P.-H. Castel : “ Vous avez dit
signifiant ? ” (2ème séance)
La
dernière fois, j’ai essayé de problématiser cette question du signifiant chez
Lacan en rompant avec quelque chose qui est une facilité de présentation - qui
devient un peu une forme de dogmatisme – et qui consiste à dire qu’il y a une
théorie structuraliste du langage et Lacan se demande si Saussure ça pourrait
pas " s’appliquer " à l’idée d’inconscient. Ce que j’ai essayé de
vous montrer la dernière fois, c’est qu’en réalité ce qu’on prend dans la
théorie du signifiant au moment où Lacan en parle, c’est un problème, et qu’il
est absolument essentiel de se représenter la chose comme l’application non pas
d’un modèle à un objet mais d’un problème à un autre problème dans la mesure où
cette notion de signifiant est écartelée à l’époque où Lacan va s’en emparer
entre d’une part une représentation saussurienne qui d’une part est elle-même
je vous l’avais montré est extrêmement complexe et contradictoire par beaucoup
d’aspect, d’autre part une théorie très logique, très abstraite et très épurée
qui est celle de Hjelmslev, et puis cette espèce de poétique particulière,
linguistique et phonologique et grammaticale – parce qu’il y a aussi une
théorie grammaticale très importante chez Jakobson – qui est ce qu’on voit le
plus évidemment chez Lacan. Mais il y a bien sûr toutes sortes de tension. Et
le problème auquel ces trois versions, au moins, du signifiant est appliqué,
c’est un double problème lui-même : c’est bien sûr celui qui essaie de
traiter des phénomènes du langage dans la cure, en pensant l’inconscient dans
le transfert et dans les symptômes, mais aussi quelque chose qui je crois est
très présent, l’idée qui est qu’il y a des unités structurales en
psychopathologie – c’était une idée parfaitement reçue à l’époque, héritée
aussi bien de la psychiatrie phénoménologique d’ailleurs que de la psychiatrie
classique – et que la cohésion sémiologique des entités était quelque chose qui
pouvait par exemple donner lieu à un caractère – comme un caractère paranoïaque
– qu’il y avait une sorte d’unité structurale propre à des manifestations
symptomatiques. Alors, ça s’est pas quelque chose qu’on voit très à l’avant,
chez Lacan, évidemment, puisqu’il critique cette notion, mais il critique
quelque chose qui se présente déjà dans le champ de la psychopathologie comme
structuré, en son temps. C’est tout à fait différent de la psychiatrie
contemporaine où la structure est devenue une question qui passe pour périmée,
dans la psychiatrie du moi d’inspiration nord-américaine.
Alors
pourquoi vais-je aujourd’hui parler de la névrose obsessionnelle ? Parce
que s’il y a plusieurs notions du signifiant, il y a aussi plusieurs notions du
sens, de la signification, du signifié, de la référence
dont les notions sont extrêmement complexes et mobiles chez Lacan, et il est
très difficile de deviner s’il va par exemple employer sens, signification,
signifié, référence. Ça suppose une très grande maîtrise en
quelque sorte du registre dans lequel il se place pour l’isoler. Le sens est en
général connecté au désir, la signification au thème de l’amour, et au thème de
la poésie – puisque pour Lacan dans les textes des années 1970, la
signification c’est ce qui fait le nœud entre un certains nombres de
signifiants – le signifié est en général connecté à la notion d’imaginaire, et
la notion de référence est pensée en terme de ce qu’un discours ambitionne –
j’emploie ce mot à dessein, pour marquer la dimension de prétention –
ambitionne de maîtriser. C’est assez compliqué de savoir pourquoi le signifié
est lié à l’imaginaire ; c’est une objection qui était très classique,
c’est par exemple – je regardais récemment des textes à ce sujet – des choses
complètement impénétrables pour beaucoup de gens qui lisaient Lacan de
l’extérieur, c’est-à-dire : " comment est-ce que les effets signifiés
du langage peuvent avoir le moindre rapport avec des reflets dans un miroir,
avec le stade du miroir, par exemple ? ". C’est étroitement lié à la
notion de projection. C’est une notion dont il ne faut jamais oublier qu’elle
est une notion de type logique. C’est pour ça que j’ai parlé du principe de
charité et que je vous renvoie à Quine ; c’est que le signifié, ça part de
l’hypothèse que nous sommes des semblables, et que la façon dont nous
organisons nos croyances supposent que les croyances que j’ai peuvent se projeter
sur les croyances de l’autre, et que c’est pour ça que, lorsque nous parlons,
ce qui est signifié peut, éventuellement, être considéré comme identique. C’est
extrêmement loin d’être amené à un grand degré de pureté chez Lacan, mais c’est
néanmoins tout à fait présent. Cette notion de projection qui a un sens logique
– je vais vous rappeler ce que j’avais raconté l’an dernier - tout à fait
présent chez Goodman, c’est la question de savoir si on peut projeter un
certain nombre de prédicats : si quand je dis " vert "
aujourd’hui, est-ce que " vert " pourra signifier quelque chose dans
un temps futur identique à ce que veut dire " vert " aujourd’hui, et
donc c’est un des principes fondamentaux du raisonnement scientifique, qui est
la capacité à construire des inductions. Donc vous voyez c’est une notion qui a
trait à la sémantique, la sémantique la plus difficile, puisque la
projectibilité du prédicat est une question extrêmement complexe, et en même
temps à la théorie des croyances, à la supposition des croyances : "
est-ce que les autres croient la même chose que nous ? ". Je vous
ferais remarquer – c’est le principe du principe de charité – que nous sommes
bien obligé de supposer que les autres ont un certain nombre de croyances
communes avec nous : pour simplement s’apercevoir qu’ils ont des
différences, nous devons d’abord supposer qu’ils ont une énorme quantité de
croyances communes avec nous. C’est le principe de charité, on est obligé,
n’est-ce pas, de le supposer chez autrui. Voilà l’un des biais, l’une des
voies, qui me fait penser à Davidson pour essayer de voir un petit peu en quel
sens – et au principe de charité qui est un principe fondamental de la
philosophie contemporaine du langage et de la psychologie - … voilà le point
d’entrée de l’usage de ce principe, lorsque je le raconterai.
La
névrose obsessionnelle intervient là pour au moins 4 raisons.
C’est
que très classiquement on considère que la névrose obsessionnelle c’est
essentiellement quelque chose qui est de l’ordre du mental et du discursif, par
opposition à l’hystérie qui serait quelque chose de corporel, dans lequel la
dérivation de l’énergie psychique se fait dans le corps, " innerve "
– c’est-à-dire, dans le vocabulaire de Freud : envoie de l’énergie dans
des faisceaux nerveux – innerve donc des parties du corps. Et si c’est
mental et discursif, c’est parce que c’est lié à la raison, à la motivation
causale, et évidemment à la ratiocination. Autrement dit, on n’a pas affaire
ici à des symboles à déchiffrer dans la névrose obsessionnelle, mais ce qui est
extrêmement troublant c’est qu’on a l’impression que c’est le langage de tous
les jours, qui est le langage de la raison, plutôt que des symboles obscurs à
déchiffrer dans des expressions symptomatiques, " incarnées ". Si
bien que comme on nous le dit, n’est-ce pas, ça devrait être plus facile
d’accès, puisque c’est très lisible, trop lisible. Le paradoxe essentiel
de la névrose obsessionnelle, ce qui a motivé pendant très longtemps je dirais
un traitement moral - un traitement qui prend au pied de la lettre les énoncés
du sujet sans s’interroger sur leurs fonctions à l’intérieur des contradictions
du désir - c’est que lorsque les gens commencent à invoquer des principes
moraux, des principes intellectuels, etc., ces énoncés sont en fait d’une impénétrabilité
extrême au lieu d’être complètement transparents, parce qu’ils sont tout aussi
obscurs que le plus obscur des symptômes incarnés dans la chair de l’hystérie.
Alors que dans l’échange commun, ce qui a motivé les traitements moralisateurs
– les traitements par la discussion philosophique, au 19ème siècle,
avec les névrosés obsessionnels – alors que dans sa forme apparente, ces
énoncés qui sont en réalité aussi opaques dans leurs fonctions que des
symboles, ont l’air complètement transparents, fluides, et pleins de
signification. Ce qui a toujours quand même frappé les gens, c’était que dans
ce dispositif de ratiocination, l’obsessionnel se contredit et entre en conflit
avec lui-même. C’est-à-dire qu’il amène ces propositions, prises comme des énoncés
logiques, à des contradictions formelles. Qu’on tentait de résoudre. Le pas
freudien, n’est-ce pas, c’est de considérer que les contradictions qui ont lieu
entre des énoncés apparemment complètement intelligibles, et qui sont amenés à
une sorte de dialectique de la discussion qu’il est très facile de démonter –
lisez par exemple les récits de psychothérapie de Janet, ou bien ceux qu’on
trouve dans toute sorte de textes de l’époque – la difficulté c’est de penser
que c’est ce conflit-là qui est la raison d’être des choses et que c’est tout
aussi conflictuel que ce qui pourrait s’incarner dans un corps.
La
deuxième chose qui apparaît et qui nous concerne directement, c’est que si vous
avez contradiction et conflit, vous avez la question du rapprochement avec
l’opposition signifiante. C’est la question de savoir si ce qui est premier
c’est le conflit - c’est-à-dire quelque chose de psychologique, ce que je
décris par exemple dans mon travail sur Freud à travers des formules du
type : " je ne veux pas ce que je désire ", " ce que
je désire c’est ce que je ne veux pas ", ou bien si c’est une économie
propre au discours et qui commande des effets psychologiques de conflits, mais
dont la raison d’être ultime, c’est l’opposition signifiante. Il suit de ça que
la deuxième difficulté fondamentale qu’on rencontre, qui est celle que Freud
mentionne, c’est que le discours obsessionnel est sur des points cruciaux
elliptique. C’est pas pour rien que j’ai parlé la dernière fois d’ellipse et de
la difficulté à penser l’ellipse en terme de signifiant. Il faut une théorie
très particulière du signifiant pour réussir à penser une ellipse. Si tout le
sens se produit par différence de signifiants, on ne voit pas du tout comment
il pourrait manquer quelque part une marque signifiante. D’où le texte de
Saussure que je vous avais apporté, qui est un texte où Saussure se dit :
" mais alors, si j’ai raison, si toutes les marques signifiantes sont des
différences, alors comment peut-il y avoir ellipse ? " Avec les
effets d’absurde qui découlent de la combinaison de l’ellipse et de la
contradiction.
La
troisième idée qui a évidemment mobilisé la notion de signifiant, mais une
notion de signifiant complexe, éventuellement contradictoire – il n’y a pas de
raison de penser que Lacan soit arrivé à résoudre les problèmes des
contradictions de la linguistique en utilisant la notion de signifiant – c’est
que la névrose obsessionnelle est notoirement une névrose où le rapport à
l’écrit, à la lettre, est très particulier, et c’est la raison de lapsus
étonnants – je vous en raconterai un tout à l’heure.
Et
le dernier point, c’est quelque chose d’un petit peu différent, mais qui est
lié au langage et à la structuration du langage, c’est que l’inhibition
obsessionnelle, qui peut aller jusqu’à des silences, des blocages extrêmement
profonds dès que quelqu’un se présente en position d’avoir à dire quelque
chose, jusqu’à faire suspecter – il ne faut pas oublier cette dimension – une
psychose. Il y a des degrés de gravité extrême dans la névrose obsessionnelle,
particulièrement chez les femmes, dans lesquels le diagnostic différentiel avec
des formes de psychose est tout à fait délicat. Tout simplement parce
qu’évidemment, si tout le problème est l’acte, l’acte suprême que serait dire
- dire quelque chose à quelqu’un, dire en position subjective quelque chose à
quelqu’un aboutit à une inhibition majeure, à l’ombre d’une Loi, d’une Loi du
discours et de tout ce que le discours peut véhiculer évidemment de lois
imaginaires, de contraintes imaginaires qui font du non-dit, du péché, du
secret, la ressource inépuisable de ce qu’on impute comme dissimulations à
l’obsessionnel, comme réticences, et qui est en général massivement de l’ordre
de la résistance et du refoulement. C’est-à-dire que lorsque certains obsessionnels
sont totalement incapables de dire quelque chose d’essentiel, c’est parce que
l’effet d’effacement de séances en séances peut être tel, que c’est pas du tout
qu’ils oublient, c’est que ça oublie, ça efface, littéralement,
d’une manière extrêmement intense, le dit.
Alors
ce que je vais faire, c’est ceci. Je l’ai jamais fait, j’espère que vous ne
serez pas les cobayes de ma tentative, je vais vous raconter un grand morceau
d’analyse d’un obsessionnel extrêmement sévère - c’est un des plus grands
malades que j’ai vu au sens psychiatrique – que je vais vous raconter de deux
façons. Je vais faire deux récits. Je vais faire un récit " théorique
freudien ", c’est-à-dire qui va mobiliser ce que vous pouvez trouver comme
appareil conceptuel dans L’homme aux rats, dans un certain nombre de
textes de Freud sur la névrose obsessionnelle, et également les textes un petit
peu tardifs. L’homme aux rats plutôt que pour des raisons compliquées L’homme
aux loups, avec la question de savoir si l’homme aux loups était ou non
obsessionnel. L’homme aux rats, c’est plus simple à traiter. Et puis je
reprendrai ensuite le même cas, en apportant éventuellement d’autres détails
dont le relief n’apparaît que si vous le mobilisez sous cet angle, en essayant
de montrer comment on peut y faire travailler ces notions de signifiant. Pas
tellement si vous voulez pour tomber dans ce piège qui est quand même quelque
chose qu’on voit très souvent, qui consiste à être très freudien et puis à
projeter des explications pseudo-linguistiques sur les choses et à s’imaginer
comme ça qu’on fait du Lacan, mais à essayer comment on peut voir autrement, et
probablement aussi d’une certaine manière – ça je laisse la question en suspens
parce que d’abord j’en suis pas là avec ce patient, et puis d’autre part, parce
que j’en sais rien, j’en suis pas absolument certain – peut-être que les
modalités d’économie du transfert qui permettent certaines interprétations ne
sont pas les mêmes, et n’ont probablement pas le même effet, et ne supposent
pas la même idée de la fin de la cure. Dans un cas aussi sévère, si on peut
parler un jour de fin de cure, là il y a une obligation, je ne vous le cache
pas, que les psychothérapeutes, avec des cas de cette gravité-là… il faut
réussir je pense à trouver quelque chose.
Alors
qu’est-ce que c’est que ces grandes oppositions, comme ça, massives, que je
vais essayer de vous faire entendre en vous racontant le cas pour que vous
perceviez un petit peu ce que je vais dire. On peut dire que la notion
freudienne de fantasme, elle est plutôt orientée sur quelque chose de l’ordre
de l’imaginaire, c’est-à-dire des images dans lesquelles se présentifie une
activité fantasmatique inconsciente, qui peut émerger en façonnant quelque
chose de l’ordre du rêve, quelque chose de l’ordre de certaines
pseudo-hallucinations visuelles qu’on trouve dans la névrose
obsessionnelle : les effets d’interposition de visages, de voiles entre
soi et la réalité, etc… Chez Lacan, les coordonnées du fantasme sont des
coordonnées symboliques qui impliquent un rapport fondamental au langage et à
la perte que le langage impose. Et la dialectique imaginaire est subordonnée à
cette économie symbolique. Lorsqu’on a affaire à la névrose obsessionnelle, et
ça c’est le deuxième point qui m’amène à l’e-mail que vous (Claude B.) m’avez
envoyé, le mode d’entrée de la névrose obsessionnelle chez Freud, c’est
l’analyse du conflit à travers les représentations exemplaires qui sont les
“ représentations par contraste ”. C’est-à-dire que ce que désire le
plus intensément l’obsédé, ça lui arrive sur le mode du " je n’en veux
surtout pas ". Et lorsqu’il dit une chose, il dit le contraire, lorsqu’il
veut s’empêcher de faire une chose, il le fait, lorsqu’il veut faire quelque
chose il s’en empêche, avec une sorte de jeu de ce type-là, qui est pensé en
terme de défense par Freud très tôt – c’est ça la notion de défense – et
de conflits. Cette notion de défense, elle se retrouve extrêmement
tardivement chez Freud dans les années 20, comme une tentative de repenser le
refoulement sur un autre mode. Alors évidemment, cette même représentation par
contraste, si vous la pensez dans un registre qui est celui du signifiant, ça
veut dire que c’est le désir qui est contradictoire en lui-même, ça veut dire
qu’il y a quelque chose du désir dont l’essence même est d’être contradictoire,
c’est-à-dire que vouloir une chose et vouloir son contraire, c’est précisément
cette tension-là qui est la tension du désir, ce qui dans la névrose
obsessionnelle a des conséquences extrêmement importantes pour l’interprétation
puisqu’il ne s’agit pas du tout comme dans les démarches psychothérapeutiques
du 19ème siècle de réduire les contradictions, d’arriver à faire à
quelqu’un ce qu’il voulait faire mais qu’il n’arrivait pas à faire parce que sa
volonté n’était pas assez forte. Il s’agit de penser tout autrement la manière
dont ses contradictions peuvent se déplacer. Et se déplacer sans s’enkyster
dans un dispositif imaginaire et parfois même corporel puisqu’il y a – il ne
faut jamais l’oublier – du corps chez les obsédés, et il y a un corps qui
souffre aussi de façon tout à fait particulière, pas toujours d’ailleurs les
symptômes sexuels : des symptômes de constriction particuliers, les
fameuses céphalées neurasthéniques de Beard, n’est-ce pas, les constrictions de
la tête par exemple, etc.
La
troisième grande différence, c’est que lorsque Freud pense l’Œdipe, il pense
l’Œdipe à travers le filtre d’une réalité familiale, tandis que Lacan le pense
à travers certaines distorsions des relations entre les générations. Distorsions
des relations entre les générations qui permettent d’étendre les sources des
troubles du dommage à quelque chose de beaucoup plus symbolique de la parenté,
parfois à d’autres générations, parfois à des liens de parenté tout à fait
éloignés qui forment la structure à l’intérieur de laquelle certaines
identifications imaginaires vont produire des effets névrotiques. Je vous en
montrerai un exemple tout à fait frappant dans le cas que je vais vous
raconter.
Ensuite,
la dernière et peut-être la plus importante différence, c’est que vous savez
que Freud a une approche développementale qui va d’ailleurs guider mon exposé
du cas D. Une approche développementale, c’est-à-dire qu’il y a une névrose
infantile, il y a une puberté, il y a un âge adulte. Qu’il y a dans la névrose
infantile de l’obsédé – que vous allez voir apparaître dans ce récit d’analyse
– des notions de séduction infantile extrêmement précoce qui selon le principe
canonique de la distinction entre l’obsession et l’hystérie sont les séductions
précoces emportant un excès de plaisir, déclenchant une prématuration de la
formation du Moi, et c’est cette anticipation je dirais rationnelle et
raisonnable du Moi – qui font que très souvent les obsédés sont des gens qui
n’ont pas d’enfance – qui va servir à tamponner le développement, ce que Freud
appelle le développement, de l’affectivité et des pulsions. Vous avez un
traumatisme initial dans la séduction par excès d’une jouissance infantile
particulière, amenant une répression extrêmement violente où l’enfant devient
beaucoup plus grand que son âge très vite, et ce devancement du développement
pulsionnel par l’enfant fait finalement un adulte – voire comme le dit mon
patient " un enfant qui est un petit vieux dans la tête " - finit par
empêcher le développement présumé naturel de la pulsion sexuelle. Avec toujours
cet effet de régression – s’il y a du développement il y a de la régression – à
un seuil particulier qui est la régression anale. Chez Lacan, l’idée est
évidemment de se débarrasser de ce pilier de la pensée freudienne qui est la
notion de développement – psychogénétique - du développement de l’enfant, et de
penser les choses en synchronie. Qu’est-ce que ça veut dire " penser les
choses en synchronie " ? C’est une tout autre approche qui évidemment
exclut la présentation narrative du cas, et à laquelle je me risquerai – si j’y
arrive, parce qu’évidemment c’est très difficile d’être lacanien : on est
je dirais contraint par l’autre imaginaire du langage à être freudien, par le
fait qu’il y a un début, un commencement et une fin. Et penser en synchronie,
c’est extraordinairement difficile, c’est un véritable défi, de penser une
séance comme enveloppant en elle-même, que ce soit manifeste ou pas, l’ensemble
des coordonnées signifiantes et symboliques à l’intérieur desquelles un sujet,
de façon extemporanée, apparaît. Et évidemment si c’est de la synchronie, la
structure apparaît dans le transfert – c’est pas une structure objectivée comme
en psychopathologie, c’est une structure qui apparaît dans le transfert – et
les relations à la parole commandent l’ensemble du registre métaphorique à
l’intérieur duquel on va penser par exemple la régression. C’est qu’une
régression au stade anale, vous allez voir quelle forme ça prend lorsqu’elle
est absolument majeure, incontournable, aveuglante, n’est-ce pas, que même un
patient qui a passé sa vie à douter est obligé de s’arrêter parce que tout ce
qui lui vient à la bouche est anal, qu’il le veuille ou pas. Ce genre
d’expérience reste une expérience de discours ; à aucun moment vous n’avez
une régression, je dirais une involution sur le divan sur un mode de comédie ou
de film américain où quelqu’un redeviendrait un enfant comme dans un trucage
imaginaire.
Je
reviens au cas D. Alors le cas D. - puisque c’est un cadet - c’est un homme de
55 ans, qui a fait des études supérieures, qui exerce une profession de santé,
comme sa mère, et comme un grand nombre des gens qui sont autour de lui. Alors
ce qui m’a paru tout à fait frappant pour vous présenter un cas freudien, c’est
que cet homme s’est présenté exactement comme Freud a dû en voir et comme il en
décrit dans les textes des années 1896-1897, autrement dit comme un
neurasthénique. Un immense neurasthénique : fatigue, dépression, insomnie,
troubles de la mémoire, constriction crânienne – c’est la céphalée en casque
de Beard, c’est assez étonnant de voir ce type de symptôme – dans un cycle qui
s’est embrayé de manière très impressionnante, puisqu’ayant dû se mettre en
congé de son travail parce qu’il était incapable de réaliser un certain nombre
de tâches, cet homme s’est présenté à moi en offrant un tableau de dépression
vraiment d’un autre âge. Et ce qu’il faisait, les premiers temps, c’est qu’il
venait à la séance, le soir en fin de journée, puis il réfléchissait à ce que
nous avions dit pendant la séance, parfois jusqu’à quatre à cinq heures du
matin sans pouvoir dormir, puis il tombait de sommeil, il se réveillait pour
prendre son petit déjeuner à dix-huit heures, il prenait le métro pour revenir
me voir, assister à la séance, etc. Il passait toute la nuit dévoré
d’obsessions et de réflexions sur ce que je racontais, et en quelque sorte,
j’avais été inscrit dans ce cycle comme un des seuls points où il était
réveillé. Cette neurasthénie, voilà ce qu’on soignait par la cure de sommeil
(on voit pourquoi !) par la suralimentation – ce qu’on appelait la cure de
Weir Mitchell dans les dernières années du 19ème siècle.
Ce
problème de la neurasthénie pose tout de suite une difficulté : comment
est-ce que l’on peut penser cette fatigue, cet épuisement généralisé, comme de
l’angoisse. C’est d’ailleurs probablement je crois l’interprétation
fondamentale au départ pour créer les conditions d’une analyse, c’est de
dire que cette fatigue, c’est de l’angoisse. C’est pas du tout quelque
chose d’ailleurs que le patient a immédiatement accepté, mais c’est le procédé
freudien, qui n’est pas simplement un procédé théorique - lisez les textes de
96-97 - mais qui est un procédé pratique. C’est de montrer que si les gens sont
comme ça, c’est parce qu’ils sont dévorés par l’angoisse. Dans un premier
temps. Parce qu’il n’y a pas que l’angoisse, il y a aussi la colère. L’angoisse
me paraît très importante parce que l’angoisse, c’est comme on dit une notion intentionnelle.
Il y a deux modalités de l’angoisse, qui en font un affect offert au
signifiant, offert à l’ordre du discours. C’est que nous pouvons nous angoisser
de quelque chose, et nous pouvons nous angoisser pour quelqu’un. L’angoisse
de et l’angoisse pour sont des structures intentionnelles tout à
fait différentes. S’angoisser de quelque chose, c’est se rapporter à un
objet. S’angoisser pour quelqu’un, c’est se situer par rapport à un
autre vis-à-vis des éventuels objets de cet autre. Il n’y a pas énormément de
notions comme ça qui se laissent décliner sur ce mode. Une autre très
importante dans la névrose obsessionnelle est la honte. J’avais fait il y a
deux ans un long travail sur la honte, qui est un affect dépressif, puisque
vous pouvez avoir honte de quelque chose, mais aussi, par exemple, si
pendant que je parle je me mets à faire des pataquès ou à ne pas entendre que
je prononce des mots idiots etc., vous pouvez avoir honte pour moi. En
quelque sorte, l’affect d’angoisse est un affect qui ouvre la possibilité d’une
articulation à autrui, d’une structuration des différents objets les uns par
rapport aux autres, et que même s’ils restent vécus dans le corps – l’angoisse
est un affect somatique, accompagné de symptômes corporels qui éventuellement
appellent des soins médicaux – c’est néanmoins quelque chose qui est porteur de
cette ambiguïté. Il en va de même d’ailleurs avec la colère, puisque la colère,
à la différence de la rage, implique que lorsque vous vous mettez en colère,
c’est que vous avez une raison de vous mettre en colère. La colère est toujours
quelque chose qui suppose qu’on a une bonne raison de se mettre en colère.
Autrement dit ce n’est pas comme la rage une pure décharge motrice – qu’on
pourrait complètement naturaliser, qu’on pourrait écraser dans ses
manifestations externes. On peut la tasser, mais même si vous tassez la rage,
il reste cette dimension rationnelle de la colère qui est la justification
qu’elle implique analytiquement avec elle-même dans sa manifestation. Par là,
dès qu’elle a des raisons, elle entre dans le jeu dialectique des objections et
des contre-objections chères à l’obsessionnel. Alors ici, c’est extrêmement
frappant, la colère est évidemment tamponnée – il y a un tamponnage bien connu
de l’agressivité dans la névrose obsessionnelle. Elle est associée chez ce
patient avec quelque chose, c’est que " se fâcher avec quelqu’un ",
c’est " couper ". Il n’y a pas de milieu ; se fâcher, c’est
couper. Et couper peut prendre un sens considérable.
Cet
homme a un père de plus de 90 ans, une mère de 87 ans et un frère aîné de 4
ans. Il a eu fait sa première dépression à 12 ans, ce qui lui a permis
d’exhumer quels étaient les tenants et les aboutissants de la névrose
infantile, et une deuxième à 22 ans en 68, tellement tout fonctionnait mal. Un
des traits qui a quand même attiré ma méfiance à l’égard de ce genre de
pathologie, c’est qu’il n’a jamais eu de rapport sexuel – jamais - de sa vie.
Il s’est masturbé quand il était adolescent, masturbation d’ailleurs anidéique,
dont je vous dirai quelque chose tout à l’heure. Il n’a jamais eu de rapport
sexuel en tout cas. Alors pourquoi je me suis inquiété de ça ? Parce que
ça, ça sent la psychose. On peut tout à fait défendre l’idée qu’un
obsessionnel, c’est quelqu’un qui justement arrive quand même quelque part à ses
fins. Mais quelqu’un qui est tout de même à ce point dans une inhibition
majeure, à cet égard, ça présente quand même quelque chose d’un peu inquiétant.
On pourrait tout à fait imaginer par exemple, que sous la cloche d’inhibition
obsessionnelle, il y ait une paranoïa, qui évidemment tamponne l’agressivité et
la certitude paranoïaque par des systèmes de doutes et de ratiocinations. Je
dirai pourquoi je ne pense pas, après 6 mois de travail avec cet homme, que ce
soit une paranoïa du tout. Alors par ailleurs il nie la maladie, qui est
toujours une des choses les plus étonnantes qu’on voit, quelqu’un qui vous
arrive totalement handicapé de partout, mais qui nie la maladie, qui dit :
" je suis fatigué ", " je suis juste un peu fatigué ". Avec
tout un dispositif d’inhibition, d’annulation des actes, n’est-ce pas : il
prend le bus pour aller à l’hôpital au service des urgences, puis comme c’est
le terminus, il reste dans le bus et puis il repart chez lui. Une circularité
comme ça, en passant deux fois devant les urgences sans descendre. Et il
m’arrive à la suite d’une crise parce qu’il a changé de patron. Le précédent
patron était un paranoïaque fini, qui obligeait mon patient à être absolument
irréprochable, mais en même temps, comme il vouait le mépris le plus absolu à
ce que toute personne pouvait faire dans le service où il travaillait, il lui
laissait une très grande liberté. Ce qui a permis à la fois à ce patient
pendant 20 ans d’avoir un patron que personne n’aurait pu supporter – et que
d’ailleurs personne n’a pu supporter, parce qu’apparemment tous les gens qui
travaillaient avec lui sont tombés malades et ont démissionné. Lui l’a
parfaitement supporté, à la fois dans cette situation de contrainte où il
fallait être totalement irréprochable, et dans cette espèce de liberté qui lui
était donné, parce que de toute façon comme rien n’allait, il pouvait faire ce
qu’il voulait. Ce patron a été remplacé par une femme. Et à la suite d’un
certain nombre d’épisodes où la mauvaise foi de la nouvelle chef s’est
déclenché - la mauvaise foi c’est un déclencheur de crise chez les
obsessionnels absolument majeur : quelqu’un qui tient pas sa parole,
quelqu’un dont la parole n’est plus fiable et qui n’assure plus la sécurité
minimale - des “ cris ” et un “ contrôle permanent ” ont
amené en quelques semaines cet homme qui avait supporté 20 ans de patron
paranoïaque à succomber à 2 semaines de patronne hystérique. Ce qui est
extrêmement frappant, hein, comme dispositif…
Il
y a très rapidement dans les premières séances, je vais vous raconter un peu
comment ça se passe, une scène capitale qui m’a à nouveau un peu alarmée. Cette
scène s’est passée en 1944. Les allemands faisant retraite, s’arrêtent dans la
ferme de famille de Monsieur D., se sentent menacés et exécutent le grand-père de
Monsieur D. ainsi que sa fille, et balancent probablement des bombes
incendiaires dans la grange. La grand-mère de Monsieur D. (qui n’en parlera
apparemment plus jamais après cet événement), va passer la nuit à réparer le
visage de son époux pour pouvoir l’ensevelir. Cet homme n’était pas un
résistant et c’était une région de résistance. Cette scène capitale, c’est une
scène qui a toujours été devinée dans les sous-entendus et jamais explicitement
décrite ni rapportée par aucun des membres de la famille à Monsieur D. Et un
des symptômes qui s’y rattache le plus évidemment, c’est que Monsieur D. a
l’œil, il ne sait comment, systématiquement attiré vers toutes les scènes où
des enfants, des femmes, etc, hurlent de douleur, pleurent, etc. Dans n’importe
quelles circonstances, son œil y va immédiatement. Directement connecté à ceci,
le père de Monsieur D. Propos du père : " avec les voyous, les
Allemands ils s’embêtaient pas : tatatatatata… " avec un geste de
balayer l’entourage une mitraillette à la main, ce qui déclenche chez le fils
“ l’envie de disparaître immédiatement sous terre ”. Propos qu’on
entend très souvent chez Monsieur D : " comment est-ce qu’il peut
dire ça ? Mais comment est-ce que les gens peuvent dire ça ? ".
Le père est un personnage tout à fait timide, qui a été victime d’une éducation
étroitement réactionnaire de cette espèce de bande d’instituteurs catholiques
provinciaux qui constitue sa famille, probablement quelqu’un d’écrasé dans son
enfance par la bêtise et la dureté du milieu social, et qui est en quelque
sorte poussé, soutenu, porté dans la vie par son épouse. L’obtusion morale de
ce milieu serre la gorge, et l’ensemble des souvenirs ainsi que des contraintes
que ressent Monsieur D. sont liés à ce qu’il appelle des “ paroles creuses ”
qui est un véritable “ bruit de fond permanent ”, qui lui est injecté
sous le crâne semble-t-il depuis son enfance, qui est la base de ses
auto-reproches et qui l’amène quelque fois à devoir mettre la radio pour
pouvoir simplement que ça s’arrête, et la radio assez fort. Il se met du son
dans les oreilles, tellement ce mentisme est à la limite de la réalisation
sonore.
Là
encore, c’est une question qui n’est pas très facile, le diagnostic
différentiel. On pourrait tout à fait supposer que vous avez derrière
l’apparence d’une névrose obsessionnelle un automatisme mental. Le problème,
c’est que l’automatisme mental, il a des aspérités matérielles particulières,
il fait irruption dans la conscience. Tandis que là, il y a vraiment quelque
chose d’un petit peu différent, qui est une relation au sens de l’injonction
comme contradictoire. Et en particulier à cette injonction suprême, injonction
de toutes les injonctions qui était semble-t-il le nec plus ultra de la
morale obtuse de ce milieu : c’est que “ dans un choix, il faut
toujours choisir le plus contraignant ”. Quelque soit le choix que vous
ayez, il faut toujours choisir le choix le plus contraignant “ pour ne pas
avoir à regretter quoi que ce soit ” sur le plan moral. Ce qui est
étonnant, c’est que la grand-mère, muette après cet épisode tragique de 1944,
était paraît-il - c’est-à-dire la mère du père du patient - était encore pire
que la tante survivante dont j’ai l’avantage de bénéficier de l’instruction
morale par la bouche de Monsieur D. à chaque séance. C’est quelque chose
d’absolument ahurissant, à quel point une parole peut effectivement être du
vide. Un vide absolument terrifiant, et contradictoire et cruel. C’est quelque
chose d’étonnant.
Simplement,
et c’est là ce qui me paraît complètement fou, et ce qui a paru fou aussi au
patient, c’est qu’il n’a pas été élevé par cette tante. C’est son père qui a
été élevé par cette tante et par sa mère. Père qui certes ne condamnait pas ces
valeurs : la mère s’en moquait, et le père ne condamnait pas. Mais
c’est simplement de façon fugitive, en vacances, que Monsieur D. était exposé à
ces paroles, avec la question de savoir comment se transmettent ces
auto-reproches, par dessus une génération, à une génération du patient.
Alors
je m’arrête un peu sur ce point, parce que je crois que c’est une difficulté du
cas, qui rend très délicat de concevoir une généalogie je dirai par
transmission psychologique simple, de ces phénomènes d’auto-reproches, et
de significations morales contradictoires rendant l’existence pénible. C’est une
des difficultés.
Par
rapport à sa famille, le grand hobby de Monsieur D., c’est le théâtre. Avec
quand même un trait un petit trait particulier, c’est qu’il y a son père, sa
mère, son frère, qui a quelques années de plus que lui, 4 ans de plus que lui,
et ils sont 4. Il ne peut me raconter aucune pièce de théâtre à plus de 4
personnages. Aucune. C’est-à-dire que tout se met à fonctionner sur ce mode là,
c’est comme une sorte de prisme à l’intérieur duquel se diffracte la réalité
des relations interhumaines, et au delà c’est la confusion. Et c’est même
tellement la confusion qu’il perd le fil. Au début ça va, il y a quelqu’un qui
cause, c’est bien, une deuxième arrive ça va encore, une troisième arrive ça va
encore, une quatrième arrive : il ne sait plus rien. Alors soit il
s’endort, soit il s’angoisse parce qu’il voit les autres qui continuent à
comprendre.
Il
n’y a pas de rêve, les premiers rêves vont arriver après des choses extrêmement
fortes que je vais dire. Un cauchemar confus : “ le toit est effondré
au dessus de ses parents ”. Bien évidemment, tout cela est dominé par
l’angoisse, parfaitement légitime, de la mort des parents - vu leur grand âge.
Simplement, cette mort des parents va donner lieu à l’aveu de la première
obsession, qui est l’obsession que les parents se tuent. Il a acheté une
voiture. Il fait évidemment 4 fois le tour de la voiture : le regonflage
des pneus, la vérification du niveau d’huile, les plaquettes de frein, etc. Il
prépare tout, avec cette phrase exquise : " comme ça, si mon
père se tue en voiture, j’aurais tout fait, j’aurais pas de remords ". Qui
est vraiment quelque chose de… merveilleux. A partir du moment de cet aveu de
l’obsession que les parents se tuent et particulièrement en voiture, j’ai
commencé à considérer que c’était moins la fixation sur une image (qui m’aurait
donné à soupçonner quelque chose du registre de la psychose), puisqu’il y avait
déplacement. Puisqu’en fait c’est toujours une certaine économie contradictoire
qui se déplace d’éléments à éléments et qu’on n’est pas dans une sorte
d’obnubilation avec un point fixe dont on aurait pu imaginer que ce point fixe
est un point de psychose – si je m’exprime bien – et que vous construisez une
sorte de barrage tout autour, névrotisant les relations comme quelque fois on
représente les choses assez grossièrement. A partir du moment où il y a
déplacement, où les obsessions sont mobiles, réélaborées, on est déjà un petit
peu plus tranquillisé malgré la sévérité du tableau. Parce qu’évidemment à
partir de ce moment-là vont apparaître des visions de cadavres et une
contrainte aux déplacements fort ancienne, puisqu’il va dire que dès son
enfance, les péplum sur le christ, en particulier La tunique, le récit
de la passion à l’église, tous ces phénomènes-là avaient sur lui un empire
extraordinairement fort. Articulation à la phrase " si mon père se tue en
voiture, j’aurais tout fait, j’aurais pas de remords ", la phrase :
" mon père a eu des regrets dans sa jeunesse, jamais je ne veux en avoir ".
Ces
visions de cadavre vont donner lieu aussi à une obsession que j’ai pu attraper
au vol : il rentre avec quelqu’un d’une activité de loisir qui lui parle
de sa fille unique, et tout à coup il a cette idée : " mais c’est
terrible d’avoir une fille unique : si elle mourrait ! ". Où
vous entendez l’obsession : " qu’elle meure ! ". D’autant
que le père est inconnu, et que dans le récit de la conversion qu’il lui a
fait, il y a bien évidemment une tension particulière, érotique et amicale,
entre la dame qui conduit et qui lui parle de sa fille et lui.
Ses
visions de cadavre sont soutenues par des pratiques curieuses de sa famille,
puisqu’il a réussi à exhumer de ses souvenirs - il n’y croyait pas, il a dû
appeler bien sûr comme font les obsessionnels tous les gens de sa famille pour vérifier
que c’était bien le cas - il a trouvé une petite boîte à pilules. Il est d’une
profession où on utilise des pilules. Une petite boîte à pilules qui contenait
un os et une balle à l’intérieur, qui était comme ça une relique. Et il l’a retrouvé,
c’est-à-dire à mon avis il y a partout dans cette maison de campagne des
reliques, quelque chose qui concerne un souvenir dans lequel le reste de la
famille est censé vivre désormais figé. Il y a une production de l’obsession
qui est ici principielle.
J’en
viens à un personnage clef de la constellation familiale de Monsieur D, qui est
sa cousine. Sa cousine, c’est la fille de la tante que les Allemands ont
assassinée. Son père, au goût de la famille, c’était trop vite remarié. Si bien
qu’il a été interdit, lui et sa nouvelle épouse, de fréquenter la maison
familiale. Et la cousine était amenée en vacances par le père et la mère de mon
patient. Elle a trois ans de plus que mon patient, et elle a un statut tout à
fait étrange, puisque c’est très clairement son premier objet d’amour – un
objet d’amour infantile très puissant – et qui était énigmatique pour le
patient, dans la mesure où lorsqu’il acceptait de jouer tout petit au papa et à
la maman avec elle, la question qu’il se posait c’est : “ Mais comment
est-ce qu’elle peut jouer à la maman, comme ça, où est le modèle ? ”
Car pour Monsieur D., il n’y a pas vraiment d’identification, tout est pensé en
termes d’imitation, de modèles à imiter (être “ grand ”, dans un
registre imaginaire n’arrive jamais à devenir être adulte dans un registre
symbolique). C’est que le patient a passé toute son enfance en vacances avec
cette cousine qui était un objet d’amour – alors comme il ne la voyait qu’en
vacances, ce qui vous montre un petit peu dans quel contexte affectif les “ paroles
creuses ” pouvaient s’imprimer dans sa tête. Il a du tout deviner du sort
ultime de la mère de sa cousine dans les sous-entendus, avec l’angoisse
permanente d’évoquer le massacre de 44, puisqu’on ne parle pas de corde dans la
maison du pendu. En participant pour pouvoir grandir à un système
d’auto-censure généralisé dans la famille dans lequel il était impossible
d’évoquer le traumatisme qui avait absolument anéanti cette famille.
J’en
suis à l’enfance, je vais vous dire quelques mots pour reconstruire n’est-ce
pas ce que je peux savoir pour le moment de cette névrose infantile et la façon
dont elle se coordonne à l’adolescence.
Alors
c’est un enfant hypocondriaque – comme tous les enfants obsessionnels - il
allait voir régulièrement le médecin dont il redoutait les piqûres, etc, puis
évidemment le médecin ne trouvait jamais rien, alors il essayait de changer de
médecin, mais il ne pouvait pas changer de médecin parce qu’il n’avait
confiance que dans un seul, qui ne trouvait jamais rien, donc il allait en voir
un autre, etc, etc. On peut dire que selon la prédiction freudienne, il n’y a
pas d’enfance. Il n’y a pas d’enfance parce que, une des choses qui est à
nouveau tout à fait stupéfiante dans ce dispositif, c’est que très tôt,
c’est-à-dire à l’âge probablement de 8 ou 9 ans, le patient semble avoir été -
comme presque toujours dans ce type de constellation - largué par l’affection
maternelle. Laissé en plan. Parce que tout le souci de la mère s’est reporté
sur le frère aîné qui ne foutait rien. Mais alors strictement rien. Il lisait à
longueur de temps et compromettait ses études. Si bien que l’angoisse de la
mère devenait la seule chose à laquelle le patient pouvait s’identifier, il se
faisait lui-même une partie de l’angoisse de la mère, et se demandait, à l’âge
de 8 ou 9 ans, " mais c’est pas possible, je vais l’avoir à charge, et me
dit-il, je voyais mes parents décédés, et je vais devoir l’avoir à charge comme
un infirme ". Lui du coup redouble d’efforts pour travailler, réussit avec
un sentiment subjectif d’effort effroyable, je vous raconterais pourquoi, les
symptômes incroyables qu’il avait quand il était môme et adolescent – et c’est
avec beaucoup de peine et simplement parce qu’il a pu recevoir quelques paroles
d’éclairement de sa mère qu’il me dit avoir oublié la jalousie absolument
terrible dont il aurait fait preuve, avant de s’identifier à l’angoisse de la
mère pour le frère, à l’égard de ce même frère. Cette angoisse de son
frère, et pour sa mère relativement à son fils aîné, a véritablement
provoqué une cassure de son excitation motrice d’enfant.
Je
n’ai pas pu lui exhumer ici comme dans le cas de l’homme aux rats des choses
très claires, même à travers des souvenirs innocents, de sa masturbation
infantile – enfin il semble que le jeu essentiel de Monsieur D. lorsqu’il était
petit consistait à “ grimper le long des tuyaux ”.
Si
on descend encore un cran plus loin, émerge l’analité. C’est-à-dire que
plusieurs fois quand il était mis à l’école, il a souillé ses culottes, parce
qu’il ne savait pas s’essuyer. Et il qualifie ceci “ d’erreur
technique ” – dans ces termes-là – c’est une erreur technique, un
“ défaut de synchronisation de ma mère ”. C’est-à-dire qu’elle ne lui
avait pas appris à s’essuyer. Et qu’il dissimule à ses parents le fait qu’il ne
sait pas s’essuyer. Il ne dit pas à sa mère qu’il ne sait pas s’essuyer et
plusieurs fois il souille ses culottes à l’école. Ce problème est évidemment
complètement tenace encore aujourd’hui, mais évidemment avec la réserve qu’on a
tous probablement à cet égard mais qui là prend des proportions tout à fait
étonnante, c’est encore un problème dont il peut dire de façon fugitive dans
une phrase que ça a détruit sa vie. Puisqu’il ne pouvait avoir aucun loisir
d’enfant parce qu’il fallait de façon permanente “ qu’il prenne ses
précautions ” donc il ne pouvait rien faire. Mais ça, il l’a dit dans une
demi-phrase, perdue dans un flot de choses alors que c’est le truc le plus
tenaillant de son existence.
Une
chose aussi qui est très curieuse dans les effets de “ prématuration du
Moi ” comme dit Freud, c’est la compréhension précoce des dettes. Il a
tout de suite très bien compris ce que c’était que l’argent, ce que c’était
qu’en manquer, ce que c’était que de ne pas avoir de situation, d’avoir une
mauvaise situation, et il se demandait
" Comment est-ce qu’on peut payer les dettes ? ".
C’est-à-dire que le souci de cet enfant de 6 à
8 ans, c’est " comment est-ce qu’on peut payer des dettes ?
". En un sens absolument obsédant et déjà permanent.
A
la puberté, sur laquelle il est très peu en quelque sorte facile à interroger,
même en mettant avec le tac nécessaire la question sur la formation de sa
sexualité. Je vous ai parlé d’une masturbation anidéique. C’est-à-dire qu’on
peut lui demander à quoi vous pensez… à quoi vous pensiez – il ne se masturbe
pas, hein, il s’est masturbé un petit peu à la puberté – “ je ne pensais
à rien ”. Ce qu’on peut entendre dans ce rien, c’est très simple. Quelques
phrases plus loin, il me dit : “ j’ai toujours pensé que le sexe
était brutal, et c’est très tard, quand j’ai eu 25 ans, que j’ai compris que ça
pouvait être autre chose ”. Ce qui veut dire que le rien désigne en
réalité des scènes d’une brutalité extrême qui font que les représentations qui
sont associées à une excitation érotique sont… rien. C’est très indirect ;
quand il vous dit que c’est très tard qu’il s’est aperçu que ça pouvait être
autre chose que du brutal, et que vous commencez à deviner que la représentation
était tout à fait autre chose.
Alors,
j’ai fait après la séance où il m’a raconté ça un rêve, sur lequel je ne vais
pas trop m’étendre, bien sûr, mais un rêve qui dit assez bien je crois le type
de virulence transférentielle sur le plan imaginaire que peuvent avoir ces
propos. Je rêve que la mère et la femme – la mariée – de Monsieur D. font
irruption chez moi, qu’elle jette un œil dans ma chambre à coucher, dont je les
chasse, pendant qu’elle me couvre de sarcasme ridiculisant mon impuissance, et
qu'une fois que je les ai repoussé sur le palier je regarde par l’œilleton -
probablement une constellation signifiante particulière parce que je n’ai pas
d’œilleton chez moi - et à ce moment là elles se savent observées par moi, et
c’est leur regard qui se retourne sur moi et qui me fait me sentir complètement
ridicule. Et dans la bagarre, je ne sais pas si c’est avant ou après, la
bagarre avec la mère du patient, je suis comme un espèce de tout petit enfant
totalement incapable de réussir à me dépêtrer de cette espèce de masse qui se
moque de moi et qui rend ridicule mes efforts. J’ai rêvé ça quelques heures
après avoir donc laissé Monsieur D. quitter le divan – je vous donne là
comme ça une indication du type de position imaginaire. Comme c’est un de mes
rêves, il y a d’autres détails que je me laisse, mais ça me paraît là quand
même un truc extrêmement impressionnant pour moi, de voir tout ce qui agit dans
l’axe imaginaire sur la perception de ce type de situation. Parce que la mère
est constamment présentée comme une femme ma foi pas pire qu’une autre, dont on
a beaucoup de mal à dire que c’est une mère pathogène. Elle a néanmoins réussit
fondamentalement cette opération qui consiste à ne jamais laisser partir ses
fils. Son frère aîné, s’il n’est pas obsessionnel, est célibataire, n’ayant
jamais parlé de sexe à personne… mais beaucoup mieux inséré, il s’est beaucoup
mieux débrouillé, dès l’adolescence on voit qu’il se débrouille mieux. On voit
qu’il y a quelque chose, où il a décidé qu’il ne marcherait pas dans la combine
avec cet échec scolaire méthodique - pendant qu’il lit et s’instruit, il est
pas fou, il s’instruit mais il fait échouer le projet parental de devenir ce
que le patient va devenir, de la même profession que la mère. Et vous avez
cette mère qui continue quand même à 87 ans à garder la chambre de son fils
disponible pour lui proposer dès qu’il va mal de venir dormir à la maison,
pendant que le père (il est aveugle) dit : “ Tu vas bien ? Non,
tu vas pas bien ? ” ; “ Est-ce qu’il reste dormir, est-ce
qu’il reste dormir ? ”. Et comme a dit mon patient : “ Il
n’y a pas de mots, il n’y a pas de mots pour ça, j’ai 55 ans… ”. Mais par
ailleurs, ce sont des gens qui ont effectivement une activité sociale, ce qui
prouve que la disproportion entre l’élément de destruction de quelque chose qui
est dans l’ordre de la séparation - cette séparation est impossible - ça n’a
aucun rapport avec un clash. J’ai un autre obsessionnel en ce moment, en cure,
dont la mère était carrément schizophrène, qui était absolument gravissime mais
qui n’a fondamentalement pas provoqué une névrose obsessionnelle beaucoup plus
spectaculaire, alors qu’elle était hospitalisée régulièrement et qu’elle était
folle comme 36 lapins. Et ça c’est quelque chose je crois d’assez
important : c’est vraiment dans la construction d’un fantasme que certains
accents peuvent prendre cette proportion.
Alors
il y a bien sûr à la puberté des révélations un petit peu troublantes,
puisqu’il y a sexualisation génitale d’un matériel infantile et il semble qu’il
y a une émission que je ne connais pas, il y a un Monsieur qui s’appelle Moati
à la télévision - moi j’ai pas la télévision – il semble que ce Monsieur Moati
attire les foules le dimanche – le dimanche qu’il passe systématiquement… Ah
oui, il y a une autre chose que je n’ai pas dit : après m’avoir quitté, il
va dire bonjour à ses parents avant d’aller méditer pendant 8 ou 10 heures chez
lui dans son lit sur ce qu’on a raconté. Il va chez ses parents tous les jours
tous les jours tous les jours que Dieu fait. Donc les parents regardent
l’émission de ce Monsieur Moati et… : “ Je peux pas lui faire
couper ”, dit le patient. Et ce type il est toujours à la recherche du
“ scoop ”. “ Il a son affaire bien en main, ça lui plaît il crie,
je ne peux pas le supporter ”. Et tout ceci est associé à l’évocation de
rêveries, de scènes qui sont carrément sado-masochistes, et flagellations, de
cris, avec dans l’évocation - étonnante parce qu’on est quand même dans une
rationalisation, tout ça est ponctué évidemment de : “ Ah, je suis
fatigué ! ” , “ C’est la fatigue ”, de doutes permanents
sur ce qui a été dit, sur ce que je vais dire, etc. – ponctuellement comme ça
comme des irruptions l’idée qu’on jouit à lui faire regarder ça. Ces scènes de
torture en Algérie, ces scènes de ceci, de cela, ces scènes de flagellation du
Christ, etc, le récit de la Passion (avec l’excellente idée qu’avait trouvée
les instituteurs catholiques dans la scène où le Christ se fait flagellé, de
dire que chaque fois qu’un enfant fait une bêtise, c’est comme s’il donnait un
coup de roseau sur le visage du Christ, ce qui avait déclenché une bouffée
d’angoisse absolument extraordinaire chez le gamin qui ne pouvait après plus du
tout supporter à l’église tout ce qui se rapportait au récit de la Passion).
Je
vais vous dire deux ou trois mots de ce qu’il en est de ma position
transférentielle à l’égard de cet homme et de ce que je pense un peu…
évidemment, j’ai une toute petite ouverture. Une toute petite ouverture, c’est,
peut-être après tout, la perche qu’il me tend. Une toute petite ouverture, ça
veut dire qu’il est hors de question que j’essaie de l’agrandir. Ce qui lui
rend supportable ma position, c’est la petite ouverture, c’est celle par
laquelle il respire. Et en ce sens, je suis un adversaire farouche du propos
classique selon lequel il faut hystériser les obsessionnels. C’est, je vous
l’ai dit la dernière fois, soit un propos creux parce qu’évidemment quand on
hystérise quelqu’un on peut lui faire faire n’importe quoi par suggestion et en
particulier guérir – ça dure pas longtemps mais ça fait toujours plaisir –, et
je dirais que ce qu’on appelle hystériser les gens c’est succomber à la
tentation d’une sorte de psychothérapie générale quelle que soit la structure.
Je crois que c’est très souvent ça. D’autre part, c’est manquer de respect à la
structure de ce sujet, qui n’est pas du tout une structure hystérique, d’aucune
manière. Qui est une structure pleinement obsessionnelle, et qui donc ensevelit
un certain savoir, une certaine expérience, un certain rapport aux objets dont
on ne voit pas très bien au nom de quoi on irait pour le sujet lui-même décider
qu’il a à renoncer à ceci ou à cela et à imposer des modèles de castration qui
lui serviraient de modèles de vie. Alors ce qui fait que dans cette petite
ouverture j’existe, c’est probablement mon jeune âge, qui au départ – c’est les
premiers mots qu’il a prononcés – lui permet une certaine confiance. Cela dit,
c’est extrêmement abstrait, et si je regarde les personnages qui ont été
favorables à l’évolution de quelqu’un qui a quand même fait, au milieu de
toutes les souffrances psychiques, les tortures, les tourments qu’il raconte,
des études supérieures qui lui permettent de gagner tout à fait bien sa vie et
d’être un professionnel reconnu par ailleurs... Il faut pas vous représenter
les choses… parce qu’on peut très bien souffrir et être comme il dit, du
dehors, du dehors tout le monde trouve que ça va pas si mal. Quand je regarde
qui ont été les gens qui lui ont permis d’aller là, et bien je trouve certainement
quelqu’un qu’il s’agit d’éviter d’incarner, qui est sa mère, mère qui n’a pas
ce côté je dirai “ injection de sens permanente ” qu’on peut voir
quelque fois dans certaines mères d’obsessionnels qui passent leur vie à
expliquer à leurs fils le sens de ce qu’ils font, ne leur laissant quasiment
aucune solution… mais en revanche, autre trait transférentiel, il y avait un
professeur dans le paysage, un professeur qui d’ailleurs - il se trouve que je
connaissais de nom, comme ça, c’est un homme d’une autre génération - est aussi
un écrivain et un musicologue, et qui avait sauvé quelque chose d’essentiel
dans le marasme anxieux que mon patient subissait pendant sa scolarité. Une
liberté de ton, une morale autre. Or il paraît que ma façon gentiment non conformiste
de prendre les choses le fait penser au soulagement qu’il éprouvait avec lui.
Ce
qu’il me demande, c’est de ne pas être bouché. Je crois que c’est vraiment
alors là le plus simple, tant que je ne suis pas bouché, ça va. En revanche,
lui vouloir du bien est complètement traumatisant. C’est-à-dire que le bien, il
en a soupé. L’excès des bonnes intentions, qui sont autant de meurtres
subjectifs, qui sont autant de viols qui sont imposés - c’est un type qui a
milité dans la lutte contre la pédophilie - est absolument dramatique. Si bien
que le mode de transfert très particulier qu’il a fait, et qui me fait penser
que c’est pour ça que Freud est parti de la névrose obsessionnelle dans la Traumdeutung,
c’est qu’il résiste à la suggestibilité qu’il se suppose, à lui, devant mes
interprétations. C’est ça le mode de transfert et d’accrochage très
particulier, n’est-ce pas : il résiste à la suggestibilité qu’il redoute
d’avoir devant des interprétations. Parce que faisant cela, il me pointe, au
delà, le lieu d’où il faudra que j’opère. Il désigne ma juste place dans le
transfert. C’est-à-dire que le danger ce serait que je sois acculé au
traitement moral, c’est-à-dire de répondre à la demande de réassurance, et il
me protège de ce piège en se supposant suggestible, et en m’indiquant donc
derrière, un autre point où je suis supporté et où je pourrais effectivement
non seulement le comprendre – ce qui n’est pas exactement le problème – mais ne
pas être bouché par rapport à sa position. Si bien que la position qui m’est
laissée est une position qui n’est pas interprétative du tout. Ce n’est pas
quelqu’un qu’on interprète, un obsessionnel de cette gravité là. Me
semble-t-il, je n’ai pas d’autre solution que la construction. C’est-à-dire
qu’il faut construire. Il faut construire, il faut prendre ce qu’il ramasse, et
il faut faire de la poésie avec. Ce qui a un petit effet particulier, une sorte
de poétique de ses objets personnels, de tous ces objets – évidemment dans la
maison de l’obsessionnel, avec des piles de choses empilées dans tous les
coins, qui tous les quatre ans descendent dans des sacs poubelles, etc, dans
une tentative de respirer au milieu de ces souvenirs empilés - mais ses objets
personnels, en particulier les photos – l’art de la photo lui a été transmis
par son père – les photos qui sont ces objets à lui.
Mes
interprétations, elles sont extraordinairement légères. Ce sont vraiment des
analogies exploratoires de la névrose infantile : " est-ce qu’il
vous est arrivé que ceci ou cela ? ", un tout petit peu lui
avoir fait rapprocher les cris de sa patronne et les hurlements de sa mère
invectivant son frère dans la pièce d’à côté, et lui avoir pointé ce qu’il sait
- parce qu’en fait le principe de l’obsessionnel c’est qu’il sait, il dit ce
qu’il doit dire, il ne dit pas ce qu’il sait, mais il sait – d’avoir pointé
que, agir, ce serait prendre la place de ses parents, ce serait faire ce qu’il
doit faire au lieu que ce soit ses parents qui le fassent pour lui, même à son
âge, et que faire ce que ses parents font à sa place, ce serait les tuer. Et
rien que ce type de rapprochement permet de mettre l’inconscient au travail,
autrement dit il s’est mis à rêver. Cet homme qui ne rêvait plus depuis vingt
ans, il s’est mis à rêver, et m’a produit des rêves, deux rêves, l’un qui
s’appelle " les jambes coupées " et puis un rêve que j’ai
appelé " cacolac chaud ".
Alors
le rêve des jambes coupées : il raconte qu’il est au lit, il a une jambe
noire, dont des fragments de peau se détache, et il a cinq doigts de pied. Mais
“ plus de cinq doigts de pied ” en réalité, plus de cinq doigts de
pied. Et puis il y a un des doigts de pied qui est coupé. Et puis c’est tout.
Association : il se trouve que cet homme a une malformation particulière,
il a un os surnuméraire dans la jambe. Comme il appartient à une profession
médicale, c’est quelqu’un qui sait ces choses-là. Il pense à “ l’oreille
coupée ”, l’oreille coupée le renvoie à la boîte, la boîte le renvoie à
l’os, l’os le renvoie au père. Typiquement ce qu’un freudien va prendre dans le
registre d’une castration imaginaire. C’est-à-dire qu’il y a un morceau du pied
qui est tombé. Autre souvenir connecté - très important - de ses douze ans,
c’est-à-dire au moment où il va tomber gravement malade - puisqu’à douze ans il
perd la compagnie de sa cousine, l’appui d’un professeur qui l’avait beaucoup
aidé, et sa mère le lâche définitivement pour s’occuper de l’aîné. Et il y a un
quatrième événement qui va précipiter l’effondrement dépressif des douze ans,
c’est qu’il est bien sûr élevé dans l’eau bénite, il croise dans son collège
l’aumônier, et il est avec son grand-père maternel. Et du côté maternel, on
bouffe de la calotte. Et le grand-père maternel le voit saluer l’aumônier, se
scandalise, et lui dit : " si je pouvais, je te renierais. Ah,
ça me coupe les jambes, je te laisse là et je rentre ". Et il ne l’a
plus jamais revu. Cherchant éventuellement d’ailleurs à le reprendre un moment
et à le voir avec lui, mais c’est la mère de Monsieur D. qui a fait objection.
Je crois qu’on est typiquement dans un rêve de castration freudien.
Le
deuxième rêve c’est " cacolac chaud ". Il est avec ses
parents et son frère dans une buvette minable, on lui apporte un cacolac. Alors
le cacolac se consomme froid, et ce cacolac est chaud. Il proteste – c’est la
première fois qu’il proteste, c’est la première fois de sa vie, me dit-il avec
étonnement, où il proteste et c’est dans un rêve, mais il proteste – et il y a
un autre rêve plus récent où il proteste encore, il est très fier de me
raconter des rêves où il proteste – et on lui apporte cette fois du coca cola
mais la bouteille est éventée, le gaz est parti, et là, il se met en colère en
me disant : “ Vous m’avez dit qu’il fallait ! Vous m’avez dit
qu’il fallait se mettre en colère ! ”. Il rouspète parce que le gaz
est parti. Et c’est à cette occasion là qu’il va m’avouer toutes ses rétentions
permanentes, n’est-ce pas, l’idée qu’il faut qu’il coupe le gaz chez lui,
l’obsession de tout fermer à triple tour, et où je lui fais une des rares
interprétations, rapprochant les choses de son corps et de son analité qui
explose dans le coca cola, le caca colac, etc… Alors il avait pris
effectivement avant son… puisqu’il se réveille dans la nuit, alors il mange, il
boit… enfin il se réveille pas : il est debout et puis au bout d’un
certain temps il va manger. Il avait pris un coca cola et puis quelque chose
qu’il appelle du chôcolâ. Il ne boit pas du chocolat, il boit du chôcolâ.
Il est vraiment là dans cette espèce de pâte infantile extrêmement forte. Et c’est
en travaillant sur cette analité qu’on va réussir semble-t-il – je crois que je
vais réussir – à l’amener dans la zone difficile, celle justement où la
poétique de ses objets personnels qui sont constamment menacés d’être de la
merde - c’est-à-dire l’idée que dès qu’il y a une coloration désirable et
phallique qui se répand sur ces objets, aussitôt ils virent à l’excrément - ces
objets sont immédiatement ramenés à ça, à cause de toute une série
d’associations qui vont lui faire dire que non seulement il craignait les
hurlements de sa patronne, mais il craignait aussi au travail les listing
informatiques sur lesquels il était obligé d’apposer sa signature.
En
endossant la responsabilité, qui est effectivement une responsabilité
importante et grave, de signer ces listings. Alors tant que c’était des petits
papiers qu’on lui apportait, qu’il pouvait lire et où il pouvait tout
comprendre, c’est allé comme du papier à musique. Du jour où ça a été une
machine qui a craché du résultat en quantité absolument ingérable pour toute
espèce d’esprit humain que ce soit, et qu’il fallait quand même continuer à ce
que ce soit pas le chef, mais chacun qui signe en bas pour dire qu’il prenait
la responsabilité de l’exactitude de ces fameux résultats, le monde s’est
effondré. Mais ce qu’il réussit quand même à voir, c’est qu’il y a deux choses
là dedans. Il y a le fait que ces listings c’est une flopée de papier qui sort
à tout va de choses “ indigestes ”, un tas, et un paquet de choses
innommables. Et que tout le monde se focalise – et là il me dit “ Tout le
monde se fécalise ” sur la question. Alors c’est
innommable. Et à ce moment-là, je lui dit : “ Mais voilà, cette
machine sort de la merde. On vous demande de mettre votre nom sur de la merde,
ça anéantit toute espèce de qualité, de respect que vous avez pour votre
travail, etc. ”. Et il me dit : “ Oui, d’ailleurs le premier mot
que j’ai prononcé d’après mes parents, c’est crotte de bique ". Je
lui dis : " ah, bic, on écrit avec des bics ".
" Ah, ça n’existait pas à l’époque, mais je me rappelle à l’école
c’était épouvantable : s’il fallait ou pas écrire avec un bic, si c’était
poli ou pas… ". Et c’est reparti pour une demi-heure de
considérations d’instituteur sur “ Il faut pas écrire avec les bics ”,
etc ., etc. Immédiatement, l’objet apparaît, hop, la contrainte s’impose.
Tous ces objets, n’est-ce pas, deviennent sans valeur, et ce qui effectivement
est complètement tragique dans cette situation c’est que – j’avais mis cette
formule mais je… elle n’a plus celle qu’elle avait sur le moment, bon, tant
pis, c’est qu’on voit très bien ici, c’est que pour exister, une seule chose
est sûre, c’est ce qui est horrible, c’est le point d’appui, donc tout doit
être déphallicisé, rendu complètement répugnant… parce sinon, ça pourrait être
l’objet de ses fameuses injonctions contradictoires (“ T’en profite bien,
si tu peux aller au cinéma c’est parce que t’es malade, etc. ”), cette
chose épouvantable qui lui circule à jet continu dans l’esprit. Donc il n’a
plus qu’une seule position pour exister, c’est le rebut. Et non seulement le
rebut, mais quelque chose pour lequel on ne peut pas avoir de mauvaises
attentions, parce que c’est mauvais, parce que c’est pas bon. C’est exactement
ce qui lui arrive, n’est-ce pas, c’est que l’obsessionnel, c’est quelqu’un qui
ne se sent pas bon. Et qui n’a pas d’autre registre où poser son être, son
être de sujet, que dans cette fécalité particulière.
Je
vais en rester aujourd’hui à ce long récit de cas. Je l’ai fait avec beaucoup
d’hésitations, parce qu’évidemment vous le voyez c’est labyrinthique. Quand on
entre dans une analyse d’obsessionnel, c’est tellement labyrinthique qu’on est
un peu obligé de suivre le canevas extrêmement logique d’une psychologie du
développement où il y aurait une névrose infantile, une sexualisation
particulière à l’adolescence, et puis ensuite à travers le filtre de la
dissimulation, toutes ces choses-là, les symptômes de l’âge adulte. C’est
labyrinthique, mais qu’est-ce qui se passe me suis-je dit, si on essaie de
prendre – alors ça prend évidemment un travail considérable sur chacune des
séances - si on prend tout et si on essaie de connecter les choses, si on suit
le labyrinthe ? C’est ce qui fait que l’analyse de l’homme aux rats, c’est
un tout petit fragment quand vous regardez en réalité, parce qu’on est
totalement noyé derrière ce qu’il y a bien pu avoir. Que c’est évidemment après
coup qu’on peut sélectionner tel ou tel élément qui a pu avoir du poids. Ce qui
fait qu’il y a après coup, ici, c’est que probablement ma position dans le
transfert, il accepte mieux, au sens où il perçoit mieux, semble-t-il, qu’il me
demande de ne pas le suggestionner avec mes interprétations. Et que donc il
m’indique un point autre que celui qui est celui de sa plainte. Il fait par là
une division qui exclut le diagnostic de psychose, même si c’est bien
évidemment très grave, très très grave comme situation. A partir de ce
moment-là, il me semble que les choses peuvent se mettre en ordre.
Pour
faire transition, je voudrais quand même vous montrer – je le ferai la
prochaine fois en janvier – je voudrais vous montrer sur quels éléments par
exemple on pourrait faire du faux Lacan. Du faux Lacan, c’est-à-dire prendre des expressions, ce dont
évidemment Freud ne se prive pas avec le fameux ……. de l’homme aux rats,
et puis de dire qu’à partir du moment où on travaillerait sur du langage ou du
discursif, on aurait fait du Lacan. Sans entrer dans le type de problématique
qui rend possible ce genre de choses.
Il
y a des dissociations absolument stupéfiantes et également - je ne vous le
cache pas - inquiétantes à cause de leur gravité et de leur éventuelle
interprétabilité dans un registre psychotique, tant qu’on ne les avait pas un
peu fouillées. Par exemple c’est quelqu’un qui a toujours des problèmes de mémoire
considérable. Le problème n’est pas qu’il ne réussit pas à apprendre des choses
par cœur, c’est qu’il apprend des choses, et puis ensuite il permute les
titres. C’est-à-dire qu’on lui demande d’apprendre une fable de La Fontaine qui
a un certain titre, et il l’apprend, et puis une deuxième. Et quand on lui
demande de réciter, il permute les textes. Par exemple quand on lui demandait
dans ses études d’apprendre des descriptions des maladies, il n’arrivait plus à
les retrouver parce qu’il ne se rappelait plus du titre qui était au-dessus du
texte. Cette dissociation avait pris des proportions tellement incroyables
qu’il était absolument incapable de réciter un énoncé par cœur, quand il était
à l’école, parce que soit il se rappelait de l’énoncé, il le voyait écrit sous
ses yeux et il ne savait pas ce que ça voulait dire, soit il se rappelait ce
que ça voulait dire, et il ne pouvait pas se rappeler de la lettre, de ce qu’il
y avait à réciter. Nouvelle dissociation, qui n’est plus à l’intérieur d’un
signe à son référent - comme le titre au texte – mais littéralement du sens à
la lettre dans lequel le sens est capté. C’est quelqu’un qui n’a jamais réussit
à lire quoi que ce soit. Sauf un roman, qu’il faut que je lise d’ailleurs,
parce que je crois que… un roman qu’il a lu quand il était gamin, et que je
vais lire avant d’en faire quoi que ce soit, parce qu’il me semble que j’ai un
souvenir de ce roman aussi.
Il
oublie les noms propres. Y compris le mien. Pendant les trois premiers mois du
traitement, il ne savait pas comment je m’appelais, et quand il allait chez
moi, c’est simplement à la hauteur à peu près de son doigt sur la sonnette
qu’il était capable de trouver comment je m’appelais. Donc il ne sait ni son
numéro de téléphone, ni le mien, ni personne, ni les visages, tout se mélange.
Donc il vit avec un carnet sur lequel tout est reporté. Et la seule fois où il
s’est rappelé sans regarder du code pour rentrer chez moi, il a oublié le code
de sa carte bleue. Que j’ai pris comme véritablement… un psychotique, non. Je
n’imagine pas un psychotique faire ce type de… Mais enfin, on ne sait jamais.
Chose tout à fait étonnante qui montre bien les capacités intellectuelles et
les détours qui ont fait son succès, et son intelligence absolument indéniable,
c’est probablement un des seuls élèves de l’enseignement secondaire qui était
brillantissime en thème et absolument nul en version. Parce quand c’était du
thème, il avait les mots français et il n’avait qu’à chercher les catégories
grammaticales et lexicales etc, et à remplacer automatiquement puis à mettre
dans l’ordre les mots tels que les mots devaient figurer dans une grammaire,
mais dès qu’on lui donnait quelque chose dont il fallait qu’il cherche le sens,
il était totalement incapable de le faire. Ce qui était interprété évidemment
comme une provocation scandaleuse par tous les profs de latin qu’il a eu.
Enfin, comment un gamin peut réussir parfaitement en thème et échouer
totalement en version ! C’est absolument impossible ! Ce qui
évidemment avait carrément rendu son existence scolaire un martyre.
La
dernière dissociation dont je vais vous parler, et qui est peut-être la plus
spectaculaire à mon sens, et qui fera le lien entre Freud et Lacan, c’est
que : il croit dire ce qu’il pense, alors qu’il a simplement cru entendre
qu’il le disait. Le premier moment où la psychanalyse a commencé à lui faire un
choc, c’était qu’il réfléchissait à des associations, que j’ajoute un élément,
et que la fois d’après, il me dit : " j’ai dit ceci… "
en parlant de ce que j’ai dit, et " vous aviez raison… "
quand j’ai dit ceci et cela. Et là il me dit des choses qu’il n’avait pas
dites. C’est-à-dire qu’il s’était littéralement… il croyait dire ce qu’il
pensait alors qu’il avait simplement cru entendre qu’il le disait. Alors ça
c’est très intéressant parce que c’est un phénomène très commun chez les
enfants obsessionnels et futurs obsessionnels, c’est le phénomène de devinement
des pensées quasi paranoïaques par les parents. Les parents devinent des
pensées. Et ce que je trouve très frappant dans cette situation, c’est que
Freud dit : “ Cela c’est typiquement de la pensée animique, qu’on
croit que les autres entendent les pensées que vous n’avez pas
prononcées ”, ici c’est projeté sur moi, il a cru entendre qu’il me disait
des choses qu’il pensait (mais qu’il pensait sur le mode refoulé, bien sûr).
Mais c’est la définition qui est tout de même celle de l’inconscient chez
Lacan, n’est-ce pas, c’est ce qu’on ne s’entend pas dire. C’est :
“ Si mon père se tuait en voiture, j’aurais tout fait, j’aurais pas de
remords ”. C’est ce qu’il ne s’entend pas dire quand il dit ça. Et
évidemment c’est typiquement l’équivoque syntaxique ou l’équivoque
grammaticale, qui permet de se repérer dans l’économie. Et ce que dit Lacan,
c’est fondamentalement ce que Freud appelle une projection animique,
quelque chose de régressif, ne pas s’entendre parler, ne pas entendre ce qu’on
dit quand on parle. Et ça, je crois que c’est une différence considérable,
parce que ce que Lacan pose au principe de l’écoute analytique, est décrit par
Freud, d’une certaine manière, comme un symptôme infantile typique de la vie
des primitifs et sa tonalité paranoïaque est je crois simplement à rapprocher
de cette définition de la cure - qui est un peu une définition effrayante que donne
Lacan - qui est une paranoïa dirigée. Alors ça, je travaillerai sur ce
point, parce que c’est vraiment je crois un point d’articulation tout à fait
essentiel de prendre ce phénomène qui est localisé comme infantile chez Freud,
comme décrivant toute une classe de phénomènes qui sont au contraire ceux qui
permettent de liquider le psychogénétique, l’infantile, etc., chez Lacan, et
d’avoir à faire à ce que dit le patient sans s’entendre le prononcer.
Je
vais arrêter là pour garder pour la prochaine fois la longue analyse d’un
lapsus orthographique qui est tout à fait étonnant parce qu’il vous montrera
cette situation, que Freud avait parfaitement bien vu, où on demande aux
obsessionnels de s’effacer, devant des occasions impersonnelles, où il faut en
particulier écrire une lettre de condoléances. Et il se trouve que mon patient,
à l’âge qu’il a, les lettres de condoléances, c’est pas ce qui manque. Il en
écrit une en disant : “ Je pensais souvent à votre maman, je ne vous
en ai pas parlé, car j’ai du mal à mettre des mots sur ce que je
ressens ”. Et là il lève la plume, et il écrit " ts
" . Il s’arrête. " ts " ? " s
" ? " ts " ? Ça a été un noyau particulier
parce que le point de lapsus, chez l’obsessionnel, c’est la mise en cause
subjective complète. Là, il faut réussir à dire quelque chose d’impersonnel
pour que ce soit absolument acceptable par l’autre tout en s’y mettant
soi-même. C’est-à-dire tout en écrivant quelque chose qui est de l’ordre du
ressentir. Sur le mot " je ressens " apparaît
" ts ". Pour ceux qui ne le savent pas, une TS c’est
l’initial dans son métier une tentative de suicide. Mais j’ai appris qu’il y
avait même chez Brétecher les TTS. Les adolescents de Brétecher font des
tentatives de tentatives de suicide. Ça a l’air d’être… ça a l’air d’être très génial !
Alors
la prochaine fois, voilà, j’essaierai de partir de ça et de reprendre j’espère
de façon moins labyrinthique évidemment la même chose sur un mode lacanien, en
essayant de travailler sur toutes ces notions de lettre pour voir ce que ça
peut faire apparaître.
La
prochaine fois, est-ce que vous pouvez disposer facilement du texte de Lacan
qui s’appelle Le mythe individuel du névrosé ? Le mythe
individuel du névrosé est un texte qui n’est pas très facile à trouver
parce qu’il se trouve dans un Ornicar des années 80 je crois… non 78-79,
Lacan était toujours vivant. Qui est intéressant parce qu’il parle de L’homme
aux rats, et non seulement il parle de L’homme aux rats, mais il
parle d’un souvenir d’enfance de Goethe qui est précisément un souvenir
d’enfance de Goethe dont parle l’homme aux rats. Donc il y a un effet de mise
en abîme très important à ce sujet. Peut-être que la relecture ou la lecture
pour ceux qui ne l’ont jamais lu de L’homme aux rats pourrait vous… vous
verrez un petit peu les points à la fois de différences manifestes, puisque
c’est un jeune, l’homme aux rats, jeune et qui en particulier a une vie
sexuelle tout à fait intense et problématique. Tandis qu’ici on est tout à fait
dans l’étouffement du sexuel, un étouffement très profond… enfin du génital, il
y a du sexuel bien sûr, mais la pulsion n’est pas de cet ordre. Et puis sinon,
il n’y a pas énormément de choses… il y a une grande littérature sur la névrose
obsessionnelle. Il y a un texte lacanien que j’aime bien, il y a un texte de
Denise Lachaud qui s’appelle L’enfer du devoir, qui est un texte sur
lequel je sais pas très bien…, qui est un texte en tout cas plein de remarques
intéressantes, et puis il y a…
- …le texte de
Leclaire ?
- alors il y a le texte de Leclaire qu’elle démolit allègrement… Il y a le séminaire de Charles Melman sur la névrose obsessionnelle qui est plein de remarques… Alors moi la névrose obsessionnelle c’est un truc sur lequel j’ai beaucoup beaucoup travaillé, donc j’ai des choses que vous trouvez sur mon site. J’ai écrit des choses sur Amiel, j’ai écrit aussi un texte sur Totem et Tabou, puisque vous allez voir qu’il ne manque pas à Monsieur D. Totem et Tabou. Au sens strict. C’est quelqu’un qui était “ totémisé ” quand il était scout, etc, ça a la même fonction d’une manière absolument stupéfiante que ce qui est raconté dans le mythe de Totem et Tabou. Les scouts étant les derniers à maintenir le mythe vivant, chez les catholiques. Ainsi j’ai écrit des textes plutôt historiques, sauf peut-être le texte que j’ai fait sur le théologico-politique chez Freud, où il y a une analyse de Totem et Tabou et du problème de la façon ça résonne avec la clinique de la névrose obsessionnelle. C’est-à-dire qu’est-ce que Totem et Tabou permet d’élucider structuralement dans les emboîtements particuliers de la vie des obsédés.