Les perversions, la sexologie et le mal

Pierre-Henri Castel – 3ème séance

(28 novembre)


Aujourd’hui, je vais faire l’étude psychanalytique des perversions en revenant à des questions théoriques générales. Et ce que je vais essayer de vous exposer ce soir, ce sont les raisons de fond qui font de la théorie des perversions une question théorique fondamentale pour le statut qu’on donne en psychanalyse à l’Œdipe, et en particulier sur le type de choix qu’on fait quand on est confronté à la question de savoir sur quel mode appréhender l’Œdipe. La question que je vais traiter aujourd’hui à travers une discussion qui va être assez précise, assez méticuleuse, d’une position anti-lacanienne explicite sur l’Œdipe et les perversions, c’est la question de savoir si on va penser l’Œdipe dans un registre structural, ordonné donc dans le lacanisme orthodoxe autour de la métaphore du Nom-du-Père, la métaphore paternelle, ou bien dans une perspective psychogénétique. Cette perspective psychogénétique est d’autant plus prégnante que bien évidemment, si vous dites que l’enfant est le pervers polymorphe, si vous enracinez dans des événements historiques souvent extrêmement apparents dans la clinique des individus qui viennent se plaindre – parce qu’évidemment on ne voit en psychanalyse que des pervers qui se plaignent – quand on explore leur vie, n’est-ce pas, il est très facile de voir qu’ils ont des enfances tout à fait particulières, si au nom de ça justement on ne peut pas s’appuyer sur une perspective psychogénétique qui va arriver à l’Œdipe, et faire éventuellement du pré-génital un objet extrêmement bien constitué sur le plan théorique, et évidemment c’est là une opposition totale à l’approche structurale de Lacan.

Dans la dernière séance, j’avais commencé d’ouvrir le champ qui me paraît nécessaire du point de vue psychanalytique, pour aborder cette opposition - à la question sociale, à la question esthétique, et même à des questions d’histoires intellectuelles. Dans la mesure où je crois que ce que je vous ai apporté la dernière fois - vous allez voir progressivement le lien avec l’Œdipe, le pré-génital, etc.-, ce que je vous ai apporté la dernière fois, c’est qu’il y a une question qui se pose au niveau de la raison, c’est-à-dire de la rationalité à laquelle on peut prétendre dans l’élucidation de ce qui a de plus déviant, de plus tordu, de plus bizarre chez l’être humain, et qu’on range comme ça au registre des perversions. Le risque de la Raison, c’est ce que je vous ai indiqué la dernière fois en vous parlant de gens dont on ne parle guère en psychanalyse, comme Adorno et Horkheimer, c’est que la Raison dégénère vite en une rationalisation légitimante de l’ordre en place. Et Adorno et Horkheimer se sont intéressés les premiers au rapport qu’il y a entre Kant et Sade, précisément pour cette raison-là. C’est-à-dire en disant : si l’on veut les Lumières, c’est-à-dire si l’on veut un regard absolument lucide et affranchi sur l’homme, jusque dans ses pires travers, déviations et excès, eh bien il faut passer par la philosophie au sens du 18ème siècle, et cette philosophie au sens du 18ème siècle inclut l’expérience des libertins. Elle ne l’inclut pas au titre d’une frange extrême, elle l’inclut en son centre. Il n’y a pas un seul philosophe du 18ème siècle pour qui la question de ce qui se joue - chez Choderlos de Laclos, Sade, etc. - n’est pas explicitement au centre. On pourrait très facilement le montrer avec Rousseau, on pourrait très facilement le montrer avec Voltaire ou Diderot. Tous ces gens-là savent où est l’enjeu. Adorno et Horkheimer, je vous le rappelle, reconnaissent à l’expérience des grands libertins, la qualité d’une confrontation sincère et radicale avec la loi et le mal. Plus qu’à Kant. Plus qu’à Kant, et ils font à ce moment-là toutes sortes de parallèle sur lequel j’ai abondamment glosé qu’on va retrouver dans Kant avec Sade et dans l’expérience de l’analyse, que Lacan dans les Ecrits met explicitement dans le registre de la continuation du projet des Lumières.

Cette question du genre de raison, de situation historique de la rationalité dans lequel nous sommes pour penser ce dont il s’agit avec les pervers, vous voyez que j’essaie de l’élargir beaucoup plus loin que, je dirais, la traditionnelle critique de la médicalisation des perversions, ce que vous pouvez trouver chez Lantéri-Laura, en essayant de la faire remonter à la position du sujet moderne que je crois beaucoup moins être le sujet cartésien, comme étant susceptible d’analyse, que peut-être plus profondément le sujet de la révolution française, le sujet autonome, le moi, qui décide des fins collectives de la raison.

Cela implique que si l’on veut élucider ce qu’est l’homme jusque dans ses extrêmes, le problème de la perversion nous oblige à remonter aux raisons de la perversion, à prendre au sérieux les raisons dans lesquelles la perversion prend sa forme moderne, et je crois que c’est la forme sous laquelle elle nous intéresse, c’est-à-dire la forme d’une revendication de la liberté de l’individu. Cette revendication-là, ce sont les cartes qui nous sont données historiquement, et Adorno et Horkheimer nous rappellent qu’elles nous sont données historiquement à partir de la position du sujet bourgeois au 18ème siècle, de l’invention de la liberté de l’individu comme valeur absolument suprême allant au point de décider comme on le voit aujourd’hui, de la propriété du corps, de la propriété de soi, du libre usage finalement de tout ce que je peux faire et qui ne nuit pas à autrui. C’est là, n’est-ce pas, quand on se pose la question de la norme, du pouvoir supposé si fécondant de la subversion perverse par rapport aux normes en place, c’est sûr que la question du pervers comme dévoyé ¾ un dévoyé, et c’est très exactement comme ça que d’ailleurs il est conçu quand on enferme les libertins ¾ c’est antérieur à la construction sociologique de la figure du déviant. La figure sociologique, au sens d’une science sociologique du pervers comme déviant, il faut la penser à travers toutes les catégories qui permettent de parler rationnellement de la déviance. Et si la loi c’est le désir, alors la question qui se pose c’est de savoir pourquoi la voie normale, qui n’est pas la voie du dévoyé (s’il y a un dévoyé c’est qu’il y a une voie normale), pourquoi est-elle normale ?

Je reviens par un renversement qui j’espère ne vous déséquilibre pas trop, à ce que je vais aborder ce soir. C’est-à-dire la question de l’abord structural des perversions par opposition à un abord extrêmement naturel, qui est l’abord psychogénétique. Je vais le faire ce soir en examinant soigneusement le produit d’une tête solide, d’une anti-lacanien solide, Janine Chasseguet-Smirgel, qui a écrit un livre en 84 qui s’appelle Ethique et esthétique de la perversion auquel il ne manque pas un bouton de guêtre de l’érudition freudienne, et qui construit une théorie minutieuse de la perversion qui est je crois le contre-point parfait de ce qu’on peut trouver, déduire ou construire à partir de Lacan.

Pourquoi l’abord structural communique-t-il avec l’abord des perversions ? C’est parce que tout simplement, dire qu’il y a structure ¾ il ne faut pas aller chercher midi à quatorze heure ¾ c’est dire que la norme est immanente. Une structure, c’est une norme immanente. Ce n’est pas quelque chose que vous avez besoin d’imposer du dehors et qui fonctionne comme un appareil d’idéalisation autour duquel se stabilisent ou s’équilibrent les choses. Une approche structurale d’une pathologie mentale, et en particulier de la perversion, consiste à dire que sa norme est là à l’intérieur d’elle-même. C’est comme ça que la chose se produit. Si vous avez un abord structural, ça veut dire que vous vous orientez dans la structure. Poser un diagnostic c’est s’orienter dans la structure. Et c’est se donner les moyens de déduire les aspects des choses.

Je dirai, pour employer un mot que j’aime beaucoup et qui vient en fait de l’économiste von Hayek qui avait une conception particulière de l’économie scientifique, Hayek disait qu’il ne faut surtout pas demander aux économistes de prévoir des événements. La seule forme scientifique qu’on peut avoir de l’économie, c’est d’une économie qui construise ce qu’il appelle des " théorèmes d’impossibilité ". Exemple : si vous avez du chômage, vous n’avez pas d’inflation. Et si vous avez de l’inflation, vous avez du chômage. Il y a des choses comme ça qui sont des corrélations nécessaires de ce type-là. On ne peut pas dire ce qui va se passer, mais on peut construire des théorèmes d’impossibilité. Je crois que s’orienter dans une structure, c’est à partir justement d’une appréhension correcte des éléments du cas, construire des théorèmes d’impossibilité. c’est-à-dire voir que si on fait ceci, ça va être payé ailleurs de telle et telle manière. Si vous avez un abord psychogénétique de la perversion, alors ça veut dire que vous êtes condamnés à une sorte de théorie de l’adaptation. Parce qu’il faut que votre psychogenèse soit orientée vers un but, un telos. Et vous avez deux façons de considérer ce telos. Soit vous avez le but qui est l’adaptation sociale, soit encore à un niveau supérieur, un autre but qui serait, disonsn, les fins de l’espèce en vue de la reproduction. Et les deux conspirent pour un général aboutir à ce résultat qu’on voit dans toute théorie normative des perversions, qu’il y aurait un achèvement particulier dans l’hétérosexualité génitale adulte.

Il ne faut pas rire de ça. Je ne suis pas du tout partisan de rire de ça. Il suffit simplement de s’occuper d’enfants. Si vous vous occupez d’enfants, bien évidemment vous avez parmi des responsabilités éthiques qui font partie du tableau, celles de faire grandir les mômes. Et puis les gens qui auraient comme ça l’idée que l’hétérosexualité génitale adulte, c’est une norme sur laquelle un vrai psychanalyste devrait s’asseoir, devrait penser à ce qu’il dirait si ça s’adressait à leurs enfants. Ce n’est pas du tout évident que dans la perception éthique que nous avons des choses, on doive considérer sur un mode libertaire tout ceci comme ne pesant rien. Donc si on inclut l’analyse d’enfants, qui est une analyse directive, où il y a une certaine directivité obligée, vous allez avoir beaucoup de mal à ne pas guider votre interprétation d’un phénomène de maturation sur tout ce que dans Freud vous trouvez qui va dans le sens d’une psychogenèse.

La deuxième chose, c’est l’idée que la théorie psychanalytique décrit un processus historique réel. Autrement dit, que ce que vous appréhendez dans la cure de l’adulte dans le registre de la régression correspond a contrario à une sorte de progression de l’enfant, qui est passé par ces étapes-là, et que cet enfant s’est constitué subjectivement en passant par les différentes étapes que vous inférez de la régression. Tout ça non seulement a l’air, mais je crois est cohérent. On aurait beaucoup de mal à dire que c’est complètement farfelu. Mais là ça implique quelque chose qui n’est pas simplement du registre éthique, mais qui est du registre épistémologique. L’idée que la théorie psychanalytique décrit un processus réel de maturation, c’est quand même une certaine façon d’interpréter le jeu des représentations, la transmission de l’analyse dans le sens d’une théorie psychologique qu’on pourrait vous enseigner. Voilà donc qui donne une certaine couleur aux représentations qu’on brasse. Il est certain que même quand vous m’écoutez, selon que vous considérez les représentations que je manipule comme relevant d’un registre ou l’autre, c’est-à-dire est-ce que je suis entrain de faire une théorie de la perversion vous décrivant les étapes psychologiques etc., ou bien est-ce qu’au contraire je suis entrain de produire des représentations théoriques, des affects, etc., qui sont pris dans un tout autre registre ¾ le registre d’un transfert qui serait au fond le cadre même de votre mobilisation subjective et de la mienne, par rapport à ces objets ¾ ça ne rend pas le même son, si vous y faites attention. Nous ne sommes pas les uns par rapport aux autres dans la même position. Alors entre ces deux abords, qui vont être mis en tension au maximum par la théorie des perversions, qui est une théorie incroyablement psychogénétique chez Freud, est-ce qu’il faut trancher ?

Eh bien, ce que je vais essayer de maintenir comme position un peu bizarre, un peu de guingois, c’est que j’aurais plutôt tendance à exploiter ce que je vous ai dit la dernière fois (d’Adorno et d’Horkheimer, et puis aussi de Lacan) comme un moyen d’interroger justement la différence qu’il y a entre aborder les raisons de la perversion, le fait que les pervers ont une bonne raison d’être ce qu’ils sont (ils ont une fonction par rapport à une distribution des cartes, historique, qui les dépassent très largement et dont d’ailleurs bien souvent ils n’ont même pas conscience), et puis ce qui est le mauvais côté, grincheux, normatif, des théories psychogénétiques, qui serait simplement la rationalisation de leur perversion comme une déviance par rapport à quelque chose qu’il ne faudrait pas interroger parce que ça serait naturellement normal. Dans Kant avec Sade, c’est bien en jeu. Reconnaître qu’on n’est pas mieux aidé, in fine, à être kantien qu’à être sadien ¾ c’est-à-dire qu’il y a un impossible qui se dessine là-dedans, et que cet impossible est particulièrement bien cerné par le conflit de ces deux rationalités, autour de la notion de loi ¾ , c’est quelque chose qui n’est pas une théorie psychologique sur la perversion. Cela vise à rectifier nos positions subjectives à l’égard des discours qui sont tenus sur la perversion, et qui sont notamment tenus sur les pervers. Il faut entendre ce que c’est que parler de la perversion comme une sorte de tentative de bouger, d’ouvrir les oreilles et les yeux, y compris quand ça prend des proportions aussi extravagantes de difficultés que dans Kant avec Sade.

Cette série d’oppositions entre la métaphore paternelle et je dirai la psychogenèse des stades qui vont progressivement fabriquer le petit pervers, et puis le grand pervers, ce n’est pas simplement une opposition entre une méthode d’analyse structurale et une méthode d’analyse génétique par schémas successifs, schémas de la relation d’un sujet à un objet ¾ c’est toujours comme ça que se sont construites les théories des stades. C’est je crois théoriquement un choix majeur. C’est du côté de Lacan l’idée qu’on part de l’Œdipe, et qu’en dehors de l’Œdipe je dirai très clairement, théoriquement point de salut. C’est-à-dire qu’on ne peut penser le pré-oedipien que parce qu’on a de l’oedipien. Ceci s’oppose à une théorie qui est celle, extrêmement bien développée, de Chasseguet-Smirgel ¾ à partir non seulement de Freud, mais de la correspondance entre Freud et Abraham qui est l’inventeur de la théorie des stades, qui est celui qui l’a le mieux formalisée ¾ , une théorie historique où vous allez du pré-génital au génital, et où l’Œdipe au lieu d’être un cadre à l’intérieur duquel vous pensez la théorie psychanalytique, est tout simplement une étape à laquelle on arrive ou on n’arrive pas. Avec comme conséquence de cette représentation, qui est une représentation extrêmement forte sur le transfert, c’est que si vous êtes dans le cadre de l’Œdipe, que le cadre de la cure c’est un cadre dans lequel ce qui est engagé ce sont des identifications œdipiennes, alors qu’on y réponde ou pas, qu’elles prennent ou pas, ça veut dire que vous allez penser la sexualité infantile sur le mode de l’infantilisme de la sexualité adulte. Qu’est-ce que c’est que la sexualité infantile ? C’est ce que nous pouvons appréhender à travers l’infantilisme de la sexualité de l’adulte. Donc la régression sera comme le dit très fermement Lacan, régression signifiante. Mais si au contraire, vous vous placez dans l’idée que la théorie décrit un processus réel, alors le transfert est complètement pris sur un autre registre, c’est-à-dire que ce n’est pas simplement le mode de transmission du savoir analytique comme celui qui est en jeu dans ce qu’on fait ici. Puisque le phénomène historique, le processus historique va être investi d’une valeur démonstrative, va être retourné au patient comme une démonstration intégrée à l’intérieur d’une interprétation qui fonctionne comme la théorie d’un processus, vous allez vous appuyer sur la maturation de l’enfant, reconstituer les détails historiques de l’acquisition ou des crises de la sexualité infantile, et à partir de cela examiner les reliquats de fixation que vous observez dans les symptômes chez l’adulte. Vous avez donc là une invitation directe à une reconstruction biographique.

C’est très compliqué parce que voyez, je ne voudrai pas proposer une simple alternative entre les deux théories. Je ne vais pas adopter dans ce séminaire une position qui consiste à dire que Lacan serait censé avoir dit ça, surtout que je crois qu’il n’a pas dit ce que ses commentateurs comme Joël Dor par exemple dont j’ai parlé sur les perversions lui font dire. Ce ne sont pas des alternatives entre des théories. Parce que de fait, c’est vrai que tel patient a eu telle enfance dont il dit ceci. Et que ça s’oppose à une représentation selon laquelle l’enfant doit devenir tel adulte s’il lui arrive ceci ou cela. Mais je ne voudrai pas donner à choisir. Je voudrai qu’on puisse avoir un rapport critique sur le fait que ces deux façons de voir la perversion existent. Et que je ne crois pas du tout que c’est par un choix théorique ou par la démonstration que l’autre a tort qu’on va avancer. Ce n’est pas parce que nous sommes pris, de façon inéluctable, dans des processus de rationalisation normative, dès que nous cherchons à comprendre comment marchent les choses, il suffit simplement de chercher à comprendre comment ça opère pour que nous rationalisions les choses, que nous fabriquions de la norme, et que nous ne pouvons pas éthiquement, ou pratiquement, faire sans. Que d’un autre côté, nous ne pouvons pas introduire à l’intérieur de notre recours à la raison, selon l’argument que je développai la dernière fois, la conscience que cette raison nous confronte ultimement à un impossible et que le pervers est quelqu’un qui met en difficulté la raison elle-même, quelqu’un qui produit une contre-raison, une anti-raison. Ce qui est le sens je crois profond, de ce que disent Adorno et Horkheimer. Il faut rendre en quelque sorte au pervers, quelque soit la norme à laquelle on va le mesurer, la puissance qu’il a manifesté comme libertin, la puissance subversive et intellectuelle qu’il a manifesté comme libertin.

Le libertinage me ramène à la perversion, en essayant de revenir aux Trois Essais, dont je vais commenter différentes éditions, en essayant de montrer les virages progressifs que Freud prend à l’égard de la théorie du pervers polymorphe, en vous disant des choses qu’on ne dit pas souvent, mais qu’il faut voir en retournant dans le texte.

Prenez l’expression " pervers polymorphe ", est-ce qu’elle est psychogénétique de façon unilatérale ? Comme toujours, comme toujours quand Freud est très psychogénétique, voire phylogénétique ¾ n’est-ce pas, en disant que ce sont des trucs qui sont dans l’espèce, qui se transmettent d’une façon qu’on appelle le psycholamarkisme, des caractères psychiques acquis qui passent de génération en génération ¾ , Freud a toujours deux fers au feu. Il dit bien que l’enfant est un pervers polymorphe, mais ce que nous concevons du pervers polymorphe, regardez trois lignes après, c’est sur le modèle de ce dont est capable une prostituée. Ce qui n’a strictement rien à voir avec une représentation de sexologie objective de petits enfants qui font ceci ou cela.

Le deuxième élément incontournablement psychogénétique qui fait appel à l’enfant tel qu’il existe au sens ordinaire, c’est que le moment crucial de la constitution du fétiche semble dans des textes extrêmement nombreux de Freud, être un moment infantile. C’est un moment où il y a un virage qui est normalement vers la phobie, mais qui peut être quelque fois vers la perversion par le biais du fétiche. Or la phobie, c’est extrêmement difficile de dire que chez un enfant, un épisode phobique est un épisode pathologique. Un épisode phobique, on a presque l’impression que c’est nécessaire et structurant chez un enfant. Evidemment, à quoi répond cet épisode phobique ? A l’appréhension du fait qu’il manque quelque chose à maman. Il manquerait quelque chose, du genre un pénis, quelque chose comme ça. Je préfère dire " quelque chose comme ça ". Je préfère laisser la liberté métaphorique de construction. Et qu’il y aurait quelque chose là qui pourrait s’exercer comme un pouvoir castrateur dont le corps du petit garçon lui-même pourrait être l’objet. Alors, c’est là qu’on arrive à ce qui est vous le savez le pilier de la théorie freudienne du fétichisme, et sur lequel je vais suivre Janine Chasseguet-Smirgel en essayant d’analyser son argument, c’est " la mère a et n’a pas le phallus ".

C’est l’article de 1927 sur le fétichisme qui est n’est-ce pas la clef de voûte en particulier de l’interprétation que Joël Dor donne du statut du phallus chez Freud et de sa reprise sur un versant structural par Lacan. J’ai dit tout le mal que je pensais de cette relecture par Joël Dor, et j’aurai l’occasion de la développer. Je continue ma problématique, parce que je crois que Janine Chasseguet-Smirgel pose une excellente question. Elle se demande si pour rendre compte des phénomènes cliniques du fétichisme, on peut se contenter de ce clivage de l’article de 27. Est-ce que ce clivage est organisateur de la structure fétichiste ? Son point de vue est un point de vue clairement, de façon explicite, elle le dit à deux ou trois endroits du livre, anti-lacanien. Ce qu’elle appelle un point de vue anti-lacanien est un point de vue qui met en question ce qu’elle appelle le " monisme phallique " : que tout se jouerait dans l’idée qu’il y a une appréhension " la mère a ou n’a pas le phallus ".

Voilà les raisons, les quatre raisons fondamentales je crois pour lesquelles Chasseguet-Smirgel pense que ça ne tient pas debout, et que ça ne tient pas debout chez Lacan ou chez les lacaniens, parce que ça ne tenait déjà pas debout chez Freud. C’est-à-dire que Freud est arrivé effectivement à un moment à cette théorie, mais elle s’effondre à l’intérieur même des différents textes de Freud sur la différence sexuelle, la perte de réalité dans la névrose et la psychose, et d’autres textes encore.

Alors les quatre raisons sont les suivantes.

  1. C’est qu’en clinique, on ne peut pas du tout en rester à une appréhension stade phallique–complexe de castration du fétichisme. On est obligé dit-elle, d’inclure dans cette dimension le stade anal. Et même, dit-elle ¾ et je crois que c’est vrai, il suffit d’avoir vu un grand pervers en analyse ¾ le stade oral. Il y a une dimension d’une oralité chez les grands pervers qui est tout à fait frappante.
  2. Deuxième argument, qui est un argument ad hominem, c’est le cas de le dire, c’est que cette théorie lui paraît une théorie qui entérine un point de vue pervers lui-même. Autrement dit, qui reconduit dans la théorie, qui cristallise et intellectualise l’ignorance du vagin. Parce que c’est une théorie qui ferait de l’appréhension de la différence entre les hommes et les femmes dans l’inconscient la différence entre quelqu’un qui a et quelqu’un qui n’a pas le phallus. Et que le problème, vous allez voir que ça prend des proportions considérables chez Chasseguet-Smirgel, c’est que dans la " réalité " ¾ et elle insiste sur le mot ¾ les femmes ont un vagin. Et ça c’est autre chose que de ne pas avoir de phallus. En faisant tout reposer sur la question du phallus, c’est finalement la question du vagin qui passe à l’as.
  3. Troisième argument ¾ en fait je m’aperçois qu’il y en avait cinq, excusez-moi ¾ , c’est que non seulement il faut recourir à l’anal et à l’oral pour rendre compte de ce qui se passe vraiment dans un cas de fétichisme, et qu’en mettant l’accent sur ce qui se passe avec le père, et le rapport de la mère au père dans la théorie lacanienne standard ¾ je crois qu’elle parle de Dor, parce que c’est un texte de 84 et que les articles de Dor sont de 81, et elle part aussi probablement de l’article de 67 de Piera Aulagnier sur la structure perverse ¾ elle dit : si on ne tient pas compte justement de l’anal et de l’oral, si on se situe au phallique où évidemment il y a un idéal du moi ordonné au père, on oublie toute la sphère d’interaction précoce mère-enfant, qui a lieu avant l’Œdipe, et sur laquelle les pervers nous racontent toute sorte de chose.
  4. Quatrième argument, qui est un argument vraiment très intéressant, sa théorie est plus puissante pour penser les spécificités culturelles de l’esthétisation perverse. Ça c’est extrêmement intéressant. C’est qu’il y a une caractérisation par Janine Chasseguet-Smirgel du problème qu’a le pervers avec son œuvre d’art. En particulier elle propose une théorie extrêmement raffinée de la distinction entre idéalisation et sublimation qui aboutit je crois à produire des invariants de ce que c’est qu’on appelle les sublimations du pervers (ses objets d’art, etc.), où il me semble qu’il y a des éléments à retenir, tout à fait féconds. J’insiste bien. Bon, on ne peut pas dire devant tout le monde en milieu lacanien qu’il faut lire Chasseguet-Smirgel, j’en profite devant vous ! Mais c’est une tête solide, il y a des choses qui méritent réflexion.
  5. Puis cinquième et dernier argument, mais qui me fait rejoindre Joyce Mc Dougall dont je vous parlai la dernière fois : c’est que si on en reste à cette théorie phallique (+/- phallus dans l’imago maternelle tirée de Lacan), eh bien on ne décrit pas tout le champ possible de l’évolution thérapeutique. On risque de brider le transfert dans un cadre impropre à la prise en charge de ces patients. Joyce Mac Dougall indique clairement, dans certains récits qu’elle fait, des choses qui ne sont pas de l’analyse tout à fait standard. Ce qu’elle fait sort de certains cadres rigides au nom d’une certaine compréhension de la " néo-sexualité ".

Donc voilà ses arguments, voilà ce que je vais essayer de mettre en jeu en essayant de vous faire sentir à quel point ça devrait pouvoir mobiliser la façon dont on écoute ou dont on voit un certain nombre de phénomènes, que ce soit des patients bien sûr, mais que ce soit aussi des œuvres d’art ou des discours qui sont tenus sur la perversion.

J’ai prévu un développement plus court que la dernière fois je vous rassure.

Je vais donc me livrer à une lecture et à un commentaire critique de la théorie que Chasseguet-Smirgel fait des perversions, sous l’angle que je dis. La prochaine fois, où je parlerai des perversions, je parlerai de la perversion chez Lacan en essayant d’embrayer d’une façon assez différente des choses que vous trouvez dans les exposés de Dor et Aulagnier, qui portera sur le fait que Lacan ne parle jamais ou quasiment jamais de la " mère phallique ", qui est le morceau de résistance des théories orthodoxes depuis un article de Bak, qui s’appelle la mère phallique, un article de 68, qui est un des grands piliers de la théorie des perversions dans l’orthodoxie freudienne. Justement, il évite toujours de parler de ça, il parle de choses beaucoup plus compliquées. Et puis j’essaierai de vous montrer que contrairement à ce que raconte Dor, ça n’est pas une structuralisation de Freud à laquelle on assiste chez Lacan, mais à un véritable déplacement de la question des perversions qui est recentrée, qui est déplacée de la question du phallus vers la question de l’objet (a). J’essaierai de vous montrer que ça change beaucoup de choses, et ça répond à beaucoup d’impasses que pointe fort justement Chasseguet-Smirgel. Et puis, je ne sais pas dans quelle mesure je vais pouvoir le faire, mais j’ai prévu de vous exposer un cas problématique, d’un artiste en analyse, et de la question de savoir s’il est pervers ou pas, si son œuvre d’art, articulée à ses symptômes et articulée de façon assez substantielle et complexe, relève de la perversion ou pas. La perplexité étant je crois une perplexité qui… bon, je ne sais pas si elle pourra être tout à fait levée. Je ne sais pas si je vais pouvoir le faire, parce que le problème c’est que comme toujours, si on veut faire de la théorie, il faut s’appuyer sur des choses extrêmement précises, et si je m’appuie sur des choses précises, autant vous donnez le nom de l’artiste, parce que la description des œuvres d’art qui sont si bizarres, si particulières, entraîne une sorte d’identification, ce qui est peut-être d’ailleurs le propre de cette perversion. C’est-à-dire que le nom propre vient coïncider de façon immanquable avec l’œuvre produite. Je vais voir comment je peux essayer de résoudre ce problème.

Je vais donc suivre aujourd’hui, en le commentant, ce point de vue anti-lacanien, sur la perversion, ce qui sera un peu aussi l’occasion pour ceux d’entre vous qui ne l’ont pas en mémoire, de vous rappeler quels sont les points du texte freudien dans lequel les choses sont en discussion, et pourquoi c’est vraiment beaucoup moins une théorie, qu’une série d’interrogations qui accompagnent l’élaboration même de la psychanalyse. On va prendre les choses chronologiquement… Avec un point de vue psychogénétique, ça me paraît naturel !

Donc, ce que fait Chasseguet-Smirgel, c’est de partir du point de départ de Freud sur les perversions en rappelant des choses qui sont tout à fait justes. Les deux premiers points, c’est que Freud a d’abord tenu, comme certain, que la névrose était le négatif de la perversion. Au début il dit " pour ainsi dire ", et puis dans le cas de Dora, il enlève le " pour ainsi dire ". Il enlève le " pour ainsi dire " dans la mesure où il dispose justement d’une théorie de la négation qui est, je crois, un des fils rouges théoriques secrets de la théorie de la perversion. Si vous voulez avoir une théorie de la perversion qui tienne debout, il faut réussir à avoir une théorie de la négation, et ce que j’appellerai une théorie de la négation conjonctive. C’est-à-dire que comment est-ce que quelqu’un peut être à la fois complètement d’accord pour dire qu’il y a des hommes et des femmes, que c’est tout à fait différent, qu’il est capable de les identifier dans la réalité, sauf que la différence sexuelle, elle n’existe pas. Comment est-ce que quelqu’un peut avoir cette espèce de double discours ? Ça met en question le statut de la conjonction et de la négation. C’est ça, la névrose négatif de la perversion. Est-ce que c’est un négatif photographique ? Qu’est-ce que c’est que ce non ?

Dans le premier Freud, je vous rappelle que Freud est extrêmement mal à l’aise avec cette question de la négation puisqu’il nous dit que l’inconscient ignore le non, puis ensuite il passe quarante pages dans la Traumdeutung à expliquer comment l’inconscient se débrouille avec le non pour faire que le non apparaisse sous telle ou telle forme, et de telle ou telle manière. Ça vous donne une lumière sur à quel point c’est obscur l’idée que la névrose est le négatif de la perversion. Chasseguet-Smirgel fait cette remarque très juste, ce n’est pas la névrose qui est le négatif de la perversion. C’est l’hystérie. C’est-à-dire que le modèle négatif, ce n’est pas n’importe quelle névrose, en particulier, ce n’est pas d’emblée la névrose obsessionnelle, c’est l’hystérie. C’est bien dans le cadre de l’extension de l’hystérie que vous avez l’extension de la perversion jusqu’à en faire ce qu’il appelle quelque chose de normal.

Directement, vous êtes au cœur du problème de savoir ce qu’est l’inconscient. En réalité, c’est extrêmement difficile de savoir si on peut même parler d’inconscient et pas pour une raison psychologique, mais pour une raison conceptuelle. Je ferai juste cette remarque que Frege s’est fait à la fin de sa vie : est-ce qu’il existe des concepts négatifs ? Est-ce qu’on peut parler de l’impossible, de l’impuissance, de l’inconscient, de l’invisible ? Ou bien est-ce qu’on parle toujours de quelque chose de positif, auquel on affixe un opérateur de négation ? Ce qui fait que vous n’avez jamais des concept négatifs, mais toujours deux concepts : un positif et une négation. C’est extraordinairement vif avec la question de savoir ce que vous avez quand vous parlez de l’inconscient d’un pervers. Est-ce que l’inconscient d’un pervers ça consiste à dire qu’il est conscient de tout sauf qu’il dit non à une partie, ou est-ce qu’il y a positivement quelque chose qui est de l’ordre de l’inconscient, auquel font barrage un certain nombre de conduites conscientes ?

Tout ça est un moyen de dépsychologiser la question du clivage. Une situation dont je vous parlerai, d’un patient dont je n’ai jamais su le nom, qui s’est présenté à moi sous son pseudonyme de femme, de transvestiste, qui est venu plusieurs fois, qui a payé, qui a parlé, qui a dit des tas de choses, qui ne m’a jamais donné un chèque où j’aurai pu voir son nom, et qui ne m’a jamais un numéro de téléphone. Vous avez quand même un phénomène extraordinaire de clivage, où on a l’impression que tout est de l’ordre de la conscience, avec des coups de clivage dont il est conscient, et pas du tout de ces espèces de position qu’on repère très bien dans ce que les gens ne s’entendent pas dire. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’entendait dire tout ce qu’il me disait.

La façon dont Chasseguet-Smirgel travaille le problème du négatif, en le biaisant dans son sens, c’est la suivante. Elle interprète la névrose comme négatif de la perversion en disant que du coup on doit en déduire que les actes pervers sont " le positif " des fantasmes du névrosé. C’est comme ça qu’elle retourne la chose. Pour rendre fécond le terme de négatif, et l’articuler à la notion d’inconscient, elle dit que les actes pervers sont le positif des fantasmes du névrosé. Et elle interprète le fantasme comme étant, au fond, déjà une liaison du désir qui s’actualise. Une sorte de poussée du désir qui s’actualise, qui est lié par des représentations, lesquelles font fantasme. Je vous ferai une remarque là-dessus : ce n’est pas parce que vous avez de l’actualisation que vous avez de l’acte. Il m’en faut un peu plus pour avoir de l’acte. Pour avoir de l’acte, il faut un autre qui authentifie l’acte comme acte. Qu’est-ce qui fait que j’aurai dit quelque chose ce soir ? Ce n’est pas la poussée d’avoir envie de vous dire quelque chose s’actualisant. C’est ce qui dans l’Autre aura fait coupure. Cette façon de jouer sur " l’actualisation de la poussée ", se donne à bon marché la dimension de l’acte inscrite dans un champ symbolique. Je rappelle qu’il y a quand même une différence entre une action sexuelle, et un acte sexuel. Je ne doute pas qu’un sexologue puisse vous rééduquer à des actions sexuelles, je doute fort qu’il puisse vous donner les moyens d’un acte sexuel. Ce n’est pas du tout le même registre, ni les mêmes coordonnées.

Cela dit, c’est comme ça qu’elle le prend, et vous allez voir comment toute cette opération implique en fait une relecture complètement gigantesque de la notion de dénégation chez Freud, même de la notion de Verneinung. Ça va extrêmement loin, de traiter cette phrase au départ de négatif. Ça implique une récusation radicale de la notion d’opposition signifiante tout en étant bien obligé d’en faire quelque chose, etc.

Le deuxième pilier dont part Freud dans la théorie de la perversion, je le rappelle, c’est la fameuse idée totalement énigmatique de " refoulement organique " qui semble avoir fait partie des marottes du cher homme, parce que non seulement ça apparaît dans la correspondance avec Fliess en 1896, mais c’est carrément réintroduit en fanfare dans Le malaise dans la culture en 1930. Toute sa vie, Freud a considéré qu’il y avait un refoulement organique, qu’il y avait un abandon organique de certaines zones d’excitation, et le prototype qu’il en donne et qui va beaucoup inspirer Chasseguet-Smirgel, c’est l’abandon de l’olfactif. C’est-à-dire que le redressement de la stature de l’être humain va finir par lui faire abandonner cet espèce de goût qu’ont les chiens, qui se disent bonjour en se reniflant, ce que nous faisons beaucoup moins, parce que nous marchons sur nos deux pieds. Ce qu’elle fait, ça consiste à durcir un petit peu l’idée en disant que le refoulement organique fondamental sur lequel échoue le pervers, c’est le refoulement de l’olfactif anal. Et qu’il va toujours y avoir cet espèce de point de fixation du sale, du dégueulasse, du puant à l’horizon de la perversion. Un effet de sale.

L’originalité de Chasseguet-Smirgel c’est de récupérer beaucoup des difficultés de Freud pour construire son truc. C’est pour ça que je dis que c’est une tête solide. Ce n’est pas du tout quelqu’un qui dit que Lacan a tort parce qu’il ne comprend pas ceci ou cela. Elle propose une théorie alternative et qui je crois me paraît totalement cohérente à ce qu’elle s’imagine être la théorie de Lacan, qui est en tout cas certainement la théorie de Dor.

Deuxième moment fondamental de la construction de la théorie des perversions et de l’article sur le fétichisme, c’est " Un enfant est battu ". L’analyse qu’elle en présente est extrêmement minutieuse et repose en particulier sur une hypothèse importante, c’est qu’un des hommes dont parle Freud dans ce cas, c’est l’homme aux loups. Hypothèse qu’on peut probablement étayer historiquement, mais qui à ma connaissance n’est pas parfaitement établie. Je vous rappelle que dans le fantasme de fustigation, dont parle Freud dans ce texte, il y a quatre femmes et deux hommes. Ce qui se passe chez les femmes et chez les hommes est fondamentalement distinct.

Dans le cas des femmes, le fantasme " Un enfant est battu ", dans les cas qui sont analysés, à trois moments, le père bat un enfant haï par moi - parfois le frère… - ce qui a pour conséquence il n’aime que moi. Deuxième moment dont Freud dit qu’il n’est jamais remémoré (je ne sais pas d’ailleurs si dans la littérature analytique il y a des gens qui ont essayé de montrer que le deuxième temps était remémoré, ça serait intéressant), mais enfin lui il dit qu’il n’est jamais remémoré, et toujours construit, c’est-à-dire que c’est une opération de construction qui l’amène, c’est je suis battu par le père. Ce qui implique la répression des amours incestueux, par la punition d’un acte qui a eu lieu avec un tournant masochiste. Troisième temps qui lui est le temps du fantasme conscient : un enfant est battu. Dire que c’est le temps du fantasme conscient, c’est beaucoup dire. C’est-à-dire que c’est un fantasme, qui dans le préconscient je dirai peut assez facilement émerger. C’est le fantasme à forme sadique, dont la satisfaction est masochiste, avec un voile jeté sur qui sont les enfants et qui est celui qui bat. Et c’est extrêmement peu érotique, c’est extrêmement peu érotisé, dit Freud à ce moment-là.

On trace un trait, on va du côté des hommes.

Chez les deux hommes dont il parle, et dont l’un est semble-t-il l’homme aux loups, les deux sont de véritables masochistes qui se font taper les fesses. Le premier temps, c’est la mère bat l’enfant. La mère bat l’enfant étant articulé d’une façon assez compliquée à je suis aimé par le père. Moi l’enfant, je suis aimé par le père. Deuxième temps, dit Freud, dont il y a à la différence du cas féminin, parfois remémoration. " Parfois ", ça doit vouloir dire dans un cas sur deux, et la question est évidemment de savoir si c’est l’homme aux loups qui le cas ou pas : Je suis battu par la mère. Vous savez qu’on sait très peu de choses sur la mère de l’homme aux loups. Mais le sens de ce je suis battu par la mère, c’est une passivation homosexuelle vers le père. Et puis, troisième temps, retour du premier : je suis battu par la mère, mais à la limite d’une expérience incestueuse érotique, qui fait que c’est extrêmement érotisé par les masochistes, avec évidemment une génitalisation de la satisfaction.

Chez le garçon, dit Janine Chasseguet-Smirgel, si vous recroisez le phénomène, le germe de la perversion, donc le temps 2, fait pendant à la genèse du masochisme moral féminin, qui n’est pas encore nommé dans l’article de 19, mais qui le sera comme tel en 24. L’idée de Chasseguet-Smirgel, c’est que chez le garçon masochiste, le je suis battu final se déplace vers la mère puis vers le père. Et ce qu’elle essaie de faire valoir et qui va prendre une proportion considérable dans sa théorie, c’est que ça montre la fragilité intrinsèque de la barrière de l’inceste. Ce dont le masochiste fait l’expérience, c’est que la barrière de l’inceste est friable. Et qu’au fond, dans un enfant est battu, que ça puisse osciller tantôt dans battu par maman ou battu par papa, passivé homosexuellement ou bien complice de l’inceste, ça atteste du fait qu’il y a quelque chose de la barrière de l’inceste, et donc de l’Œdipe qui est complètement friable. Mais qui ne peut avoir pour cause, continue-t-elle (parce qu’en réalité ce qui est en jeu chez le masochiste, c’est son moi, c’est sa personne) qu’une menace pour le moi. Et cette menace pour le moi est pré-oedipienne. Il y a une peur du moi d’y laisser sa peau, de périr, qui est une peur pré-oedipienne, et à laquelle l’Œdipe ne réussit pas dans le cas du pervers à stabiliser la forme en l’encadrant.

J’insiste bien sur ce point, parce que vous voyez le thème qu’elle introduit. C’est qu’il y a bien un petit enfant, longtemps avant qu’on entende parler de l’Œdipe, que cet enfant a une sorte de moi, que ce moi est en péril, qu’il est exposé à toute sorte de stimulation de type anal, de type oral, et que c’est avec toutes ces stimulations pré-génitales qu’il s’achemine vers un Œdipe qui va plus ou moins prendre selon qu’il aura été plus ou moins traumatisé, et capable – son moi étant plus ou moins lésé avant au stade pré-génital – d’assumer les tâches d’idéalisation du moi et l’identification paternelle qui assure l’issue œdipienne standard.

Voyez ? Ce qui me paraît très important dans la lecture qu’elle fait, c’est qu’elle minimise, Chasseguet-Smirgel, la façon la plus explicite, la culpabilité. Elle minimise la culpabilité, parce qu’au fond, ce qu’elle essaie de dire, c’est que ce que traversent les gens qui ont ce type de fantasme, chez les masochistes, c’est du moi qu’ils ont à sauver. Et l’on ne peut pas, d’une certaine manière, sauver sa peau quand on est tout petit. Or, c’est précisément cette absence de culpabilité qui communique directement avec ce qu’on appelle quelquefois l’absence de culpabilité du pervers. Donc elle tend à diminuer la part très réelle que dans l’article de 19 Freud fait aux sentiment de culpabilité et qui sont me semble-t-il assez nets dans l’analyse de l’homme aux loups. De dire que l’homme aux loups a des comportements pervers, ça ne l’empêche pas d’être coupable. Il y a cette dimension de la culpabilité qu’il faut, si vous voulez, tamponner. Dans quel but ? Pour dire qu’au total il y a un moi, et que l’enfant doit sauver sa peau. Minimiser la culpabilité, c’est évidemment également faire bon marché de ce que Freud n’oublie pas, lui, qui est l’idéal du père comme horizon de l’acte. C’est-à-dire les coordonnées symboliques de l’acte. C’est-à-dire qu’effectivement, ce qui rend coupable dans l’acte, c’est l’adéquation au père, dans quelle mesure on s’identifie au père, et dans quelle mesure en s’identifiant au père, on n’est pas entrain de commettre l’inceste. Pour pouvoir devenir un homme, il faut déjà commencer par ressembler au père.

Ce sur quoi je voudrai insister maintenant, c’est de déplacer cette question de la fustigation dans un autre registre. Je veux bien qu’il y a des fessées, qu’on donne des fessées aux enfants, bon… Je crois qu’on ne doit pas perdre de vue qu’il y a un registre symbolique de la punition, du coup, de la fustigation, qui me paraît quand même assez digne d’être souligné. D’abord, est-ce que la fessée est un plaisir anal ? Est-ce que c’est quelque chose de spécialement anal, la fustigation ? Ce n’est pas totalement transparent. Bien sûr c’est un châtiment, on a des témoignages de paranoïaques littéralement fessés à mort sur les genoux de leur père, et remontant à cette espèce de causalité, d’une façon complètement submergée par le caractère traumatisant au dernier degré de ces punitions persécutives qu’ils ont pu subir. Mais je vous ferai remarquer que la fessée, les fesses, et tout ce qu’on trouve de ce type-là, eh bien c’est quelque soit le sexe. Le derrière, c’est aussi une manière d’abolir la différence sexuelle. Qu’est-ce qui ressemble le plus à une fesse qu’une autre fesse, et en particulier une fesse de petit garçon ou de petite fille ? J’insisterai également sur le fait que la fessée est une punition rituelle collective dans beaucoup de cultures. Pensez en particulier aux fustigations spartiates, c’est un rituel extrêmement important d’entrée dans la vie d’homme, que de ranger tous les adolescents dans une rangée de 50, et de distribuer des coups sur toutes les fesses, de les marquer toutes de la même manière, en interdisant, non pas simplement de crier, mais de parler. Les professeurs de grec, quand j’étais petit, faisaient traduire une version très célèbre, où on raconte l’histoire du petit spartiate qui avait volé un renard, qui l’avait caché sous sa tunique, et qui se fait donc attraper pour ces châtiments collectifs qui avaient cette propriété particulière d’être complètement spontanés. Pour endurcir les gamins, dès qu’on en prenait quatre ou cinq faisant n’importe quoi, on les alignait contre un mur, on redressait leur robe, et on les fouettait jusqu’à ce qu’ils soient complètement sanglants, et le premier qui avait le malheur de murmurer était encore plus cruellement puni. Alors le gamin se fait pincer – drôle de société, n’est-ce pas, que la société spartiate ? – avec son petit renard. Et à la fin de la fustigation, tous les gamins s’en vont, sauf lui qui s’écroule, parce que le renard lui avait mangé les entrailles, et que plutôt que de dire un mot, il s’était laissé dévorer l’intestin par l’animal. C’était le genre de version qu’on me donnait quand j’avais 12 ou 13 ans.

La fesse, je dirai donc que c’est l’anti-face. Vous avez effectivement cette représentation simple, que le contraire absolu de la bouche, c’est l’anus, et que ce dont il s’agit de montrer le contraire absolu : l’anus ne parle pas. En ce sens, je crois que tout ce qui est de l’ordre de la fustigation et de la prétendue analité de la fustigation me paraît en fait extrêmement critiquable. Ce qui est visé par la fustigation, c’est une désubjectivation – les coups sur les fesses – avec éventuellement une resubjectivation par le coup. Ce qui est probablement sa fonction culturelle de construction d’une égalité – vous savez que les citoyens spartiates s’appellent les homoioi, ce qui ne veut pas dire les égaux, mais les mêmes. La marque sur les fesses étant le trognon érotisé de ce qui est reconnu de l’individu dans ce que cet appel peut avoir de cinglant : toi ! Alors, je laisse ces commentaires sur la fustigation, et sur le problème de savoir au fond ce qui est anal. Est-ce qu’on peut comme ça avoir accès à de l’anal en dehors du monde symbolique où le corps et l’anus trouvent une fonction ? C’est extrêmement problématique. Je vais revenir là-dessus tout à l’heure.

Le troisième moment du raisonnement de Chasseguet-Smirgel – il y en a cinq – est le suivant. Elle essaie de suivre les effets dans la révision de l’édition de 1920 des trois Essais sur la théorie sexuelle de l’article de 19, d’" Un enfant est battu ". Et elle relève cette chose juste, qu’une des modifications fondamentales, c’est que Freud y interprète le fétiche comme un souvenir-écran. Je trouve que c’est une observation fine. Effectivement, il cesse de voir dans le fétiche à la Binet, comme tous les sexologues de l’époque, un simple dépassement associatif d’un objet sur un autre, parce qu’un souvenir-écran c’est beaucoup plus qu’un simple déplacement métonymique. Elle confronte ceci avec des lettres à Abraham très intéressantes de février 1910, où Freud parle d’un patient fétichiste. Et elle rapporte tout ensemble en disant : pourquoi est-ce un souvenir-écran ? Parce que dans le fétichisme du pied, dit-il, bien sûr le pied est un substitut du pénis, mais il ne faut pas oublier que le pied est puant, que le pied est sale. Et que l’idée des mauvaises odeurs du pied se connecte alors comme une clef qui rentre dans sa cellule avec l’idée de refoulement organique que Freud n’a jamais abandonné, avec l’idée comme ça qu’il y a un refoulement partiel – c’est l’idée de refoulement partiel qui est essentiel – de cette analité – on enlève la puanteur du pied, le côté anal de la fixation – et d’un autre côté on embellit le pied, qui devient un pied brillant, un joli petit pied poli dans sa petite chaussure, dans son bas de soie, etc., avec l’introduction d’un terme fondamental sur lequel je reviendrai une autre fois, qui est l’idéalisation.

Ce que Freud appelle l’idéalisation à ce moment-là, c’est l’idéalisation de l’objet qui est une surestimation de l’objet. Alors c’est une chose très jolie (et c’est pour ça que je vais quand même vous parler de cet artiste et de ses œuvres), parce qu’elle fait une remarque que je trouve profonde. Elle rattache à ce mécanisme d’idéalisation dans le fétiche, l’inhibition interne de certains artistes pervers qui fait qu’ils ne peuvent pas créer, ils ne peuvent qu’esthétiser. Ils ne peuvent pas créer au sens de produire un objet comme si on était le père de son œuvre, dit-elle, mais ils sont toujours fixés à quelque chose qui serait de l’ordre de l’idéalisation et de l’esthétisation de quelque chose qui est déjà là. Et cela contamine la créativité artistique du pervers en lui faisant jouer un rôle qui l’empêche d’avoir le rôle de la sublimation qui est quand même dans la désexualisation de la pulsion la position d’une création de quelque chose de radicalement nouveau. Je crois qu’effectivement l’art contemporain offre une niche à la perversion des sujets modernes. C’est sensible : l’esthétisation de l’ordinaire, le problème de la création du complètement nouveau permanent.

Chasseguet-Smirgel dit que si vous ne perdez pas de vue l’idée que vous avez là un souvenir-écran sur un souvenir de pied puant qui est enveloppé dans la ravissante coquille brillante, soyeuse, du fétiche, le phallus censé manqué à la mère prend une drôle de couleur. Parce que ce phallus, dit-elle, est un pénis anal. Ça c’est important, parce que voyez combien le besoin de psychogénétique est là très sensible ! Il y a des stages, et le stade anal joue un rôle constitutif dans le fétiche. Il y a un aspect de refoulement partiel sur le fétiche.

On peut tout à fait accepter quelque chose de ce genre-là. Vous auriez de l’oral, de l’anal, du phallique, et puis de l’œdipien censé être résolu, sauf si vous êtes névrosé. Et puis, vous avez des refoulements internes, c’est-à-dire que le phallique est censé refouler l’anal, sauf chez le pervers, l’anal est censer refoulé l’oral, et c’est vrai qu’on peut assez facilement interpréter certaines symptomatologies perverses anales comme une défense anti-maniaque, comme une défense contre la grande gueule, contre le côté dévorant qui quelquefois émerge de façon impressionnante chez les grands pervers et qui fait comme on dit de la perversion un rempart contre la psychose. Donc des espèces de refoulements emboîtés les uns dans les autres avec des charnières.

Le problème de cet anal, c’est que j’ai beaucoup de mal à l’identifier. Parce que ce qu’elle appelle de l’anal, c’est le dégueulasse, et que le dégueulasse, c’est quelque chose qui suscite le dégoût. C’est fondamentalement à partir du dégoût et de la répulsion qu’on en vient à penser à l’anal. C’est vrai que tout ce qui est de l’ordre de l’excrément incite le dégoût, mais je vous ferai remarquer que dans quelle mesure on peut dire ça – je ne dis pas sans tenir compte de la variabilité culturelle, parce que les cultures varient, mais c’est plus profond que ça –… qui est du statut de toutes les sécrétions et des fluides du corps humain. C’est-à-dire que même les choses qui ne sont pas spécialement sales, comme la transpiration, qu’est-ce qui fait qu’elles nous dégoûtent ? Alors c’est une observation que les psychologues cognitivistes ont fait et qui me paraît tout à fait juste, et qui en fait est très ancienne, et qui remonte aux années 20, c’est que votre salive ne vous dégoûte pas. Mais crachez-la dans votre paume, laissez la quelques secondes, et puis ensuite léchez-la pour la reprendre dans votre bouche. C’est-à-dire qu’est-ce qui fait dégoût ? Ce qui fait dégoût, c’est qu’on doive réintégrer dans le corps quelque chose qui en est sorti. Le dégoût est associé à un certain type de franchissement de l’image du corps. Si vous réfléchissez un peu, il y a bien d’autres choses qui sont dégoûtantes sans être du registre anal : il y a la salive, le sperme, les crachats, le sang menstruel, les glaires, n’est-ce pas… Toutes ces choses dont les britanniques, qui ont une analité extrêmement compacte, alimentent leurs plaisanteries de façon quotidienne avec ses objets-là, les noms qu’on peut donner… J’ai été fasciné, en argot anglais, il y a au moins une vingtaine de mots rigolos pour désigner un crachat par terre :  " l’omelette de docker ", des choses de ce genre…

Or ces sécrétions et ces fluides, je voudrais aussi qu’on les aborde d’un point de vue anthropologique. J’ai dit beaucoup de mal il y a deux ans, d’une grande anthropologue qui s’appelle Françoise Héritier. Vous vous rappelez, j’avais essayé de montrer que ce qu’elle raconte sur la parenté et les combinatoires de la parenté pose en fait toutes sortes de problèmes techniques compliqués. Il y a une chose qu’a faite François Héritier qui est très importante, c’est d’essayer justement de défendre Claude Lévi-Strauss contre une objection classique en anthropologie. Cette objection classique, c’est celle selon laquelle la prohibition de l’inceste est appuyée sur l’idée de la contamination par le sang menstruel. C’est une idée qui remonte à Durkheim, et qui n’a absolument jamais été abandonnée, parce qu’il y a toujours des gens qui considèrent que la grande alternative à l’explication structuraliste de la prohibition de l’inceste, c’est le dégoût pour les fluides, et en particulier pour le fluide menstruel, qui est extrêmement bien attesté dans la pratique des rapports sexuels dans toute société. Ce qu’a fait Françoise Héritier, c’est de dire qu’au fond, il n’y a pas simplement le sang menstruel, il y a aussi tous les contacts qui impliquent les échanges de fluides et d’humeurs – les baisers, etc. -. Et il suffit de voir deux russes s’embrasser, pour mesurer la différence culturelle qui nous sépare d’eux, et même le souvenir que j’avais dans le Middle West : se faire embrasser sur la bouche par une femme de 60 ans qui vous traite comme une tante, des sortes de choses un petit peu bizarres… alors, que c’est un signe justement d’abolition de la distance. Autrement dit, Héritier s’est beaucoup intéressée au fait qu’à l’intérieur des structures de la parenté, ce que permettent les structures de la parenté, c’est la construction et l’encadrement de ces échanges de salive, de sperme, de sang, etc… parce qu’il n’y a pas simplement les rapports sexuels, il y a les rapports sexuels plus ou moins prohibés, selon les classes d’âge, qui font que les circulations des humeurs et des fluides du corps humain sont intégrées à un dispositif symbolique de la parenté. Qui en fait partie, qui les alimente, et qui prend son sens à l’intérieur de ça. Voyez ainsi la réponse qu’elle donne à l’objection classique selon laquelle ce ne sont pas les structures cérébrales, combinatoires, ou informationnelles de la parenté qui déterminent la prohibition de l’inceste, mais des dégoûts physiques. C’est que quand vous prenez la liste des dégoûts physiques, vous construisez des rapports du " proche " et du " lointain " qui sont la régulation imaginaire de ceux que je peux embrasser, ceux dont la respiration me dégoûte ou ne me dégoûte pas quand je suis avec eux au travail ou à la guerre ou à la chasse, etc.

Autrement dit, pourquoi la sueur du pied serait-elle particulièrement anale ? Pourquoi faudrait-il, comme Chasseguet-Smirgel le dit, que cette puanteur-là soit excrémentielle ? Je ne suis pas du tout sûr que cette banalisation de la mauvaise odeur ou du dégoût soit autre chose qu’une manière très culturellement marquée chez nous de désigner la place de quelque chose qui est tout simplement l’abject, le répugnant, l’ignoble, l’immonde, sans qu’on est besoin forcément de le faire coïncider dans les stades de la psychogenèse à la Abraham avec de l’anal. Je ne suis donc pas sûr que ce soit aussi univoque.

J’ajouterai un autre détail clinique : je connais au moins un ou deux pervers qui ne refoulent absolument pas le fait que ce qui les intéressent, c’est la puanteur du pied. Qui au contraire, cherchent des pieds puants, pour se faire marcher dessus, pour les lécher, etc. Il y a véritablement là une sorte de grande fragilité à aller supposer un invariant aussi dur qu’un refoulement partiel, un refoulement organique pour quelque chose qui en clinique, n’est pas du tout constant. Si vous tapez sur internet, vous allez certainement trouver quelqu’un qui s’intéresse aux baskets puantes !

- Tous les adolescents !

- Oui ! Alors, l’autre difficulté qui est une difficulté de Freud, et que Chasseguet-Smirgel mentionne avec un gros problème, c’est qu’effectivement, Freud dit, dans la version 1915 des Trois essais, que vous avez une articulation double. Analité et narcissisme impliquent homosexualité ; coprophilie et idéalisation impliquent fétichisme. Une sorte de symétrie très importante, avec l’analité sur le corps et la coprophilie sur l’objet, le narcissisme du soi, l’idéalisation sur l’image de l’objet. Sauf que Freud dit, en 27, que le fétichisme protège de l’homosexualité. C’est très cohérent, sauf que tout le monde sait que c’est faux. Il y a des tas de fétichistes qui sont homosexuels. Alors je vais laisser de côté les raisons historiques pour lesquelles il pense ça. C’est que ce qu’il appelle l’homosexualité en 1915, en fait, ce n’est pas du tout ce que croit Chasseguet-Smirgel. Ce qu’il appelle l’homosexualité, c’est l’homosexualité de la Psychopathia sexualis de Krafft-Ebing, c’est plutôt quelque chose qui va du côté du sentiment d’être une femme à l’intérieur de son corps d’homme, et que ce n’est pas du tout l’homosexualité au sens du choix d’objet. C’est une féminisation, une passivation interne, qui est alimentée par une prédisposition.

Mais la question que je veux soulever est la suivante. Si je laisse de côté l’idée qu’au fond c’est de l’anal. Est-ce que l’abject, ce n’est pas justement ce qui met en cause das Ding, la Chose ? Autrement dit, la mère certainement, mais la mère comme trou dont on est rejeté.

C’est pour ça que je trouve que Freud est un petit peu mou sur l’histoire du sourire de la Joconde. C’est gentil de dire que c’est la maman. Quand on reconstitue les images par ordinateur, il paraît que Saint-Jean Baptiste, la Joconde et Léonard de Vinci, si on les superpose, c’est la même chose. Un peu comme s’il s’était peint dans un miroir en se féminisant, dans la Joconde. On peut dire ça. On peut dire que c’est la maman idéalisée séductrice, si vous voulez, qui passe par ce sourire.

Mais je voudrai qu’on aille un petit peu plus loin, qu’on se risque à une spéculation esthétique. Est-ce que le sfumatto, la technique du dessin de Léonard de Vinci, cet espèce de remous superficiel, qui vient caresser la surface du papier, quelque chose qui est en dessous, qui donne cette espèce de teinte que vous avez chez Raphaël, l’élève de Vinci et dans les cartons conservés. Cet espèce de sentiment que vous avez un voile, qui prend forme à la surface de quelque chose qui n’est pas là, mais qui est deviné dans la perspective du visage par rapport, le relief perspectif illusoire du visage sculpté dans ce jeu de la lumière, dans le sfumato. Est-ce que vous n’y voyez pas précisément cette espèce de coquille brillante de lumière, qui vient comme un voile soyeux, donner à deviner dans la profondeur cachée de la perspective d’une feuille de papier, la Chose ? Est-ce que cette espèce de chose sur laquelle, semble-t-il, Léonard de Vinci passait des mois… il y revenait sans arrêt, jamais content de quoi avec cette impossibilité de la dernière couche ? Cette captivation pour la dernière couche, le moment où on retient un geste… Où on retient un geste. Est-ce que ça n’est pas beaucoup plus angoissant que la gentille histoire du sourire de Mona Lisa qui serait la maman du petit Léonard. Est-ce que ce n’est pas quelque chose qui est beaucoup plus capable de cerner d’une certaine manière la créativité fascinante d’un sfumatto qui a toujours paru le comble de l’admirable, puisque même s’il ne livrait jamais ses tableaux il avait tout le temps des commandes, et que seul Raphaël, semble-t-il, a pu s’approprier ? Dieu sait par quelles voies.

Le beau Raphaël, le sublimement beau Raphaël, dont la beauté physique était tellement insoutenable pour les gens, qu’on ne savait pas ce qui était le plus beau, des œuvres de Raphaël ou de Raphaël lui-même.

Je voudrai essayer de discuter de cette question chez l’artiste auquel je pense, parce que j’ai un problème de diagnostic différentiel entre le problème de la minutie obsessionnelle que certains artistes peuvent mettre à compléter une œuvre d’art, et le problème de l’impossibilité du dernier geste qui est quelque chose de tout à fait autre chose. L’impossibilité du dernier geste chez l’artiste pervers, dans le travail de la surface qui enveloppe das Ding, ça ressemble phénoménologiquement à l’incapacité de conclure de l’artiste qui n’atteint pas un seuil de perfection idéale. Et pourtant ce n’est pas du tout la même chose, et ça n’implique pas dans l’économie de l’idéalisation ou de la sublimation chez un artiste, les mêmes conséquences. En particulier, ça pose vraiment une question de savoir sur la place à donner dans le transfert aux œuvres avec lesquelles le patient se présente pour essayer éventuellement de vous les montrer.

Donc ce problème du réel, je le laisse pour passer maintenant à ce qui devient de plus en plus, à mon avis, loufoque chez Chasseguet-Smirgel. Loufoque, mais conséquent. C’est qu’elle soulève une question qui me paraît, encore une fois, une très bonne question. La voici : pourquoi est-ce que l’enfant est curieux de vérifier si sa maman a un phallus, s’il suppose que tout le monde en a ? Si tout le monde en a, pourquoi est-ce qu’il irait vérifier ? Pourquoi donc est-ce qu’il irait vérifier pour savoir s’il y a vraiment sous les jupes de maman quelque chose de cet ordre-là ?

Qu’on mette les choses dans le conscient ou l’inconscient, il y a une sorte de conflit dans la description qu’on voit dans le petit Hans, des descriptions qui vont lui être apportées à partir des années 20 d’enfants qui effectivement essaient de soulever les jupes de maman pour voir ce qu’il y a, il y a un conflit entre leur curiosité et la théorie qui fait que pour tout petit garçon, tout le monde est équipé d’un pénis. La réponse de Chasseguet-Smirgel, qui me paraît la seule capable de tenir compte des deux aspects, c’est la suivante (attachez vos ceintures !) : il y a chez les enfants un savoir inné de la différence sexuelle réelle, tous les enfants savent que les femmes ont des vagins. C’est inné, c’est codé, c’est phylogénétique. Et la mère phallique est donc construite pour répondre à des besoins fonctionnels précis. Et ces besoins fonctionnels, c’est de jouer un rôle dans la réparation des traumatismes sexuels subis lors des stades pré-génitaux. Evidemment, elle se rend compte du caractère extravagant de l’hypothèse d’un savoir qu’on aurait à la naissance que les femmes ont des vagins. Il y a des tas de petites filles qui sont extrêmement perplexes quand on leur explique qu’elles ont un vagin. Elle répond que ce savoir inné est présent chez l’enfant jusqu’à la crise à laquelle il essaie de répondre en construisant une mère phallique, crise qui est liée aux traumatismes qu’il a subis aux stades pré-génitaux. Qu’à ce moment-là, il y a le choix phobie-perversion, la phobie amène naturellement les gens à devenir névrosé, et que ce savoir inné est à ce moment-là tout à fait oublié, il perd toute fonctionnalité, et il est remplacé par les constructions artificielles dans les stades ultérieurs à partir du stade phallique de l’Œdipe et puis de la résolution du complexe d’Œdipe, la reconstruction artificielle, donc, de l’hétérosexualité génitale. Cette espèce de savoir inné, qui fonctionne jusqu’au point d’arriver à la construction fantasmatique d’une mère phallique et puis qui a le bon goût de disparaître pour ensuite pour ceux qui ont pris la bonne voie de la phobie de se reconstruire de façon génétique, ça a l’air parfaitement ad hoc. Cette explication est là pour boucher le trou.

Cependant, si vous réfléchissez bien, quel est le processus qu’elle imagine ? C’est un processus en quatre étapes. D’abord, on est tous des petits moi. On subit des traumatismes, et une variante particulière du traumatisme qui est le traumatisme qui va vous rendre pervers, c’est l’excès de soin de la mère. La mère est trop intrusive dans la première couche du narcissisme primaire. Quand elle ne l’est pas assez, je pense qu’il faut en déduire qu’on devient psychotique. C’est une manière comme ça de regagner l’idée d’une lésion du narcissisme primaire qu’on trouve très couramment chez Freud. Deuxième temps, les petits grandissent et ils prennent conscience qu’il existe une différence des générations et une différence des sexes. Et le petit garçon, comme le petit Hans, s’aperçoit qu’il a un petit pénis tandis que son papa a un grand pénis. Et que ceci, il peut ne pas l’apprécier du tout. Ce qu’il va faire, dit Chasseguet-Smirgel - en considérant que grand pénis et petit pénis sont des catégories cliniques stables -, c’est qu’il va inventer la devise du monisme sexuel. C’est-à-dire que tous les enfants – et je plaisante à peine – sont lacaniens ! Tous fabriquent la théorie sexuelle du phallus absent ou présent sur le corps de l’autre en construisant leur ignorance du vagin. La dénégation du vagin, le déni du vagin, est l’envers du monisme sexuel. Parce qu’on n’a rien à envier au père si on peut combler la mère avec sa sexualité pré-génitale. Quatrième temps, réparation de la blessure infligée par l’excès séducteur ultra-précoce : perversion. Avec la sexualité pré-génitale, je répare la blessure narcissique originaire.

Si vous prenez bien ces quatre temps, vous voyez bien que le moi est là d’emblée, et qu’il subit l’intrusion séductrice. Que c’est la mère qui n’est pas assez bonne, qui est trop bonne. Alors je vous ferai quand même remarquer que contrairement à la traduction imbécile de " good enough " par " père suffisamment bonne "… " Good enough " en anglais ça ne veut absolument pas dire " suffisamment bonne ". Quand on dit que quelque chose est " good enough ", ça veut dire que c’est bon, mais pas plus. " It’s good enough ", c’est : " c’est bon, sans plus, ça suffira ". Autrement dit jamais Winnicott n’a été fabriquer cette idée de la " mère suffisamment bonne " sans qu’il n’y ait quelque part inclus dans le " good enough " l’idée du " mais pas plus ". Ce n’est pas la peine qu’elle le soit plus, et c’est bien assez comme ça, si j’ose dire, elle est bien assez bonne comme ça. Donc vous sentez la limite qui vient s’imposer à la bonté de la maman. Que " good enough ", ça n’a rien à voir avec les idéaux bienveillants d’une mère, Winnicott justement n’est pas fou. Cela dit, c’est un peu cette idée-là. Alors si vous y ajoutez le savoir phylogénétique que les garçons pénètrent les filles, effectivement, ce savoir phylogénétique chez quelqu’un qui récuse toute analyse structurale, il est incontournable à ce niveau-là.

C’est ça que j’aimerais vous faire sentir épistémologiquement. Il n’y a pas le choix, c’est ou la phylogenèse, ou la structure. Parce que soit vous prenez au sérieux la construction psychogénétique de la perversion, et vous êtes bien obligé de supposer que s’il est curieux, le gamin, c’est parce qu’il n’est pas si sûr que ça que tout le monde a un pénis, et que s’il n’est pas si sûr que ça, c’est parce qu’il sait originairement que le moi normal est fait pour pénétrer normalement la femme normale. Comme dans tout processus psychogénétique qui est orienté vers un but, si vous voulez arriver à sortir un lapin dans le chapeau, comme dit Lacan, il faut déjà mettre le lapin dans le chapeau. Donc si vous voulez arriver à produire des hétérosexuels normaux à la fin du processus, il faut déjà qu’au départ vous essayez des petits enfants qui sont tous des hétérosexuels normaux. Ils ne le savent pas, mais Janine Chasseguet-Smirgel le sait pour eux.

Là je parle de façon ironique et déplacée, en fait. Mais il n’y a pas le choix. C’est pour ça que je m’intéresse à cette théorie-là. Elle est très éclairante sur ce qu’est la psychanalyse. Soit vous êtes structuralistes, soit vous êtes psychogénétiques.

Le deuxième temps qu’elle mentionne s’appuie sur l’analyse du petit Hans. Elle dit que le petit Hans sait très bien que la cigogne va apporter tout ce que vous voulez à maman, sauf que quand il voit la trousse du médecin et qu’il entend sa mère crier, il sait que la cigogne va venir. Chasseguet-Smirgel fait remarquer qu’il n’est pas du tout évident qu’il ne sache pas qu’il y ait quelque chose de l’ordre de l’orifice vaginal. Elle dit même je crois quelque chose de très bien, c’est qu’il n’est pas impossible, on peut l’imaginer, qu’il y ait l’angoisse chez chaque être humain d’un chemin qui existe et qui reconduirait vraiment au cœur de la Chose, au ventre, à l’intérieur du ventre féminin. C’est angoissant. Et la question de savoir si ce chemin n’est pas un chemin auquel on est fatalement reconduit, si c’est un chemin qui peut être obstrué par quelque chose ou pas est une question qui se pose.

L’idée de Chasseguet-Smirgel comme quoi la conscience du trop petit pénis fait que le choix de l’enfant se fait vers la perversion est articulée à l’idée que là, au moment où il a un trop petit pénis, le gamin, au lieu de s’identifier à l’idéal du moi du père, va tenter d’exploiter la complicité de la mère pour faire équivaloir en gros la jouissance génitale qu’elle retire du père avec la jouissance pré-génitale que le gamin est capable de lui donner. Par exemple quand le petit Hans bat sa maman. Et pour la mère, ça pourrait au fond ne pas être si différent que ça.

Pour moi, cette théorie est intégralement farfelue, mais tous les éléments qu’elle apporte, vous les trouvez. Il suffit d’avoir écouté un pervers parler de son enfance. Tout y est. Je ne crois pas qu’il manque un bouton de guêtre clinique freudien à ce qu’elle dit.

Et donc, qu’est-ce qui se passe ? Au lieu de la phobie, que fabrique l’enfant ? Il fabrique justement cette mère équipée d’un organe complètement ambivalent. Un organe ambivalent parce que cet organe est construit par une sorte de projection sur la mère du moyen que la mère a utilisé pour faire intrusion dans l’enfant. C’est-à-dire que c’est la rétrojection, si j’ose dire, de tous les moyens intrusifs que la mère a pu avoir d’abîmer le narcissisme aux stades pré-génitaux de l’enfant. C’est une combinaison, chez Chasseguet-Smirgel, d’une théorie winnicotienne de l’objet transitionnel où l’objet transitionnel devient le fétiche, parce qu’il est un instrument contre l’angoisse de séparation et en même temps un instrument qui sépare l’enfant de sa source d’angoisse. Voyez l’espèce de double jeu de l’objet transitionnel. Mais de quoi est-il fait imaginairement, ce pénis qui est fabriqué ? Eh bien ce n’est pas du tout un pénis phallique. C’est un pénis anal, un pénis oral, un pénis qui a toutes les propriétés des affections pré-génitales et du plaisir pré-génital qui est rassemblé en un objet et focalisé sur l’imago maternelle. Tout ceci a un effet considérable parce qu’elle récapitule, je crois, tout le travail de Payne, de Greenacre, et de tous les winnicotiens des années 50-60 qui ont tenté de rebiologiser, de renaturaliser l’objet transitionnel de Winnicott en faisant en sorte que cet objet transitionnel s’intègre dans une sorte de développement des stades, soit compatible avec les conceptions kleiniennes, avec Abraham, etc. On retrouve la topologie de la fonction de l’objet transitionnel avec toutes sortes de suppléments théoriques qui viennent de Mélanie Klein et d’Abraham parfaitement synthétisés chez Chasseguet-Smirgel, et faisant de l’imago phallique une réponse.

Elle cite notamment un bel article que je vous recommande, un article de Glover de 1924, que Freud ne cite pas, curieusement, dans son texte de 27, où Glover parle d’un fétichisme où l’on voit extrêmement bien dans le fétiche autre chose que le phallus maternel mais justement tous ces éléments pré-génitaux qui se déclinent jusqu’au dernier et qui permettent quoi ? Qui permettent au pervers de construire avec ce phallus un objet qui a une propriété importante, c’est que c’est un objet qui n’a jamais obligé la séparation de la mère. Par exemple si c’est l’objet du sevrage, ou si ce sont les excréments - l’objet du sevrage, le sein - tout ça ce sont des objets qui dans la dialectique avec la mère n’oblige pas à abandonner la mère. Tant qu’on répond à la demande, ça passe. Le problème du phallus, c’est que c’est un objet qui lui, oblige à abandonner la mère. Et donc ce travail sur la séparation, sur l’angoisse de séparation fait que ce qui va être privilégié dans la construction du phallus manquant à la mère, c’est précisément des objets qui n’obligent pas l’enfant à se séparer d’elle. Voyez la logique qu’elle développe.

A ce moment-là, le clivage, dernier point, la fameuse Ich-Spaltung lui pose toutes sortes de problèmes qui me feront demander quelque chose à Franz et Geneviève, pour la raison suivante. Vous voyez pourquoi le clivage chez Chasseguet-Smirgel n’est pas un problème du Ich. C’est un problème dans l’objet. Il est construit à partir de l’objet, il est construit à partir de la division refoulement partiel / idéalisation, et ce clivage a pour fonction justement d’échapper à la castration en sorte que la génitalisation à la puberté ne va pas provoquer de mues subjectives - aucune mue subjective dans la génitalisation -, mais une sorte de simple supplément de plaisir dont la clef sera toujours pré-génitale. Ce qui va se réactiver à la puberté chez le pervers, c’est précisément une objectalité pré-génitale à laquelle la pré-génitalité va juste ajouter une note supplémentaire de plaisir. A nouveau, ceux d’entre vous qui ont déjà parlé avec des pervers voient très bien ce dont il s’agit, tout cela me paraît parlant sur le plan clinique, incroyablement parlant. On a bien cette impression. Cette génitalité va être mise au service du monisme phallique, c’est-à-dire d’une théorie qui repose en son fond sur une dénégation du vagin. C’est la clef de voûte du dispositif. Ce qui fait que le phallus pervers a cette propriété mirifique, quand il fonctionne dans le registre génital, d’être un phallus incastrable, mais alors incastrable, c’est-à-dire que ce sont des gens qui ne débandent jamais, et qu’il faut prendre au mot ce que raconte Sade ou ce que vous pouvez lire : effectivement, les performances sexuelles absolument ahurissantes au niveau de la génitalité d’un certain nombre de pervers. Et pourquoi il est incastrable ? Parce qu’il est étayé par un dispositif qui fait qu’on n’est jamais séparé de l’amour de la mère. En tout cas, on n’est pas plus séparé de l’amour de la mère qu’on a dû l’être quand il a fallu se sevrer puis devenir propre. Ce qui fait qu’à mon avis - elle ne le dit pas mais je le déduis – ce sont les idéaux pédagogiques bien intentionnés de la mère qui servent d’armature psychique, qui viennent complémenter admirablement la pré-génitalité du pervers.

Alors, je vais conclure sur ceci. Quand on parle de la Ich-Spaltung perverse, il faut se reporter à un texte que Geneviève Morel à écrit dans Le moi contre sa sexualité, et qui se termine par une analyse de ce texte de 38 sur la division du moi, pour comparer avec ce que je dis maintenant. Ce que dit Chasseguet-Smirgel, c’est que le moi qui est divisé dans la Ich-Spaltung, c’est le moi de la deuxième topique. Autrement dit, la Spaltung du Ich, dans l’article de 38, c’est une refente intra-systémique. Il y a toujours les systèmes, mais c’est une refente intra-systémique. Tout ce qu’a essayé de retrouver, au contraire, Geneviève Morel – et d’ailleurs elle s’appuie sur un texte de Franz – c’est que c’est plutôt un retour à la case départ de Freud s’interrogeant sur le clivage tel qu’il existait déjà, sur le problème du clivage dans l’hystérie en 1896. C’est-à-dire que pour Geneviève, la façon dont elle comprend le texte – mais elle me dira si je me trompe – c’est que c’est une remise en jeu du problème même du fait que le Je est divisé. Pas du tout chez Chasseguet-Smirgel. Pour elle, c’est le moi de la deuxième topique, et rien de plus. C’est ce qui explique pourquoi à ses yeux, quand le pervers est capable – comme mon pervers – de venir à ses séances et pendant un certain temps de ne jamais me dire son nom, tout en étant parfaitement conscient du fait qu’il ne s’appelle pas du nom de femme qu’il me donne, il a néanmoins un inconscient et un surmoi au sens de la deuxième topique, et que c’est dans ce registre-là qu’il doit être compris. Il lui faut cet inconscient, parce que sinon où est-ce qu’on mettrait le refoulement de l’oral et de l’anal, de tous les stades antérieurs ?

Chasseguet-Smirgel sait bien qu’il y a un précurseur de la Ich-Spaltung, où c’est la Ich-Teilung de " L’inquiétante étrangeté ", qui est aussi une fissure tout aussi radicale à mon avis que la fissure de 38. Mais elle s’en tire en disant qu’à ce moment-là Freud n’avait pas encore construit la deuxième topique, avec son moi. Alors elle s’appuie sur la deuxième topique, et d’une façon qui est effectivement ambiguë.

Au départ vous avez une espèce de boule. Cette boule se sépare, il va y avoir le moi et le ça : l’adaptation à la réalité et les pulsions intérieures. Mais avant qu’il y ait la séparation, quand il y a la boule - la " belle sphère ", pour parler comme Empédocle -, cette sphère-là, est-ce que c’est plutôt du moi ou plutôt du ça ? Est-ce que c’est de la complétude narcissique primaire, ou est-ce que c’est un geyser de pulsions sauvages ? Est-ce qu’on peut la penser ? Est-ce qu’on peut penser cet état avant que le moi se détache du ça, dans Le moi et le ça ? Pour elle, ça ne fait aucun pli. C’est une unité organique qui est celle de l’individu, et puisque c’est une organisation organique, on peut mettre dans sa poche ce que Freud raconte sur la pulsion de mort. Finalement c’est un moi, c’est un moi beau et complet. Et c’est là où vous voyez jusqu’à quel point ça va, n’est-ce pas, le caractère anti-lacanien, alors je crois poussé jusqu’à son extrême, c’est que les pulsions de vie et les pulsions de mort ne sont pas à parité. Au fond, en dernière analyse, il y a quand même de la personne totale, il y a un narcissisme qui est quand même pensé sur le mode d’une personne totale, et le caractère de geyser des pulsions, le caractère acéphale du désir est subordonné au fait qu’il y a quand même de l’unité individuelle que la mère va léser en sur-séduisant l’enfant aux stades pré-génitaux.

Je ferai deux remarques pour amorcer les choses pour la prochaine fois. Une remarque d’abord de méthode. On est bien obligé de s’interroger ici sur quel type de raison on s’appuie, devant ces phénomènes… surtout que ce n’est pas n’importe quoi comme théorie, il est très facile de reconnaître tout ce qu’elle raconte non seulement dans le texte de Freud, mais dans la clinique. Ce n’est pas du tout idiot. Toutefois, quand vous parlez de phallus anal de la mère, c’est une métaphore. Qu’est-ce qui vous permet de faire cette métaphore ? Est-ce qu’il ne faut pas qu’il y ait déjà le dispositif qui permette de faire la métaphore pour donner du sens à tout ça ? Est-ce qu’on peut avoir une théorie psychogénétique sans avoir tout simplement d’abord l’espace combinatoire des concepts à l’intérieur duquel on va pouvoir donner du sens à ce processus ? Ce n’est pas simplement qu’il faut déjà mettre au départ le lapin dans le chapeau, c’est-à-dire l’hétérosexuel adulte normal dans le nourrisson pour pouvoir le ressortir à la fin. C’est le fait que quand vous faites de la théorie, vous travaillez sur de la métaphore. Et cette métaphore, qu’est-ce qui la rend opératoire ? J’ai bien peur que ce ne soit une métaphore paternelle. J’ai bien peur que ce ne soit finalement, non pas au niveau de la théorie mais de la position énonciative à laquelle on est reconduit quand on fait de la théorie en psychanalyse, c’est une énonciation de parler de métaphore du Nom-du-père, ce n’est pas une théorie psychologique comme une autre. J’ai bien peur qu’on soit amené à cela. Avec simplement ce qui apparaît et qui est à ranger au registre de l’anal, c’est qu’effectivement, c’est une métaphore qui ne marche pas forcément, et qu’on voit très bien apparaître le reste. Et que le reste, ce qui ne tourne pas sous le petit s de la " signification phallique ", ce sont les choses un peu horribles de l’ordre de das Ding, c’est à dire du réel, du réel sur lequel ça ne mord pas forcément si bien que ça, la métaphore phallique. Autrement dit, l’ombre de la Chose maternelle qui n’est pas domestiquée quand le Nom-du-père vient poinçonner le désir de la mère.

Si je dis comme ça que la métaphore paternelle est le cadre d’intelligibilité de tout le prétendu processus psychogénétique, c’est que quand même elle y va très fort Chasseguet-Smirgel en disant que si ça continue si bien, c’est parce que l’anal est le " brouillon " du génital. Effectivement, on voit bien à quelles cochonneries elle pense, en disant que l’anal est le brouillon du génital. Ce n’est pas ça l’intéressant. Le problème, c’est la métaphore même du brouillon. Est-ce qu’on peut identifier un brouillon si on n’a pas un état complet, ou une idée de l’état complet ? Et cette idée de l’état complet, d’où nous vient-elle ? J’ai un peur qu’on ne soit obligé de revenir à une position de Lacan - qui n’est pas une position très psychanalytique ou théorique -, mais une position de bon sens. Soit vous avez de l’œdipien par rapport auquel vous définissez du pré-oedipien, soit vous vous lancez sur des spéculations problématiques sur le pré-génital qui devient de plus en plus génital. Deuxième difficulté très ennuyeuse me semble-t-il chez Chasseguet-Smirgel, c’est qu’elle se rend bien compte que cette analité qu’elle répand partout - de façon très juste en regardant Sade, c’est vrai qu’il y a de l’anal… elle confond aussi l’anal et le fécal. C’est un de ses glissements de sens ordinaire. C’est-à-dire le fécal comme mélange de tout ce qui peut être différencié comme goût, odeur, parfum, consistance, forme, liquifié, réduit, n’est-ce pas, cet espèce de ruban informe… Elle en fait effectivement quelque chose de typiquement pervers. C’est qu’à partir du moment où il n’y a pas la différence sexuelle et qu’il n’y a pas la différence des générations, vous avez des textes pervers qui produisent le fait que la vie et la mort, la santé et la maladie, le bien et le mal, c’est-à-dire tous les contraires structurants de l’espace humain, tout ça se relativise, s’inverse et s’instaure sur un flux continu. Que tout n’est que recombinaison de particules, chez Sade ou chez Diderot, que finalement tout " s’hybride ", tout se mélange. On peut mettre des têtes de chien sur des corps d’homme, ou des plantes qui se transforment en cailloux qui se transforment en animaux qui se transforment en ceci ou en cela. Toute une espèce de brassage absolument gigantesque du vivant avec lui-même, où toute forme est contingente. Et il y a littéralement une production d’œuvres d’art et de textes théoriques qui mettent en œuvre ça. Et elle dit, eh bien voilà, c’est la fécalisation universelle.

Mais que de d’intelligence et d’articulation signifiante pour arriver à cette fécalisation universelle ! La dépense du pervers en terme de différences, de différenciation, de raffinements, dans l’élucidation des nuances pour permettre de construire du continu entre les opposés, c’est-à-dire le texte pervers dans sa densité signifiante irréductible avec des oppositions qu’on mobilise pour en critiquer d’autres, l’inventivité textuelle parlante et signifiante du pervers, vous la trouvez si fécale que ça ? Je veux bien qu’on puisse décrire en terme de fécal ce qu’il vise, mais sa position de sujet qui énonce, elle, est extrêmement articulée. Donc dans sa destruction des différences, elle est très articulée.

Ce qui me renvoie – et je termine là-dessus parce qu’il est tard – à ce problème que j’ai posé au début. C’est qu’il nous faut quelque chose d’un petit peu plus solide sur le plan de la négation, de la différence, de l’opposition - ce que j’ai appelé cette négation conjonctive, qui est rapportée à la question de savoir comment la mère a et n’a pas le phallus -, et que cette question du fonctionnement du et - elle a et elle n’a pas – du et et du non, du nec - puisqu’en latin, vous avez un mot pour ça, le et non c’est nec. Et je crois qu’en le dégageant de sa gangue phallique, et en pensant ce nec comme étant quelque chose de l’ordre de l’objet (a), comme ayant trait à la structure de la langue, du signifiant, eh bien on fait un pas. Donc quand je vous parlerai de perversion la prochaine fois, je vous parlerai de l’œuvre d’art, de ce qu’elle raconte qui est passionnant entre sublimation et idéalisation, en discutant si je le peux du cas de ce patient artiste. J’essaierai de vous montrer qu’au fond ce n’est pas tellement le phallus qui compte dans la perversion en tant que phallus comme une sorte de pénis en plus chic, c’est la topologie de l’objet qui joue le rôle de fétiche.

Je crois qu’un fétiche, ça a une structure d’objet topologique particulière. Et l’indication que je peux vous donner, c’est tout simplement que quand vous parlez à un fétichiste des sous-vêtements, des petites culottes, des choses comme ça, ce qui intéresse le fétichiste, c’est comment le bord fait bouche-trou. Que l’idée qu’un bord puisse faire bouche-trou est une idée qui a une construction topologique. C’est pour ça qu’on peut se contenter de la petite culotte. Je m’arrête là. C’est une belle fin, la petite culotte ! Je n’irai pas plus loin…

Voilà, ce que j’aimerai demander à Franz Kaltenbeck et Geneviève Morel, si vous êtes d’accord, parce que moi j’aimerai bien que vous continuiez Les ambiguïtés sexuelles avec un volume sur les perversions, c’est si ça vous intéresse de réagir à ce que je viens de dire aujourd’hui. Parce que moi je n’ai pas votre expérience clinique, et je me demandai si le type de choix théorique et donc de la façon dont on peut écouter certains pervers, ce que je vous ai raconté sur Chasseguet-Smirgel, si effectivement ce sont des hésitations qu’on peut avoir ou si ce sont des choses qui permettent d’appréhender éventuellement…

G.M. : cette histoire de pénis anal, ça date des années 20.

- Oui. Là, elle est quand même la première je crois à en faire une théorie aussi massive, à ma connaissance.

G.M. : Je crois qu’il y a un texte d’Hélène Deutsch de mille neuf cent…, le premier qu’elle ait fait d’une fille qui attend un pénis du père. Donc ce n’est pas nouveau dans le champ analytique des années 80.

G.M. : Moi, personnellement, ça ne m’inspire pas spécialement. Je n’ai pas de…

- Excusez-moi, moi, je ne connais pas la théorie lacanienne, mais éventuellement il y a des questions que j’aimerai poser. Vous avez parlé de l’aveu du nom, de cette histoire de fabrication du nom. La question qui me vient, c’est qu’effectivement on peut trouver des pervers qui ne se fabriquent pas de nom, et est-ce qu’en fait on trouve tout ce qui est dit comme état-limite - par exemple la boulimie, l’anorexie, tout ça – dans les perversions ? Et dans ce cas-là, ces idées-là, qui sont au fond kleiniennes, me paraissent très cliniquement parlantes. Je me demande si avec Lacan, on peut aborder justement ces questions-là. Surtout que je viens de lire le dernier bouquin de Melman, cette histoire de nouvelle économie psychique où il fait allusion aussi à la perversion. Mais il donne un autre tableau. Enfin c’est moi peut-être qui n’arrive pas à faire le lien entre ces deux tableaux, ou est-ce qu’il y a un tableau disloqué comme ça où on ne sait plus de quoi on parle ?

- Je n’ai pas lu le livre de Melman, donc je ne peux pas vous répondre là-dessus. Ce dont je suis sûr, c’est que Melman n’attache aucune espèce de consistance à l’idée d’état-limite. Ça ne l’empêche pas de constater qu’il y a de l’anorexie, de la boulimie, des toxicomanies ou des choses qui sont rangées là dedans. Je vais vous faire une réponse très insatisfaisante. Il me semble qu’à partir du moment où on déplace le problème du côté non pas homosexualité-fétichisme-transvestisme, pas cette série-là, mais du côté d’un objet (a), rien n’exclut qu’effectivement on puisse observer des comportements pervers qui sont liés au fait, non pas la mère a ou n’a pas le phallus, mais quelque chose comme l’autre a ou n’a pas l’objet (a), et c’est moi qui l’aie, il n’est pas en lui, et c’est moi qui tient le bon bout. Le bon bout n’étant pas forcément le bout phallique ou un bout phallicisé, pris dans le registre pénien, du corps propre de l’image, etc… En ce sens-là, il y a peut-être des rapprochements à faire. Mais c’est juste une des pistes. C’est vrai, qu’incontestablement, on observe des comportements inter-subjectifs pervers portant sur des objets dont on a beaucoup plus de mal à identifier qu’ils sont… c’est-à-dire ce n’est pas la jouissance masturbatoire du voyeur ou… Ce n’est pas de cet ordre-là, ce n’est pas une jouissance masturbatoire en ce sens-là. Mais néanmoins, il y a des structures plus abstraites qui sont peut-être pensables dans ce registre.

- l’autre question c’est la question de l’idéalisation, qui me semble très intéressante. Vous posiez la question du clivage du côté de l’objet. Au fond, l’idée c’est que la perversion serait une sorte de défense contre la psychose. C’est-à-dire qu’avec l’idéalisation l’enfant se défend contre la perte de l’objet. Est-ce que Lacan a cette idée-là ? Est-ce qu’il pense aussi que la perversion serait en quelque sorte une défense, une mauvaise défense, contre la psychose ?

- Y a-t-il des mauvaises défenses contre la psychose ? Le problème, c’est que l’idée de défense perverse contre la psychose…

- Je m’explique davantage. Cette idée, éventuellement, de penser le fétiche comme le totem individuel. Dans ce sens-là.

- Oui, d’ailleurs, c’est l’origine du mot. Le problème de l’idée de dire que la perversion est une défense contre la psychose, c’est interpréter d’une certaine manière des choses qui sont tout à fait réelles. C’est que Sade, paraît-il, aurait été interprétatif à la fin de sa vie. Quant à Sacher-Masoch, il est mort à moitié délirant, il a étranglé ces chats. Ses chats adorés, il a fini par les zigouiller, tous. Que si vous parlez avec des gens qui ont eu affaire à des grands pervers criminels, on les met en prison, et puis 10-15 ans après, les voilà qui se mettent à entendre des voix. Donc il y a des choses comme ça. Mais si vous dites : la perversion est une défense contre la psychose, je crois qu’il y a trop qui va avec. Il y a les stades, il y a l’idée qu’il y a du phallique qui refoule de l’anal qui refoule de l’oral, etc. C’est une manière de comprendre les choses qui me paraît problématique, de donner une réalité si substantielle à ces stades. Je n’ai pas une très grande expérience du tout, mais le plus grand pervers que j’ai vu en face à face suffisamment longtemps, c’était un gars dont on avait le sentiment qu’il était à la limite, si vous voulez, de la psychose. Que la perversion extrêmement construite qu’il développait était étayée sur des phénomènes maniaques. C’est un type qui dormait 6 heures par nuit, qui avait réussi à traverser une existence inimaginable, qui comme disait-il " aurait tué n’importe qui, mais moi ça m’a rendu plus fort ". On a le sentiment d’une sorte de puissance vitale dévorante, de bouilloire maniaque. Ceci dit, est-ce que ce n’est pas une représentation complètement psychologico-phénoménologique de la chose ? C’est pour ça que je ne pense pas qu’on trouvera beaucoup de lacaniens rigoureux pour dire qu’il a des défenses perverses contre la psychose. On va dire simplement qu’il y a une métaphore paternelle qui expose le sujet à des catastrophes en cas de rencontre d’un certain nombre de signifiants qui vont le faire décompenser. Je dirai plutôt quelque chose comme ça. Le fait est que ça n’explose pas comme ça. Dans le cas de McCloskeyn qui est quand même un maniaque, c’est-à-dire qui est dans la tachypsychie, dans la tachyphémie, et qui s’est transexualisé. Oui, ça commence par une crise de manie, il est travesti pendant 25 ans, un mois avant la mort de son père, il a un phénomène élémentaire impressionnant, et puis ensuite il se transexualise, et il se fait opérer. Est-ce que ce sont des défenses ?

Il a rencontré quelque chose. J’ai peur qu’on fasse de la psychose une sorte de poussée qu’on tamponne. Mais cette poussée-là, c’est l’imaginaire du face-à-face avec le patient. Rien de plus.