi non de hiérarchie, mais de "cercle des sciences": le sujet de la connaissance y devient l'objet ultime de la connaissance, dans les termes de l'objectivité scientifique. La psychologie expérimentale de l'acquisition des processus de raisonnement mathématiques les plus raffinés en est la pierre de touche.

L'épistémologie génétique se heurte à deux obstacles. Elle suppose tout d'abord une intégration lisse des stades successifs d'acquisition des compétences, qui, si elle prend pour point de repère le progrès historique dans les sciences, en met de côté les ruptures, ou les impasses culturelles, qui n'y sont pas moins manifestes. La téléologie formaliste qui l'anime, rendue possible du fait que l'histoire des mathématiques est moins irrégulière que d'autres, débouche ensuite sur un problème de circularité argumentative que l'expression "cercle des sciences" revient à nier. Si l'on ne veut pas réduire, en effet, les formalismes hyperabstraits des mathématiques à des énoncés purement analytiques, il faut encore prouver qu'ils dérivent effectivement de notre appareil cognitif et de ses stratégies évolutives. Mais pureté logique et explication naturaliste sont en conflit notoire (dilemme de Benaceraf): ce qu'on gagne sur un tableau est perdu sur l'autre. Piaget, en faisant à tous les stades intermédiaires l'hypothèse qu'ils servent à la maîtrise d'une rationalité logico-formelle complète, tend à introduire subrepticement cette dernière dans ses propres prémices: les compétences psychomotrices prédiscursives sont chez lui toujours déjà intellectuelles. Du coup, comment décider si le "cercle" de Piaget est un vice du raisonnement ou une découverte empirique?

Cognitivisme, Comte

Piaget J., L'épistémologie génétique, Paris, 1970.

Geber B.A., Piaget and Knowing Studies in Genetic Epistemology, Londres, 1977.