la névrose obsessionnelle

7ème séance (16 mars)

 

 

 

Au point où l’on en est, la difficulté est celle-ci : Freud, dans L’homme aux rats, donne une étiologie de trop aux névroses obsessionnelles. C’est très simple à voir. Il y a une explication pulsionnelle, par le conflit de la haine et de l’amour, l’amour ne peut pas éliminer la haine mais peut, selon le mot de Freud, maintenir la haine dans l’inconscient, moyennant quoi elle ressort sous la forme de toutes sortes de symptômes. Et il y a une deuxième explication, qui n’est pas pulsionnelle, qui est de type psychologique, c’est-à-dire une explication par le type particulier de refoulement qu’il y a dans la névrose obsessionnelle, qui au lieu de faire oublier comme dans l’hystérie, brise les « connexions causales » entre les représentations, ces connexions étant censées donner à la représentation sa Bedeutung – à ne pas traduire au sens de Frege, « signification », car en allemand Bedeutung c’est aussi « importance », je parlerai donc de la « charge de sens » pour traduire Bedeutung, c’est comme ça qu’on sent le type de poids qu’a ce terme. Vous avez donc l’explication par le conflit entre la haine et l’amour, puis vous avez ces modes particuliers de dissociation psychologique qui d’ailleurs vont continuer à être une sorte de deuxième explication parallèle, à un autre niveau, puisque dans Inhibition, symptôme et angoisse, en 1926, on aura la caractérisation de cette rupture de la « connexion causale » entre les représentations avec les deux mécanismes défensifs typiques de la névrose obsessionnelle, qui sont cette fois considérés comme ce qui se passe quand le refoulement à proprement parler échoue, et ces deux mécanismes défensifs, c’est comme vous le savez l’isolation et le « faire en sorte que les choses ne soient pas advenues », c’est-à-dire tous ces phénomènes d’effacement, de ratures qu’on rature elles-mêmes, et qui permettent de décrire un certain nombre de propriétés du fonctionnement de la pensée obsessionnelle à proprement parler.

Mais alors justement, si on a ces deux registres, et que Freud passe régulièrement dans l’analyse du cas et dans la discussion théorique d’un registre d’explication à un autre, est-ce que l’étiologie de la névrose obsessionnelle est pulsionnelle au sens des Trois essais de 1905, où au-delà de la haine et de l’amour vous avez toute la problématique de l’analité et de ce qu’il appelle la dimension sadique-anale de la névrose obsessionnelle ? Ou bien est-elle de type psychologique, c’est-à-dire est-ce que c’est un mode de pensée particulier, qui jusque dans les dernières œuvres sur la névrose obsessionnelle, va être l’ultime principe explicatif de la névrose obsessionnelle ? Est-ce que c’est les deux ? Dans L’homme aux rats, c’est tout à fait en suspens.

Si l’on fait un parcours d’histoire des idées dans les années qui vont suivre l’analyse de l’homme aux rats, en 1908 par exemple, il va y avoir le texte sur le caractère érotique anal, et dans le texte de 1913, La disposition à la névrose obsessionnelle – mais vous me direz, ce n’est qu’une disposition ! -, c’est une explication pulsionnelle qui prévaut, et c’est seulement que dans Inhibition, symptôme et angoisse que vous avez le retour de la caractérisation de la pensée obsessionnelle comme ayant ces étranges singularités.

Le point décisif pour la lecture que je vous propose de L’homme aux rats cette année, qui est un peu mon idée depuis le départ, c’est de montrer que cette double explication relève toujours du problème d’une opposition qualitative entre l’affect et la représentation, ou entre l’affect et les signifiants, et que c’est cette opposition qu’on voit très bien dans les deux types d’explication que Freud donne d’un registre à l’autre, dont je voudrais montrer qu’on peut la prendre autrement, que la névrose obsessionnelle oblige à prendre autrement, c’est-à-dire à éventuellement se demander si ces deux dimensions ne sont pas l’envers et l’endroit de la même chose.

Pour bien l’articuler, il faudrait que je réussisse à mobiliser ce que je vous avais apporté il y a quelques séances, cette idée de l’affect comme dimension perlocutoire de l’énonciation, l’idée qu’il y a l’effet que fait parler, qui n’est pas simplement ce qu’on fait en parlant, mais l’effet que ça cause. Par exemple, parler en disant un certain nombre de choses de sorte que ce soit menaçant, c’est tout à fait différent que de dire : « je vous menace de… ». « Je vous menace de… », ça peut ne pas être du tout menaçant. En revanche, l’effet perlocutoire de menace qui vous affecte quand on écoute un certain type de discours, peut ne comporter aucune mention explicite de la menace et néanmoins cet effet perlocutoire – je vous renvoie aux analyses admirables de Stanley Cavell – est le grand oublié des théories du speech act. Tout le monde parle de l’effet illocutoire, c’est-à-dire que quand on dit « je promets » il y a bien une promesse qui est conventionnellement établie, tandis que pour l’effet perlocutoire, il n’y a aucune convention, il n’y a aucun discours et aucune manière de provoquer des effets perlocutoires qui puissent être calculés d’avance ni conventionnellement produit. Il n’y a pas de manières réglées a priori de menacer les gens quand on leur parle. L’autre chose qui était frappante dans l’analyse de Stanley Cavell, c’est que justement, quand on prend les choses en première personne, c’est tout à fait différent d’entendre que vous êtes menacé par un discours qu’on vous tient, et que quelqu’un dise : « je vous menace… ». En réalité, c’est l’élision du « je » explicite qui est l’un des éléments fondamentaux de l’effet perlocutoire et de la manière dont on affecte autrui en lui parlant. « La roche Tarpéienne est près du Capitole… », dit comme ça en passant à quelqu’un qui vient de prononcer un discours et descend de la tribune, c’est une menace non-voilée, ça cause la peur, et personne ne dit je, ici.

Si je parle ici de speech act, d’acte de parole, c’est que je voudrais coordonner cela également à ce que je vous ai raconté la dernière fois du problème interne à l’action, qui est l’espace de ce jeu de langage qui est celui du faire.

Le faire est habité par une sorte de tension, où à un pôle, il me semble indiscutable que nous devons bien avoir une manière de donner nos dispositions, nos croyances et nos désirs comme étant des raisons de ce que nous faisons, que ces raisons sont aussi les causes de mon action, et de l’autre côté, il y a d’excellents arguments pour qu’une action dépende uniquement de la manière dont elle est décrite, et que ces différents registres des descriptions d’une action produisent des distinctions différentes selon l’apologue d’Anscombe de l’homme qui pompe de l’eau.

Ce que j’avais essayé de pointer la dernière fois, c’était de retourner sur un sujet épineux : la fameuse idée de pulsion d’emprise, de Bemächtigungstriebe, qui est introduite par Freud en 1905 dans les Trois traités, et dont il dispose quand il écoute Lanzer. Cette pulsion d’emprise est tout à fait énigmatique puisqu’elle a un rapport à la main, à la saisie, et qu’elle n’est pas sexuelle en soi. Quand elle se sexualise, cette pulsion-là qui est une des pulsions du moi, elle devient sadisme. Mais en soi, elle n’est pas sadisme. C’est ce faire qui est néanmoins pulsionnel, qui est une tentative de penser l’acte et la maîtrise dans l’acte du côté du pulsionnel, comme une sorte de quelque chose qui aurait ses bases dans le corps, et qui se manifesterait par exemple – c’est un concept ambigu -, dans la « pulsion de connaissance », qui est un prolongement de la Bemächtigungstriebe.

Or je me suis aperçu en réfléchissant que cette ambiguïté de la grammaire de l’action est une ambiguïté qui renvoie à une autre lecture célèbre du problème de l’action, qui est celle d’Austin dans un des textes les plus célèbres de l’histoire de la philosophie analytique, qui s’appelle A plea for excuses – Plaidoyer pour les excuses -, que vous pouvez lire en français, où Austin dit que pour savoir ce que c’est qu’une action, il n’y a qu’une chose à faire tant c’est compliqué, c’est de regarder comment on fait quand on s’excuse, c’est-à-dire quand on dit qu’on a fait quelque chose qu’on ne voulait pas faire, que ce qu’on a fait n’était pas ce qu’on voulait faire. En faisant la liste des manières de s’excuser, dit Austin, nous allons accéder à la structure immanente de l’action, l’action telle qu’elle est, telle qu’elle existe véritablement dans nos interactions sociales. Or, ce que je dessinais comme jeu de la grammaire de l’action, c’est très exactement ce qui est nécessaire pour s’excuser, puisqu’à la fois pour s’excuser il faut avoir fait la chose, mais en même temps il faut pouvoir la décrire d’une autre manière que de la façon dont elle s’est passée et dont on l’a faite. Autrement dit, il faut que je puisse être l’agent de mon action, il faut que mes désirs et mes croyances soient effectivement les causes de ce que j’ai fait, mais que je puisse décrire mes raisons d’une manière telle qu’en fait ce que j’ai fait n’est pas du tout ce que je voulais faire. Les raisons que j’ai cru avoir, on peut les décrire d’une autre manière et en fait, ce n’est pas de ma faute, ça ne m’est pas imputable. Ça n’aboutit pas au raffinement exquis de l’analyse d’Austin qui montre qu’il y a énormément de manières de s’excuser et que ça nous apprend énormément de choses sur la notion d’action, et c’est une remarque à mon avis profonde qu’a faite Sandra Laugier, c’est quand même extrêmement intéressant de penser qu’Austin est à la fois l’homme qui invente les speech acts, et celui qui fait cette théorie de l’action et de l’acte à travers une modalité très particulière du speech act qui consiste à s’excuser. Sandra Laugier a imaginé qu’il y avait là une tentative d’éclairer ce que c’est qu’un acte à partir de l’analyse de l’acte de langage et de l’analyse de l’excuse, par des voies tout à fait originales. Vous savez qu’Austin passe à juste titre comme l’un des esprits les plus géniaux du dernier siècle ; ses analyses, vous ne les trouvez nulle part ailleurs dans l’histoire de la philosophie, personne n’a jamais ni imaginé de dégager cette dimension dans le langage qu’est l’acte de langage, la caractérisation de ce que c’est qu’une promesse. Ce qui est très amusant aussi, c’est que l’exemple sur lequel travaille Austin dans A plea for excuses, c’est justement l’excuse des malades mentaux. Il prend l’exemple d’un procès de quelqu’un qui est dans un établissement de bains, et l’un des infirmiers a brûlé l’un des malades, et la question est de savoir si c’est de sa faute, etc.

Ce point me permet me resserrer la prise sur le problème de l’action dans la névrose obsessionnelle, puisque la névrose obsessionnelle, c’est toujours soulever la possibilité d’être inexcusable, la possibilité que ce que j’ai fait soit inexcusable, mais comme une sorte d’emplâtre sur le doute, c’est-à-dire contre tout ce qui peut atteindre un obsédé en lui faisant sentir la possibilité intrinsèque de l’inconsistance de ses intentions.

Qu’est-ce qu’en fait il a vraiment voulu faire ? Comment pourrait-il n’y être pour rien ? Qu’a-t-il fait sans peut-être même savoir qu’il y était l’agent ? Cette espèce l’oscillation entre la volonté d’être inexcusable – enfin, « la volonté d’être inexcusable », j’y vais peut-être un peu fort… -, mais en tout cas la possibilité qu’il faut maintenir d’être inexcusable – je suis passé en voiture, si ça se trouve, j’ai renversé quelqu’un, il faut faire demi-tour parce que je ne m’en suis peut-être pas aperçu ­-, et puis le type de relativité intrinsèque de la consistance de ses intentions, c’est-à-dire que chaque fois qu’il fait quelque chose, est-ce que c’est bien lui qui le fait, est-ce qu’il le fait pour la bonne raison, comment un autre pourrait décrire les raisons qui sont des raisons motivantes de son action de manière à ce qu’éventuellement elles lui soient imputables, soit enfin de façon encore plus dramatique, comment est-ce que lui-même pourrait se sentir dépossédé par un tour que prennent les choses et qui fait que ses actions sont emportées par quelque chose où il est effacé au fur et à mesure du déploiement du procès de l’action ? C’est pour ça que cette espèce de combinaison entre la possibilité d’être inexcusable, et la relativité intrinsèque de la consistance de l’intention, me paraît être un petit pas de plus qu’on peut faire par rapport à la simple laxité – et en même temps rigueur – du jeu de la grammaire de l’action, entre imputabilité à un agent, et redescriptibilité de l’action. Par ce dispositif-là, vous cernez mieux je pense l’enjeu de l’excuse et de l’inexcusable, et du doute portant sur le motif, l’espace à l’intérieur duquel se déplace la pensée obsessionnelle.

 Comment allons-nous donc savoir si oui ou non Freud court deux lièvres à la fois, un lièvre pulsionnel et un lièvre psychologique dans son étiologie, ou bien si – ce que j’avance à mots couverts – cette double étiologie n’est pas une sorte de diplopie induite par son appareil conceptuel, lequel lui fait voir deux choses là où il n’y en a qu’une, parce qu’il a besoin pour des raisons de construction épistémologique de dissocier l’affect de la représentation : donc, hypothèse que je soulève, savoir si étiologie pulsionnelle et étiologie psychologique ne seraient pas l’endroit et l’envers du même problème clinique ?

 

*

 

Une solution a été proposée à cette difficulté, par une exégèse fort précise de L’homme aux rats, qui est due à Octave Mannoni dans Clefs pour l’imaginaire, où comme beaucoup de lecteurs des textes de cette époque, et à juste titre, il se rappelle que le suivant ou presque sur le divan de Freud est l’homme aux loups. Et dans l’homme aux loups, vous avez l’histoire d’une névrose obsessionnelle infantile, vous avez la scène primitive, vous avez le concept de refoulement originaire, la théorie de la sexualité anale et du coup, on a envie de dire qu’on a là quelque chose qui par certains aspects bouche les trous et les lacunes de quelque chose qui serait simplement en esquisse, ou encore instable dans la métapsychologie mobilisée par Freud dans l’analyse de l’homme aux rats. Le but de Mannoni est de montrer comment on passe de la problématique si bizarre des « défenses secondaires » dans la névrose obsessionnelle qui sont celles qui sont constamment infiltrées par le vœu inconscient, à l’idée qui va « résoudre » le problème dans L’homme aux loups, d’un « refoulement originaire ». La soudure, c’est que ce qui est originairement refoulé est le Vorstellungsrepräsentanz que Lacan va appeler Φ et qui vient se situer exactement au point de soudure de ce qui est de l’ordre du pulsionnel, puisque c’est le représentant représentatif de la pulsion, et de ce qui se produit dans l’enchaînement représentatif. Le Vorstellungsrepräsentanz de la pulsion vient assurer au lieu stratégique du refoulement originaire précisément la convergence de ces deux séries qui sont jusqu’ici présentées comme dissociées.

Je vais dire quelques mots de la solution de Mannoni, et de ses conséquences sur la façon dont on se représente la névrose obsessionnelle dans des discussions qui à l’époque sont menées en étroite relation avec les séminaires de Lacan, et puis j’essaierai de vous proposer autre chose en partant de l’élaboration transférentielle qu’il y a dans l’homme aux rats, non pas en m’appuyant sur les difficultés de la construction de la théorie et de la cohérence théorique entre l’homme aux loups et l’homme aux rats, mais en m’appuyant sur ce qui se passe dans le transfert tel que, grâce au Journal d’une analyse, on en a la trace.

Donc Mannoni d’abord.

Mannoni part d’une remarque clinique extrêmement juste : c’est l’effet apaisant - et Lanzer sent combien c’est profondément apaisant – de ces « défenses secondaires ». Je vous rappelle par exemple quand il a la protase « si je ne rends pas l’argent alors… », la seule apodose qui vient compléter cette protase et qui le calme, ce n’est pas « mon papa ne va pas être content » ou des choses de ce genre. C’est « mon père dans l’autre monde subira un supplice épouvantable », ou « la dame subira le supplice des rats ». Et c’est cette défense secondaire qui est infiltrée du vœu sur le supplice du père, qui est seule capable d’arrêter la montée d’angoisse, ce qui est complètement étrange puisque c’est justement complètement fou, rien de raisonnable ou de spontanément apaisant, par exemple. Et Freud s’aperçoit alors en décortiquant ces défenses secondaires que le père est déjà mort, et que jusque-là le patient s’exprimait d’une telle manière qu’on avait l’impression que le père était toujours vivant - ce qui en dit long sur le type de relation que Lanzer entretient avec Freud.

Ce que je mettrais en réserve, c’est que Freud ici se situe par rapport au traitement moral de la névrose à l’époque – puisque le patient est allé voir Wagner von Jauregg avant d’aller voir Freud, et on peut conjecturer que tout cela est écrit pour que Wahner von Jauregg s’aperçoive que la psychanalyse est quand même beaucoup mieux pour traiter les obsédés que le traitement moral. C’est un point important, parce qu’effectivement on voit des phénomènes de ce genre non pas dans les techniques utilisées par les thérapeutes cognitivo-comportementaux, qui ne sont pas toujours ou exclusivement des techniques où l’on rassure par des arguments rationnels, mais dans quelque chose d’assez différent, et qui sont les groupes de self-help des obsédés, où ils se réunissent entre eux et savent ce qu’il faut dire à l’autre pour le calmer. Les gens qui ont des TOC, dans ces groupes, se lancent des interprétations les uns aux autres. Or il se trouve que je suis en train d’éplucher des manuels de self-help pour le traitement de groupe des TOC, et on y relève des choses absolument ahurissantes. La justesse de ces gens y est sidérante, qui savent très bien comment on arrête l’obsession chez l’autre : c’est en lui fournissant quelque chose qui n’est pas du tout raisonnable, mais quelque chose qui est au contraire étrange, et parfois même il s’agit de réflexions un peu folles, mais qui permettent justement de réussir à endiguer la montée de l’angoisse. Et ça intéresse particulièrement Freud, car c’est ça qui lui donne la sûreté que le traitement moral, la consolation rationnelle, l’échange philosophique, voire spirituel, avec le patient, les techniques de réassurance, etc., à un moment achoppent sur la nécessité de produire une défense secondaire qui est elle-même folle comme on le voit chez Lanzer, qui pense que ça ne s’arrête que s’il pense que son père dans l’au-delà va subir un châtiment épouvantable.

La deuxième chose que fait remarquer Octave Mannoni, c’est qu’il y a quelque chose de tout à fait curieux et qui pour lui relève du même registre – mais là-dessus je ne suis pas d’accord -, c’est ce sentiment qu’il y a une autre langue qui est parlée sous la langue apparente, et qui se manifeste par, en particulier, l’irruption de ce morphème « rat », qui vient au niveau des représentations verbales s’insinuer à l’intérieur du discours et former des ponts verbaux dont on ne sait pas très bien s’ils sont apportés par Freud, ou bien s’ils le sont par le patient – car le Journal d’une analyse est un récit au style indirect, donc on n’arrive pas à savoir qui a dit quoi -, mais qui en tout cas montre bien qu’il s’agit d’un langage. Il ne faut surtout pas réduire le rat à l’image de l’animal dégoûtant. C’est vraiment le fragment « rat », comme il apparaît dans « heiraten » - dans l’idée de mariage, etc. -, qui vient s’inclure à l’intérieur de la chaîne et produire des choses tout à fait étonnantes. La conclusion qu’en tire Mannoni, qui paraît tout à fait juste, c’est que ceci montre bien que l’inconscient de 1907 n’est déjà plus l’inconscient de L’interprétation du rêve. C’est pour ça que Freud va remanier le passage que je vous avais commenté de la Traumdeutung, en disant que quelquefois dans les rêves, « ça parle », ce ne sont pas toujours des restes diurnes de paroles qui sont rebrassés dans le kaléidoscope onirique, mais le texte même de l’obsession vient à être prononcé comme si un autre texte était en train de se dire et de s’énoncer dans l’inconscient, et qu’on passe ainsi d’un inconscient qui est un ensemble de processus psychiques mécaniques, à un inconscient qui est un discours parlé. « Ça parle » littéralement, et ça n’est plus un espèce de grosse machine à distordre des représentations ni à déguiser des représentations qui seraient en elles-mêmes des pensées propositionnelles claires. C’est là aussi où il faut bien se rappeler le paradoxe de cette chose étrange, qui est peu relevée autrement, c’est lorsque que dans la fameuse prière que fait l’homme aux rats vient s’intercaler un « nicht » qui vient à la fin de la phrase annuler rétroactivement au sens fort la signification de ce qui vient d’être dit – car en mettant « nicht » à la fin, c’est toute la signification qui bascule à l’opposé -, ce « nicht » est parlé. C’est d’autant plus étonnant que c’est un des piliers de L’interprétation du rêve que l’inconscient ignore la négation. Or là, que dit le rêve ? Il dit « non » ! C’est quand même extrêmement troublant. Donc que « ça parle », ça s’oppose à « il existe des processus inconscients », et c’est ça que l’obsédé selon Mannoni met sous les yeux, c’est le jaillissement de cette parole.

C’est ce qui fait – et je crois que c’est beaucoup plus clair chez Mannoni que chez Lacan – que la plupart des lacaniens à ma connaissance, ont toujours éprouvé une grande méfiance à l’égard de la partie théorique du cas dans laquelle Freud explique sa théorie assez complexe de la régression de l’agir au penser, qui va être l’explication psychologique que Freud donne comme en supplément ou en redondance – on ne sait pas comment elle s’articule - à l’explication par le conflit de l’amour et de la haine. Ils se méfient de cette explication par la régression de l’agir au penser, car elle est régulièrement considérée pour autant que je sache pour une explication psychologisante au sens péjoratif du terme, et qu’effectivement c’est une solution qui fait appel à une forme de processus inconscient là où au contraire le cas nous inviterait plutôt à passer à une autre idée d’inconscient : celle d’un inconscient qui parle et donc à un second discours tenu par cet inconscient qui parle et qui vient s’incruster dans le discours conscient, explicite. L’argument est que le « nicht » qui vient détruire l’effet apotropaïque de la prière de l’homme aux rats qui veut détourner le mal de la dame, a un rapport à la vérité. Or, on ne peut assurément pas imaginer un mécanisme psychologique, fut-il inconscient, qui puisse produire de la vérité. S’il y a un effet de vérité, il faut bien penser à un moment ou à un autre que vous avez une parole qui porte cette vérité, et il n’y a pas de machine inconsciente ou de machinerie quelconque -même si vous ne la supposez pas cérébrale - qui puisse produire des effets de vérité.

Je crois qu’il y a dans ces observations qui rassemblent les trois points – le second discours, le « rat » et le « nicht » qui viennent s’intercaler, le problème des « défenses secondaires » -, quelque chose de très bon.

Car effectivement, pour ce qui est d’agir contre les défenses secondaires, vous avez noté que Freud est d’une cruauté avec Lanzer absolument épouvantable. C’est-à-dire qu’il lui attaque ses défenses secondaires bille en tête, avec un interventionnisme qui provoque parfois des moments de pur affolement chez le patient, comme lorsqu’il en vient à dire « mon capitaine » à Freud dans un état de pur et simple égarement. Donc là il n’a donc aucune pitié pour les défenses secondaires. Vous remarquerez au contraire, et c’est encore plus sensible quand on lit le Journal d’une analyse, que dès qu’il s’agit d’approcher du thème de la défense primaire, c’est-à-dire du rapport au père – tel que Freud prend le cas – il est extrêmement prudent ! On a l’impression que Freud fait un raisonnement du type : je ne peux pas attaquer le rapport au père (la défense primaire), car ça va renforcer les défenses secondaires. En revanche, en jouant d’une forme de traitement moral, en « attisant » comme il le dit très bien « le conflit dans la conscience » pour faire apparaître ces défenses secondaires dans leur caractère fou, pour faire cracher littéralement au patient qu’en fait ce qui le rassure c’est de penser que dans l’au-delà son père va souffrir de ce supplice, en s’attaquant à la défense secondaire, il pense qu’on peut plus ou moins réussir à remonter à la cause sans renforcer les défenses. Mais comme le patient, dit Freud, guérit trop vite, finalement on n’aura cassé que les défenses secondaires, et tout le dispositif de ratiocination délirant – puisque c’est « Wahn » qui est employé régulièrement dans le texte -, au fond quand ce délire du remboursement de la dette aura été percé à jour et ce sera effondré dans l’interprétation ultime avec l’ovariectomie bilatérale de la dame, à ce moment-là, tout tombant, Freud dit qu’il n’est pas arrivé à attaquer véritablement le problème originaire de cette névrose.

Voilà qui fait qu’on est très tenté de dire qu’avec l’homme aux loups, il va faire sortir à son patient une scène primitive, un Urverdrängung, un refoulement originaire, et va en quelque sorte compléter la démonstration d’une métapsychologie particulière que l’homme aux rats avait simplement esquissé, mais qui sera complété par le travail sur l’homme aux loups, avec l’articulation entre les deux, qui est bien sûr l’analité. C’est une interprétation des deux cas de Freud qui est très française et elle se continue aujourd’hui, on le voit au fait qu’André Green continue d’explorer ce genre de piste.

J’ai beaucoup aimé ceci, parce qu’effectivement on voit bien qu’il y a subversion du traitement moral dans l’attaque des défenses secondaires. Dans une note page 156-157, il dit qu’il s’agit d’attiser le débat dans l’inconscient. On peut parler – on doit parler comme vous le savez avec un obsédé, car sinon il ne revient pas, il y a la nécessité d’entretenir une sorte de discussion -, afin de réussir à amener par quelque chose qui a l’air d’être une discussion qui entre dans la logique de la ratiocination, d’amener le patient à son point de délire, où il va voir que là il y a quelque chose d’étrange à l’intérieur même du dispositif de ratiocination. Le dispositif que construit implicitement Mannoni pour rendre compte de ça, c’est le graphe, c’est-à-dire que les défenses secondaires sont sur la ligne de la suggestion, et que la difficulté est de passer sur la ligne du transfert.

 

 

 

vérité

 


              S(A)                                             S <> D       

                                                                                       Transfert

             F

 

 

 

 


                                                                                       Suggestion

             s(A)                                                 A

 

 

point d’insertion du « second discours »

 

L’idée est justement de faire apparaître au-delà du niveau du traitement moral, soit sur la ligne de la suggestion, quelque chose qui est sur la ligne du transfert et qui est l’articulation de la vérité à l’économie même de la pulsion anale. Pour franchir ce seuil, on ne peut pas faire autrement qu’interroger le patient sur l’effet qui lui en revient de la signification de l’Autre : s(A). C’est ça le traitement moral : c’est de demander à quelqu’un « c’est qui l’Autre, pour vous ? ». C’est seulement quand on a interrogé quelqu’un sur qui est l’Autre pour lui (le Père derrière le capitaine terrible, derrière Freud l’analyste) qu’on peut faire apparaître comment le signifiant Φ de Vorstellungsrepräsentanz originairement refoulé, décomplète ce grand Autre (autrement dit, dans la vision que j’ai du point résolutif du délire des rats, quand Freud s’avoue à bout de moyens exploratoires, et que soudain, par la médiation même de cette béance et ce non-savoir, Lanzer fait l’ultime connexion avec l’ovariectomie bilatérale de la Dame).

On voit du coup pourquoi le sujet est barré dans son rapport à la demande, ce qui est la définition que Lacan donne de la pulsion. C’est dans ce second discours, ce discours qui ne passe pas, mais qui arrive comme la petite monnaie de ce qui décomplète le grand Autre, dans l’idée que s’en fait Mannoni, que les lettres tombent dru comme la pluie, venant hacher la signification explicite : Φ, chu de la ligne du transfert, se monnaye en « -rat » interpolés dans la signification explicite, mais aussi dans toutes ces contractions littérales folles et impuissantes à conjurer le désir sexuel qui les infiltre, dont « Gleijisamen » est le reliquat légendaire. Mais c’est par là aussi que la demande adressée à l’Autre, vicarié par le Professeur Freud, va devenir une demande qui va répéter le rapport au père, le rapport à la punition du père, le rapport à l’hygiène imposée par la mère, et le rapport à la fixation anale. Et c’est dans cette espèce d’articulation de ce second discours où « ça parle » - c’est une autre vision de l’inconscient qui ici est en cause, ce n’est pas celle des processus -, c’est à ce niveau où « ça parle » que ça va parler dans et contre la signification explicite, en disant non (…nicht ! »), et en disant non de façon rigoureusement homologue au point de surgissement des lettres maudites qui sur le prénom défiguré de « Gisela/Gleji » colle la trace littéralement gluante et ineffaçable du sperme du masturbateur : « Semen/samen », et ce (défense secondaire) au moment précis où Lanzer prie pour écarter de la Dame toute représentation dégoûtante. Comme je la comprends donc, l’idée de Mannoni, qui est très belle, - elle reflète des conceptions qui sont peut-être plus diffuse chez Lacan -, c’est de remonter sur la ligne régie par le manque de signifiant Φ, autrement dit de remonter là où le refoulement originaire s’articule à la pulsion, c’est-à-dire sur l’axe S de A barré / S barré poinçon D.

Cependant, ce discours, pour s’articuler au premier, dépend d’une parole.

Car c’est une parole qui articule le second discours – les « -rat- » par exemple - au premier. On voit bien à la limite comment un matériel littéral pourrait venir s’interpoler, jusque dans la formule Glejisamen qu’il utilise – et toute la discussion de savoir ce qu’est ce « WLC » ou « WCL » qui vient perturber ses associations, que mentionne le Journal mais que ne reprend pas le cas publié. Est-ce qu’on peut se contenter de dire que ce sont juste des précipitations imaginaires qui tombent là comme des sortes d’incarnations littérales de ce qui est le signifiant manquant, le signifiant du rat/Φ ? Bon, oui. Mais on voit beaucoup plus difficilement, avec une schématisation de ce genre, pourquoi ce sont des actes de langage, comme un « …nicht ! », qui tombent sur les formules apotropaïques de Lanzer. La formule Glejisamen est utilisée pour qu’il n’arrive rien à Gisela, et puis finalement ne fait que concentrer littéralement les lettres au point que c’est une formule masturbatoire elle-même, et tout ce qu’on a voulu éviter pour ne pas se masturber en pensant à la dame, revient dans la formule, puisque « samen/Semen », c’est le sperme. Donc, ce que je vois assez bien dans une conception comme celle-là, c’est pourquoi on pourrait avoir l’idée, puisqu’il y a un signifiant originairement refoulé, que la lettre vient comme la petite monnaie de ce signifiant refoulé, perturber la chaîne signifiante explicite. Je vois beaucoup moins bien, en revanche, pourquoi des actes de langage, comme une interdiction jaillie du ça – « …nicht ! » - peut venir s’interpoler dans le discours conscient, et on voit encore moins bien pourquoi l’affect accompagne comme une ombre démoniaque cette parole du sujet de l’inconscient. On ne voit pas pourquoi, en d’autres termes, tout ceci devrait s’énoncer transférentiellement sous le boisseau d’une haine épouvantable, où Lanzer dit à Freud : « Je suis un sale type, si je vous dis l’idée incidente que je viens d’avoir, vous allez me f… dehors et me taper dessus ! »

Et il l’énonce, ce qui donne la mesure du courage admirable du patient.

Je crois aussi, c’est ma seconde grande difficulté avec cette lecture des défenses dites « secondaires » de l’homme aux rats, que ça réduit la pulsion au seul genre de pulsion qui est admissible par le système d’explication lui-même.

Dire que la pulsion, c’est la demande de l’Autre – même si cet Autre est un Autre désirant, comme je le disais la dernière fois – venant tordre le besoin ou l’instinct, c’est à la fois juste, car c’est certainement quelque chose de cet ordre, mais on n’en voit pas la texture. On voit bien la place où la pulsion apparaît dans le système comme besoin (éventuellement biologique) tordu par la demande et par l’ordre social, mais sa texture à proprement parler, son caractère incarné, sa dimension de réel, le fait que ce sont des corps humains qui en sont la proie, bref, ce sur quoi ça a prise, c’est beaucoup moins évident.

 

*

 

C’est pour cela que je ne vais pas épiloguer dans mon développement sur les jeux de lettre de Lanzer, mais essayer d’aborder les choses de manière un peu différente. Je vais refermer Mannoni, et essayer de faire valoir non pas contre Mannoni mais en parallèle, un autre point de vue que le sien, en partant justement du transfert.

Dire que le « ça parle » dont je vais aborder maintenant la texture, la configuration, je ne le déduis pas des problèmes de Freud avec sa propre métapsychologie à ce moment-là, mais de « comment ça parle », c’est-à-dire la question « d’où vient la haine ? » que le patient éprouve en étant littéralement débordé par la virulence de ses idées incidentes, complètement scatologiques, complètement pornographiques, abominables, et par l’effroi concomitant qu’à chaque fois Freud lui dise : « Vous êtes un sale type… » - on entend ici la scène d’enfance, « …un cochon, un petit dégueulasse ! » - « …et je vais vous taper dessus et vous f… dehors ». On sent très bien ce qui se répète - au sens trivial - ici.

Or la haine, très clairement, aussi bien dans le Journal que dans le cas publié, apparaît comme le moyen de repousser et d’attaquer même l’existence de celui qui devine les pensées sexuelles.

La haine apparaît à partir du moment où l’enfant pense que ses pensées, qui sont des pensées sexuelles, sont devinées par le père. Bien évidemment, lorsque Freud fait de son rapport au transfert un rapport de devinement [1] – eh bien, ce qui a de l’importance, c’est le devinement même, lequel se répète. A partir du moment où l’autre, bien installé dans son fauteuil avec son cigare, commence à deviner les pensées sexuelles que lui apporte ce patient, il le fait flamber littéralement, sur le point infantile ultime. Ça cause la haine d’une manière automatique. Ce qu’il ne dit pas dans le cas publié mais qu’il dit p.73 dans le Journal d’une analyse, c’est que même si c’est infantile, la peur que ses pensées sexuelles soient devinées, « toute sa vie » Lanzer a été hanté par cette possibilité qu’on lui devine ses sales petits désirs masturbatoires. Ces sales petits désirs masturbatoires, c’est l’excitation anale, c’est la masturbation par stimulation de l’anus, et c’est dans ce contexte-là qu’on voit le petit garçon se gratter l’anus, et puis rapidement s’attacher à ce type de stimulation (liée aux vers qu’il aurait eu à l’âge critique).

Alors ici, deux choses.

Deux choses, parce qu’au moment où émerge cette problématique, il y a une longue note pp.178-179 sur le remaniement « épique » des origines de la sexualité, où Freud explique comme nulle part avec autant de simplicité et de force, que ce qui s’est passé historiquement n’importe pas, ce qui importe est le fantasme, mais que la manière de bien comprendre ce fantasme, c’est d’y voir un processus de remaniement complexe qui est tout à fait analogue à « la formation des légendes d’un peuple concernant son histoire originaire ». Il faut donc s’appuyer, pour comprendre quelle est la texture du fantasme, sur l’histoire comparée. C’est comme ça que fonctionne le fantasme. Ce qu’il y a d’historique peut être infime ou en tout cas infinitésimal, et en tout cas d’une tout autre texture que cet immense récit qui peut avoir, vue la logique interne de son développement, toutes sortes de conséquences indépendantes des faits matériels qui en sont le point de départ.

Vous voyez pourquoi, attrapant dans les années 50 cette petite remarque, Lacan va aller prendre chez Lévi-Strauss les outils de l’analyse structurale des mythes et écrire le Mythe individuel du névrosé. Car qu’est ce que ce mythe ? Ce n’est rien d’autre que la permutation des signifiants qui nous font entrer dans la texture même de la fabrication mythique de l’origine des peuples, qui est dans les sciences humaines contemporaines de Freud, effectuée par le moyen de l’histoire comparée comme ce que vous avez dans Moïse et le monothéisme, par exemple. Vous voyez le point d’accroche de Lacan ici, de son commentaire de « L’homme aux rats » dans les années 50, c’est cette petite note sur l’utilisation du mythe historique.

La deuxième chose, c’est que dans ces deux pages où c’est le travail du transfert sur Freud qui va faire émerger la texture de la haine, se déroule un travail contre une résistance absolue, puisque ce qui va émerger derrière le « Si je vous le dis, vous allez me mettre dehors », c’est précisément les idées incidentes qui auraient motivé, quand Ernst Lanzer était tout petit, les coups que lui avaient donné le père. Or que sont ces idées incidentes ? Elles ne sont évidemment pas mentionnées dans le cas publié parce que c’est trop épouvantable même pour un lecteur prévenu, et il faut se reporter au Journal d’une analyse où vous avez toutes sortes de commentaires que j’avais rapprochés la dernière fois de la deuxième partie des Cent vingt journées de Sodome de Sade.

Une petite remarque. Est-il entièrement légitime, évident, de faire comme Lacan et de structuraliser d’un bloc cette organisation de la texture du fantasme, avec des signifiants qui vont permuter et produire des histoires, des mythes d’origine, etc. ?

Le mot qu’emploie Freud n’est pas « mythique », mais « épique ». Or le mythos et l’epos, ce n’est pas la même chose. Le mythos concerne l’origine, l’epos concerne le héros, par exemple Homère, l’Iliade et l’Odyssée. Et ce qui intéresse Freud, c’est la façon dont se produit une histoire héroïque, et comment le petit garçon va se fabriquer une sorte de stature phallique qui cristallisera symptomatiquement dans son devenir, dans son rapport à la situation œdipienne. Si vous lisez soigneusement le Mythe individuel du névrosé, vous avez une approche sensiblement différente : il n’y a pas véritablement un héros, mais il y a des effets de héros qui sont liés à la construction du mythe. C’est-à-dire que le mythe produit dans ses agencements différents des figures héroïques, mais il n’y a pas à proprement parler de héros, tandis que Freud prend au sérieux le fait que dans tout complexe d’Œdipe - freudien, pas lacanien -, il y a une dimension héroïque. Ça donne une différence de coloration particulière de l’Œdipe freudien par rapport à l’Œdipe lacanien. Si vous y réfléchissez, l’Œdipe lacanien est un Œdipe où chaque être humain se trouve en quelque sorte subduit par la position du phallus de la mère, c’est-à-dire qu’il se retrouve identifié au phallus de la mère. C’est fondamentalement passivant : on se trouve phallicisé, garçon ou fille, il y a cette espèce d’être-le-phallus-de-la-mère, et d’être pris dans le discours maternel comme y occupant cette fonction-là. Tandis que l’Œdipe freudien est un Œdipe où il y a vraiment un petit bonhomme qui, sabre au clair, fonce sur sa maman, et dans un acte agressif, vient non pas du tout se laisser subduire par un machin aussi étrange que le phallus de la mère, mais forcer l’inceste. Là aussi, il y a un décalage particulier qui fait qu’il n’est pas si facile que cela de retraduire les histoires oedipiennes de Freud en un langage de type structuraliste, car ça n’a pas la même texture : construire la disposition d’un mythe, ce n’est pas la même chose que ce qui permet la construction d’une épopée.

Le fondement mythique de la réécriture d’une histoire, le moment où ça devient du mythe, est très bien expliqué dans cette note, c’est le moment où l’eros infantile qui est auto-érotique est réécrit sous forme d’amour d’objet. C’est la position de base du névrosé standard, qui est : « Moi je veux bien, j’aimais bien ma maman, mais je n’ai jamais eu envie d’elle », qui est dans son bon sens compact, et dont il faut mesurer la compacité, le point de lest radical qui indique ce qui est inaccessible au-delà à autre chose qu’à une construction. Car une fois qu’on est pris dans ce dispositif-là, évidemment, la seule chose qui va apparaître est l’amour d’objet. A aucun moment, ça ne va être cette espèce de tourbillon auto-érotique stimulé par des caresses ou réprimé par des coups, et qui est éventuellement, dans le malentendu, l’incompréhension la plus totale, où une mère tapant sur la main de son fils ne sait pas qu’il est en train de se masturber, et va produire tous ces effets dans lesquels ça va être rétroactivement décrit, après-coup, comme une relation d’amour à l’objet qui aurait été perturbée. Le passage au mythe se fait par la réécriture sous forme de la relation d’amour d’objet, d’un auto-érotisme qui rencontre – sur le mode de la collision et d’une sorte de violence ou de gratification contingente – l’auto-érotisme de l’enfant. Donc c’est toujours après coup qu’est reconstituée la fameuse scène d’attentat sexuel contre la mère, ou de l’attentat sexuel venant de la mère. En réalité, si on allait historiquement demander à une mère ce qui s’était passé, elle n’aurait vu que des activités auto-érotiques mélangées à de la tendresse, des câlins, ou bien des punitions ou mêmes des sévices infligés sans l’intention de faire du mal à l’enfant.

Ce qui est décisif à mes yeux est ceci : il faut noter le problème du passage d’une relation qui est pré-intentionnelle, auto-érotique, à une relation qui est intentionnelle et qui est l’amour d’objet. Autrement dit, les relations affectives qui sont intentionnelles, qui se rapportent à l’objet, sont structurellement contaminées par un mythe. C’est toujours un mythe. Et nous entrons dans l’amour d’objet par le biais d’un mythe. Historiquement, si on s’y rapportait, on ne trouverait au départ que des relations auto-érotiques, c’est-à-dire pré-intentionnelles.

Pourquoi je dis « intentionnel » ? J’utilise le terme et je ne l’applique qu’à l’amour car la haine, comme je vous l’ai dit, n’est pas une relation intentionnelle, puisqu’un objet n’est aimé que sous une certaine description. Un objet est aimé comme ceci ou comme cela, et c’est précisément parce qu’il est aimé comme ceci ou comme cela, sous une certain description, que cette relation est intentionnelle : il est visé en tant que ceci ou en tant que cela. De plus, faites bien attention : cette intentionalité de l’amour d’objet est différente de l’intentionalité que vous trouvez dans la phénoménologie ou dans la philosophie analytique quand on l’applique à quelque chose comme la croyance. C’est le problème des « objets intentionnels », des objets qui sont les corrélats de la croyance – ce à quoi je crois ou ce que j’aime –, car c’est une question métaphysique traditionnelle que de se demander ce que ça leur fait d’être la visée d’une relation intentionnelle. Ce que ça leur fait, c’est-à-dire : est-ce qu’il existe un « passif intentionnel » ? Est-ce que quand on aime un objet ou une proposition, quand on y croit, ça lui fait quelque chose d’être aimé ? Vous avez - pour ceux d’entre vous qui se rappellent leur cours de philosophie de terminale - une philosophie très connue, la phénoménologie husserlienne, qui est une position idéaliste consistant à dire que la visée intentionnelle constitue l’objet lui-même. C’est-à-dire que le corrélat du « je pense », le cogito husserlien, si je pense le monde, c’est ce par quoi le monde lui-même est donné. Il est donné dans le cogito lui-même. C’est une position entièrement idéaliste. Le projet de Husserl était à partir du point de vue du cogito, de donner une réponse à la question de l’origine du monde. C’est-à-dire que les niveaux, les stratifications successives de la visée intentionnelle, du cogito, de ce que je pense et du corrélat intentionnel de ce cogito, montrent comment le monde était donné, et tout cela pris ensemble épuise quoi ? le fait que le monde m’est donné. Là, vous avez une position purement idéaliste, et qui est purement husserlienne puisque personne n’est idéaliste ainsi, en ce sens où justement dans la totalité des conceptions contemporaines de la philosophie analytique de l’intentionalité, ça ne fait rien du tout à un objet d’être un objet intentionnel. Ça ne fait rien du tout à une perception d’être le corrélat d’un « je perçois »/ Il y a même une critique extrêmement forte de l’idée qu’il puisse y avoir des passifs intentionnels, et sans que j’entre dans les détails, on la doit à Peirce. Lorsqu’il s’agit de l’amour, en revanche, lorsqu’il s’agit de l’intentionalité non pas cognitive des croyances mais de l’intentionalité conative ou affective, celle qui concerne le désir ou l’affect, je crois au contraire que cela fait partie du concept même d’amour ou de désir que l’objet lui-même en soit constitué - un peu comme lorsque Spinoza dit que c’est le désir qui fait le désirable, et non pas le désirable qui cause le désir. C’est le désir qui cause le désirable, c’est-à-dire que la relation du désir à son objet intentionnel, à l’objet qu’il vise n’a rien à voir avec la pensée de l’Etre chez un idéaliste, qui serait ce qui rend l’Etre pensable et ce qui fait être l’Etre comme l’Etre pour ma pensée, par exemple. Dans le désir, c’est une propriété conceptuelle que l’objet du désir –non l’objet de la connaissance – soit considéré comme subissant passivement et étant fait ce qu’il est par l’intention qui le vise. Dire que c’est le désir qui crée le désirable, ce n’est justement pas une position idéaliste, et c’est même - et personne ne s’y est trompé avec Spinoza - une position radicalement matérialiste, qui dégage l’espace pratique de la construction du réel avec toute l’éthique qui lui est assortie : il n’y a pas de bien en soi, et le désirable ne préexiste pas comme quelque chose qui attirerait le désir et légitimerait certains désirs par opposition à certains autres.

Je fais cette distinction un peu subtile pour vous montrer le caractère intentionnel de l’amour, pour vous montrer pourquoi la haine elle, n’est pas une relation intentionnelle. Elle ne l’est pas car – vous vous rappelez l’argument que j’avais tiré du livre de Ruwen Ogien - c’est une relation à l’existence de l’objet, et non pas à la façon dont l’objet est décrit. La haine sur le mode de l’antisémitisme, par exemple, la haine du Juif n’a aucune espèce de besoin d’assurer la cohérence mutelle des descriptions du Juif. Quand vous haïssez les Juifs, vous pouvez aussi bien les décrire comme des ploutocrates que comme des miséreux de l’Europe de l’est et qui sont, aussi bien comme des bolcheviks assoiffés de sang que comme des capitalistes ultralibéraux, puisque la description n’est qu’un moyen d’aller directement viser l’existence de celui dont vous avez en haine,e t que celle-ci atteinte, on jette par dessus bord la decription. Tandis que dans l’amour, vous êtes obligés d’assurer une certaine cohérence des descriptions de l’objet d’amour. S’il y a dissonance entre les descriptions de l’objet d’amour, alors il ne peut plus être aimé en tant que ceci ou en tant que cela. Et ces descriptions doivent être cohérentes entre elles.

Cette distinction entre le caractère intentionnel de l’amour, et le caractère non intentionnel de la relation de haine, montre bien que le couple amour-haine est un couple tout à fait superficiel dans la description logico-psychologique de son fonctionnement, mais surtout ça vous permet d’entendre ce que dit le petit Ernst Lanzer quand son père lui balance une torgnole : « Toi lampe, toi serviette, toi assiette ! ». N’allez pas y voir comme dans un lacanisme de boulevard une illustration de la métonymie. Ce sont simplement des jaculations de haine, où quelque soit la description sous laquelle on prend l’objet, le but est l’anéantissement de l’existence de celui qui est visé. Ça n’a rien à voir avec ce qui est effectivement métonymique, le rêve d’Anna Freud, où la petite Anna privée de ce qu’elle aime parce qu’elle est au régime, parle dans son sommeil en disant « bouillie, fraises, gâteau, etc. », où Lacan de manière très juste pointe qu’il y a là cette espèce d’asymptote visant le truc dont on l’a privé et qui se monnaie par un déplacement du signifiant. Lorsque Lanzer dit « Toi lampe, toi serviette, toi assiette ! », nous n’avons absolument pas affaire à ceci, et encore moins aux litanies de la vierge. Entendez la haine dans ce perlocutoire admirable du « Toi lampe, toi serviette, toi assiette ! ». L’effet perlocutoire de cette adresse me paraît tout à fait remarquable parce que ça montre que la haine est éventuellement susceptible d’assurer non pas une cohésion du discours, mais un collage des différentes parties du discours, qui fait que même si c’est sur le mode de l’éructation hypomaniaque comme on peut le lire dans certains textes de Céline, voyez comment ça peut agglutiner des signifiants séparés par des points de suspension comme dans Mort à crédit ou Bagatelle pour un massacre, où vous avez des espèces de manière de faire tenir un monde de discours où tout tient par le perlocutoire. C’est-à-dire que quand vous n’entendez plus la haine qui s’y déchaîne, le texte devient inintelligible. Imaginez quelqu’un comme dans Star Trek, un vulcain n’ayant pas d’émotion, lisant Céline, pour lui c’est nécessairement un charabia total, puisque s’il n’a pas d’émotion, il n’entend pas la dimension perlocutoire et il n’entend qu’une salade de mots ! Voyez ? Freud le dit très bien : c’est l’emportement passionnel de l’enfant qui ne s’intéresse qu’à une seule chose, c’est que ça affecte le père. N’importe quel mot qui puisse affecter le père, et qui puisse avec le supplément de la pensée magique, faire en sorte qu’en pensant qu’on détruit le père, on détruit le père, n’importe quelle description référentielle sera bonne. Mais c’est un peu aussi comme s’il lançait les mots comme des choses, il y a là une sorte de réalisme du mot et de la chose que je ne connais que dans un seul cas, qui est justement le vocabulaire anal. Ce n’est pas quelque chose qu’on a dans notre culture, mais en anglais, un enfant qui dit des gros mots, on lui dit « You’ve got a dirty mouth », et la punition standard consiste à prendre du savon et à lui frotter les dents. Ça fait passer le goût de dire des gros mots. « You’ve got a dirty mouth », ça veut dire « vous dites des gros mots », mais c’est physique : ce sont les seuls mots qui sont considérés comme dégoûtant dans une « bouche sale ». Là, c’est quelque chose de ce type-là : vous avez une famille de signifiants, qui sont lançables sur le père, « lampes, serviettes, assiettes », on dirait une scène de ménage. Mais faites bien attention au fait qu’on voit bien qu’il s’agit d’un vocabulaire anal, puisque les mots sont pris comme des choses, et que c’est dégueulasse.

C’est là que le père énonce cette parole immortelle : « Ce sera un grand homme ou un grand criminel », que Freud commente en disant « Il avait oublié la troisième possibilité : que ça devienne un grand névrosé ! ».

Je fais cette distinction entre l’amour qui est une relation intentionnelle et la haine qui est une relation à l’existence de l’objet, parce que Freud dit quelque chose d’extrêmement comparable à cela, dans son lexique, dans Pulsion et destin des pulsions, quand il déclare que la haine se rapporte au moi comme l’amour à l’objet. La haine est un moyen que moi, Ich, je puisse repousser cette existence abominable qui devine mes pensées. Si on vous devine vos pensées, la seule chose qui vous reste, c’est la haine. C’est ce qui rend le paranoïaque  maximalement dangereux : vous passez devant un type assis sur un banc qui se sent deviné, il vous casse la figure. Il y a quelque chose dans la haine qui est tout simplement la condition minimale de survie de quelque chose dont on ne peut dire que c’est du moi ou du sujet, parce que c’est la condition de possibilité des deux. C’est ça que Freud voudrait pointer. Tandis que pour qu’il puisse y avoir de l’amour, il faut qu’il puisse y avoir une pluralité de descriptions, et que l’objet puisse être aimé en tant que ceci ou en tant que cela, ce qui fait que l’amour est toujours électif. On aime un trait, tandis que l’on hait un être. C’est ce qui fait malheureusement que la haine est beaucoup plus stable que l’amour.

Ça permet enfin de voir ici, une fois introduite cette distinction, que l’explication psychologique et l’explication pulsionnelle peuvent être mises en continuité.

Elles peuvent non pas être mises en continuité exégétiquement, puisque je crois que Freud a toujours, aveuglé par la nécessité de distinguer l’affect de la représentation, maintenu les deux choses comme parallèles, mais conceptuellement, on pourrait. En effet, transportez-vous à la théorie psychologique finale de la régression. Je vous lis simplement un des paragraphes, p.210. Vous allez voir comment les éléments s’articulent les uns aux autres.

« De plus, par une sorte de régression, des actes préparatoires, dans la névrose obsessionnelle, prennent la place de la décision définitive, le penser se substitue à l’agir, et n’importe quelle pensée - stade préliminaire de l’acte – s’impose avec une violente contrainte en lieu et place de l’action substitutive. Selon que cette régression de l’agir au penser est plus ou moins marquée, la névrose de contrainte prend le caractère du penser de contrainte – les représentations de contrainte [les ruminations dans notre jargon contemporain], ou de l’agir de contrainte au sens le plus étroit [là vous avez les rituels. Vous avez donc d’un côté ceux qui ruminent et qui vérifient, et de l’autre ceux qui se lavent les mains et qui ont des rituels deux cent fois par jour]. Si toutefois ces actions de contrainte proprement dites sont rendues possible, c’est seulement parce que se produit en elles une sorte de réconciliation de deux impulsions se combattant l’une l’autre dans des formations de compromis. Les actions de contrainte se rapprochent en effet de plus en plus, et cela d’autant plus nettement que la souffrance dure plus longtemps, des actions sexuelles infantiles de l’ordre de l’onanisme [c’est une des thèses les plus violemment critiquées de Freud : « Ça y est, il nous refait le coup de la sexualité infantile ! On sait bien que les gens qui se lavent les mains compulsivement, ça n’a rien à voir avec l’onanisme… ». C’est le discours contemporain sur la phénoménologie des TOC]. Dans cette forme de névrose, on est donc arrivé quand même à des actes amoureux, mais seulement en ayant recours à une nouvelle régression [régression dans la régression], non plus à des actes s’adressant à une personne, l’objet d’amour et de haine, mais à des actions auto-érotiques comme dans l’enfance ».

C’est ça le point qui me paraît extrêmement subtil. C’est que vous avez d’abord un premier effet de la régression qui est de distinguer ceux qui ruminent, ceux qui n’ont fondamentalement affaire, comme un patient dont j’avais longuement discuté ici pour qui 95% de sa symptomatologie qui le rendait si difficile à traiter était mentale. Ce patient était quelqu’un qui venait chez moi le soir, partait, ruminait le contenu de la séance jusqu’à 4 ou 5 heures du matin, s’évanouissait d’épuisement, se réveillait à 6 heures, recommençait à penser à sa séance, faisait le trajet, faisait sa séance, etc., et ça a duré pendant 3 mois comme ça ! Une sorte de bouclage où seul l’épuisement l’arrêtait ou une autre chose qui consistait à mettre la radio à fond pour essayer d’assourdir le mentisme – ce qui lui avait valu des ennuis catastrophiques avec les voisins qui avaient appelé la police. Pendant plusieurs mois, et avec une certaine inquiétude, je voyais cette personne venir, s’allonger, reprendre la phrase là où il l’avait terminée la veille, et défiler ce discours sans coupure extrêmement problématique à scander, à articuler, etc., avec un déferlement d’affects tristes impressionnants… Ça, c’est le premier cas.

Le deuxième cas, coriace lui aussi, ce sont des gens qui ont des rituels, pour qui la régression n’est pas allée jusqu’au point d’abolir tout agir. Ils n’en restent pas à faire tourner en rond les intentions d’agir les unes dans les autres, les ratiocinations sur leurs désirs, leurs croyances, ce qu’il aurait dû faire, etc., dans un discours asphyxiant qui remplace le moindre geste - qui peut être simplement de porter à la bouche un aliment, avec des effets de lenteur écrasante qui sont en général des cas incurables de névrose obsessionnelle -, ce sont des ralentissements où l’on voit très bien que ce sont les intentions d’agir qui ont pris la place de l’action, les actes préparatoires. Freud dit « Akt », tandis que lorsqu’il parle de l’acte complet, de l’action résolue, c’est « Tat » dans le texte. Lorsqu’il y a véritablement un agir, cet agir n’est possible que parce qu’il sert deux maîtres, c’est un agir de compromis. Il sert deux maîtres au sens où il va servir un maître dans le sens de l’amour, et un maître dans le sens de la haine. Mais encore, c’est parce qu’il arrive là à avoir une relation à l’objet, soit relation intentionnelle dans l’amour, soit relation existentielle dans la haine. Et c’est déjà quelque chose qui est infiltré de cette relation pré-intentionnelle, cette relation auto-érotique qui est celle de la masturbation infantile. Les rituels visent à éliminer par exemple un sentiment de saleté, et ont comme propriété de multiplier la saleté – il n’y a rien de plus sale qu’un obsessionnel qui lave tout, et les gens qui sont prêt à épousseter chaque objet vivent dans une incurie parfois absolument monumentale, et ça peut aller jusqu’au fécal avec des excréments partout, des choses de ce genre, et chez les très grands TOC obsessionnels, on hospitalise. Ça réalise précisément ce que s’est censé empêcher. Vous avez la défense secondaire – chez Freud, tout ce qui est secondaire est primaire, c’est là d’abord, c’est la véritable intention. Quand on demande à quelqu’un de nommer quelque chose qui compte, dans l’ordre en général la chose la plus importante c’est la deuxième, parce que c’est tellement important qu’il ne peut pas la mettre au premier rang. Cette action n’est elle-même possible que parce que dit-il, la régression va de l’acte visant un objet ou essayant de viser un objet ou une personne à l’acte auto-érotique qui d’une certaine manière, lui, ne sort pas de soi. L’acte auto-érotique est pré-intentionnel au sens où c’est plutôt quelque chose comme un acte qui ne serait pas susceptible d’être interprété. Ce serait un acte qui ne serait pas susceptible d’être sensible à ce qu’en pense l’autre. C’est précisément ce qui est en deçà du seuil de la formation de la pulsion commandée par la demande d’un Autre désirant, et qui est indépendant.

Voilà l’auto-érotisme dont parle Freud, c’est ça qui va être en quelque sorte travaillé et repris par la possibilité que l’Autre en pense, en dise quelque chose et surtout y applique son propre désir, et qui évidemment, lorsque l’Autre va appliquer son propre désir à cet acte auto-érotique, va être vécu dans la surprise la plus totale et avec évidemment un élément de traumatisme. C’est là où se situe la fonction de la haine. La fonction de la haine est le moment où cet auto-érotisme se défend, c’est-à-dire où cet auto-érotisme repousse l’idée non seulement que l’autre puisse désirer quelque chose à l’égard de ce que je suis en train de faire, mais puisse même simplement en penser quoi que ce soit, ou puisse le prendre même minimalement dans d’autres coordonnées que cet espèce de décharge auto-érotique primaire. C’est la réponse d’un soi primaire, quelque chose qui est en deçà de ce qu’on va appeler le moi ou le sujet. C’est quelque chose qui protège la boule où le ça et le moi sont contigus et indivis. Bien évidemment, l’opération la plus terrible à laquelle nous sommes soumis, c’est que nos pulsions nous sont imputées. Tout d’un coup, nous entrons dans un monde où nos pulsions vont nous être imputées. C’est le moment où la mère dit à son gamin : « Tu aurais pu te retenir ! » pendant qu’elle lui change sa couche. Sans oublier ce fait fondamental que le gamin peut n’avoir aucune espèce d’idée de ce que ça peut être que se retenir. C’est un point dont on ne se rend pas bien compte, mais l’idée du « Tu aurais pu te retenir » est à la fois fondamentalement ennoblissante - elle nécessite que pour ça il y ait une mère qui ait la capacité à traiter comme un symbole ce qui va être retenu ou non retenu, et comme un symbole phallique qui s’articule à son désir -, mais qui arrive dans la conception que Freud s’en fait comme une sorte de cisaillement sur l’auto-érotisme. Vous voyez que la demande vient là attaquer quelque chose qui n’a même pas idée qu’il puisse y avoir un dehors. Quand on dit à un enfant qu’il aurait pu se retenir, on impute une intention, on fabrique un sujet, et en même temps – et c’est la particularité de la demande qui fait que la demande passe dans un ordre signifiant avec une possibilité de pluriels dans la description de l’action -, on impute qu’il y a des choses dont on est inexcusable, et on impute qu’il y a des choses dont on pourrait se justifier. « Tu aurais pu te retenir ! » : cette phrase ouvre à la fois l’espace de l’inexcusable, et la place de l’excuse, les choses dont on pourrait se justifier.

Le paradoxe de cette injonction à se maîtriser est qu’elle introduit l’enfant à un faire, et la grammaire de la pulsion ouvre ces deux aspects, celui de l’inexcusable, et le fait que ce qui est inexcusable peut justement être excusé sous une autre description. La connexion entre la parole de transfert, la haine perlocutoire, le « ça parle », et la régression de l’agir au penser qui est une régression double – elle va faire se manifester un agir sans dehors, comme l’auto-érotisme de l’enfant -, vous voyez ainsi pourquoi conceptuellement, à mon avis, Freud les prend en continuité.

Ils sont en continuité au sens où ils ne proposent pas deux étiologies de la névrose obsessionnelle, une pulsionnelle avec la haine mal refoulée par l’amour et l’une psychologique qui serait l’échec du refoulement, mais bien une seule qui ne se livre comme telle que si vous lisez d’une certaine manière ce qui se passe dans la répétition transférentielle avec Freud dans l’homme aux rats.

 

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Mais alors, vous allez me dire : « et l’analité ? ».

Eh bien l’analité, je crois qu’elle apparaît de façon très simple, ici : ça consiste à passer du « toi lampe, toi serviette, toi assiette ! » que l’enfant lance à la tête du père, aux idées incidentes horribles que Lanzer révèle à Freud avec effroi, en craignant qu’il ne le batte ou le jette dehors. Ce qui est essentiel dans ces idées incidentes, c’est qu’il s’agit de dégueulasser la famille de Freud, de faire irruption dans sa pudeur, et de violenter sa femme et sa fille avec de la merde. C’est là où véritablement on voit in vivo ce qu’est la fameuse idée de la perversion comme envers de la névrose obsessionnelle, les fantasmes sadiens coprophagiques et scatophiles donnant lieu à ce qu’il appelle « le transfert le plus épouvantable ». Dans les séances que vous pouvez lire du Journal d’une analyse, dans celle du 26 novembre, du 8 décembre et du 2 janvier, vous avez la coprophagie – les enfants à qui on fait manger des excréments – ce qu’il appelle aussi « die herrlichte Analphantasie » qui est traduit par « la plus merveilleuse », mais on devrait dire « la plus souveraine », qui consiste à copuler par le biais d’un étron phallique avec la fille de Freud. Vous avez ensuite dans la séance du 8 décembre un anilingus sur la femme de Freud, il veut amener sa femme pour qu’elle lui lèche l’anus. Dans Juliette, Sade fait cette remarque que « la langue au cul », dit-il, c’est l’ultime preuve d’amour, c’est celle que les libertins réservent à ceux qu’ils aiment vraiment. Il y a là un point exquis qui fait qu’on a l’impression qu’il y a un type de caresse qui fixe une sorte de limite au-delà de quoi on n’imagine plus rien, il y a une sorte de défaillance de l’imagination. Et ce point de défaillance de l’imagination est très important, parce qu’au fond, il est pris dans une logique qui est dangereusement proche de celle de tout le monde. A quoi mesurons-nous la force de notre désir sexuel ? Au dégoût que nous surmontons, il n’y a pas d’autre mesure de la force du désir sexuel que le dégoût qui est surmonté, et le point ultime, dit Sade, dans son érotique, c’est cette caresse. Et la plus invraisemblable de toutes, c’est cette espèce de hareng qui sert de godemiché anal entre la mère et la fille de Freud, fantaisie complètement sidérante !

Alors évidemment, devant ce genre de choses, tout le monde s’estime plus malin que Freud et Lanzer. Il y a des divagations de Mahony très savoureuses sur le hareng : il fait remarquer que le nom de jeune fille de la mère ou de la femme de Freud, c’était « Herlinger » et ça ressemble à « Herring », je ne me rappelle plus des détails. A cela s’ajoute un certain nombre de choses qui nous paraissent innocentes mais qui semblent avoir été au contraire des abominations atroces à l’époque, comme le fait de lécher des pieds sales. Lécher les pieds est rangé systématiquement par Freud dans la coprophilie ! C’est là où vous sentez qu’il y a quelque chose comme un repérage tout à fait particulier, daté, ethnographique, de ce que c’est que l’excrémentiel, la mauvaise odeur, etc. On n’est pas du tout certain d’être dans les mêmes coordonnées. Tout ça est bien sûr lié à la reviviscence de scènes avec la petite sœur, avec Olga, avec les séances de bain infligées par la mère, mais aussi avec des choses tout à fait intéressantes, comme la projection narcissique très curieuse, où au fond la fille de Freud est mise en équivalence avec un garçon, et avec un garçon particulièrement laid, comme lui-même pourrait se sentir. Vous regarderez dans le journal d’une analyse, p.159, comment on a le sentiment qu’au fond, ce qui est attrapé dans la fille de Freud est quelque chose comme un double auto-érotique, un double homo-érotique, plus exactement, de Lanzer lui-même : il ne peut finalement dans ses idées incidentes produire cette fantasmagorie sadienne que si l’objet qu’il vise est non seulement un substitut pour la fille de son propre père, sa sœur Olga, mais aussi en réalité pour lui-même. Il y a une discussion assez subtil des éditeurs sur le fait que le « laideron » est un mot masculin qui désigne un personnage féminin. C’est une manière de faire entendre comment le mot peut se retourner sur Ernst Lanzer en miroir, et faire valoir qu’il ne peut aimer et jouir de ses objets fantastiques dans la fantasmagorie sadienne que dans la mesure où c’est projectif.

Ce qu’il faudrait maintenant, c’est clarifier un certain nombre de choses sur ce qu’on appelle l’anal et le sadique-anal, et puisque je viens d’en parler, de soulever la question de l’homosexualité de l’homme aux rats qui se présente sous un jour tout à fait différent de ce qu’on appelle communément l’homosexualité, et puis de relativiser anthropologiquement le problème de l’analité. Vous savez que la psychanalyse a été plombée jusque dans les années 60, jusqu’à la naissance des théories de la relation d’objet, par l’idée qu’il fallait absolument que les pulsions soient des instincts et que ce soit la psychosexualité humaine dans ses bases biologiques qui soit à la source de notre activité fantasmatique. On a considéré qu’on faisait un progrès extrêmement important lorsqu’on a créé la notion de relation d’objet, puis lorsque finalement Freud a été relu par Lacan où la fameuse théorie de la demande s’imposant contre l’instinct, déformant les besoins et les soumettant à l’ordre signifiant, s’est plus ou moins imposée en rapportant la vie pulsionnelle à son expressivité à proprement parler langagière.

Le problème de toutes ces solutions, y compris de la solution de Lacan, c’est qu’elles continuent à supposer qu’il y a de l’instinct puisque ce sur quoi le signifiant a prise, c’est quoi ? C’est justement du besoin et de l’instinct ! Sauf qu’au moment où l’on dit que c’est de l’instinct, on dit qu’on ne peut pas savoir ce que c’est, parce que comme nous sommes des êtres parlants, on ne peut plus le savoir. D’où, par une sorte d’opération qui finit par être lassante, surtout quand ce n’est pas utilisée par Lacan mais par les lacaniens, cette façon de dire que l’homme est un « animal dénaturé », sauf qu’on ne peut pas savoir en quoi il est dénaturé puisqu’il est interdit conceptuellement de parler de sa nature. Le réel, de même, on n’y a jamais accès que par l’ordre que le signifiant y introduit, moyennant quoi on ne sait pas dans quoi le signifiant introduit son ordre. Il y a là une sorte de logique paradoxale qu’on maintient en sous-main, et qu’on sait ressortir quand c’est nécessaire, en disant qu’il y a des organismes, des instincts et des besoins, ah oui ! Mais comme nous sommes des êtres parlants, tout cela est tordu, modifié, remodelé, etc. ! En fait, on tourne en rond. Dès qu’on soustrait la théorie de la pulsion à son point d’application clinique dans une situation particulière et qu’on en fait une anthropologie psychanalytique, on bute sur la contradiction conceptuelle qui consiste à dire que le langage nous empêche d’accéder à notre nature, que nous sommes des animaux dénaturés, sauf que comme on ne peut même pas utiliser le « nature » de dénaturé puisqu’on n’a aucune définition indépendante de ce que c’est que cette nature.

Chez Freud, cette biologisation massive passe par son idée farfelue de refoulement organique au pléistocène – ou à une époque qui n’engage personne : nous marchions à quatre pattes, nous nous sommes relevés, notre nez s’est enfin éloigné des organes génitaux, et au lieu de nous renifler les uns les autres avant de copuler, nous avons commencé à nous regarder, à nous parler, et la civilisation s’est épanouie sur ces bases radieuses ! Et cela dès la correspondance avec Fliess.

Le refoulement organique, c’est la lubie freudienne de base. Mais il y a deux indices qui permettent de dire que c’est une représentation entièrement culturelle et historicisée. Le premier indice, que je relève avec plaisir, est qu’il repère que l’homme aux rats est un « renifleur ». Un renifleur, ce n’est pas quelqu’un qui renifle. Un renifleur, c’est une perversion identifiée par Ambroise Tardieu en 1857, dans un des traités médico-légaux qui ont fondé la théorie des perversions. Un renifleur, c’est l’homme qui se masturbe en humant ou en regardant des femmes qui défèquent. Ambroise Tardieu, qui avait ses petites entrées dans les cabarets parisiens, faut-il crorie, avait repéré ce type de personnage et avait construit une petite catégorie nosographique à lui qui avait évidemment frappé les gens. Et puis le deuxième indice, c’est qu’il donne à lire à Lanzer La joie de vivre de Zola. Je ne sais pas si vous avez essayé de lire La joie de vivre, ça m’est tombé des mains, c’est un des plus épouvantables romans de Zola. C’est un roman qui est concentré sur le problème des effets délétères sur les organismes des dégénérés des odeurs de décomposition. Il y a une histoire d’usine d’algues, etc. C’est un truc étonnant, mais qui montre bien que ce qui est visé par des traces du fameux refoulement organique déficitaire chez Ernst Lanzer, ce sont des produits entièrement culturels d’une très haute sophistication dans le repérage de la construction des perversions, dans le type d’esthétique spécifique du neurasthénique fin de siècle, et je vous fais remarquer ainsi que Lanzer est à la charnière de plusieurs cultures de la merde, de la mauvaise odeur, et en particulier, parce qu’il est né dans les années 1880, il est à la charnière de ce mélange, de la culture populaire de l’excrément et de la culture savante.

En effet, c’est la génération où il va y avoir pour la première fois des WC dans les appartements. Et lorsque vous lisez le cas raconté dans le Journal, le jeu sur les lettres « WCL », c’est Freud qui a cette idée que dans « WCL » ou « WLC », il y a WC. C’est un objet complètement exotique, à l’époque. Il faut bien se représenter que quand il parle de WC, il est en train de parler de l’hygiène anglaise, et le WC dans les appartements suppose une invention dont le nom va vous faire éclater de rire parce que c’est une invention fondamentale de la psychanalyse : pour qu’il y ait des WC, il faut qu’il y ait un siphon à refoulement. S’il n’y a pas de siphon à refoulement, il n’y a pas de WC, et par conséquent le siphon à refoulement rend possible la névrose obsessionnelle.

C’est ce qui, en tout cas, rend possible la discipline de la défécation, qui arrive dans ces années 1880 chez les personnes privées. Elle a commencé à l’armée bien sûr – chacun son tour -, elle s’est communiquée à l’hôpital, puis elle est allée prospérer dans les collèges, et finalement elle est entrée dans les maisons des particuliers. Les années 1880 font qu’on peut penser que Lanzer est l’un des premiers européens qui a été également langé à l’anglaise. Ce qu’on appelle le langeage à l’anglaise, c’est cet enrobement dans un maillot qui fait qu’on est rapidement obligé d’apprendre aux enfants à se retenir, alors que dans toutes les cultures d’Europe centrale, en France, etc., jusque dans les années 1840-1850, on laisse les enfants faire sur eux, à cause justement des soins, de la lessive phénoménale que suppose le langeage à l’anglaise. Tout cet hygiénisme-là, c’est le passage dans la sphère privée des thèmes pastoriens. C’est par exemple l’installation de la douche, puisque le bain est quelque chose qui fait flotter des eaux suspectes dans les plis de votre peau. La douche est l’emblème même de l’hygiène, puisque ça provoque cet écoulement qui nettoie, et qui permet d’enlever toutes ces aspérités, sources de germes et de microbes, sur la surface du corps. Pensez bien par exemple, que c’est une recommandation d’hygiène pour tous les gens de cette génération et jusqu’en 1900, que de se racler continûment la langue avec dents pour enlever les mucosités qui sont des sources potentielles d’infection microbienne. On remplace le crachat, qui devient interdit, par le raclage permanent de la langue. En même temps que se met en place cette éthique du soin bourgeois, cette privatisation du corps autour de ces pratiques hygiénistes, persistent les croyances populaires dans les valeurs évacuatoires des humeurs, dans le pouvoir invigorant des humeurs nauséabondes. Par exemple Michelet, quand il est en panne d’inspiration, ouvrait les portes de ses latrines, inhalait d’un seul grand coup l’odeur, et par un effet d’inversion se réveillait l’inspiration ! C’est Bataille qui décrit ça dans la préface qu’il a écrit pour La sorcière. Les parfums de femme par exemple. Pourquoi le musc, qui est lui-même un produit excrémentiel ? Parce que le parfum de femme a pour but de renforcer l’odeur de femme de la femme. Ce n’est pas du tout quelque chose qui vise à masquer ou à fleurir. Toute la clinique du 18ème siècle, la clinique savante des pets, des rots, des crottes, des médecins de Molière qui dégustent les pots de chambre sur scène, toute cette clinique savante a complètement été engloutie par la rationalisation par l’hygiène et la construction de l’espace privé autour des disciplines de la mauvaise odeur, de la fécalité, etc., mais elle reste – si vous jetez un regard ethnologique autour de vous – un des piliers de l’éducation des petits. Quels sont les pères ou les mères qui changent leur petit sans regarder de quoi a l’air la crotte qu’ils vont mettre à la poubelle ! Comme s’il y avait là une sorte d’indication sur l’état interne du corps de l’enfant qui fait qu’il y a là une sorte de savoir instinctif qui reconduit les bases d’une clinique populaire. Comme toujours, ces savoirs savants enfouis rejaillissent dans la puériculture.

Vous voyez que toute cette analité que je me refuse aussi bien de considérer comme un besoin biologique déformé par le langage, que comme une réalité biologique qui donnerait lieu à des représentations, cette analité se rapporte à un contexte qui est entièrement historique, et que Lanzer se trouve à une charnière générationnelle très particulière, à cet égard. Quand sa mère veut le laver et qu’il refuse de se laver, quand on reproche au père de péter constamment, on voit bien que ce sont des cultures à la charnière de l’urbanisation, du devenir bourgeois, de la transformation du statut social, de l’acquisition d’un certain nombre d’attributs de l’hygiène du corps et du rapport à soi - dont la plupart des phénomènes rapportés à l’analité dans la névrose obsessionnelle - tout ça c’est du matériel culturel. Mais on ne peut voir ce matériel culturel fonctionner que si vous disposez d’un appareil conceptuel qui sait y prélever des enjeux, c’est-à-dire qui sait rapporter à ce qui se passe là, un faire incarné, un faire avec le corps, un « savoir se retenir », si vous y référer tous les enjeux de ce que c’est que le problème de l’agir et le problème de la maîtrise.



[1] Deviner = erraten. Je suis convaincu qu’il n’a absolument pas employé erraten devant Lanzer, et que le fait qu’il y ait « rat » dans erraten n’a aucune importance : c’est typiquement une fausse fenêtre, qui rabat sur un jeu de lettres né dans l’esprit des lecteurs obsédés par la lettre ce qui est l’essentiel, et qui est le rapport transférentiel en cause.