Intelligence

Psychologie

Ensemble des fonctions psychologiques d'adaptation pratique aux situations nouvelles qui mobilisent des compétences abstraites dans le traitement des problèmes.

Notion à réduire par excellence dans une analyse psychologique, l'intelligence a été historiquement appréhendée, de façon informelle, par opposition à deux notions également vagues: l'instinct, qui a une valeur adaptative pratique mais n'exige pas de capacités abstraites, et l'automatisme, qui peut inclure des tâches psychologiques de haut niveau (le calcul), mais qui exclut la nouveauté. L'intelligence s'est ainsi trouvée dès le départ l'enjeu d'une théorie matérialiste de la pensée et, notamment, a été intégrée à la psychologie positiviste par le biais de la pathologie qui se déduit de sa proximité à ces deux contraires; ce fut la démarche de Taine. Binet, en mesurant un quotient d'intelligence global débarrassé de la référence à des facultés mentales et à leur architecture interne, a définitivement périmé cette façon de voir.

La réduction de l'intelligence à un objet psychologique normalisé a suivi deux voies. Par l'analyse factorielle (Spearman) des tests, la psychométrie a proposé diverses théories structurelles. Mais le "facteur G" (l'intelligence générale) dégagé par les tests correspond-il à une réalité mentale, ou, bien plutôt, à un effet de réalité à l'horizon produit par l'analyse mathématique? On peut aussi, à rebours des théories structurelles (comme les "schèmes" de Piaget, qui supposent une intégration rigide stade par stade des compétences intellectuelles), envisager l'intelligence en termes de stratégies cognitives dynamiques. La dimension pratique est capitale, en ce cas, et l'intelligence non-verbale des animaux un bon point de repère. Kölher, dans cet esprit, a étudié la maîtrise des "détours" chez les chimpanzés pour atteindre leurs buts. Mais si l'on parle alors de "résolution de problèmes", n'est-ce pas parce que notre modèle explicatif de l'intelligence animale s'y réfère et en projette la réalité dans l'objet modélisé? Et comment négliger l'anthropomorphisme foncier de notre idée d'une intelligence autre que la nôtre?

Si l'on objecte que la définition psychologique de l'intelligence est obérée par celle des attentes sociales relatives aux aptitudes requises (c'est une disqualification traditionnelle des tests de QI), on peut répondre en dégageant chez l'animal le degré de complexité minimale exigé pour traiter les informations pertinentes pour un plan d'action. Les bases sensori-motrices de l'intelligence (Piaget) ont ici une fonction cardinale. Car sans qu'ils jouissent de la pensée abstraite humaine, on est obligé d'attribuer aux animaux l'usage de formats quasi représentationnels (donc quasi abstraits) pour traiter les perceptions, quand ils sont confrontés à la pression de la sélection naturelle. Etendu à l'homme, le jeu de ces modules cognitifs donne une base individuelle stricte à l'intelligence, base que présuppose sa vie de relation. On peut aussi, en même temps; mimer l'intelligence au moyen de "moteurs d'inférences" logiques et informatiques, et la comparer à des déficits connus. Le biais sociologique est ainsi réduit.

Il reste qu'on peut se demander si l'application uniforme du terme d'intelligence à des processus mentaux si différents puise sa légitimité ailleurs que dans l'espoir de donner un objet fédérateur à des techniques de mesure et de contrôle des performances en situation instable, techniques qui en disent long sur notre situation historique et anthropologique.

Automatisme psychologique, cognition, instinct, psychométrie

Martin O., La mesure de l'esprit, Paris, 1997.

Piaget J., Naissance de l'intelligence chez l'enfant, 9ème éd., Paris, 1994.

Taine H., De l'intelligence, Paris, 1870.