Bion | Lacan
Je
vais ce soir essayer de rassembler les points principaux auxquels j’ai pensés.
Je n’ai pas fait quelque chose d’extrêmement long, mais j’ai fait quelque
chose d’un peu serré sur Poincaré pour revenir au point de départ du séminaire
de cette année, parce que je crois que ce que j’apporte sur Poincaré, c’est
exégétiquement nouveau, ce n’est nulle part dans la littérature actuelle sur
Bion. Je crois aussi que ça permet de comprendre un certain type de tension
qui nous intéresse vraiment dans la pratique de l’analyse. Le texte que je
vais écrire pour la postface des derniers écrits de Bion qui vont être publiés,
s’appellera probablement « Bion, "épistémologue" », et
je mettrai ça entre guillemets, je vais vous dire pourquoi. Je pense aussi
que je mettrai en exergue la phrase de Lacan sur la psychanalyse qui est un
délire dont on attend qu'il devienne une science, qui me paraît indiquer les
extrêmes entre lesquelles les choses se passent. J’ai donc renoncé à écrire
« Bion | Lacan » avec un foncteur de Scheffer, ce qu’on traduit
souvent en langage ordinaire par « ni… ni… », ni Bion ni Lacan,
parce qu’un foncteur de Scheffer est en fait un foncteur positif : ce
n’est pas « ni Bion ni Lacan », mais « il n’est pas vrai que
à la fois (Bion et Lacan) ». Et c’est ça que je voulais introduire :
c’est le type de décalage sur lequel j’ai travaillé toute cette année, qui
permet justement d’avoir un autre regard sur la manière dont la question de
la radicalité de l’expérience analytique se pose chez l’un comme chez l’autre.
Le
premier point que je voulais aborder ce soir, c’est le statut des exemples
cliniques que je vous ai donnés. Vous savez que dans ce séminaire, je raconte
rarement des histoires détaillées. C’est un problème. C’est un problème, parce
qu’il y a vraiment dans la littérature contemporaine sur Bion, une grande
difficulté qui est le fait que les gens qui parlent de Bion ou qui l’expliquent
cherchent à produire des vignettes qui exemplifient les concepts dont il se
sert, en sortant de leur clinique des situations qui leur font penser à telle
ou telle relation conceptuelle que Bion a construit. Ils proposent en quelque
sorte des modèles sémantiques, pour la syntaxe de Bion. En logique, on prend
souvent les propriétés arithmétiques pour modéliser les énoncés de la logique
des prédicats – quelque soit x, il existe y tel que… –, et il suffit de remplacer
x et y par des entiers naturels, et avec des propriétés tirées de l’arithmétique
élémentaire, pour que les relations se trouvent exemplifiées. L’arithmétique
est un des modèles naturels de la syntaxe logique. Ce à quoi on a affaire
en général avec les exemplifications cliniques, c’est à ça : chacun produit
une illustration particulière qui instancie les relations conceptuelles tirées
de la théorie de Bion. Et c’est vrai qu’effectivement, il faut pouvoir voir
ce que ça peut vouloir dire. C’est pour ça que j’ai insisté sur les deux cas,
ceux du jeune schizophrène et du déclenchement de psychose probablement paranoïaque
dans mon cabinet, parce que d’une certaine manière on est bien obligé de fournir
un peu de chair à un certain nombre de concepts, sauf que j’ai quand même
essayé de faire valoir que ça rejaillit sur la manière dont on comprend les
concepts, notamment le lien entre l’identification projective et l’objet partiel :
c’est quelque chose qui apparaît de manière assez spectaculaire, au moins
dans le deuxième cas.
Celui qui a le plus fait d’effort pour ne pas réduire son commentaire à des exemplifications cliniques, c’est Donald Meltzer, comme vous savez, dans le troisième volume de son Kleinian Development [1] . Meltzer était un ami de Bion, qui a sans doute à la suite de discussions personnelles audacieusement essayé d’attraper quelque chose de la dynamique de cette conceptualité bionienne. Mais en fait, ce que je voudrais essayer de dégager dans mon travail, c’est ce qui se passe si vous acceptez cette dynamique conceptuelle pour elle-même, non pas comme quelque chose qui a besoin d’être exemplifié, mais une chose qu’on peut faire travailler par elle-même, qui modifie en quelque sorte votre attitude à l’égard des notions psychanalytiques en les laissant se déplacer, sans que vous ayez nécessairement besoin de figer la dynamique de la conceptualité bionienne sur les exemples cliniques dans lesquels on les pétrifie. C’est pour ça que je prenais l’exemple de l’arithmétique et de la logique des prédicats du second ordre. Bien évidemment, des prédicats du second ordre peuvent opérer avec des choses beaucoup plus compliquées ou tout à fait différentes que les entiers naturels et les lois de l’arithmétique. Donc c’est un peu ça que je voulais voir : si on va jusqu’au bout de ces deux choses que propose Bion, d’introduire un degré d’abstraction considérable – c’est beaucoup plus abstrait que tout ce qui a été tenté, c’est une reconstruction de la pensée de Freud et de Melanie Klein à partir de ces éléments et de ces mécanismes, et d’autre part en insistant sur la générativité, c’est-à-dire que ce qui importe à Bion, c’est de capter des transformations, des transformations qui transforment non seulement le patient mais aussi l’analyste, et ces transformations transforment elles-mêmes en dernière analyse, la psychanalyse. Le but – et c’est ce sur quoi je terminerai, car c’est sur quoi la transformation que Bion lui-même a subi dans la construction de sa théorie, c’est-à-dire comment se transformant lui-même à travers les différentes étapes qu’il raconte dans sa biographie, de livres en livres, il finit par abandonner la grille, etc. En ce sens, cette générativité est au service d’une transformation de la psychanalyse à l’intérieur même de son propre mouvement. Comment rapporter les textes invraisemblables de Transformations ou des Eléments aux différents textes autobiographiques de Bion ?
Je connais une des personnes qui les traduit, et si vous n’êtes pas de langue
maternelle anglaise, c’est infaisable, car souvent ce sont des textes joyciens,
un peu comme Finnegans Wake, il y a une affinité entre Bion et ce type
de littérature. Ce sont d’extraordinaires collages juxtaposés de citations,
donc si vous ne connaissez pas dans la littérature anglaise, dans les mystiques
du 17ème siècle ou dans Milton, dans Freud et Lacan, dans des souvenirs
de guerre, on ne voit pas très bien comment le texte est construit, c’est
une sorte de Lewis Carroll bizarroïde et un peu fou, et il faudrait quasiment
des notes à chaque phrase pour reconstituer comment c’est fait. Or, si vous
vous rappelez ce que je vous ai raconté de la manière dont Bion pense que
l’analyste doit opérer, c’est-à-dire en conservant des notes – la notation
sur la grille, c’est une pratique qui est impliquée ici – il s’agit de retenir
les phrases, les énoncés, les fragments de rêve, les bouts de théorie, les
vers de tel ou tel poète, les situations que vous avez vécues, de façon à
pouvoir voir avec quoi vous pensez, pour capter dans vos pensées ce avec quoi
vous pensez. On a comme ça une sorte de mise en vis-à-vis d’une théorie extrêmement
abstraite de la façon dont nous pouvons noter ce qui au départ se présente
comme des impressions verbales dans la mémoire, de tel bout de rêve, de tel
mot entendu, de tel souvenir, et comment s’ajustant les uns dans les autres,
se produit cet appareil psychique qui se met à engrener, et grâce auquel devient
possible une expérience qui est celle que Bion raconte (autrement dit, A Memoir
of the Future), c’est-à-dire des textes qui reflètent la croissance d’un
appareil psychique. Donc la chose la plus bizarre, la plus singulière, la
plus étrange, la plus folle, car du coup vous approchez la manière, même si
ça ressemble à du Joyce parfois, à une biographie auto-fictionnelle, vient
fonctionner, devient opératoire, et sa clé pour Bion lui-même a été la grille.
Et c’est en ce sens qu’on sent bien – même si c’est un peu confus, je vais
essayer de dire les différents points sur lesquels ça peut s’articuler – les
différents Bion, qui sont souvent chez les commentateurs rapportés aux moments
de sa vie – quand il est à Los Angeles, quand il est en Angleterre, etc.,
on rapporte tout ça à des facteurs extérieurs. Mais il est tout à fait possible
en réalité qu’il y ait là une conscience de la contingence extraordinaire,
du bricolage qu’est le mental, qu’est le psychique. J’aime bien cette notion
de bricolage, et vous en connaissez sans doute l’usage chez Lévi-Strauss pour
penser le structuralisme : on fait avec ce qui se trouve, on bricole
avec ce qu’on rencontre au fur et à mesure.
Je
crois en ce sens que vous avez chez Bion une évolution qui n’est pas sans résonner
avec le moment où Lacan va laisser derrière lui l’intelligibilité structurale
qu’il a commencée à donner à la psychanalyse, le moment où il laisse tomber le
graphe, où il introduit la notion de nœud, où il va s’intéresser à Joyce mais
aussi à Beckett – mais c’est pour des raisons un peu différentes, évidemment.
Il
y a une évolution qui m’a frappée, mais que j’indique juste allusivement, c’est
que le commun devenir de ces deux expériences de psychanalyste, c’est d’aller
vers un point dans lequel ce qu’on essaie de penser, c’est l’immanence radicale
de l’expérience analytique. Qu’il s’agisse d’introduire le réel et de faire
chez Lacan une pensée du réel qui introduit toute une paradoxologie
extravagante, ou bien qu’il s’agisse chez Bion d’aller vers O, ce qui a été
systématiquement interprété, exactement comme chez Lacan, comme une sorte de
déviation religieuse de la psychanalyse – exactement comme le nœud
borroméen : c’est la trinité, c’est parce que Lacan était
catholique ! Même l’espace mental O chez Bion est interprété à travers le
filtre du bouddhisme, de l’expérience mystique, puisque de fait Bion
s’intéresse énormément à Maître Eckhart, etc. Je dirai un mot tout à l’heure de
cela. Ces deux psychanalystes ont tenté de capter ce qui dépsychologise
complètement la psychanalyse. La dépsychologiser, c’est sortir de cette
séparation fondamentale qu’il y aurait entre un psychisme et un monde
extérieur, la dernière trace de l’organisation psychologique sujet / objet, et
penser ce qui fait que justement il n’y a pas sujet / objet, il n’y a pas
psychisme / monde extérieur, il n’y a pas épreuve de réalité / fantasme venant
de l’intérieur de l’organisme, du fait que l’expérience analytique nous place
dans une immanence tout à fait différente qui est très difficile à capter.
Chaque fois que l’un et l’autre ont essayé de le faire, on a tout de suite dit
que c’est de la transcendance, c’est Dieu, l’Esprit, etc. La petite monnaie de
la pièce, vous l’avez aujourd’hui, puisque l’objet religieux de la psychanalyse
contemporaine, c’est la subjectivité, la chose sacrée puisqu’on réintroduit au
nom de la psychanalyse une sorte de sacré laïque pas cher : la
subjectivité, qui comme vous le savez, serait abominablement massacrée par des
méchants scientistes. Donc, tout ce que Lacan a essayé de faire pour montrer
que la psychanalyse n’avait rien à voir avec la sauvegarde de la subjectivité
dans un monde cruel, pour procéder à une modification extrêmement profonde du
rapport que nous avons avec les objets dits mentaux et psychiques, est entièrement
passé à l’as.
Pourquoi
« Bion "épistémologue" », donc ?
Parce
que pour obtenir cette double puissance d’abstraction et cette générativité de
la théorie qui est corrélative de la croissance du psychisme – la théorie ne
croît qu’à mesure où vous êtes vous-mêmes capables de penser autrement vos pensées
– eh bien, il s’est appuyé sur des considérations épistémologiques
fondamentales. En Anglais, epistemology n’est justement pas
l’épistémologie. L’epistemology, c’est la theorie of knowledge,
c’est la théorie de la connaissance, et elle est chez Bion explicitement
référée comme dans toute la tradition britannique, à Hume. La notion de
conjonction constante selon l’habitude chez Bion renvoie à la théorie de la
causalité chez Hume, elle est également articulée à Poincaré, et bien que je
n’ai pas beaucoup insisté là-dessus même si j’en ai parlé cette année, au
positivisme logique qu’il connaissait. Nous, nous connaissons bien Hempel parce
qu’il est traduit en français, mais à l’époque Breathwaite était beaucoup lu.
Lorsque vous me voyez faire référence à Ayer, Wittgenstein, Austin, etc., dans
les textes de Breathwaite par exemple, cette discussion sur le positivisme
logique est une discussion qui est très ordinaire, et qui ne pouvait qu’être
répandu dans le milieu intellectuel de Bion. Ce n’est pas du tout quelque chose
que je viendrais coller sur le texte. Il a notamment beaucoup lu quelqu’un de
pas très connu, Ian Ramsey, un évêque, qui a fait des travaux extrêmement
intéressants sur la question de la religion puisque la grande question des
théologiens de l’époque, qui sont élevés à Cambridge et à Oxford, c’est : que
faire des thèses de Ayer comme quoi « God exists » est
une phrase qui n’a aucun sens ? Ces discussions qui n’ont pas traversé la
Manche mais qui étaient extrêmement vives à l’époque, portaient sur le point de
savoir comment les piliers de la culture pouvaient résister à des mises en
cause par le positivisme logique selon lequel un certain nombre d’énoncés
fondamentaux pour l’existence n’avait plus de sens, et c’était pris avec
beaucoup de sérieux. Il n’y a pas d’existentialisme en Grande-Bretagne !
Il n’y a pas de phénoménologie, vous n’êtes pas dans cette constellation
intellectuelle, et les réponses qui sont produites devant le positivisme logique
sont d’autant plus lointaines, pour nous. Bion, par exemple, s’est fortement
inspiré de certaines réponses théologiques dont celle de Ian Ramsey – ce n’est
pas le Ramsey des probabilités du calcul de la décidabilité, ce n’est pas l’ami
de Keynes ou de Wittgenstein, c’est un théologien tout à fait différent, mais
dans les travaux duquel vous trouvez cité tous les travaux d’auteurs dont j’ai
parlé.
La
deuxième chose que je voulais dire sur cet « épistémologue », c’était
faire référence à une autre dimension d’épistémologie, qui est le problème de
l’épistémophilie. Ce problème, dans le courant kleinien, c’est dans le texte de
1931 sur l’inhibition intellectuelle, le moment où Mélanie Klein va introduire
une version très originale et personnelle de la pulsion de savoir, la pulsion
épistémophile, du Wisstriebe qu’on trouve un peu chez Freud, et dans une
perspective qui est psychogénétique. Je vous rappelle que la perspective
psychogénétique de Melanie Klein dans ces années-là est très simple :
qu’est-ce qu’on fait des enfants qui ne veulent pas apprendre ? Si vous
avez une approche cohérente par rapport au jeu des pulsions et à l’acquisition
de leurs différents objets, il y a une interprétation à faire de cette
inhibition intellectuelle qui est un problème pédopsychiatrique bien connu.
L’agrammatisme chez les enfants, c’est vrai un poison, c’est extrêmement
difficile à soigner. Il y a donc eu des réflexions qui tendaient à insérer le
rapport au savoir dans le développement de l’appareil psychique, et à faire de l’inhibition
intellectuelle une inhibition du moi, mais se rapportant à des tâches qui sont
désexualisées. L’originalité de la position de Bion par rapport à cette
inhibition intellectuelle, c’est d’introduire au fond, outre l’instinct de vie
et l’instinct de mort, l’instinct de savoir. Vous avec L pour love, H
pour hate et K pour knowledge – on voit très bien que L c’est la
pulsion de vie, que H c’est-à-dire la pulsion de mort au sens kleinien – et Bion
y ajoute à parité une entité autonome qui est K, qui est le savoir. A ce
moment-là, on se trouve en quelque sorte délivré de la tâche d’une sorte de
déduction psychogénétique de l’acquisition des capacités intellectuelles, en
faisant de K une constante qui se distribue à la fois dans tous les stades du
développement des enfants, et qui devient indépendant de cette psychogénèse de
la vie mentale de l’être humain. Et ça se rapporte – c’est ça un peu
l’opération magique, par postulation, que fait Bion – beaucoup plus à
l’alternance des positions schizoparanoïdes/dépressives, puisque c’est ce qui
permet dans cette mécanistique des positions schizoparanoïdes/dépressives de
rapporter K à la constitution des contenants. Et K c’est ce qui contient les
contenus sous la forme d’un symbole et de symboles de symboles – puisqu’il
l’écrit ♂♀ – et le K s’écrit sous la forme du symbole féminin
puissance n – c’est-à-dire ♀n – ce sont des contenants de contenants de
contenants pour des contenus de contenus emboîtés. Et c’est ce dispositif K
dont le gradient se parcourt sur l’axe horizontal de la grille, l’alternance
des stades schizoparanoïdes et des dépressions étant sur l’axe vertical[2].
En
tout cas, que veut dire cette idée de contenant ?
Cette
idée, il ne faut pas la penser sous la forme de la boule qui contient des
choses, ou une figure projetée de notre corps où le contenant serait la figure
du vase ou des choses de ce genre. Le contenant, on devrait plutôt dire le « limitant »
à mon avis, ce serait plus cohérent avec ce que Bion raconte. C’est le
limitant, c’est-à-dire que c’est ce dans quoi se joue fondamentalement la
question de la castration. Et c’est la raison pour laquelle il note bien, avec
le symbole masculin et féminin – ce n’est pas du tout parce qu’il y a une
oblitération de la dimension sexuelle chez Bion, c’est parce que le lieu où
elle se passe, le bornage qui s’appelle la castration est indiqué dans le
type de rapport qu’il peut y avoir entre un limitant et un limité qui est noté
et qui est constamment sexuel. D’où le fait qu’il utilise le type de symbolique
sexuel : c’est là où passe l’enjeu. C’est la question (tellement typique
de l’intuitionnisme mathématique, des souvenirs de Poincaré, déjà) de savoir
comment on peut produire, pour des contenus infinis, des contenants finis.
Comment est-ce qu’un nombre infini de pensées, de sensations, d’émotions, peut
être borné, en sorte que nous en ayons une représentation finie, quelque chose
qui puisse passer dans un langage, se communiquer et éventuellement être un
contenu de conscience ? Car ce n’est pas non plus un point qui est bien vu
des commentateurs de Bion, mais son but est de remplacer l’opposition
inconscient / conscient par une opposition infini / fini. C’est ça la vraie
difficulté et c’est ce à quoi nous expose le délire psychotique. Quand on dit
qu’il met une infinité insaisissable de dehors sur la table, c’est justement
qu’il manque ce bornage. Je dis « castration » parce que le point est
le suivant. C’est très difficile lorsqu’on a une culture freudienne ou
lacanienne de se repérer dans Bion, car chez lui castration n’est pas un mot
courant. Tout simplement parce qu’il considère que la question est
réglée : il prend « castration » au sens kleinien, celle que le
ça exerce sur le moi. C’est-à-dire que c’est le fantasme de castration. Chez
les kleiniens, le terme castration n’est utilisé que dans ce registre-là, c’est
un fantasme de castration qui se manifeste en général dans des rêves
abominables, dans ces espèces de représentation d’objets qui viennent couper,
trancher, faire exploser le corps du sujet. C’est tout à fait à l’opposé de cet
usage entièrement original que Lacan tire de sa lecture de Freud, dans lequel
la castration est la symbolisation de l’imaginaire phallique, c’est
l’introduction de cette dimension de Φ, qui vient à la fois symboliser le
phallus et introduire la dimension de la différence sexuelle. Ce en quoi les
deux notions se rejoignent, aussi bien la notion kleinienne et bionienne que la
notion lacanienne, c’est sur le point du bornage réel d’une jouissance infinie.
Le point de la castration est là, c’est : comment une jouissance infinie
peut venir à être bornée ?
Et
la réponse chez Bion, c’est une réponse épistémophilique : c’est une
réponse par le savoir. C’est une réponse dans laquelle la connaissance – to
know est aussi bien savoir que connaître – c’est la preuve qu’un certain
nombre de rapports aux objets qui nous affectent le plus intimement et qui
commandent notre vie pulsionnelle, a atteint une certaine organisation qui est
celle qui nous permet d’avoir un objet sexuel qui est une personne. Voilà la
réponse kleinienne traditionnelle que Bion reprend. A quoi il ajoute que le
problème ici est psychologisé, et en fait l’appareil psychique qui est capable
de ce genre de chose est en outre capable d’avoir un rapport libre à des
objets, et en particulier d’une certaine articulation du fini et de l’infini.
Et ce n’est pas, là, simplement la réponse kleinienne standard de la
possibilité d’avoir accès à un objet sexuel différent qui est une personne.
C’est là où Bion commence à introduire un élément de délire, de folie, dans la
relation à la science, puisque comme vous le savez, il dit très clairement que
les questions sont complètement convergentes entre celles que se posent le
philosophe des sciences et celui que pose la pensée psychotique. La question de
l’infini, de penser et d’être capable de contenir une infinité d’événements et
de situations, c’est la question du rapport du principe de réalité dont la
science dit Freud est l’achèvement – puisque tous les hommes en groupe, ce
qu’on appelle le working group, le groupe de travail, le groupe social
opératoire et efficace, grâce à la science, à la maîtrise symbolique du réel,
de contrôler, de se développer et de croître dans un espace qui sinon leur
serait fondamentalement hostile.
Ça
a deux conséquences.
Si
on construit la grille comme j’ai proposé de le faire, c’est-à-dire comme une
sorte de formalisation du développement sur les Formulations sur les deux
principes, le texte de 1911 de Freud à l’intérieur duquel l’appareil
psychique non seulement se produit chez l’individu, explique les névroses, mais
aussi vous vous rappelez, introduit la dimension de la religion, puis de l’art,
puis de la science, si vous construisez les choses ainsi, vous voyez que
l’activité scientifique est un objet de plein droit de l’analyse de
l’inconscient. C’est-à-dire que le fait que l’appareil psychique produise de la
science, doit être pris autant au sérieux dans une conception psychanalytique
que les critiques plus banales de la religion ou de l’art. Il y a beaucoup
moins de travaux sur la question de savoir ce qu’on peut dire sur le fait que
certaines théories scientifiques nous apprendraient quelque chose sur la genèse
de l’appareil psychique. Il y a des petites remarques qu’on fait de temps en
temps sur la folie de Cantor, sur la psychose de Gödel, qui sont souvent liées
au rapport fini / infini. Il faut savoir que ce n’était pas une chose qui était
en dehors de l’air du temps, puisqu’un des plus profonds épistémologues
britanniques de la période, Gerard Holton, s’est beaucoup intéressé au type de
schémas imaginaires sous-tendant Bohr, Einstein, Kepler, Newton, etc., il a été
l’un des premiers à s’intéresser à la question des rapports chez Newton entre
l’alchimie et la gravitation, ou à la question des harmonies mathématiques chez
Kepler. A l’époque, en Grande-Bretagne, c’était une question qui n’était pas
une question aussi folle qu’elle peut l’être comme ça. La question de
l’imaginaire producteur et des capacités symboliques qui sous-tendent de façon
imaginative – le livre de Holton, c’est Scientific Imagination[3]
– se posait tout à fait en Grande-Bretagne, dans la perspective d’une
contestation du néo-positivisme. Lorsque vous lisez Transformations, il
faut bien se rendre compte que c’est une tentative hyper-abstraite de
participer à un mouvement intellectuel extrêmement précis qui est celui de la
contestation du néo-positivisme à la Ayer, et de ce qui était la norme
oxonienne de l’époque en épistémologie, c’est-à-dire Popper-Lakatos, la
réécriture de toutes les théories scientifiques en sorte qu’elles soient
falsifiables au sens de Popper, avec une tentative, par exemple, de
« corriger » Einstein pour que ça puisse se reconstruire selon les
canons du dit néo-positivisme logique. Vous aviez tout un courant, à l’époque,
qui se disait que ce n’était pas comme ça que se fait l’invention scientifique,
et c’est aussi un courant de pensée qui est lié à un problème que j’ai
mentionné cette année, qui a été le choc de la révélation par Nelson Goodman de
l’impossibilité de formuler une logique de l’induction. A partir du moment où
vous n’avez pas de symétrique entre une logique de la déduction et une logique
de l’induction, que vous ne pouvez pas formaliser l’induction, alors il y a un
élément non logique qui entre en jeu dans l’induction, et cet élément non
logique, la première réponse qui a été donnée par ces empiristes-là, c’est de
se dire : et s’il y avait un moyen de réintroduire la notion
d’imagination, et donc d’imagination scientifique, quelque chose qui n’est pas
lié à la puissance déductive des théories mais à un pouvoir original de
l’esprit ?
Meltzer
dit peu de choses là-dessus, alors même qu’il a fréquenté Bion, et alors même
qu’il suffit de regarder les notes de bas de page, d’ouvrir les auteurs que
cite Bion, pour s’apercevoir qu’on est en plein là-dedans. Ce n’est pas très
difficile à faire, comme travail, pas besoin d’être un érudit. On s’aperçoit
que chez Bion, il y a une prise au sérieux de ce que c’est que l’activité de la
création scientifique comme une manière de voir au plus fin ce qui se passe à
des niveaux inférieurs du fonctionnement de l’appareil psychique, mais qui est
extrêmement opératoire. Et donc il suivait de près l’actualité. Ce qu’on
appelle, par exemple, le raisonnement circulaire, qui consiste à prendre ce
qu’il y a de plus subtile et de plus fin, et de dire qu’après tout, si on a tel
ou tel paradoxe de l’infini chez tel ou tel mathématicien, alors ça nous
apprend quelque chose sur le fonctionnement psychique de la manière dont nous
jouons des symboles et des images à des niveaux de la conception ou de la
préconception sur la grille, et pas au niveau du calcul sur la rangée H ou G de
la grille, c’est-à-dire au niveau du système déductif. Ce sont des clés dont
Bion s’est toujours servies. Si nous sommes capables de produire psychiquement
de la science, c’est peut-être que ce qui se passe en nous est beaucoup plus
sophistiqué et exige un degré de clarification par l’abstraction des opérations
mentales qui sont en nous, tout à fait différent de celui qu’on a l’habitude de
considérer en psychanalyse. C’est en particulier l’une des raisons pour lequel
je ne crois pas qu’il y ait une seule fois référence au mot sublimation dans
Bion ! Bion n’est absolument pas quelqu’un pour qui la science ou la
religion est la sublimation de quoi que ce soit.
La
deuxième conclusion que je voulais tirer de cette approche épistémologique,
c’est qu’elle nous donne non seulement une leçon sur la notion de croissance,
de développement de la pensée, mais elle nous donne des choses beaucoup plus
spéculatives et nous ouvre des fenêtres et des pistes qui me paraissent
beaucoup plus osées.
Vous
vous rappelez la dernière fois de mon développement sur l’histoire de la causalité.
Si je vous ai introduit ce petit excursus sur la causalité, c’est qu’il y
a chez Bion l’idée que le développement historique de l’approfondissement
d’un certain nombre de pensées, le fait qu’il y a une histoire intellectuelle
des sciences, reflète quelque chose de quasi organique – et en ce sens Bion
est extrêmement freudien, c’est de la phylogenèse appliquée comme dans le
texte de 1911 : plus le temps avance, plus les choses s’organisent et
s’approfondissent, et plus on a au niveau de l’espèce humaine, une sorte d’amplification
des moyens de penser, et donc de se défendre des assauts de la réalité, affaire
qui est pris très au sérieux par Freud, un peu comme Brunschvicg qui pensait
que les Grecs et Aristote c’est comme l’enfant qui a 6 ans d’âge mental, puis
Kant et Hegel c’est l’adolescence, et on arrive évidemment à Brunschvicg qui
est l’homme adulte ! Il y avait comme ça dans les années 1930 l’idée
qu’il existe des motifs dans l’histoire de la pensée qui reflètent directement
la croissance des capacités de l’esprit. Si Bion est moins cloche, moins stupide
que cet évolutionnisme des capacités mentales, c’est que ce n’est pas psychogénétique
chez lui, il n’agit pas de considérer que les présocratiques sortent du berceau
tandis que les penseurs du 20ème siècle sont des hommes faits.
Sa question est celle de la croissance, growth, autrement dit de ce
qui se passe quand on est déjà adulte. Qu’est-ce que la croissance d’un adulte,
l’approfondissement de l’expérience érotique d’un adulte ? Elle est évidemment
totalement différente de ce que peut être l’acquisition psychogénétique sur
laquelle les kleiniens ont planché en fonction des différents types de relation
d’objet, du sein à la personne, etc. Mais il y a néanmoins, incontestablement,
chez Bion, une trace de ce freudisme de l’histoire mentale, de l’acquisition
progressive des moyens de survivre à la réalité.
Ce
qui me paraît important à signaler à cet égard, c’est qu’un des lieux
d’application de cette histoire telle que les kleiniens l’ont pensé, c’est la
psychanalyse elle-même. Lorsque Melanie Klein produit avec ses élèves son texte
de rupture de 1946, qu’elle appelle Development of Psychoanalysis, il ne
faut pas entendre ce « développement » comme on fait aujourd’hui des
notules supplémentaires, des commentaires ou des gloses de ce que tout le monde
peut lire chez Freud ou chez Lacan. Il s’agit littéralement de produire des
textes qui amplifient l’espace problématisable par la psychanalyse. Il y a à la
fois une extension du champ des concepts, une refonte complètement de ce champ,
et notamment de la théorie des pulsions, mais en plus il y a une modification
de l’espace problématisable. La question de la polémique avec Anna Freud chez
les enfants ne porte pas seulement sur le juste usage de la pulsion de mort ou
de savoir s’il faut se mettre au service du moi de l’enfant ! Elle porte
sur le fait de savoir si ce que les enfants vivent et expérimentent est
susceptible d’être problématisé psychanalytiquement, et de ce que ça change sur
notre compréhension des cas les plus difficiles. Est-ce qu’on ne peut pas
approfondir de ce qui est traité au titre ordinaire des névroses en
introduisant dans les névrose de transfert – obsession, hystérie, phobie – des
niveaux pré-oedipiens, pré-génitaux, avec des défenses spécifiques que seuls
les enfants peuvent nous apprendre à voir : le clivage, le déni,
l’idéalisation, etc. ? C’est ça le développement de la psychanalyse. A
cette époque, Bion est sur le divan de Melanie Klein, et la question de savoir
comment les kleiniens ont survécu dans la société britannique, ils ont survécu
parce que ce qu’ils proposaient était une extension des concepts (au sens
épistémologique). On modifie leur architecture interne, les phénomènes qu’ils
subsument, etc. C’est dans cet esprit que j’ai essayé de vous montrer que
j’essayais de traiter la grille en termes de diagonalisation, de production de
concepts. A ce moment-là, ce que ça nous apporte – c’est un des points que je
souhaite mentionner dans mon essai sur Bion et sur l’impact que Bion, ainsi,
peut avoir sur nous – c’est que Bion et ses post-kleiniens nous apportent un
critère de ce qui est autre chose que des excroissances monstrueuses de la
psychanalyse, que des proliférations stériles de gloses, mais qui sont vraiment
des expansions de la psychanalyse, des extensions conceptuelles. Et la norme en
est bien évidemment pour nous-mêmes de la transformation de notre appareil
psychique et de ce dont on est censé avoir une intuition qui nous permet de
vérifier si un article, un livre, un propos tenu par un analyste est
véritablement analytique, le critère c’est cela : est-ce que ça augmente
vos capacités à tolérer la frustration et à supporter des transferts
difficiles ? C’est je crois un critère intrinsèquement analytique et d’une
très grande force dans le texte bionien. C’est la question de savoir,
l’expérience que vous faites une fois ce texte lu et incorporé à votre système
de notations psychiques, d’investigations réglant votre attention, etc., est-ce
que vous avez gagné une « pensée pensante », comme je m’exprime,
est-ce que vous avez augmenté la puissance de l’appareil à penser les pensées,
ou pas ? Dit ainsi, je crois qu’on a là un repère extrêmement important de
ce que c’est que lire le texte psychanalytique, que de savoir ce que c’est que
jouer avec les représentations psychanalytiques telles qu’elles se diffusent.
Rappelez-vous que Bion dit que la grille sert aussi à jouer ! Vous pouvez
jouer avec la grille, il y en a un usage à vide, ce travail-là est me
semble-t-il un antidote à la systématisation scolaire, à l’orthodoxie, et bien
évidemment à toutes ces consolidations circulaires et ces systématisations a
posteriori qui aboutissent comme on le voit extrêmement bien autour de nous,
à manifester l’incapacité à saisir l’ouverture intrinsèque de certaines conceptions
psychanalytiques sur d’autres qui n’ont pas encore été pensées, et qui sont
potentiellement à notre horizon (encore un motif fondamental de
l’intuitionnisme, soit dit en passant).
C’est
là à nouveau un point pour lequel je défends très fortement une affinité entre
Bion et Lacan, car il ne faut jamais oublier que Lacan a toujours dit que
tant qu’il n’était pas mort, il pouvait tout changer, et laisser le nez dans
le ruisseau tous ceux qui voudraient finalement que du texte sur La lettre
volée jusqu’aux nœuds borroméens tout ne soit qu’un enchaînement systématique,
que moyennant une dialectique complètement imaginaire on va réussir à tout
homogénéiser !
Au
prix de quoi ?
Au
prix de l’expérience constante que le lacanisme, ce n’est pas un kaléidoscope
qui de manière stérile et comme un faux infini produit du sens, mais à chaque
fois une capacité à remettre en cause complètement ce sur quoi on travaille
dans la situation où Lacan lui-même se mettait en position d’analysant.
Le
critère de la croissance de l’appareil psychique me paraît alors extrêmement
fort, parce qu’il nous permet de comprendre un des propos les plus troublants,
découvert tardivement chez Bion, uniquement quand on a publié Cogitations,
qui est le paragraphe angoissant sur la disparition de la psychanalyse, sur le
fait qu’il n’est pas du tout évident qu’il y ait à jamais des gens pour penser
les pensées psychanalytiques. Ce n’est pas acquis. Vous savez que tout le
mouvement psychanalytique lacanien, parce qu’il se fait une gloire de le
problématiser (mais le problème se pose même chez ceux qui ne le problématisent
pas parce qu’ils font confiance aux institutions), tourne autour de la
transmission de l’analyse. Est-ce que vraiment on vous a transmis l’analyse,
est-ce que ce que vous faîtes c’est vraiment de l’analyse, etc. ? C’est là
une pompe à sottises absolument inépuisable, puisque comme il n’y a pas de
critères, et pas de critère des critères, ça permet d’augmenter l’égarement
général, tandis que la question de la transmission ici me paraît très bien
réglée par ce que dit Bion : c’est qu’il en y a pas ! Le problème de
l’analyse, c’est la contingence absolue de ce qu’on appelle
« transmission de la psychanalyse ».
J’ai
fait un développement dans un travail récent à ce sujet sur lequel je voudrai
un peu insister. C’est qu’à la différence justement de la question kantienne
traditionnelle de la question métaphysique – Kant dit dans la Critique de la
raison pure, l’homme étant l’homme se posera toujours la question des fins
dernières, de la liberté, de l’immortalité de l’âme, etc., et il montre que
c’est lié à la structure prédicative du langage et à la nature des majeures de
nos grands syllogismes, de l’enchaînement de nos concepts, c’est donc conaturel
à l’essence de l’homme que de poser ces questions métaphysiques – il n’est
évidemment absolument pas certain, au contraire, que quiconque s’interroge à
jamais et éternellement sur l’origine sexuelle des symptômes obsessionnels ou
sur les troubles de l’image du corps dans la paranoïa. Du moins, que quiconque soit
capable de faire fonctionner ceci autrement que comme de la philosophie,
c’est-à-dire avec l’idée qu’il y aurait de l’inconscient comme dans l’ordre de
la nature, qui poserait éternellement ce type de questions aux hommes. Ce que dit
très bien Bion, c’est que pour qu’il y ait un transfert opératoire, des gens
qui soient capables de faire fonctionner comme ça une vérité qui va transformer
un gosse, transformer un symptôme, ou qui va calmer une érotomane –, eh bien, c’est
totalement artificiel, c’est entièrement suspendu au fait que vous avez été
analysé par quelqu’un d’autre qui a été analysé par quelqu’un d’autre qui a été
analysé…, etc., avec une contingence absolue sur le fait que ça vous soit passé
à vous.
Cette
contingence absolue, je vous le rappelle, se marque au fait pour Bion que
l’appareil psychique est nominalisé. C’est un détail dont je fais peut-être une
montagne, mais je suis sensible à la remarque sur l’évêque Spooner, et spoonerism,
le contrepet. La plupart des conceptions psychanalytiques sont rattachées à un
nom propre. C’est un mode de fonctionnement qui est annexé sur un nom propre,
comme spoonerism vient de l’évêque Spooner, qui faisait des contrepets
tout le temps. Jean Allouch a fait des remarques pertinentes sur le problème du
nom propre, sur l’indexation de ce que c’est qu’une mutation à l’intérieur du
savoir psychanalytique, passant nécessairement par le fait qu’il y ait quelqu’un
qui s’appelle Lacan, Freud, Melanie Klein, Bion, etc. Et en ce sens, on ne peut
jamais perdre de vue que la grille n’est pas une machine. C’est la machine bionienne.
On est obligé de fabriquer un adjectif sur le nom propre pour comprendre à quel
point il peut y avoir une machine par individu. On lacanise, on bionise, on ne
jonesise pas, notamment. Cet artificialisme fait que la direction d’une cure
didactique est nécessairement orientée vers la question de savoir quel est le
savoir singulier qui peut être rendu opératoire chez quelqu’un. Avec cette
chose tout à fait troublante, qui est qu’une fois cette personne morte, ce
savoir est perdu. Il y a quelque chose qui est radicalement perdu, et c’est
précisément parce que c’est radicalement perdu, que ça suscite comme vous le
savez, autour de ces noms propres, des effets d’émulation et d’imitation qui
quelquefois confinent à la folie ! C’est-à-dire des gens qui causent le
lacanien comme si c’était la structure mentale qui les réglait intimement !
Effectivement, on peut en sourire, à condition de ne pas perdre de vue que le
sage ne sourit pas. C’est une vérité gênante qui indique très précisément de
quoi il s’agit avec l’analyse.
Comment
peut-on donc réussir à raconter que la psychanalyse est là pour amener l’avènement
d’un sujet singulier quand les sujets singuliers produits par l’analyse se
ressemblent comme deux gouttes d’eau, causent de la même manière, se promènent
avec leur dépression post-analytique en bandoulière comme la garantie de leur
compétence et de l’effectuation complète du bon parcours, produisant des
articles tels que si on mélangeait les phrases, on pourrait produire
kaléidoscopiquement, à l’infini, de nouveaux articles greenien, lacanien,
melmanien, allouchien, etc., et se réunissant de manière entièrement
répétitive, pour vous raconter à quel point la passe c’est une expérience de
singularisation du savoir, etc. C’est ça le problème : il faudrait réussir
à ne pas en rire, et à mesurer à quel point l’analyse est un truc dangereux, et
que si ça n’était pas si dangereux, ça ne serait pas thérapeutique.
Il
y a une autre attitude à avoir que sourire. Et cette attitude, c’est celle que
Bion propose.
C’est
que partout où la transmission apparaît pour ce qu’elle est, pour une
impossibilité, d’accepter que ce soit une transformation, c’est-à-dire
que la question qui soit posée dans une analyse, ce soit justement celle de la
transformation psychanalytique de la psychanalyse chez quelqu’un. Comment
cette transformation peut être une transformation psychanalytique, ça vous
indique une autre direction qui est maintenant complètement oubliée dans
l’histoire du mouvement analytique, et donc plus personne ne rigole – et
d’ailleurs personne ne rigolait non plus, à l’époque –, c’est l’infini
multiplication des déviances : celle de l’adlérisme, du jungisme, etc. Le
nombre absolument extraordinaire de gens qui, autour de Freud, ont tous
considéré qu’ils pouvaient transformer la psychanalyse, chacun à leur mesure,
en en retenant que tel ou tel élément. C’était à peu près aussi déviant
qu’aujourd’hui où c’est n’importe quoi – il y a autant de Lacan que de
lacaniens – mais à l’époque, les gens disaient : « c’est moi,
Adler ! », « C’est moi, Jung ! », etc. Je crois que c’est
extrêmement important, parce que ça pose la question de savoir comment une
analyse peut amener ce qu’on appelle un candidat, quelqu’un qui veut devenir
analyste, ou qui ne veut pas mais qui va le devenir quand même, même s’il n’en
a pas envie – ben oui, parce que l’inconscient ne rigole pas avec ces choses-là !
– comment une transformation comme ça peut porter en elle-même sa règle ?
Comment la transformation de la psychanalyse qui est portée par une analyse
dite didactique peut être une transformation psychanalytique ? Comment la
règle qui produit un psychanalyste, la règle de transformation, peut-elle être
interne à l’analyse ?
Et
ça, ça aboutit à la question de l’immanence. Dans ce truc totalement artificiel
qu’est la transmission, le fait qu’il y ait des analystes et que se lèvent de
certains divans des gens qui disent « moi aussi, je vais devenir analyste,
je vais analyser les gens ! » – parfois d’ailleurs sans l’approbation,
ou dans l’indifférence la plus totale de celui qui les analyse, ou au contraire
son exaltation, on voit tous les cas de figures, ce qui montre que tout ça n’a
aucune importance – comment ça s’organise, cette transformation ? C’est un
problème sur lequel il importe de se casser les dents, parce que si on ne se
casse pas les dents dessus, on produit mécaniquement une solution générale. Si
la question de savoir quelle est la règle générale n’est pas directement
appréhendée comme une impossibilité, alors il n’y a aucune possibilité pour la
transmission de la psychanalyse. C’est ça le paradoxe sur lequel ça repose,
puisque c’est là seulement qu’il peut y avoir une solution subjective,
responsabilisante, qui ne passe justement par aucune idée préconçue de ce que
c’est que de prendre pour soi cette question, et d’être le bon sujet, le sujet
correctement divisé par l’analyste qui fut lui-même analysé par Lacan… Je crois
que c’est ça l’extrême difficulté sur laquelle on débouche in fine,
grâce à Bion : c’est la déflation de ce que c’est que de prendre la
question de l’analyste pour soi-même, c’est-à-dire d’introduire une notion de
self – for himself ou for herself –, de se poser la question pour
soi-même, qui ne fabrique pas un self qui est celui qu’il faudrait avoir pour
être bon analyste. Un self bien fendu au bon endroit, ou bien contenant, ou
tout ce que vous voulez, mais un self qui soit l’effet de l’impossibilité
d’édicter une règle générale, parce que rien ne doit valoir in fine que for
oneself.
Deuxième chose que je voulais dire ce soir. C’est là où on entre dans les difficultés que Bion introduit, parce que tout cela est encore très psychologique. De toute manière, nous parlons un langage psychologique. Mon idée d’appareil Ψ est une tentative de prendre au sérieux les moments où Bion dépsychologise son appareil psychique, c’est-à-dire où ça cesse d’être cette espèce de truc qui existe dans un organisme qui évolue dans une relation à l’extériorité, etc., c’est-à-dire que ça cesse d’être un sous-produit de sa lecture du texte sur les Formulations des deux principes de 1911, et où ça s’abstrait véritablement de la perspective psychogénétique qui est celle quand même de Melanie Klein, héritée d’Abraham avec les stades successifs, qui est biologisante dans son contour général. Pour dépsychologiser cela, pour dépsychologiser l’appareil à penser les pensées, je vous avais proposé plusieurs pistes, notamment de donner un grand poids – mes exemples cliniques visaient cela – à la fonction de l’appareil Ψ dans le transfert, c’est-à-dire que l’appareil Ψ c’est ce par quoi nous nous « appareillons à l’Autre ». Et le fait de s’appareiller à l’Autre par l’identification projective avec les effets d’objets partiels, introduisait des notions qui me paraissaient différentes de celles de Lacan, en particulier la notion de projection.
Vous
vous rappelez que j’avais beaucoup insisté sur le fait que pour Lacan la projection
est toujours projection sur tandis que la projection kleinienne et
bionienne est une projection dans, elle n’est pas organisée de la même
manière. L’autre aspect par lequel je m’étais efforcé de dépsychologiser l’appareil
psychique bionien, c’était d’insister sur les problèmes logiques que pose
la grille, le problème du bord de la grille. Ça inspire constamment, chez
Anzieu par exemple, ou Esther Bick, l’idée de moi-peau, l’idée de barrière
de contact, des sortes d’interprétation, de sémantisation, d’imaginaire, où
c’est la fente synaptique, c’est la peau du bébé – qui sont des choses qui
remuent des images très émouvantes et donc effectivement, ça a certains effets
interprétatifs, mais qui au fond refusent ce passage à l’abstraction et cette
ouverture à d’autres possibilités de concevoir la relation entre les sensations,
entre les idées, entre les séances, etc., abstractions qui sont tout à fait
essentielles à la démarche analytique. C’est un peu comme si, toute proportion
gardée, on ne gardait de Winnicott que l’objet transitionnel en oubliant l’espace
transitionnel, comme si on faisait de l’objet transitionnel une sorte de gadget
psychologique à la Dolto : il faut garder les nounours à côté des enfants !
Alors qu’en réalité, si l’objet transitionnel a la valeur qu’il peut avoir
et si on peut le repérer dans un certain nombre de structures, c’est parce
qu’il y a un espace transitionnel, que la cure elle-même, que les mots que
prononcent les patients, peuvent eux-mêmes être des objets transitionnels,
qu’il y a la constitution des premiers noyaux objectaux autour de cela, etc.
Et c’est cet espèce de traitement logique, de traitement abstrait, de traitement
épistémologique des concepts psychanalytiques bioniens, qui me paraît être
une tâche qui n’est jamais accomplie complètement, car toujours on va s’arrêter
sur ce qu’on peut instancier, ce qu’on peut repérer dans la clinique du « mauvais
œil » par exemple, comme dans le cas dont je vous ai parlé.
C’est
en ce sens que j’avais beaucoup souligné que lorsqu’on parle d’un « appareil
à penser les pensées », il faut introduire une distinction qu’il n’y a pas
chez Bion, mais qui sonne spinoziste dans sa formule, entre les « pensées
pensantes » et les « pensées pensées ». Ce ne sont pas les
pensées pensées dont nous manquons ; c’est des pensées pensantes. C’est la
question de savoir comment on pense ces pensées, et c’est ça qui est
véritablement la question de la formation de l’analyste, ce n’est pas de lui
farcir la tête avec tout un appareillage conceptuel, c’est de faire en sorte
que ses pensées soient des pensées pensantes. Ce que Lacan dit à sa manière lorsqu’il
demande : comment est-ce que le savoir analytique peut fonctionner comme
vérité ? C’est rigoureusement la question de savoir comment les
pensées analytiques peuvent être les pensées pensantes. Ces pensées pensantes
impliquent en particulier qu’il y ait des pensées non saturées. C’est ce sur
quoi j’avais terminé la dernière fois, c’est-à-dire la possibilité
d’architecturer les pensées en sorte qu’il y a des pensées de pensées, et
que cette désaturation des signes était probablement le point le plus
énigmatique de toute activité analytique, que c’était certainement un des lieux
où on peut le mieux repérer entre ce que c’est qu’un psychotique et quelqu’un
qui ne l’est pas. Je crois avec Bion qu’un psychotique est quelqu’un dont les pensées
sont saturées, c’est quelqu’un qui n’a que des pensées pensées, et qui donc est
justement incapable d’avoir des pensées pensantes. Ça guide ce que Bion a osé
appeler la cure des patients schizoïdes et paranoïdes. C’est la question de
savoir comment, grâce à l’analyse, ils peuvent penser avec leur délire,
et non pas simplement penser leur délire, autrement dit, être pensé par lui. Je
crois que ça, c’est peut-être une formule simpliste, brutale, mais je crois
qu’elle est incroyablement sensible. Nous ne pouvons pas guérir la
schizophrénie, mais en permettant à un schizophrène de penser
schizophréniquement ses pensées, sans nécessairement diminuer sa souffrance
psychique, nous augmentons sa capacité à la tolérer. Pour beaucoup de gens,
l’intéressé est toujours aussi schizophrène et toujours aussi délirant, mais
pour lui, la capacité à supporter la souffrance psychique, et à faire quelque
chose avec le délire, fait une différence absolument considérable, et
comme nous le savons, dans les grandes psychoses, ça peut faire la différence
entre la vie et la mort, entre une vie qui est une vie et une vie qui est une
mort.
La
tension que j’introduis ici, qui est la tension ultime de l’œuvre de Bion,
c’est comment il va rendre compatible – et je crois qu’il n’a pas réussi à le
faire, peut-être parce que ça n’est pas possible – sa théorie de l’appareil
psychique, qui est une théorie technicienne, avec l’immanentisme de
l’expérience, c’est-à-dire le fait que nous sommes directement dans l’espace
mental en contact avec un certain nombre d’associations, qui prennent et
produisent les transformations essentielles à une cure. Comment prendre au
sérieux, si vous avez un appareil psychique et en face de vous, quelqu’un qui
en a un autre, le fait que l’analyste rêve les pensées de son patient ?
Comment la rêverie de son analyste peut-elle être un « contenant »
pour les pensées du patient ? Comment peut-il y avoir des associations
justes, comment peut-il y avoir une interprétation qui soit non arbitraire du
matériel du patient, réellement fondée ? Et comment en produisant ces
interprétations qui sont des mises en relation, qui peuvent prendre la forme
d’une nomination, d’un récit, d’un mythe – mais on peut aussi proposer au
patient d’aller voir un film, de lire un livre, voire d’en écrire un – comment
est-ce que ça peut être fondé, si ça n’est pas de manière immanente en
prise avec la production psychique de l’autre. D’un côté vous avez une très
belle théorie psychique, mais le problème est qu’elle est tellement bonne qu’il
y a deux appareils psychiques dont on ne voit pas pourquoi les rapports ne
seraient pas complètement arbitraires ! Il faut qu’il y ait un élément où
la « relation d’appareillage » dont je parle ne soit pas arbitraire,
que l’expérience qu’on a dans la cure que ce que dit le patient, vous étiez en
train de le penser – on a ces effets de surprise qui sont très valorisés par
les kleiniens, d’intuition au même moment – « j’allais le
dire ! » affirme le patient de l’interprétation de son analyste, et
l’interprétation vous est soufflée – si ça a une consistance, ça veut dire que
ça a un espace immanent dans lequel se produit l’analyse. Après avoir fabriqué
cette métapsychologie de l’appareil psychique, on peut partir aussi de
l’expérience du transfert qui est la manifestation du fait que le patient est
appareillé par le transfert à l’analyste, et qu’il y a une réalité inconsciente
qui vient de l’un à l’autre s’articuler, que l’amour de transfert n’est pas un
truc qui sort d’un point et va à un autre, mais que c’est un cadre à l’intérieur
duquel tout devient intelligible, etc. Et c’est là que le problème se pose de
savoir comment de cette situation immanente peut sortir un savoir.
Ce
que Bion écrit K → O ou bien O → K, comment du réel psychanalytique
de la séance, de l’espace mental partagé, quelque chose comme un savoir peut
émerger, et comment ce savoir peut bien être un savoir de ce qui se passe de
façon immanente dans la séance ? Vous savez que progressivement Bion
introduit l’idée d’acte de foi. Il emploie le vocabulaire de l’acte de foi pour
le rapport à l’immanence de ces choses-là, d’intuition, intuit, il y a
un mode intuitif d’accès direct aux pensées inconscientes du patient, et le
rapport à cette immanence il la qualifie d’at-one-ment. Je ne vais pas revenir
sur ce problème, mais vous vous rappelez que cet at-one qui est utilisé
dans la première traduction protestante de la bible en anglais, et que reprend
Bion qui l’a trouvé dans ses lectures des mystiques anglais du 17ème
siècle, qui est l’état dans lequel est censé être l’analyste. C’est-à-dire
comment être dans la séance « sans mémoire ni désir », dit-il ?
Sans mémoire ni désir, c’est-à-dire sans cette manière de conjuguer la pulsion
au passé qu’on appelle la mémoire, et sans conjuguer la mémoire au futur qu’on
appelle le désir, qui est en fait la nostalgie et l’espérance ? Comment
être dans la séance sans nostalgie et sans espérance ? C’est-à-dire sans
l’idée qu’il faut retrouver un état et sans l’idée que l’état à retrouver nous
attend, c’est-à-dire d’être dans cette espèce de situation non contre-transférentielle
où il peut y avoir manifestation du transfert à proprement parler, de
l’immanence même de ces manifestations où ce qui émerge dans mon esprit et dans
l’esprit du patient peut se corréler.
Je
ferais volontiers un développement sur la notion néo-platonicienne d’hénôsis,
qui est une notion plotinienne, qui est liée au thème de l’Un (hen). Pour
une raison très simple, c’est dire qu’il n’y a qu’un seul réel. Dire
qu’on est dans l’immanence, c’est dire que le réel est Un. C’est la position
spinoziste traditionnelle, qui consiste à souligner que si la substance c’est
le réel, eh bien, il ne peut y en avoir qu’une. Et comme vous le savez, le
début de l’Ethique de Spinoza commence par les huit premières propositions
qui consistent à articuler substance, immanence et unicité. Mais ce n’est
pas du tout propre à Spinoza. Toutes les conceptions de l’immanence sont des
pensées de l’Un. Avec notamment dans le néoplatonisme la question de savoir
comment est-ce que l’être peut bien être l’Etre des étants qui existe ?
Eh bien, les néoplatoniciens pensent que fondamentalement, la forme de tout
cela, c’est un Un qui est au-delà de l’Etre. C’est seulement parce qu’il y
a un Un au-delà de l’être qu’il peut y avoir un Etre qui est tout ce qu’il
y a. Et cette articulation extrêmement sophistiquée que les néoplatoniciens
font, aboutit finalement à dire que l’Un ne peut pas être au-delà de l’être,
mais toujours perdu à l’intérieur de l’être, il y a toutes sortes de complications
sur lesquelles je passe, mais qui ont une propriété merveilleuse qui explique
beaucoup de choses chez Bion. C’est que quand vous commencez à parler comme
ça, vous produisez en série des paradoxes logiques. Ce sont les paradoxes
du Parménide de Platon, ce sont ceux de l’éristique alexandrine chez
les néoplatoniciens, et ce sont ces paradoxes sur O, puisque je ne peux pas
viser O, je ne peux pas aller vers O, étant donné que ce qui le définit, c’est
que je suis déjà dedans, j’y ai toujours été et je ne m’en suis jamais détaché.
C’est-à-dire que je ne peux pas penser O et avoir O comme un objet de ma pensée,
puisque ma pensée est dans O, est une partie de O. C’est là une question que
se posait très simplement Lacan avec son « réel » : les signifiants
aussi sont réels, l’imaginaire et le symbolique c’est réel. Donc lorsqu’il
utilise toutes ses formules extravagantes autour du réel, il retrouve des
formulations néoplatoniciennes qui sont en fait liées à la mise en scène linguistique
de ces paradoxes de l’immanence. L’immanence est impensable. Penser l’immanence,
c’est la traiter comme un objet de la pensée, c’est la détruire du même coup
en tant qu’immanente.
Je
vais faire une remarquer sur Poincaré pour terminer le développement que je
voulais faire, pour essayer de vous montrer – car c’est une chose qu’aucun des
commentateurs de Bion que j’ai lus n’a fait – la manière dont Bion a pu prendre
chez Poincaré une certaine manière de considérer qu’on pouvait à la fois penser
qu’il y avait une subjectivité de l’invention psychanalytique, et qu’en même
temps l’invention psychanalytique avait lieu de manière complètement immanente.
C’est
le fort beau texte de Poincaré, fort célèbre, sur l’invention mathématique dont
je voudrais vous lire quelques passages, qui montrent un peu comment
l’immanence et la subjectivation de l’invention vont main dans la main. Dans ce
texte, Poincaré fait remarquer que ses inventions mathématiques, il les a
toujours faites en deux phases : il réfléchit sur un problème, il ne
trouve pas la solution, il s’endort, il rêve, et c’est le lendemain qu’il
trouve la solution. Et en fait, c’est quelque chose d’extrêmement commun.
Enormément de savant disent qu’il faut d’abord mettre en mouvement certaines
représentations puis dormir, et c’est en sortant de cet état de sommeil que les
solutions nous apparaissent.
« Ainsi,
c’est cette sensibilité esthétique spéciale qui joue le rôle du crible délicat
dont je parlais plus haut, et cela fait comprendre assez pourquoi celui qui en
est dépourvu ne sera jamais un véritable inventeur. Toutes les difficultés
n’ont pas disparues cependant. Le moi conscient est étroitement borné. Quant au
moi subliminal, nous n’en connaissons pas les limites et c’est pourquoi nous ne
répugnons pas trop à supposer qu’il a pu former, en peu de temps, plus de combinaisons
diverses que la vie entière d’un être conscient ne pourrait en embrasser. Ces
limites existent cependant. Est-il vraisemblable qu’il puisse former toutes les
combinaisons possibles dont le nombre effraierait l’imagination ? Cela
semblerait nécessaire néanmoins car s’il ne produit qu’une petite partie de ces
combinaisons, il y a bien peu de chances pour que la bonne se trouve parmi
elles. Peut-être faut-il chercher l’explication dans cette période de travail
conscient préliminaire qui précède toujours tout travail inconscient fructueux ?
Qu’on me permette une comparaison grossière. Représentons-nous les éléments
futurs de nos combinaisons comme quelque chose de semblable aux atomes crochus
d’Epicure. Pendant le repos complet de l’esprit, ces atomes sont immobiles, ils
sont pour ainsi dire accrochés au mur. Ce repos complet peut donc se prolonger
indéfiniment sans que ces atomes se rencontrent, et par conséquent sans
qu’aucune combinaison puisse se produire entre eux. Au contraire, pendant une
période de repos apparent et de travail inconscient, quelques-uns d’entre eux
se sont détachés du mur et mis en mouvement. Ils sillonnent dans tous les sens
l’espace, la pièce dans laquelle ils sont enfermés, comme pourrait le faire par
exemple une nuée de moucherons, ou si l’on préfère une comparaison plus
savante, comme le font les molécules gazeuses dans la théorie cinétique des
gaz. Leurs chocs mutuels peuvent alors produire des combinaisons nouvelles.
Quel va être le rôle du travail conscient préliminaire ? C’est évidemment
de mobiliser quelques-uns de ces atomes, de les décrocher du mur et de les
mettre en branle. On croit qu’on n’a rien fait de bon parce qu’on a remué ces
éléments de mille façons diverses pour chercher à les assembler et qu’on n’a pu
trouver l’assemblable satisfaisant. Mais après cette agitation qui leur a été
imposée par notre volonté, ces atomes ne rentrent pas dans leur repos primitif,
ils continuent librement leur danse. Or notre volonté ne les a pas choisis au
hasard : elle poursuivait un but parfaitement déterminé. Les atomes
mobilisés ne sont donc pas des atomes quelconques, ce sont ceux dont on peut
raisonnablement attendre la solution cherchée. Les atomes mobilisés vont alors
subir des chocs qui les font entrer en combinaison, soit entre eux soit entre
d’autres atomes restés immobiles, et qu’ils seront venus heurtés dans leur
course. Je demande pardon encore une fois, la combinaison est grossière et je
ne sais trop comment je pourrais faire comprendre autrement ma pensée.
Quoiqu’il en soit, les seules combinaisons qui ont chance de se former sont
celles où l’un des éléments au moins est l’un de ces atomes librement choisis
par notre volonté. Et c’est évidemment parmi elles que se trouve ce que
j’appelais tout à l’heure la bonne combinaison »[4].
Je
crois que ça, ça a fondamentalement inspiré le travail de Bion. Parce que
qu’est-ce que c’est que la grille, sinon très précisément, devant une
difficulté clinique, chercher les bonnes représentations ? Et l’activité
inconsciente de l’analyste, éventuellement d’ailleurs les rêves ou les rêverie
en séance de l’analyste, ne sont rien d’autre que cette manière de laisser
librement jouer les représentations qui ont été mises en œuvre par le travail
préliminaire de sélection des différentes hypothèses – et en particulier
l’hypothèse oedipienne car pour les kleiniens tout est oedipien : un
patient entre dans le cabinet, et c’est déjà la scène primitive ! Comme
tout est lu à travers ce schéma-là, les mouvements de l’analyste sont mis en
jeu en sorte que lors de la rêverie, les différentes combinaisons se produisent
et finissent par nous donner le résultat que nous cherchons. Pourquoi ?
C’est là que les choses me semblent être tout à fait géniales chez Bion, qui
est au fond un Poincaré de la psychanalyse, par rapport à l’invention, puisque
parmi tous les possibles mentaux qui rayonnent, il est certain qu’il faut
attacher une valeur « esthétique » à la bonne combinaison. Le « fait
choisi », le rapprochement s’impose par lui-même, et fondamentalement,
même lorsque nous nous trompons, nous nous apercevons selon Poincaré que
l’hypothèse que nous avons retenue avait au moins une qualité, c’est qu’elle
satisfaisait notre sens de l’élégance mathématique. Il y a un sens esthétique
qu’aucune personne qui n’est pas mathématicienne ou logicienne ne peut avoir.
Je me souviens avoir entendu un ami mathématicien disant : « De toute
façon, les solutions en mathématiques, c’est toujours 0, 1 ou ½. Sinon ce n’est
pas une équation ! ». Il avait comme ça cette espèce d’aperception
des choses que ça doit tomber sur ces valeurs-là.
Pourquoi ?
Poincaré
fait cette remarque toute simple : c’est parce que le hasard désagrège. La
seule chose que le hasard sait faire, c’est désagréger. Donc lorsque vous avez
quelque chose qui s’associe, il n’est pas possible que ça s’associe pour rien.
Si vous avez le sentiment dans votre état de suspend du désir et de la mémoire,
de la nostalgie et de l’espérance, que sans faire vous-même le travail
contre-transférentiel d’une association fausse, soit par nostalgie soit par
espérance, et que quelque chose vient tout d’un coup se mettre en
correspondance, il y a peu de chance pour que vous vous trompiez. Cette espèce
d’infini des sensations, des impressions, des mots, des résonnances et des
assonances, tout ce que l’attention flottante librement distribuée à égalité
entre les différents éléments de manière à les laisser produire par eux-mêmes
leur hiérarchie, cette écoute propre à l’analyse, lorsqu’elle entend une
résonnance, le simple fait que vous ayez ce crible esthétique comme dit
Poincaré, garantit a priori que vous avez un cas de bonne forme.
Evidemment, si la bonne forme se répète, si de séance en séance, un même schéma
se produit, alors il n’y a aucune espèce de danger que vous vous trompiez en projetant
de manière arbitraire sur le matériel, quelque chose qui serait sélectionné au
hasard. Autrement dit, la théorie des « atomes crochus » à laquelle
il fait référence est l’idée que les atomes librement laissés à leurs
mouvements vont nécessairement s’agréger et dans tous les mondes possibles – si
vous vous rappelez Lucrèce et Epicure – produire précisément parce qu’il y a
une infinité de mondes possibles, une identité des mondes. C’est-à-dire qu’il
va y avoir des ressemblances fondamentales puisqu’ils sont en nombre infini
dans une infinité de mondes, produire nécessairement des arrangements
constants.
C’est
là ce qui vous éclaire sur une métaphore très énigmatique sur laquelle j’ai lu
les choses les plus extravagantes des commentateurs, de la phrase de
Bion : J’ai vu au-dessus de mon divan « un nuage de
probabilité ». Il parle de nuages, de constellations… C’est tout
simplement que le grand contemporain physicien de Poincaré, c’est Kelvin. Or
quelle est sa grande découverte ? C’est que si vous traitez les particules
qui sont dans l’espace infini comme les molécules d’un gaz, vous pouvez
parfaitement considérer que les turbulences vont introduire mécaniquement des
agrégations de particules qui vont prendre ces formes géométriques qui sont
celles des galaxies, et des constellations. Le calcul de la forme de la Voie
lactée est la première conjecture que Kelvin fait de l’organisation du cosmos,
en appliquant la théorie probabiliste de la distribution des molécules de gaz à
l’ensemble de l’univers. Pourquoi les étoiles ne pourraient-elles pas être
considérées comme des atomes ? Si c’est le cas, leur distribution est
telle qu’une turbulence à un endroit va introduire non pas par des lois
mécaniques, mais par des distributions probabilistes, des arrangements qui sont
eux-mêmes stables. Ce à quoi Bion fait référence, ça n’est rien d’autre,
lorsqu’il parle de ces nuages, qu’à Kelvin. Or, si vous ouvrez Science et
méthode en français, sur quoi est-ce que ça se termine ? Sur la Voie
lactée et la théorie des gaz ! Ce ne sont pas simplement les idées qui sont
comme des atomes crochus, ce sont les choses elles-mêmes. Que ce soit du réel
ou des pensées, leur distribution probabiliste entraîne des agrégations dont la
forme est constante.
Voilà
un peu comment Bion lit Poincaré, et comment son rapport à l’immanence de l’atonement,
de cet état dans lequel nous sommes directement en prise à l’immanence des
choses, sans nostalgie et sans espérance, justifie de façon non arbitraire, les
associations fondamentales, les conjonctions constantes, les faits choisis, qui
sont la source de l’interprétation pertinente que l’analyste donne à son
patient.
Vous
voyez aussi du coup que le dernier Bion a de moins en moins besoin d’une
grille, puisque la seule fonction de la grille est de sélectionner les éléments
qui sont le plus pertinent pour ensuite jouer le travail de l’inconscient. Mais
si vous renoncez à cela, vous pouvez aussi bien dire que la véritable tâche de
l’analyste, c’est de suspendre toute nostalgie et toute espérance. Et une fois
cette nostalgie et cette espérance suspendues, on entre sans médiation
théorique, sans besoin de la grille, là où il faut penser, avec cette figure
très particulière qu’il appelle l’acte de foi, qui est ce passage dans lequel
on entre directement dans l’immanence directe de l’association, et où
l’attention flottante devient un état psychique de rêverie à l’intérieur duquel
se produisent les bons contenants des bons contenus. Et c’est une toute autre
métaphorique que Bion introduit à la fin de sa vie, par rapport à ces
associations à l’intérieur du dispositif, il s’intéresse aux « turbulences »,
c’est-à-dire à ces zones aveugles qui peuvent naître à l’intérieur de O. Et
comme l’un des derniers articles de Bion est sur la notion de turbulence,
j’essaierai d’expliquer en quoi c’est une notion qui vient du problème de la
dispersion, de ce qu’on appelle l’approximation de Fresnel.
Je
terminerai cette année en concluant sur ceci.
C’est
qu’il y a une tension fondamentale, mais en même temps on peut comprendre les
différents endroits de cette tension, entre le Bion de la grille et le Bion
extrêmement étrange qui lors des conférences fait parler les autres, où
lui-même dit des choses insipides, insignifiantes, et où en même temps on a
l’impression qu’il se passe quelque chose d’extrêmement étrange, et qu’il y a
une qualité d’écoute, de dégagement et de libération de ce que les gens peuvent
penser à l’intérieur de l’espace qu’il ouvre, et qui aboutit à ces
interprétations branchées, quasi New Age, comme une sorte de bouddhiste
mystique fort particulier. Donc vous avez le côté de la grille avec la science
psychanalytique, le délire qui aspire à une science, puis la psychanalyse comme
mystique du réel immanent, avec la question de l’accès direct à O, et ce que je
voudrais montrer, ce sont les raisons pour lesquelles en fait ce sont bien les
moments d’un parcours qui n’est pas une solution, mais qui est le problème même
de l’analyse, de ces deux entrées qui sont celles de l’appareil psychique et
celle du transfert. Et c’est un peu ce que j’ai essayé de faire cette
année : c’est de montrer les raisons qu’il y avait de prendre les choses
sous ces deux angles.
Et
puis peut-être, le troisième terme – je ne l’ai pas du tout discuté – c’est
l’autobiographie de Bion, le moment où l’on s’aperçoit qu’il y a une notation
par Bion de ce qui lui sert à penser ses pensées, et une capacité de l’appareil
psychique à essayer d’apercevoir dans des expériences qui sont souvent
extrêmement intimes. Bion, il ne faut jamais l’oublier, est un traumatisé de
guerre, c’est un type qui ne s’est jamais remis de ce qui lui est arrivé à 19
ans quand il a fait un épisode de folie des batailles, devant son char, épisode
où il a failli mourir, où il est probablement mort : il semblerait que
jusqu’à son grand âge, il n’ait jamais guéri de ce traumatisme de guerre, et
c’est par là que la notion de barrière de contact, du bord de l’appareil
psychique a pu chez cet analyste, devenir son savoir singulier, un savoir
bionien, car il avait une connaissance singulière de ce qu’est le bord crevé
d’un appareil psychique, par où les cauchemars s’expulsent en hurlant pendant
votre prétendu sommeil. Or, c’est ça je crois qui est intéressant : ça
aboutit à l’idée qu’il n’est pas seulement un mystique du réel, il est quelqu’un
qui fait valoir en même temps le caractère extrêmement singularisant de
l’expérience analytique. Le problème est justement de réussir à constituer son
nom propre comme un opérateur psychanalytique, à pouvoir bioniser ses pensées.
En
ce sens, et c’est sur quoi je terminerai, ce que j’aime beaucoup chez Bion,
c’est deux choses. C’est d’une part le sérieux par lequel il traite le savoir,
et vous savez combien je suis prêt à polémiquer assez méchamment sur ça, parce
qu’à partir du moment où vous prenez au sérieux la problématique de l’appareil
psychique, il est certain que dire des choses qui sont fausses ou bêtes, ce
n’est pas possible en analyse. Je crois que la bêtise, au moins pour les
psychanalystes, au moins pour eux, ça ne peut pas être un simple malheur, c’est
vraiment une faute ! C’est même une faute technique, la bêtise. C’est
intéressant d’ailleurs de penser qu’on transforme la bêtise en faute morale. Il
n’y a que la psychanalyse qui fait cela. Pour les autres, c’est un malheur,
d’être bête ! L’appareil psychique oblige à aller jusqu’au bout de cette
conséquence-là, et donc ça a valeur interprétative de dire qu’un certain nombre
de choses que disent les psychanalystes, c’est des conneries ! Ce n’est
pas du tout pour s’amuser à se battre avec les autres. C’est parce que si c’est
des conneries, ça met en danger la psychanalyse, et la pratique même de la
psychanalyse. Voyez aussi pourquoi l’épistémologie n’est pas vaine. Bion est
quelqu’un qui nous fait vraiment sentir pourquoi l’épistémologie est au cœur de
la psychanalyse. Car une des grandes difficultés auxquelles on se confronte
aujourd’hui dans notre milieu, c’est l’extraordinaire haine du savoir qui s’y
multiplie, qui fait qu’au nom de ce qu’on appelle le non-savoir, on a le droit
aujourd’hui d’avoir la passion d’ignorer, et une aversion extrêmement profonde,
un contre-transfert négatif extrêmement violent sur quiconque pourrait savoir
quoi que ce soit ! C’est vraiment un trait dominant du paysage
analytique : la haine à l’égard du savoir ! Bion montre au contraire
à quel point c’est quelque chose qui doit être fermement combattu pour défendre
la psychanalyse. Et puis je crois que la deuxième chose que j’aime beaucoup,
c’est le mélange extrêmement étonnant et détonnant entre l’abstraction et ce
que permet cette abstraction. A partir du moment où on dispose d’éléments de la
psychanalyse qui peuvent être aussi abstraits que ceux que Bion a dégagé, vous
avez une liberté d’agencement qui est absolument extraordinaire, et qui permet
de percevoir et de permettre à des tas de gens de monter des machines à penser
les pensées, qui, après tout ont une ampleur, une légitimité, une singularité
dont on n’a seulement pas idée ! C’est vraiment ce qui lève un des
interdits majeurs de la psychanalyse contemporaine sur le problème de la prise
en charge des psychoses. Mais ça, ça se décide au cas par cas. Ce n’est pas un
trait de structure, en tout cas, car si « structure » équivaut à
« machine normale », à appareil Ψ standard, tout est perdu. Il y
a donc chez Bion le pari que l’abstraction la plus profonde dans la définition
des éléments de la psychanalyse, la compréhension de ce qui se machine, permet
une liberté d’agencement tout à fait extraordinaire. Le véritable obstacle à
cette entreprise, c’est de savoir comment on peut s’appuyer sur la notion objectivante
d’appareil psychique, et en même temps rester dans l’immanence de la relation
transférentielle, comment il peut y avoir deux personnes, et transfert, deux appareils
psychiques et transfert-appareillage.
Voilà
pour cette année !
L’année
prochaine, je parlerai de deux choses qui n’ont aucun rapport, j’espère que
vous ne vous vexerez donc pas de l’incongruité du rapprochement : le désir
sexuel et l’amour ! Ça sera pour moi l’occasion de vous montrer ce qui
dans la culture ressemble le plus au délire – comment on peut croire qu’il
existe un rapport entre ces deux choses-là. C’est le moment où la culture et le
délire se ressemble le plus ! Et ce sera l’occasion de revenir à des
questions lacaniennes un peu compliquées, comme celle des quanteurs de la
sexuation, et de travailler sur le masculin, le féminin, des choses de ce genre
dont je n’ai pas parlé depuis longtemps.
[1] The Kleinian Development: Book I (Freud), Book II (Klein), Book III (Bion), Clunie Press, Perthshire,
1978.
[2] Vous avez quelque chose qui n’a pas été très bien fouillé à cet égard chez Lacan mais qui me paraît tout à fait homologue. Vous savez que Lacan reprend les trois passions bouddhiques, la haine, l’amour et l’ignorance, et il aborde directement la question de savoir ce qu’est la passion d’ignorer. Je crois qu’il est difficile, de toute façon, de construire une théorie psychanalytique où l’épistémophilie serait un sous-produit du jeu ordinaire des pulsions. Je crois que si on est minimalement fidèle à ce qui se passe dans la relation transférentielle, la passion d’ignorer est un des ressorts essentiel de l’expérience. Ne rien vouloir savoir, cela peut se colorer d’amour ou de haine, mais on ne voit pas bien comment on pourrait déduire « ne pas vouloir savoir » de la simple opposition de l’amour et de la haine. Lacan n’en fait pas un usage immense, mais je crois que c’est une des choses sur lesquelles je vais revenir tout à l’heure.
[3] Gerard Holton, Scientific Imagination: Cases
Studies, Cambridge University Press, 1978.