Pierre-Henri Castel  « Vous avez-dit signifiant ? » (4ème séance)

 

Il y a une pensée extrêmement profonde qui est attribuée au regretté Joe Dassin, selon laquelle « on ne peut pas siffler à la fois l’apéro et l’opéra ».

Alors on va en partir pour lancer cette discussion sur l’élaboration de la notion de signifiant chez Lacan, parce que quand vous réfléchissez à ce qui fait que cette formule tire un sourire, c’est effectivement qu’on ne peut pas siffler l’apéro et l’opéra : il faut choisir. Et c’est un choix extrêmement étrange, qui évidemment fait apparaître tout de suite une dimension de la pulsion, c’est-à-dire de ce qu’on va faire de sa bouche, mais qui en même temps est assez bizarre, puisque ce qu’on va faire de sa bouche, se siffler un verre ou siffloter un air, est complètement inscrit dans la dimension de la parole. La deuxième chose, c’est qu’évidemment l’objet de cette pulsion construite à travers une oscillation de cet objet, l’apéro ou l’opéra, se met à avoir une signification elle-même complètement oppositionnelle, qui a finalement, dans la manière dont on le représente, très peu de rapports avec ce qu’on pourrait se représenter comme étant l’apéro et l’opéra. Et puis la dernière chose, c’est que le type d’acte qu’il faut faire, puisque quand on choisit entre siffler l’apéro ou bien siffler l’opéra, cette coupure, qui est introduite par le signifiant, est une coupure qui fait que le choix ne se présente absolument pas comme un choix de siffler ou bien de boire. Cela l’introduit dans une dimension qui est tout à fait différente, où le choix est pour ainsi dire déjà fait par le langage.

Alors, évidemment, la question de savoir pourquoi on ne peut pas siffler l’apéro et l’opéra, si je l’élabore un tout petit peu… il y a deux dimensions du jeu de mot : il y a celle sur siffler, et puis il y a celle sur la permutation des sons « apéro » / « opéra ». Mais ce qui est également frappant dans l’effet bizarre que peut faire une phrase de ce genre, c’est que ces deux équivoques s’emboîtent l’une dans l’autre. Autrement dit, on ne perçoit pas de bizarrerie particulière dans les phrases dans lesquelles les deux morceaux de jeu signifiant sont emboîtés l’un dans l’autre. Et ils sont tout à fait capable d’interagir l’un avec l’autre sur le mode de la rétroaction, puisqu’on évidemment, « on ne peut pas à la fois siffler l’apéro… », si je laisse quelques points de suspension, et qu’ensuite je dis « … ou l’opéra », évidemment, toute la chaîne se met à se modifier rétroactivement en fonction de la simple permutation finale.

J’ai choisi de commencer par cette phrase de Joe Dassin, parce que si on commence à se livrer à une analyse de ce genre, on est très rapidement gagné par un sentiment de folie. C’est-à-dire que si quelqu’un de minimalement raisonnable m’écoute parler, ce que j’essaie de construire à partir d’une espèce de trait d’esprit, de bon mot de ce genre-là, va lui donner le sentiment de nager en pleine irréalité. Eh bien c’est très exactement dans cet élément d’irréalité qu’il s’agit d’appréhender la théorie lacanienne du signifiant. C’est-à-dire que l’idée même de théoriser, d’essayer de comprendre ce qui se passe, d’analyser les nuances particulières, psychologiques ou sémantiques, dans lesquelles peut nous plonger ce type de chose, fait apparaître dans l’activité de penser une parenté avec le Witz, avec le trait d’esprit, qui tient à plusieurs choses. La première, c’est que je suis en train là d’essayer d’analyser un mécanisme d’usage du langage qui est complètement non référentiel. C’est-à-dire que si on reste un peu trop longtemps à parler avec des combinaisons de son et des phrases de ce genre-là en essayant de savoir comment elles s’agencent, s’organisent, pourquoi elles feraient tel effet plutôt que tel autre, le sentiment d’être décollé de tout chose dont on parle, de tout objet auquel on se réfère, va devenir extrêmement troublant. Ce qui n’empêche pas en même temps qu’il y a un élément qui est propre à la pensée, dans cet usage non référentiel du langage, c’est son à-propos. Je crois qu’on ne peut pas autrement appeler ça la « présence d’un esprit ». La présence d’esprit, la caractéristique de l’esprit, vous savez ¾ c’est Descartes qui l’avait identifié à propos de la question de savoir si les animaux avaient ou non une âme ¾ c’est l’à-propos. Witz, c’est qu’on appelle « l’esprit » ¾ et même en français, avoir de l’à-propos, c’est avoir de l’esprit. Autrement dit, il y a quelque chose d’intelligent qui se joue dans cette espèce d’usage non référentiel des mots, et où quelque chose de l’ordre d’une combinatoire s’esquisse. Autre dimension particulière de cette espèce de sphère irréelle dans laquelle je me déplace avec notre référence à Joe Dassin, c’est que quelque chose circule entre des sujets. Autrement dit, ça vous fait rire, ou ça vous fait sourire, ce qui chez Freud est fort différent, c’est-à-dire que ce genre de chose est susceptible de vous affecter. Et ce que ça vise, eh bien c’est un sujet du plaisir, fort différent du sujet de la cognition.

Ce sujet du plaisir, c’est un sujet qui est articulé au langage d’une manière que Freud a très je dirai primitivement conçu dans ses travaux, dès 1895 et évidemment jusqu’à la Traumdeutung, dans la première topique, en articulant bien le rapport particulier qu’il y a entre l’ICS et le PCS  – l’inconscient et le préconscient d’un côté -, et puis entre le PCS – le préconscient - et le conscient de l’autre. Si on place les traces mnésiques de mots dans le préconscient, voyez qu’il y a une première manière d’innerver le préconscient à partir de motions qui viendraient d’une sorte de foyer complètement interne, et séparées du monde extérieur précisément de ce préconscient, qui est de se servir des mots pour jouir. Et puis il y a une deuxième possibilité qui est donnée par cette couche qui isole le sujet freudien dans l’inconscient du monde extérieur, et ce deuxième usage, c’est ce qu’on appelle tout bêtement l’usage référentiel des mots. Alors ça se traduit extrêmement bien dans une considération importante en philosophie du langage, qui repose sur la traduction de la « signification » par le « vouloir-dire ». Signifier quelque chose, c’est vouloir-dire quelque chose. Or, précisément, c’est Bouveresse qui dans un de ses livres récent sur le non-sens faisait cette remarque, ce n’est pas parce qu’on veut dire quelque chose, qu’on arrive à le dire, ou qu’on dit quelque chose. Et cette dimension-là, du vouloir-dire, vous savez qu’elle a été puissamment mise en œuvre et organisée par Derrida, j’en ai parlé la dernière fois, pour rendre compte d’un certain nombre de choses qu’on trouve chez Husserl, et qu’on a pu qualifier ¾ par exemple l’analyse derridienne de l’intentionnalité de la signification chez Husserl qui mettait l’accent sur la dimension du vouloir-dire, dans La voix et le phénomène ¾ de « trouvaille géniale », à ce que dit Lévinas. Et vous avez tout un courant wittgensteinien, qui est aussi un courant qui a énormément travaillé sur la notion d’intentionnalité au sens où j’emploie le mot, qui n’est justement pas le sens phénoménologique, pour lequel ce n’est pas parce que vous voulez dire quelque chose que vous dîtes quelque chose. On peut viser phénoménologiquement des idéalités dont on n’arrive pas à obtenir le remplissement, c’est quelque chose qui est admissible à l’intérieur du dispositif husserlien. Tout le travail sur la notion d’intentionnalité dans le courant de la philosophie analytique, et ce en quoi il se distingue de la phénoménologie en utilisant le même terme, c’est justement la distinction entre vouloir dire quelque chose et réussir à le dire. Et ce n’est pas parce que vous voulez dire quelque chose qu’il se passe quoi que ce soit qui ait une portée sémantique.

Ce que vous pouvez trouver d’original dans cet espace particulier que permettrait de penser la dimension freudienne de préconscient, c’est l’idée que le langage se prête effectivement à une dimension de jouir des mots, de jouir des mots au sens où c’est avec les mots eux-mêmes qu’on va produire du plaisir. Et puis par ailleurs les mêmes ¾ les mêmes, il n’y a pas besoin d’en changer, et ça c’est quelque chose de troublant sur lequel je vais revenir en détail aujourd’hui ¾ les mêmes mots peuvent également être insérés dans des phrases, ou des énoncés, où ils ont une valeur référentielle et sont susceptibles d’avoir une vérité objective. Mais ce sont les mêmes, mais ce sont les mêmes…

Si on parle de ce sujet du plaisir dans le Witz, et si on marque bien qu’il y a un usage non cognitif du langage, il faut bien voir, et ça c’est la chose tout à fait énigmatique sur laquelle je vais commencer à construire, que c’est le même langage qui sert à jouir et qui sert à penser objectivement. Dans cet espace non référentiel, intersubjectif ¾ celui du principe de plaisir ¾ eh bien je crois que la catégorie essentielle, c’est celle du cocasse. C’est-à-dire que lorsque je fais ce constat désespéré, n’est-ce pas, qu’on ne peut pas siffler à la fois l’apéro et l’opéra, quelque chose de complètement cocasse émerge dans le discours, et ce cocasse, c’est le propre d’un objet qui n’est pas visé par une intention pensée sur le modèle de l’intention cognitive, mais qui donc ne peut être pensée (c’est le pari de Freud ou du moins tel qu’il est radicalisé par Lacan) que sur le mode d’une intentionnalité désirante. C’est-à-dire : on peut essayer de vouloir dire quelque chose, et ce qui est touché dans cette espèce de phrase, c’est un objet cocasse d’un type qui est fait précisément pour décevoir l’attention ou l’attente cognitive de celui qui l’écoute.

J’ai mis en place ce premier développement pour revenir un petit peu sur quelque chose de plus général, qui m’avait conduit à parler de névrose obsessionnelle la dernière fois. Parce que s’il y a bien une pathologie dont on peut considérer que c’est une pathologie du signifiant, c’est bien cette névrose obsessionnelle, dans la mesure où comme je viens de vous l’expliquer, si vous prenez tous les points que je viens d’énumérer, quelque chose ne va pas à ce niveau-là. L’obsessionnel, c’est bien quelqu’un qui dans ses énoncés, aussi bien ceux sur le divan que dans sa vie quotidienne ¾ éventuellement, faudra voir, ça ce n’est pas clair ¾ est focalisé sur l’objet dans la réalité. Et cette focalisation de l’objet sur la réalité prend en général deux formes bien connues, d’abord sa concentration sur un objet qui est l’objet de rebut  (la crotte) au sens où précisément cet objet-là se présente comme un objet autour duquel tout devient objet ¾ c’est-à-dire que si vous voyez de la crotte quelque part, immédiatement tout ce sur quoi la crotte est déposée, tout se transforme en un objet répugnant qu’on ne peut pas approcher, et en cercles concentriques, se manifeste autour de l’objet « merde », là le caractère absolument dégoûtant et inhospitalier de la matière en général. Et puis le deuxième objet particulier qui est un objet indubitable, c’est l’objet de l’angoisse. Et cet objet de l’angoisse, je veux souligner ici la chose suivante, c’est que dans la névrose obsessionnelle, c’est la règle que l’angoisse est une défense. C’est-à-dire que bien loin d’être la souffrance qu’il faudrait supprimer, les pics d’angoisse sont des dispositifs défensifs. C’est une chose qui a pour corrélat que c’est une défense en général contre l’émergence, précisément, de ce sujet du désir, qui au moment où il pourrait, au conditionnel, commencer à pointer quelque chose de son désir se trouve immédiatement bouché par le pic d’angoisse. C’est pourquoi, d’une manière phénoménologique et descriptive, la névrose obsessionnelle moderne s’est extraite d’un conglomérat qui était extrêmement sensible aux observateurs au 19ème siècle, avant Freud, qu’on appelait le « complexe phobo-obsessionnel » où l’affinité descriptive entre l’angoisse phobique et l’angoisse obsessionnelle était quelque chose qui ne surprenait personne. Alors que c’est vrai qu’on ne voit pas facilement les obsessionnels être phobiques, sauf précisément de ces éléments électifs que sont ces objets répugnants, sales, qui les dégoûtent. Mais pour par exemple les cliniciens du 19ème siècle, les cliniciens allemands de la névrose obsessionnelle, et également pour les français, le lien à la phobie en général était extrêmement fort. C’est-à-dire qu’ils ne voyaient pas de qualité psychologique qui différencie l’angoisse du phobique et l’angoisse de l’obsédé. Alors, cette focalisation sur l’objet dans la réalité fait que dans la névrose obsessionnelle, tout le vouloir-dire est au service de cette réalité, c’est-à-dire au service de la défense contre le désir. Ce qui lorsque j’invoquais la dimension du cocasse tout à l’heure ¾ et je reviendrai là-dessus ¾ fait que la cocasserie obsessionnelle est une cocasserie tragique. Et que le plus haut degré d’humour auquel ils parviennent, c’est l’humour noir. Et encore, je crois que c’est extrêmement particulier, j’en dirai quelque chose tout à l’heure, parce c’est toujours dans des phrases du type : « c’est amusant, enfin… non c’est pas amusant du tout », des phrases de ce genre-là, c’est-à-dire que le constat du symptôme est à la fois un constat du fait que ça pourrait être drôle, sauf que ça ne l’est absolument pas.

Le troisième élément que j’aimerai introduire ¾ c’est ce que j’ai dit la dernière fois ¾ c’est le fait qu’un des traits qui émerge le plus clairement par exemple de ce que je vous ai raconté de monsieur D. ¾ c’est ce qui unifie probablement formellement un certain nombre de manifestations chez l’obsédé ¾ c’est la récusation de l’après-coup.

Récusation de l’après-coup qui fait qu’il n’y a jamais de coupures signifiantes dans les propos de l’obsédé, dans la mesure où son rapport à la limite, au seuil, au bord, est toujours l’idée d’un seuil à franchir, d’un seuil qui est devant, et d’un seuil qui peut être anticipé. Que par une dépense imaginaire extraordinaire, on peut toujours se mettre en position de maîtriser d’avance. Comme si on était déjà en train de contrôler l’épreuve du franchissement. Charles Melman a suggéré dans un petit essai, un article de dictionnaire sur la névrose obsessionnelle, qu’on pouvait probablement rapprocher ce trait particulier, que moi j’appelle récusation de l’après-coup, qu’on pouvait le rapprocher d’un symptôme que l’on ne voit plus tellement sous sa forme spectaculaire aujourd’hui ¾ encore qu’on le voit sous des formes atténuées ¾ mais qui, lorsqu’il est complètement spectaculaire s’appelle l’arithmomanie. Alors l’arithmomanie, c’est une pathologie typiquement obsessionnelle qui consiste à dévider les chiffres et les numérations en comptant de façon plus ou moins systématique et obsédante, absolument tout ce qui tombe à portée. Il y a des descriptions absolument fascinantes d’arithmomanes chez Janet, chez les cliniciens français de la fin du 19ème siècle. Melman suggère ce rapprochement en faisant observer que précisément, si vous construisez une relation abstraite du signifiant au signifiant, qui ne prendrait du signifiant que sa dimension littérale et algébrique, et que vous lui supposez précisément toutes ces caractéristiques que sont la réflexivité, l’antisymétrie (le fait que si xRy alors pas yRx) et la transitivité (xRy, yRu donc xRu) lorsque vous appréhendez tous ces dispositifs que ponctuellement vous pouvez trouver dans des symptômes tout à fait particuliers, notamment tous ces systèmes de décomptes, d’entrées et de sorties, de l’argent et des dettes que vous avez dans la constellation obsessionnelle et qui sont les briques axiomatiques du rapport des obsessionnels au monde qui les environne, si vous les prenez tous ensemble, vous n’avez rien d’autre que la règle d’engendrement des entiers naturels, qui fait qu’effectivement que c’est par là que vous arrivez à une forme un peu frustre d’axiomatique de Peano, dans laquelle vous avez la théorie du successeur tout simplement : notion de « successeur » en arithmétique. Et on peut effectivement se mettre à rapprocher la notion de successeur en arithmétique d’une sorte de pathologie du signifiant dans laquelle on a un dispositif d’engendrement du suivant qui empêche toute modification rétroactive de la chaîne.

C’est un point sur lequel je vais insister, parce qu’il va du type de savoir qu’on peut extraire de la névrose obsessionnelle, et qui lui soit propre, et qui ne consiste pas à forcer la structure en essayant de la normaliser dans un autre registre. C’est vrai que les obsessionnels ont cette extraordinaire compétence pour extraire du langage, pour extraire des ordres dans lesquels il sont pris, une littéralité asémantique qui se prête au comptage, et dont éventuellement on peut imaginer qu’ils érotisent à leur manière l’usage, ce qui leur ouvre des perspectives qui leur sont propres. Donc je ne dis pas ça du tout pour discréditer, pour dire qu’il y aurait un mauvais usage du signifiant et qu’ils sont malades de s’en servir comme ça : c’est littéralement présent, au sens fort, dans un certain nombre de possibilités que nous avons avec les signifiants. Cette notion de comptage pourtant implique ¾ c’est en ce sens que la notion d’après-coup et la division qu’elle impose au sujet qui se retrouve de l’autre côté de cette coupure, transformé par cette coupure dans l’après-coup ¾ eh bien, cette technique de comptage, elle paralyse l’acte de l’obsessionnel.

Un de mes obsédés, par exemple, a l’habitude enracinée depuis son plus jeune âge, d’avoir deux réveils à côté de son lit. Le premier lui signale qu’il faut qu’il se lève. Et vous me direz, le deuxième aussi ? Le deuxième aussi, oui. Simplement le meilleur moment de la journée pour lui, c’est entre les deux coups de sonnette. Et il s’agit véritablement du meilleur moment de la journée, autrement dit d’un moment dans lequel on réussit à dissocier le « réveille-toi ! », de l’acte de se lever qui est pourtant le contenu de sens injonctif de la sonnerie. Le contenu de sens de cette sonnerie, c’est « c’est l’heure de se lever !». Mais justement, comme il y a un deuxième réveil qui va sonner une heure après, entre les deux, il peut enfin respirer. Et c’est le seul moment de la journée où il n’est pas perpétuellement obsédé. C’est le seul moment de la journée où sachant qu’il a son temps avant que l’impératif de se lever ne s’exerce sur lui avec sa cruauté habituelle, qu’il peut profiter du temps sans être envahi par toutes sortes de pensées obsédantes. Alors évidemment, comme c’est un dispositif complètement symptomatique, il est régulièrement dans les moments de crise envahi, puisque le problème c’est : « combien de temps faut-il programmer le premier réveil avant que ne sonne le deuxième » ? Puisque comme il est conscient du fait qu’il ne devrait pas avoir deux réveils, alors le problème qui se pose avec le deuxième réveil se reporte sur le premier, puisque le deuxième réveil, au cas où il s rendormirait, est là pour lui dire « lève-toi ! ». Donc on remonte dans la chaîne, ce qui fait que dans les moments de crise, il se dit qu’il faut qu’il se lève toujours plus tôt. En fait, ce que je pense interprétable dans sa conduite, c’est qu’il faudrait justement que le deuxième réveil ¾ celui qui lui permet le lever ¾ sonne avant le premier, celui qui lui dit de se lever. Mais c’est précisément cette espèce de déplacement en arrière à travers l’échelle temporelle qui est impossible. Et donc lorsqu’il recule sans cesse le moment où le premier réveil va sonner, il essaie d’approximer une configuration particulière, qui est celle où le deuxième réveil qui lui confirme que normalement il n’a aucun problème pour se lever parce que ça fait une heure qu’il est déjà réveillé, eh bien il faudrait que ce deuxième réveil ait sonné avant le premier. Il y a cette division du temps de manière à articuler l’intention, le moment où le sujet est bien, puis l’acte, puis enfin les conséquences étalées dans la matérialité des sonneries du « il faut que tu lèves ! » et du « je peux me lever ». Et la façon dont ces dimensions sont complètement mélangées l’une dans l’autre et produisent du symptôme sont je crois extrêmement typiques.

C’est le même patient qui comme beaucoup de patients obsédés, commente ce genre de chose, en disant : « ça me fait drôle, je m’amuse », tout ça pour évidemment toujours se rattraper en disant « mais enfin, non, c’est pas du tout amusant », et qui nous fait bien sentir combien ce type de situation… Bref, il suffit de raconter ce genre de symptôme, pour que ça fasse aussitôt sourire. C’est-à-dire que la proximité au comique, la proximité au Witz et au trait d’esprit d’un montage pareil est quand même absolument sidérante. Et je crois que ce qu’on doit en tirer, c’est certainement des conséquences pour le maniement du transfert. Parce que justement interpréter, dans ce type de dispositif est difficile dans la mesure où il s’agit d’extraire le refouler, en créant ¾ puisque vous ne pouvez pas l’entendre ¾ par l’écoute, le supplément de plaisir propre au Witz, qui paye pour l’agressivité cachée et enchaînée à l’intérieur du dispositif humoristique. Alors c’est justement ce qui est au bord de se produire, sauf qu’évidemment, un trait d’esprit, c’est quelque chose qui ne fait pas rire celui qui le raconte, et vise quelqu’un en excusant l’agressivité par le plaisir qu’il propage. Et l’un des traits fondamentaux du trait d’esprit, c’est qu’il est toujours à l’autre, c’est-à-dire que c’est toujours quelque chose qui a un effet social. On raconte, on fait circuler les bons mots, pour propager à la fois un plaisir, mais un plaisir qui est la contre-partie de la dénonciation absolument impitoyable ou cruelle de quelque chose : une agression, une obscénité, quelque chose de ce genre-là… Evidemment, reconstruire un dispositif de ce genre à l’intérieur de la névrose obsessionnelle, supposerait non pas qu’on ait affaire à quelque chose qui est de l’ordre du Witz, mais de quelque chose que Freud appelle l’humour, qui est en réalité une position du sujet à l’égard de son Surmoi. Une manière de témoigner de son invincibilité malgré les contraintes les plus angoissantes qui peuvent peser sur lui. Alors on trouve de l’humour, quelque fois, chez les obsédés : un humour noir.

Je pense par exemple, que c’est ce qui a été fondamentalement manqué dans les traductions anciennes de Kafka. Tout simplement parce que cet humour noir, il supposait qu’on ait par exemple un témoignage des gens qui écoutaient Kafka raconter ses histoires, les lire à ses amis, d’une manière telle que l’assemblée se tordait de rire. Ce qui évidemment pour quelqu’un qui n’a pas la voix et la présence en chair et en os de Kafka, paraît énigmatique. On ne se tordait pas de rire tout le temps en écoutant Kafka ; je crois que Le verdict ça n’a fait rire personne. Mais il y a des histoires de Kafka qui nous paraissent comme on dit kafkaïenne, que la traduction de Vialatte a complètement, en dehors de ses erreurs techniques, prises au pied de la lettre, en ne laissant pas à cette subjectivité qu’on ne connaît que par les gens qui ont pu dire qu’il faut entendre dans Kafka quelque chose de l’ordre de l’humour. Mais comme ce témoignage manquait, Vialatte s’est mit finalement à entendre ce qu’on peut entendre de cette manière-là… Ce qui prouve que ¾ je ne dis pas qu’il faut se tordre de rire devant les manifestations symptomatiques des grands obsédés ¾ mais ce qui prouve que quelque chose de l’ordre du transfert devrait, si on est respectueux de l’économie de la névrose obsessionnelle, laisser place à la construction psychique d’un dispositif où de l’humour et éventuellement de l’esprit serait possible. C’est ça qui m’amène à rappeler que dans le cadre à l’intérieur duquel Lacan a pu comme ça imaginer qu’une théorie du signifiant serait pertinente (qui est ce cadre transférentiel), on s’aperçoit très vite que l’interprétation doit prendre la voie de la construction. C’est-à-dire qu’on ne saurait évidemment, à la différence de l’hystérie, enfin du moins de certaines formes ordinaires d’hystérie, avoir une interprétation qui serait purement une nomination, la restitution du sens symbolique d’un symptôme incarcéré dans la chair. On est avec la névrose obsessionnelle à pied d’œuvre devant un usage pathologique de la chaîne signifiante, à l’intérieur duquel il s’agit d’introduire autre chose que cette pente au dévidage, à la focalisation sur l’objet de la réalité extérieur, dans lequel, irrésistiblement par son propos même, qu’il soit diffluent ou que ce soit au contraire un mutisme, l’obsédé fixe celui qui l’écoute.

C’est là où je vais commencer une discussion qui aura un aspect très philosophique aujourd’hui, et peut-être aussi la prochaine fois, sur métaphore et construction. Je crois que pour saisir un petit peu ce que les thèses fortes que Lacan énonce sur l’interprétation comme métaphore, sur l’interprétation comme ayant trait à de la poésie, avec le texte de quelques interprétations de Lacan ¾ que certains de ses patients ont pu donner, comme par exemple l’interprétation que François Cheng a reçu de Lacan lors de sa dernière séance, le texte est cité je crois par Pommier dans Le dénouement d’une analyse, qui est une interprétation qui prend 15 lignes, qui n’a rien à voir un petit jeu de mot sur quelques phonèmes ¾ et qui était effectivement poétique, puisque justement c’est une interprétation qui est assise sur le type de poétique propre à François Cheng, et sur la façon dont il pouvait se servir de sa propre expérience poétique, incrustée dans son existence, pour prendre son propre malheur d’une autre manière. On est ici au cœur de la question du désir : le désir étant ce qui a des effets de sens, et le désir étant ce qui s’articule en signifiant, comment cette articulation peut avoir une productivité formelle, et comment cette productivité formelle peut coïncider avec la productivité d’un certain nombre d’effets de sens ?

Je vais laisser de côté complètement la question de l’efficacité symbolique, qui est une question qu’on trouve en toute lettre chez Freud, j’ai été surpris de l’apprendre ¾ il y a un petit collectif sur Freud qui va paraître sur Freud, que j’ai dirigé, je pense que ça paraîtra dans quelques mois, où un des auteurs montre très bien comment la notion même d’efficacité symbolique en allemand se trouve dans les Etudes sur l’hystérie et justement au niveau de la fabrication du symbole, de la production d’un symbole nouveau qui va permettre de lever le symptôme d’une hystérique. Et que ce symbole, il est inventé. Donc construction et invention symbolique sont directement ici articulées. Alors, pour analyser la notion de métaphore et de son sens chez Lacan, j’ai l’habitude de me servir d’un exemple, ceux qui l’ont déjà entendu ne seront pas surpris, que j’ai puisé dans Molière, dans Les précieuses ridicules, où un moment, un personnage des précieuses demande un miroir et utilise l’expression suivante : « portez-moi le confident des grâces ». Evidemment, ça laisse le valet d’une perplexité totale.

Qu’est-ce qui marche dans cette métaphore : le miroir comme confident des grâces ? Je crois que ce qui marche n’est pas du tout apparent. Ce qui marche, c’est que quelque chose de cette matrice miroir-confident-grâce porte en lui-même un principe de multiplication et d’engendrement. Parce qu’il n’est pas du tout difficile de considérer que le confident, c’est le miroir des grâces, et que les grâces sont les confidentes au miroir. C’est-à-dire que vous pouvez produire de la métaphore qui marche par permutation. Si vous prenez au contraire une autre figure qui laisse également le valet de la comédie pantois, si au lieu de demander un fauteuil, les précieuses réclament « les commodités de la conversation », l’échec est complet. Si vous essayez de permuter fauteuil, commodité et conversation, on n’arrive à rien. Je cherche depuis plusieurs années pourquoi. Je crois qu’il y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte, et dont je vais vous parler uniquement pour introduire des mots autour desquels je vais essayer d’accumuler un peu de matériel pour en faire quelque chose une autre fois. Ce qui ne marche pas avec le fauteuil comme « commodités de la conversation », c’est qu’à la différence de miroir, confident et grâce, on a plus de mal à traiter fauteuil, commodité et conversation comme des noms propres qui seraient les ancrages d’un ensemble de connotations. En particulier, je crois que commodité n’arrive pas à fonctionner comme quelque chose de suffisamment sémantiquement indépendant de son insertion dans des services rendus à un autre nom, pour fonctionner aussi bien que par exemple miroir, confident et grâce. Une deuxième chose, mais je ne suis absolument pas sûr de ce que je raconte, c’est qu’il me semble que lorsque vous demandez les commodités de la conversation, il y a toute une espèce scène à la fois visuelle de l’intérieur d’un salon et du mouvement kinesthésique qui unifie les différentes parties de ce qu’on était en train de toucher et de rassembler, qui subordonne l’articulation et la plausibilité sémantique de cette métaphore à une image ou à une scène. Il n’en va pas du tout de même avec le miroir, les confidents et les grâces, qui sont un petit peu ici comme des aérolithes tombés de ciels différents, dans un rapport d’extrême différence et d’improbable rencontre sur ¾ si j’ose dire ¾ la table de l’énoncé.

Lacan à ce sujet dit des choses tout à fait justes dans une discussion de Perelman sur la métaphore que vous trouverez à la fin des Ecrits, où il discute la façon dont Perelman qualifie de métaphore ce que Lacan appelle plutôt une image de Gongora, le poète précieux Espagnol, où Gongora parle du poisson comme vaisseau d’écaille. Evidemment, ce qui ne va pas avec cette notion de vaisseau d’écaille, c’est qu’on a beaucoup plus l’impression d’y voir une comparaison elliptique subordonnée à une analogie qui se construit non pas dans l’espace du langage, mais dans l’espace visuel. C’est-à-dire que vous pouvez fusionner facilement dans une image, les différentes composantes du vaisseau, du poisson et de l’écaille, de manière à rassembler en fait des déterminations communes, un espace sémantique commun, dans une image synoptique englobante là où précisément, quand je parle de trois aérolithes tombés de trois ciels différents. Miroir, confident et grâce ne se prêtent pas, sauf dans le pur cristal d’une métaphore productive et réussie, à se rassembler. Cette générativité particulière d’un certain groupe de signifiants pris les uns avec les autres et qui se vérifie dans une combinatoire qui produit des effets de sens valables, chacun révélant quelque chose sur le sens de l’autre, n’est-ce pas : si vous dites que le miroir est le confident des grâces, c’est que ce confident est précisément le miroir des grâces, qui rend le service narcissique qu’on lui demande, c’est que les grâces sont les confidentes au miroir, c’est-à-dire celles dont on attend le surgissement muet et en même temps parlant, dans l’image reflétée en face de soi. Et cet enrichissement mutuel des effets de sens, qui fait la fécondité de cet assemblage, lorsque j’en parle sur le mode d’une générativité particulière, c’est que je pense qu’une interprétation juste, une interprétation puissante, serait une interprétation qui viendrait fondamentalement, je ne dis pas que c’est la seule forme d’interprétation, mais qui viendrait toucher dans les signifiants d’un sujet, ce type de mobilité et de générativité. Au sens où précisément, en révélant que le miroir est le confident des grâces, ce qui est attendu dans le fait de se mirer dans le miroir est révélé, comme ce sens qui était caché, qui fait qu’on reconnaît que c’est bien ce que l’on voulait encore qu’on ne l’avait pas pensé, et encore qu’on ne l’avait pas dit. Avec ce type d’effets, qui fait que vous avez là une construction signifiante, qui joue d’articulations potentielles du matériel.

La générativité formelle de la métaphore, en ce sens précis, fait que c’est à travers ce dispositif métaphorique qu’on identifie les signifiants d’un sujet, et non à partir des signifiants d’un sujet qu’on se met à fabriquer des métaphores. C’est ce dispositif à l’intérieur duquel circule l’implicite du désir, qu’il s’agit d’exhiber, et c’est à partir des métaphores qui sont opérantes, dans un certain nombre de configurations symptomatiques, oniriques, de traits d’esprit, qu’on extrait les véritables éléments du psychisme. Donc on parle de la métaphore en ce sens-là, et c’est de là qu’on extrait ce qui s’appelle le signifiant.

La générativité, ensuite, elle concerne ¾ évidemment parce qu’on parle de générativité ¾ un père et une mère. La métaphore filée étant celle qui est susceptible de construire tout une espèce de filiation sémantique. Et lorsqu’on remonte, n’est-ce pas, au principe de cette générativité de cette métaphore, j’imagine que si on parle de métaphore paternelle, c’est parce qu’on parle de la mise en place de la possibilité justement de ces permutations signifiantes qui structurent un désir et qui l’éclairent, à partir d’un Œdipe qui est en réalité l’agent métaphorisant fondamental. Evidemment, avec la question de savoir s’il n’y a que l’Œdipe qui puisse être l’agent métaphorisant fondamental (c’est une question tout à fait délicate quand on pense par exemple à certaines formes de psychose) mais qui en tout cas dans la notion de métaphore paternelle est là. Il ne s’agit pas de coller l’Œdipe à l’intérieur d’une présentation de type linguistique ou formalisée. Il s’agit de bien considérer que ce qui se passe avec les identifications est fondamentalement ce qui permettrait le déplacement de ces signifiants. Alors, je vais laisser de côté toute une famille de questions, que j’aborderai la prochaine fois, qui se trouve également liée au signifiant.

Une première série de questions est celle qui part du signifiant phallique, la question de la différence sexuelle, que je crois étroitement articulé à la question du je, du signifiant je. Quel est le lien je dirais très abstrait, qu’on peut trouver entre le phallus et le je ? C’est que le phallus est le signifiant qui est en dehors des signifiants, et qui rend signifiant l’ensemble du système auquel il se rapporte. Mais qui lui-même est complètement en dehors. Et la familiarité particulière que le phallus a à cet égard avec le pronom personnel je, c’est que le je a des usages dans la langue qui précisément permettent toujours de le construire en dehors de toutes les assignations qu’on peut lui imposer en le désignant. Je m’explique avec une petite anecdote que j’aime beaucoup qu’on trouve dans Hérodote et que j’aime bien citer parce que je la crois parlante. C’est Alexandre qui prend conseil et qui reçoit l’avis du général, un de ses stratèges qui s’appelle Parménion. Et Parménion a cette phrase : « si j’étais Alexandre, voilà ce que je ferais ». Et Alexandre lui dit : « oui, si j’étais Parménion, c’est effectivement ce que je ferais ». C’est-à-dire que vous avez là une possibilité extraordinaire, qui n’existe qu’avec le pronom personnel je, de donner à la fois absolument raison et absolument tort en même temps à Parménion. C’est-à-dire : c’est précisément parce que tu as raison que tu as tort. Et voilà qui fait jouer au pronom personnel je un rôle qui a une affinité formelle fondamentale avec le signifiant phallique ¾ et ce pourquoi je pense qu’on peut à fait considérer que l’identification phallique est chez Lacan la position subjective radicale, puisque le phallus peut fonctionner en exception interne au système dans lequel il s’inscrit. Et dans lequel il s’inscrit complètement. C’est-à-dire : c’est vrai, si j’étais Parménion, c’est-à-dire toi qui parle de ta position d’énonciation, c’est bien ce que je ferais. Je laisse cette question du sexe, du phallus, etc, parce qu’elle pose un problème qui appelle des développements très long et très sophistiqués, qui est la coordination du signifiant avec le symbolique en général, et en particulier avec cette espèce d’objet épistémologique improbable que fabrique Lacan dans le texte que je vous avais donné, qui est celle d’un « mythe individuel ». Comment est-ce qu’il peut y avoir quoi que ce soit comme un mythe individuel ? La deuxième question que je laisse de côté, mais que l’on reprendra je le promets sur le signifiant, c’est la question de la cohérence avec Freud, et la question de savoir ce qui se passe quand on appliquerait une notion saussurienne du signifiant à la théorie freudienne des associations. Je laisse ces deux questions pour maintenant me concentrer sur une difficulté conceptuelle particulière que pose la notion de métaphore et la notion de construction.

Et je vais essayer de manœuvrer de façon à vous parler et à vous introduire à deux philosophes contemporains extrêmement importants ¾ du moins moi je les trouve très importants, ils me donnent énormément à réfléchir ¾ que sont Davidson et Goodman. Le texte de Davidson dont je vais vous parler aujourd’hui, est à mon avis un des textes les plus profonds qui ait été écrit ces trente dernières années sur la métaphore, et qui s’appelle « Ce que sont les métaphores ». Il est dans les Enquêtes sur la vérité et l’interprétation, qui a été traduit par Pascal Engel, et dans une partie des Enquêtes sur la vérité et l’interprétation qui s’appelle « Limites de la littéralité ». Jje veux aussi mettre de côté aussi, je pense que je n’arriverai jamais à faire tout, mais c’est pas bien grave, je veux aussi mettre de côté un aspect de la question de ce que c’est qu’une métaphore, qui est à mon avis bien examiné et compris dans une polémique, qui a eu lieu il y a fort longtemps, entre Lévi-Strauss et Jakobson, et la personne dont j’ai appris ce que je sais en théorie littéraire, qui est Michaël Riffaterre. Polémique extrêmement intéressante, et dans laquelle je crois fondamentalement que c’est Riffaterre qui a raison, qui porte sur l’interprétation d’un poème de Baudelaire qui s’appelle « Les chats », où Riffaterre montre extrêmement bien l’impuissance d’une certaine théorie structuraliste de la métaphore à saisir ce qui se passe dans la construction de ce poème. Je vous laisse la référence comme ça, c’est dans un des Retrospects des œuvres complètes ou plutôt des articles rassemblés de Jakobson, et le texte de Riffaterre se trouve dans un de ses livres, je crois que c’est Sémiotique de la poésie. Je laisse cette référence de côté mais je vous en dirai quelque chose, parce que je crois que Riffaterre était quelqu’un qui connaissait Lacan, qui lisait bien Lacan, et que Lacan lui a dit des choses intéressantes et profondes sur son interprétation du problème posé par Jakobson et Lévi-Strauss.

Bon, je vais vous lire le début peu commun dans la littérature analytique contemporaine ¾ on est un peu étonné, hein, même de lire ça ¾ de « Ce que signifie les métaphores ». « La métaphore », commence Davidson qui est aujourd’hui un professeur de philosophie à Berkeley, un des représentants les plus intransigeants du rationalisme analytique, « la métaphore est le travail du rêve du langage, et comme tout travail du rêve, son interprétation rejaillit autant sur l’interprète que sur celui qui en est la source. L’interprétation des rêves requiert une collaboration entre un rêveur et un individu éveillé, même s’il s’agit de la même personne. Et l’acte d’interprétation est lui-même une œuvre de l’imagination. De même, comprendre une métaphore est tout autant une entreprise créatrice que produire une métaphore et »  – ça c’est le fragment de phrase qui m’intéresse le plus et qui me paraît le plus difficile pour nous – «  aussi peu guidé par les règles ». « Aussi peu guidé par les règles ».

Il faut savoir que Davidson est vraiment le seul philosophe analytique contemporain, c’est peut-être le plus grand d’ailleurs, qui ne dise pas de mal de la psychanalyse. Non seulement qui ne dise pas de mal de la psychanalyse, mais qui semble même avoir comme ça de temps en temps ¾ probablement d’ailleurs par sa nouvelle épouse, mais enfin là il ne la connaissait pas encore ¾ des lumières qui quelquefois montrent que ce n’est absolument pas quelqu’un de bouché à des difficultés soulevées par Freud. Le texte de Davidson devient ensuite beaucoup plus technique, et logique et philosophique, et voilà ce qu’il écrit : « Ce que la métaphore ajoute à l’ordinaire est une réalisation qui ne fait usage d’aucunes ressources sémantiques qui aillent au-delà de celles sur lesquelles repose l’ordinaire. Il n’existe pas d’instructions pour fabriquer une métaphore, il n’existe pas de manuels pour déterminer ce que « signifie » ou « dit » une métaphore, il n’y a pas de façon de contrôler les métaphores (test), qui ne fasse pas appel au goût (taste). Une métaphore implique un certain type et un certain degré de succès artistique. Il n’y a pas de métaphore ratée. Tout comme il n’y a pas de plaisanteries qui ne sont pas drôles ».

Ça c’est quelque chose je crois de tout à fait intéressant, parce que : qu’est-ce qui est par définition raté en psychanalyse ? Le refoulement. Par définition il est raté. L’idée qu’on puisse toucher à quelque chose qui est par définition réussi, ou alors ça n’existe pas, me paraît extrêmement important ici : la plaisanterie, et la métaphore. C’est déjà quelque chose qui est d’une symétrie structurale tout à fait importante. La thèse de Davidson ¾ je vais essayer de vous expliquer un petit peu, c’est une pensée absolument abyssale, moi je fréquente Davidson depuis quelques années, enfin ces livres, j’ai l’impression comme ça de lire quelqu’un comme Kant, c’est vraiment l’un des penseurs les plus stupéfiants de notre temps ¾ ce que Davidson met ici en place, c’est qu’au fond, pour rassembler sa thèse en quelques mots, c’est que dans une métaphore les mots ne veulent dire que ce qu’ils veulent dire. C’est-à-dire que quand je parle du confident des grâces pour métaphoriser le miroir, « confident » veut dire confident, et « grâce » veut dire grâce. Il est absolument exclu, qu’on ait quoi que ce soit d’autre que la signification ordinaire des mots dans la métaphore. Et tout cet essai de Davidson est fait justement pour dire qu’il n’existe pas de sens élargi ou de sens métaphorique, qui au niveau de la signification des mots, au niveau de la signification littérale des mots, biaiserait cette signification. Qu’en conséquence, on n’arrivera pas à construire la notion de signification métaphorique comme une sorte d’extension imaginaire de la signification littérale, ni de vérité métaphorique comme une extension particulière de la vérité littérale. Ce qui veut dire qu’il y a un supplément à l’interprétation du sens littéral, qui est un supplément qu’on ne peut pas mécaniser. On ne peut pas produire, alors même qu’on peut construire effectivement logiquement une analyse du contenu de sens littéral d’un énoncé. Avec des règles. C’est ce que j’appelle mécaniser. Mais on ne peut pas mécaniser, donc donner des instructions pour comprendre ce que serait le sens métaphorique d’une expression.

C’est frappant, parce qu’il y a un deuxième argument très fort et classique chez Davidson qui s’oppose à la mécanisation complète de l’interprétation du sens littéral d’un énoncé. C’est que lorsque j’interprète un énoncé, je fais appel à des concepts normatifs. Lorsque vous m’écoutez, vous êtes obligés de supposer à ce que je suis en train de dire une cohérence qui est la condition normative sous laquelle vous allez pouvoir articuler les uns avec les autres les énoncés que j’aligne, en supposant a priori qu’ils doivent avoir une corrélation les uns avec les autres. Et que si vous ne faîtes pas ce crédit ¾ ce crédit particulier que Davidson a consacré sous le nom de principe de charité ¾, si vous n’avez pas cette charité herméneutique qui consiste à supposer rationalité et cohérence avant même que j’ai commencé à énoncer ce que je suis en train de dire, vous ne pourrez pas le comprendre. Et donc, aucune machine par exemple, n’ayant accès à ce principe normatif de cohérence ou de rationalité ne pourrait travailler à interpréter ce qu’un être humain lui donnerait à interpréter. Elle ne pourrait que réagir à un certain nombre de stimulus, c’est clair, mais elle ne pourrait justement pas les interpréter. Parce que pour les interpréter il faut une activité rationnelle, et une activité rationnelle normée.

Il faut noter que précisément, si tout dans l’interprétation du sens littéral repose sur ce postulat de raison, alors toute la Raison se trouve dans la compréhension du sens littéral. C’est-à-dire que c’est pour ça qu’il ne saurait y avoir de règles sémantiques en plus de ce qui sert à comprendre le sens littéral des mots, ni qui permettent d’en comprendre l’usage métaphorique.

Alors comment Davidson se représente la signification et la vérité ? Ce qu’il essaie de dire dans son œuvre, c’est qu’il nous faut avoir une conception extraordinairement pauvre et abstraite de ce que c’est que la signification. Il est parti d’une analyse philosophique qui est en fait une analyse logique qui est due à Tarski, qu’on appelle une conception décitationnelle de la signification. Une conception décitationnelle de la signification, c’est quelque chose qui repose sur des énoncés du type : l’énoncé « la neige est blanche » est vrai si et seulement si la neige est blanche. Une conception décitationnelle du sens part de tels truismes, et elle dit la chose suivante. Tarski s’est dit : « Mais comment est-ce que je peux avoir une notion de ce que c’est que la vérité ? ». Eh bien, il y a un moyen simple d’avoir non pas une définition de la vérité mais une idée de ce à quoi elle ressemble, c’est de prendre les énoncés de cette forme : « la neige est blanche » (entre guillemets, c’est pour ça pour qu’on appelle ça une conception dé-citationnelle) est vrai si et seulement si la neige est blanche, et en regardant dans quelle mesure tous les énoncés qui ont cette forme décitationnelle triviale sont déductibles les uns des autres. C’est ce qu’on appelle les « phrases T » (à cause de Tarski). L’ensemble des phrases T, faisait observer Tarski, fixe l’extension parmi les phrases de tout prédicat qui joue le rôle de « être vrai ». L’ensemble des phrases triviales de ce genre-là fixe l’extension parmi l’ensemble des phrases, de tous les prédicats qui jouent le rôle de « être vrai ». Ce qui est très subtil dans l’analyse de Tarski ¾ qui évidemment n’utilise pas le langage naturel, mais des langages logiques, dans ce qu’on appelle la théorie des modèles ¾ c’est que ça ne fournit pas, dans la théorie des modèles, la définition de la vérité. Mais ça fournit une définition de ce à quoi elle ressemble au moins d’une manière acceptable.

Or, ce que Davidson fait remarquer, c’est que l’usage que fait Tarski de ces phrases T, suppose que la signification, elle, est bien déterminée. Et elle est bien déterminée dans la mesure où on peut donner des critères syntaxiques tout à fait généraux de la bonne formation d’énoncés dans une théorie des modèles. Mais faisons une opération, dit Davidson, qui est la suivante, qui consiste à dire qu’au fond, la vérité ¾ pour une raison métaphysique que je vais vous dire, qui est liée au principe de charité, tout simplement ¾ la vérité, on sait grosso modo ce que c’est. On peut se servir de ces phrases T, de ces phrases triviales ¾ l’énoncé « la neige est blanche » est vrai si et seulement si la neige est blanche ¾ non pas pour analyser la notion de vérité, mais pour analyser la notion de signification. Parce que tout simplement, qu’est-ce qui fait que deux énoncés ont la même signification ? Là, j’entre dans un espace qui n’est absolument pas exploré par Lacan, qui est resté d’une certaine manière très prisonnier de cette espèce de notion du « signifié » dont il a sans cesse insisté pour dire que le signifié ne nous apprenait rien. Mais ici, il ne s’agit pas de signifié, il s’agit de signification. Qu’est-ce qui fait donc que par exemple, vous comprenez la signification de ce que je dis ? C’est parce que ce qu’écrit Lionel sur son cahier peut être tenu pour une paraphrase que ce que je suis en train de dire. Autrement dit la preuve que Lionel comprend ce que je dis, c’est que les conditions de vérité logique des énoncés qu’il met sur le papier sont les mêmes que les conditions de vérité logique de ce que je dis. Avoir la même signification, pour deux énoncés, c’est avoir les mêmes conditions de vérité. Ce qui permet d’économiser totalement les apories pseudo-linguistiques ou pseudo-formelles du signifié. Dès ce moment-là, la signification ¾ eh bien, vous substituez les choses ¾ la signification, c’est lorsque nous disposons d’un certain nombre de phrases T, lorsque vous essayez de construire ce que je suis en train de dire, lorsque vous essayez de construire les conditions de la paraphrase de ce que je suis en train d’énoncer, de produire des énoncés qui ont les mêmes conditions de vérité, vous êtes en train tout simplement d’explorer empiriquement, dit Davidson (parce que c’est un processus qui se passe par essai et erreur) vous êtes en train d’essayer d’explorer empiriquement le système logique qui fixe les conditions de vérité de ce que je suis en train de dire. C’est-à-dire que phrase après phrase, vous complétez ou corrigez les valeurs de vérité qui sont attribuées à tels ou tels des énoncés que je suis en train de donner.

Ce qui est très important de marquer là-dedans, c’est que du coup, la Raison s’est complètement investie à l’intérieur de ce dispositif. Le principe de charité qui consiste à me supposer rationnel, tout simplement pour pouvoir me comprendre, creuse un abîme métaphysique : lorsque vous ne me comprenez pas, c’est parce que je suis rationnel, et que justement jusqu’ici plein de choses tombaient bien, et que tout d’un coup quelque chose devient incompréhensible. L’idée du principe de charité, c’est qu’on ne peut pas radicalement ne pas se comprendre. C’est aussi une des raisons pour lesquelles, aux yeux de Davidson, il ne peut pas y avoir de relativisme culturel fort au niveau des concepts : pour pouvoir s’apercevoir que les autres ne pensent pas comme nous, encore faut-il qu’il y ait un nombre extraordinairement grand de choses que nous croyons en commun. Elles sont d’une banalité totale, elles n’ont aucun intérêt, ce sont des inférences du genre de celles qui vont sans dire : la neige est blanche... Mais si elles faisaient défaut, on ne pourrait pas s’apercevoir que les autres produisent des énoncés étranges. Et qui permettent précisément de voir que nous ne croyons pas ce que les autres croient.

Alors comme toute la Raison, a été pour ainsi dire mise au service de ce déchiffrement, les métaphores et l’usage métaphorique de ce que je suis en train de dire, ça ne peut pas du tout concerner la signification des mots. Ça ne peut concerner que leur usage. C’est un des rares usages de « l’usage » chez Davidson, qui évidemment détonne dans la mesure où le mot usage renvoie directement à la célèbre formule de Wittgenstein, n’est-ce pas, « le sens, c’est l’usage ». Vous savez que chez Wittgenstein, « le sens c’est l’usage » correspond à une pratique du déchiffrement de la signification conceptuelle des expressions ¾ leur grammaire logique ¾ qui met toujours l’accent sur : comment est-ce qu’on se sert des mots ? Dans quel jeu de langage, dit Wittgenstein, telle expression apparaît, et qu’est-ce que ce jeu de langage, avec les règles qui lui sont propres, exclut ou admet ? Ici, la notion d’usage est réservée à la métaphore. Autrement dit, c’est absolument beaucoup plus précis, en quelque sorte, que ce que dit Wittgenstein, dans la mesure où il y a bien des choses dont on a l’usage dans le langage. Mais la signification, on n’a pas besoin de la métaphore de l’usage, au contraire, dit-il, pour s’en servir. Parce qu’on peut donner une théorie complètement formalisée de la construction de la signification. Qui est une théorie intégralement logique, au sens littéral. Je laisse ce point de côté, mais c’est ce qui a mené, à des gens du programme des années 60, auquel Davidson est associé, comme Montaigu, ce qui a amené ce dernier à écrire l’article qui est à mon avis un des textes philosophiques du langage et de la logique les plus impénétrables (je crois que je n’ai jamais pu dépasser la deuxième ou la troisième ligne) qui est « L’anglais comme langue formelle » (« English as a formal language »), dans lequel l’énoncé « Jean aime Marie », après un nombre effarant de stipulations sémantiques sophistiquées, arrive à rendre sa forme en tant que signification, à produire sa forme en tant que signification algébrisée. Alors c’est un usage d’une technique qui emploie des indices, avec des quantificateurs spéciaux empruntés à Carnap, mais on arrive à, comme disait Culioli, à « cryogéniser » par ce biais la signification linguistique. Du coup, l’apparence selon laquelle le langage ordinaire aurait une signification qui échapperait intrinsèquement à la formalisation, tombe. Et on s’aperçoit que des fragments extrêmement importants de prédicats relationnels, etc., réussissent comme ça à être enrégimentés dans une notation algébrique. Ce qui permet d’ailleurs de produire des analyses grammaticales extrêmement fines.

Donc, quelque chose de profondément anti-Wittgenstein. Sauf qu’il reste cette notion, que pour rendre compte de la notion de métaphore, eh bien la seule chose qui nous reste, c’est non pas l’analyse logique de la signification ¾ les mots veulent dire ce qu’ils veulent dire, dans la métaphore ¾, mais : l’usage. Et précisément, ce que fait remarquer Davidson, ce que l’on ne peut pas paraphraser, c’est la métaphore. Point absolument essentiel, logiquement articulé à cette théorie décitationnelle, à cette théorie de la paraphrase qui est au cœur du dispositif de Davidson : justement, ce que vous ne pouvez pas paraphraser, c’est la métaphore. Ça a introduit l’idée d’une théorie radicale de l’interprétation, qui n’est pas simplement une théorie, comme chez Quine, de la traduction. La théorie radicale de l’interprétation demande : qu’est-ce qui se passe dans l’activité rationnelle de l’individu ? C’est que justement, nous devons faire des efforts pour interpréter. Nous devons faire des efforts pour interpréter, c’est-à-dire qu’au delà de ce qui pourrait comme ça relever du calcul rationnel permanent des conditions de vérité, des énoncés que je prononce conduisant aux paraphrases qui sont le texte de votre compréhension, eh bien, au-delà encore, dans un point de supplément qui est le point d’émergence du sujet faisant effort pour comprendre ¾ c’est du moins ce que je saisis ¾ vous avez la tentative de saisir ce qui est métaphorique. Et je trouve ceci fin, parce qu’une métaphore, c’est précisément ça. C’est le point d’émergence à l’état pur de l’interprète faisant effort pour interpréter l’interprétable.

On pourrait raconter toutes sortes de choses et raffiner là dessus. J’avance dans cet article pour vous en donner un petit peu la substantifique moelle. C’est que justement, non seulement une métaphore n’est pas paraphrasable, mais d’aucune manière une métaphore ne pourrait être considérée comme une nouvelle signification. Si dans la formule « l’esprit de Dieu se mouvait sur le visage des eaux », on identifiait l’introduction de la métaphore avec l’introduction d’un nouveau mot, qu’est-ce qu’on devrait faire ? Eh bien on serait obligé de moduler le sens de « visage » et le sens de « eaux », on serait obligé de dire que « visage » c’est visage-plus, et que « eaux » c’est eaux-plus, quelque chose qui aurait une signification et un effet de sens supplémentaires, et on ne saurait pas en fait du coup non seulement jusqu’à quel point et à quel degré étendre ce sens pour que ce soit toujours le mot « visage » (qui fonctionne aussi de façon non métaphorique), et le mot « eaux » (qui fonctionne aussi de façon non métaphorique). On s’aperçoit alors, note Davidson, qu’une métaphore ne doit surtout pas introduire de nouveaux mots, puisque les mots de la métaphore doivent pour que la métaphore marche, rester actifs en dehors du contexte métaphorique dans lequel ils sont insérés.

Et c’est là où, bien conscient du problème que je développerai une autre fois, bien conscient du problème, Davidson fait une note sur Goodman. Dont j’ai parlé l’an dernier, dont je reparlerai encore. Et il s’en prend à Goodman sur un point de détail : Goodman se demande s’il y a un rapport entre la métaphore et l’ambiguïté. Est-ce que ce qui fait les métaphores, ce ne serait pas des ambiguïtés de la signification ? A nouveau, dans une perspective que je trouve éminemment compatible avec ce que dit Lacan, Davidson a cette observation très juste, c’est qu’on sait très bien trouver parmi les sens ambigus d’une expression, lequel est métaphorique. Par exemple, dit-il, « le Christ est un grand chronomètre ». Bien évidemment, « chronomètre » peut avoir toutes sortes de sens, mais c’est uniquement lorsque vous avez considéré qu’on mesure le temps à partir de la naissance du Christ que « le grand chronomètre » se met à fonctionner sur le mode d’une étymologie qui porte en elle-même sa signification, et que nous arrivons sans aucune difficulté, à identifier parmi les sens ambigus du mot chronomètre celui qui fait sens. Ce qui montre bien que dans la métaphore, il y a constamment la supposition d’un à-propos de celui qui la fait, quelque soit les imperfections du langage. Et que bien évidemment, ce qu’on appelle le « double entendre » en anglais, qui est l’équivoque (en général l’équivoque salace) qui est le propre du Witz, repose, éventuellement se masque, sous des ambiguïtés, mais ne se masque sous des ambiguïtés que parce que précisément ça permet d’extraire du langage celui qui s’en sert et fait subjectivement valoir le gain de plaisir qu’il se procure en se masquant dans le double-entendre. Cela vous explique également, fait observer Davidson, qui cherche des confirmations inductives à sa théorie ¾ la confirmation conceptuelle étant liée je crois, radicalement, dans son analyse au fait qu’on ne peut pas paraphraser la métaphore ¾ pourquoi la métaphore s’oppose à la comparaison. Davidson fait valoir qu’une métaphore est littéralement fausse. Le moyen dont un sujet fait valoir ce qui n’a pas une signification littérale, c’est-à-dire que ce n’est pas la signification littérale qui est en jeu, c’est de donner à son énoncé une signification littérale fausse. C’est un grain de sable jeté dans les rouages du fonctionnement normatif du principe de charité, c’est ce qu’on ne doit pas croire. Et c’est précisément parce qu’on ne doit pas la croire, qu’elle saille. C’est donc, si on ne doit pas la croire, la preuve absolue, qu’une métaphore n’a jamais, à la différence de la signification, de contenu cognitif. Autrement dit : voir comme ¾ voir comme « l’esprit de Dieu planait sur le visage des eaux » ¾ voire comme, ce n’est pas voir que. Deuxième concession à Wittgenstein ! Elles sont rares chez Davidson, donc on en profite quand on en trouve. Deuxième conclusion : la métaphore est quasiment de l’ordre de l’acte de langage. C’est-à-dire : c’est quelque chose comme une assertion, ou comme une promesse, qui est un usage du langage, qui traduit l’intention d’un sujet. C’est comme un mensonge, c’est de la famille de l’assertion, du mensonge, de la promesse. Je signale que pour dire un mensonge, il ne suffit pas que ce qu’on dit soit faux : il faut qu’on croit que c’est faux. Et à ce titre, quelle est la spécificité particulière de cet acte de langage qu’est la métaphore ? Eh bien, d’une façon terriblement lacanienne, Davidson cite l’oracle, enfin cite Héraclite : « L’oracle de Delphes ne dit ni ne cache, il incite ». Et il traduit semainei « fait signe », par « il incite ». Autrement dit : la métaphore, c’est de la pure incitation. Vous retrouvez ici quelque chose qu’on retrouve assez facilement et fréquemment chez Lacan, qui est l’idée que l’interprétation est là pour faire des vagues. Il en ressort qu’il n’y a pas de messages. Pourquoi est-ce complètement vain d’aller chercher la signification d’une métaphore ? C’est que la métaphore n’a pas de contenu cognitif.

Cette analyse que je crois profonde et convaincante, sur signification, sens, usage, etc…, qui a l’avantage de capter toute sorte de phénomènes très particuliers concernant la métaphore pose je crois ¾ enfin me pose, me pose ¾ plusieurs problèmes très ennuyeux. D’abord, ça contribue à beaucoup rectifier ce qu’on appelle le savoir inconscient du psychanalyste, celui qui permettrait d’interpréter. C’est qu’il ne s’agit absolument pas d’une réserve de messages à envoyer. Ce savoir inconscient a en réalité la nature d’un savoir-faire avec la signification ordinaire, d’un avoir-l’usage de cette signification ordinaire. A partir du moment où vous considérez qu’agir métaphoriquement, déplacer des signifiants de façon féconde pourrait avoir comme ça un contenu cognitif, pourrait être un voir que plus juste que le voir que du patient, et que ce ne soit pas un voir comme juste compatible avec la batterie signifiante du voir comme du patient, vous vous trompez complètement. Mais le problème, c’est que du coup toute la rationalité étant chez Davidson asservie à l’interprétation de la signification littérale, quid de la construction ? Parce que, est-ce qu’on peut construire, est-ce qu’on peut avoir une stratégie de construction dans une cure ¾ stratégie interprétative de construction ¾ si c’est sans règle ? Et c’est bien ça qui fait qu’il ne s’est pas trompé en citant Goodman dans cette petite note ; c’est que si vous réfléchissez un petit peu à ce que dit Davidson… Davidson est du côté du consommateur de métaphore. Il est extrêmement sensible au fait que nous repérons très bien, intuitivement, sans avoir besoin d’aucune espèce de règles ni de suivre aucune espèce instruction, ce qui est une métaphore et ce qui ne l’est pas. Mais y a-t-il des règles de l’art d’interpréter ? C’est probablement ce qu’on finirait par mettre en question, dans la perspective de Davidson. Si vous vous placez, en revanche, du côté du producteur de métaphore, et c’est un petit peu ce que j’ai essayé d’aborder ¾ je ne sais pas si ça va tenir la route, avec mon exemple du miroir confident des grâces, des grâces confidentes au miroir, etc… ¾ est-ce qu’on pourrait ne pas chercher quand même des règles qui n’auraient pas nécessairement en tout cas un statut rigoureusement cognitif, mais qui permettraient d’éclairer rationnellement la production de ces métaphores ? Autrement dit, de dire quelque chose sur l’acte du psychanalyste, et donc la manière dont il sélectionne d’une façon relativement pertinente les signifiants sur lesquels il échoue. Parce que la menace, c’est que tout soit purement ponctuel. Que tout soit purement ponctuel, que ce soit à chaque fois quelque chose qui est complètement contingent, complètement singulier, qui soit au ressort de l’interprétation. Ce n’est évidemment pas exclu. Mais il me semble que ce que Lacan laisse espérer, dans sa notion de métaphore, dans son usage de la notion d’interprétation, dans le travail sur la notion de construction qu’une théorie du signifiant permet d’imaginer, c’est qu’il y aurait, même si évidemment c’est un savoir-faire, un « art » disait Freud, et non pas un savoir, un certain nombre de règles. Que dans le filage de la métaphore, on pourrait penser à une sorte de tissage non sémantique, ultra-sémantique, des signifiants les uns par rapport aux autres. Alors je vais également faire remarquer ceci : que peut-être ¾ peut-être ¾ est-ce lié au fait que chez Davidson, l’intention de celui qui produit une métaphore, comme de celui qui la perçoit ou perçoit un énoncé comme métaphorique, c’est l’intention d’un sujet finalement complètement compact, complètement simple, et en tout cas certainement pas divisé. C’est vrai qu’il y a une mobilisation subjective dans la métaphore, c’est-à-dire que là tout à coup, je suis obligé de produire comme il le dit, « un acte de l’imagination », pour voir comment l’autre se sert, fait usage de la signification littérale. C’est-à-dire : au moment où c’est faux, c’est manifestement faux. Le confident des grâces, il n’est pas là. Le confident des grâces, il n’y en a pas. A ce moment-là, l’effort d’imagination consiste à chercher quelle est l’intention cachée dans l’usage d’un énoncé qui est matériellement la désignation de quelque chose qui n’existe pas.

Mais si on a une notion du sujet, qui serait dans sa production intentionnelle distincte de ce qui suffit ici à la caractérisation philosophique du langage de l’effet de métaphore, qui serait articulé à une pratique de la métaphore ¾ pratique avec des sujets vivants, dans un contexte pathologique ¾ est-ce qu’on aurait des ressources conceptuelles suffisantes pour préciser ce que pourrait être une construction ? C’est la question que je pose. Et je termine après avoir beaucoup parlé ce soir, en disant que la notion de signifiant chez Lacan, conjugue me semble-t-il de toutes façons dans les dispositifs interprétatifs où elle rentre, à la fois une générativité formelle qui serait plutôt comme un savoir-faire avec le signifiant, et un à-propos qui viendrait toucher affectivement un sujet déplacé par l’interprétation. Si bien que ce que je devrai évidemment analyser à ce moment-là en entrant dans les écritures algébriques ou quasi-algébriques de Lacan, c’est l’effet subjectivant du signifiant . J’essaierai la prochaine fois de caractériser cette productivité du signifiant comme logique du désir. Et si j’emploie ici le mot logique, c’est dans un sens où s’il y a construction. S’il y a des briques, s’il y a des éléments, s’il y a une combinatoire et une permutation, alors on peut effectivement d’une façon logicienne, entrer dans la notion de construction de cette façon-là. Et je vous rappelle, effectivement on l’oublie toujours, mais la notion de construction, c’est du néo-positivisme logique. L’idée d’Aufbau, l’idée de construction au sens d’un usage logique, d’une pluralité logique de signes des choses, qui est le ressort rationnel de la capacité à construire, c’est quelque chose de tout à fait carnapien. Lequel Carnap avait passé 20 ans sur un divan. Et au lieu de le considérer comme le dernier des chiens crevés (d’un œil wittgensteinien) peut-être pourrait-on s’intéresser à l’espèce d’intuition, comme ça, que véhicule une notion de construction qui serait sérieusement prise sur le plan logique. Bon, je vais arrêter dans ces apories et ces hésitations.

- Qu’est-ce qu’on peut lire ?

- Je vais essayer de dire encore des choses sur Goodman. A mon avis, la meilleure introduction à Goodman, c’est le petit livre de Hacking dont j’avais parlé l’an dernier ou il y a deux ans : Le plus pur nominalisme, vleu et usage de vleu. Goodman a écrit la plupart de ces essais avec Catherine Elgin, donc dans Langages de l’art, dans Reconceptions in philosophy, vous avez tout un ensemble d’articles qui vous montre le point de vue très particulier de ce qu’est ce constructivisme nominaliste radical que vous avez chez Goodman. Goodman est un esthète, vraiment un grand connaisseur de l’art et un très profond logicien. C’est vraiment un héritier de Carnap, et quelqu’un de très attentif à ce que le langage peut faire. Et je crois que ça, ça peut être une introduction… Ce que je ferai la prochaine fois, c’est que j’essaierai de traiter aussi (je ne sais pas du tout comment je ferai tout à la fois, mais bon) mais j’essaierai de traiter ces points que j’ai laissés en suspension qui sont l’articulation de ce qu’on appelle le signifiant et de ce qu’on appelle le Symbolique. Probablement en partant du mythe individuel, de la question du phallus, etc… Je laisserai, je repousse sans arrêt, je sais que ça vous intéresse, j’ai l’édition originale, chez moi, de Paulhan…

- oui, parce que c’est pas très facile à…

- c’est pas très facile à trouver, je sais. J’essaierai une fois de venir avec. J’essaierai de montrer justement, c’est un peu ce vers quoi je me dirige, que ce qui rend très difficile finalement l’articulation entre Freud et Lacan, c’est que Lacan est vraiment nominaliste. Alors ça, c’est une chose que j’ai beaucoup de mal à digérer, parce que moi je n’arrive pas à être nominaliste. Freud n’était pas du tout nominaliste. Mais alors pas du tout. C’est vraiment quelqu’un dont toute la conception est réaliste. Et ce nominalisme est un nominalisme qui est en réalité extrêmement sophistiqué, et qui ne ressemble pas du tout à la croyance n’est-ce pas que les mots font les choses, dans laquelle on le résume très naïvement. Et ça j’essaierai de montrer que justement ce que Freud appelle l’interprétation, l’interprétation est vraie d’un désir, c’est-à-dire qu’elle a un corrélat (chez Freud on peut se tromper sur une interprétation). C’est une épistémologie très différente. Alors la continuité entre Freud et Lacan me paraît se jouer dans la transformation d’une vision du fonctionnement psychique qui est construite dans une épistémologie réaliste, en une conception nominaliste. Et toutes sortes de décalages dont on a l’impression qu’ils sont finalement de type historique, parce qu’il y a des couches d’histoire qui s’interposent entre l’un et l’autre… C’est vrai. Mais cet aspect-là est en général mal expliqué, mal compris et lié au fait que s’il y a bien quelque chose de difficile à comprendre, c’est le nominalisme. Etre nominaliste, moi je n’ai jamais trouvé comment on peut vraiment l’être, mais apparemment il y a des gens qui le sont. Comme Goodman. Je vous ferai remarquer juste, c’est un truc que tout le monde a vu quand j’en avais parlé à propos de « vleu », en parlant du masculin et du féminin et d’une critique que j’avais faite de Héritier-Augé, une critique goodmanienne de Héritier : c’est que pour être nominaliste, il faut manipuler justement les mots. Fabriquer des mots comme vleu ou blert, grue ou bleen en anglais, ça indique quelque chose de la lettre. On ne peut pas être nominaliste si on n’attrape pas dans le langage des possibilités de reclassification complètement perturbantes, qui mettent en danger le fonctionnement de la Raison. Et qui obligent, puisque c’est ça le principe du nominalisme, qui obligent à avoir recours à quelque chose d’autre qu’à la Raison « pure ». La Raison ne fonctionne, que s’il y a quelque chose en plus de la Raison. C’est pour ça que l’affinité est forte avec Hume. Chez Hume, il y a un nominalisme qui est lié au fait que s’il n’y a pas l’habitude, qui n’est pas un principe rationnel mais une inertie propre à l’imagination, inertie qui est en même temps incontrôlable, qui est constamment imprégnée par la fantaisie, eh bien la Raison même ne marche pas. Et tout est là : c’est-à-dire que si c’est au delà de la Raison, c’est néanmoins de la construction. Ça c’est je crois quelque chose qui est difficile pour saisir ce qu’est que le savoir du psychanalyste, et à quoi au juste tient ce qu’on appelle le savoir inconscient du psychanalyste, et en avoir une peinture claire.

- Alors précisément, puisque vous parlez d’herméneutique, j’ai trouvé chez Habermas complètement par hasard une lecture de Freud à travers… à travers une vue wittgensteinienne, et notamment l’inconscient comme ex-communication, comme langage privé… avec même la notion de jeu de langage, etc… Vous reprendriez toutes ces analyses à votre compte ou pas ?

- Ah non, pas du tout, parce que je trouve que ces textes d’Habermas sont vraiment… c’est le côté syncrétique de l’habermassisme qui émerge complètement. C’est-à-dire comme il est inadmissible de ne pas intégrer au rationalisme critique habermassien tout ce qui est rationnel et critique, il y a là des distorsions complètement majeures. En plus de ça, il introduit dans Freud des sortes de raisonnements dialectiques qui sont absolument absents de la pensée freudienne. La pensée freudienne est une pensée qui met en question la Raison ; il ne faut jamais oublier ça. C’est-à-dire que lorsque quelqu’un raisonne, on lui demande ce qu’il veut pour raisonner : on interroge le désir qu’il y a derrière le raisonneur. L’idée qu’au total ou finalement il devrait y avoir des normes rationnelles qui permettent d’encadrer l’échange est absente de la pensée de Freud. Et là elle a des caractéristiques critiques indigestes. Bon, il y a des tas de points ou de plans, je trouve qu’il y a des analyses magnifiques chez Habermas que j’accepte complètement. Mais la dimension syncrétique m’a toujours révulsé. Ça marche beaucoup moins bien que chez Adorno, où il y a un nietzschéo-marxisme qui a sa couleur, qui a son style, qui touche du réel, qui est très différent…

Non, pour revenir à des choses peut-être un tout petit peu plus cliniques si vous voulez, de ça, une des connections possibles de ce que j’ai dit aujourd’hui et de ce que j’ai dit la dernière fois porte justement sur ce qu’on appelle les structures décitationnelles. La dernière fois j’ai parlé beaucoup de la polémique entre Derrida et Searle, sur le fait qu’on peut toujours rendre indécidable, et c’est la notion derridienne d’écriture, usage et mention. Dans le texte de Davidson, la théorie décitationnelle de la vérité est au contraire une tentative d’exploiter le plus possible cette distinction conceptuelle, « le plus possible », il le dit, en en tirant le maximum de choses. Et pas du tout en en faisant un parasite menaçant pour une théorie de la performativité. En en faisant un outil qui s’intègre à la théorie des métalangages. Je parle de l’énoncé, je dis sur tel énoncé quelque chose qui se comprend dans un métalangage. Alors ce que je trouve très joli, c’est que vous savez la phrase de Lacan : « il n’y a pas de métalangage », etc… Il faut faire très attention. « Il n’y a pas de métalangage », ça veut dire quoi ? Ce n’est pas parce que Lacan a dit qu’il n’y a pas de métalangage qu’il ne faut pas prêter attention à ce qu’une théorie du métalangage est capable, comme celle de Davidson, de mettre en évidence. Je me suis demandé (à nouveau c’est complètement problématique, je ne sais pas du tout de quoi ces choses-là seraient faites), c’est que dans la paranoïa, dans certaines formes de paranoïa, si on les appelle des folies raisonnantes, ce n’est pas que les gens disent n’importe quoi. Les énoncés du paranoïaque ont un sens littéral correct. Et ce qu’il entend, il l’entend comme vous et moi. C’est qu’on pourrait peut-être dire qu’au fond un paranoïaque, c’est quelqu’un qui est incité, excité et incité mystérieusement par des énoncés où le sens littéral lui paraît toujours avoir toujours un sens supplémentaire. Ce n’est pas que la signification personnelle serait une sorte de parasitage de la relation dans le langage. Non, c’est qu’il y a un potentiel d’usage possible de la phrase la plus banale, par un personnage = X monstrueux, qui se sert de l’énoncé le plus banal, pour faire entendre quelque chose en plus. Avec une sorte d’explosion de la valeur métaphorique des énoncés, comme s’il y avait un grand personnage « métaphorisateur », si j’ose dire, qui d’une manière insidieuse, se servait du bulletin météo à la radio, pour faire comprendre quelque chose, pour inciter le sujet à Dieu sait quoi, et qu’il ne pouvait plus se réfugier dans le sens littéral. Et ce n’est pas la peine d’aller scruter les signifiants littéraux du discours paranoïaque, à la recherche d’une anomalie. Je crois justement que la paranoïa, elle n’est jamais plus pure que lorsque c’est le bulletin météo, qui a une signification = X, qui est tout simplement quelque chose de totalement perturbateur et qui le livre, en tant que sujet, à un Autre invisible qu’il construit évidemment comme un sujet persécuteur. Mais au niveau de ce qu’il comprend, il comprend précisément la même chose que vous et moi. Il comprend le bulletin météo. Là à nouveau cette espèce d’éclatement de la dimension subjective à l’intérieur de laquelle le sens littéral est normé par la compréhension des paraphrases possibles des énoncés, il y a quelque chose… ou en tout cas quelque chose est pris dans un autre registre, et là je crois que ça, ça pourrait être un petit peu plus fécond. Et puis ça respecte un certain nombre de symétries entre la névrose obsessionnelle et la paranoïa, qui sont bien connues en clinique. Je crois aussi que c’est la raison fondamentale pour laquelle on ne peut pas donner de médicaments aux paranoïaques. Et que l’expérience qu’ils font n’est pas une expérience de dysfonctionnement objectivable de leurs capacités cognitives d’une manière subtile et qu’on n’aurait pas trouvée, et qui se propagerait de manière insidieuse dans le discours. Non, c’est vraiment lié à la possibilité de la métaphore. Le délire entend autre chose de plus dans le sens littéral des énoncés les plus plats.