Pierre-Henri Castel : Vous avez dit « signifiant » ? (8ème séance)

 

Je vais faire aujourd’hui ce que j’avais promis la dernière fois, une analyse de ce Lacan a appelé le signifiant phallique. Il va de soi que dans ce qu’il y a de plus invraisemblable dans les machins lacaniens, le « signifiant phallique », c’est le pompon. Dans la mesure où évidemment je crois qu’à peu près tout le monde est d’accord pour dire que c’est au moins intéressant de s’attacher à certains traits du discours dans une séance, que ce soit celui des patients, ou les interprétations, ou le contexte je dirais linguistique d’une analyse. Ça devient carrément abracadabrant, et je pèse mes mots, quand on essaie d’introduire à l’intérieur de ce dispositif une analyse de ce dont il s’agit en terme de phallus, de sexualité, et de penser quelque chose comme le phallus en terme de signifiant. En même temps, si ce n’est pas possible, je crois que tout le monde comprend qu’une analyse linguistique de l’interaction ramènerait immédiatement la psychanalyse à une forme de psychothérapie, voire d’orthopédie du langage, de la façon dont les gens pensent ou devraient penser leurs pensées. Mais si l’on y ajoute la dimension de la sexualité, on ne voit pas bien comment elle va devenir compatible avec quelque chose comme un signifiant défini en terme saussurien.

Alors, il y a en gros deux façons de concevoir les choses pour introduire la sexualité dans la psychanalyse. Vous avez la grande voie freudienne, qui est toute simple, qui consiste à dire que nous sommes les produits d’une évolution darwinienne, et que la science dont la neuropathologie n’a pas encore tiré avantage, dit Freud dans les années 1880-1890, c’est justement la biologie issue du darwinisme. Chacun des organismes que nous sommes est un relais sur la voie de la sélection des espèces, et il ne faut jamais oublier, n’est-ce pas, que le livre de Darwin contient dans son titre même l’idée de « sélection sexuelle ». Il devient donc une sorte d’avenue toute tracée pour un neuropathologue, de dire que chacun des organismes est régi par quelque chose de l’ordre de l’énergie sexuelle, et qu’il faut rendre compte de ces phénomènes, et que ces phénomènes étant nécessairement biologiquement présents dans chacun des organismes de façon invincible, permanente, etc, liés au fait même qu’il vit, ça doit être une sorte d’axe directeur absolument indéfectible de l’analyse clinique.

Avec Geneviève Morel, on a fait un petit bouquin qui sortira à la rentrée, qui s’appelle « le moi et sa sexualité », un recueil d’articles, dans lequel elle a écrit un très long essai, et je profite qu’elle ne soit pas là pour dire que c’est un essai absolument remarquable sur Freud et la question de la sexualité, et moi j’ai fait le premier, qui est un essai historique qui reconstitue un petit peu comment c’est une ligne conductrice qui n’est pas si révolutionnaire qu’on le dit souvent, que d’avoir eu l’idée que la seule science qui n’avait pas encore véritablement bénéficié de l’interrogation darwinienne, c’est la neuropathologie ¾, en y introduisant la dimension sexuelle. Et c’est par ce biais-là que Freud coordonne la neuropathologie et la psychopathologie à la sexologie de son temps comme à des considérations de la biologie de l’époque. Alors l’autre voie qui est assez… que je ne vais pas emprunter… , mais enfin que je vais quand même emprunter, il faut bien le dire, ce serait une sorte de tentative de déduire l’existence de quelque chose comme un signifiant phallique d’une analyse de la notion de structure menée sur un mode spéculatif, où il deviendrait à un moment nécessaire d’intégrer la dimension de phallus.

Vu le problème d’essayer de réduire un petit peu l’invraisemblance de cette notion de signifiant phallique, qui alors là est totalement hors registre saussurien ou linguistique, il y a une voie plus pédagogique, ce serait de partir de l’analyse d’un symptôme, de l’analyse d’un fragment de cure. C’est une voie pédagogique, sauf que s’il y a bien quelque chose qui résiste à la pédagogie, c’est le phallus, n’est-ce pas, qui comme chacun sait, est assez dur à dresser, et il y aurait là la voie symptomatique qui serait d’aller commenter les analyses d’impuissance, d’éjaculation précoce, etc… Le problème, qui est un problème clinique, c’est que l’analyse minutieuse d’un symptôme de ce type-là, que je pourrais tirer de ma pratique, aboutirait à un moment ou à un autre à mentionner le patronyme des gens. Et ça c’est un point qu’il ne faut jamais oublier. Ce qui fait que le signifiant phallique a une pertinence clinique, c’est qu’à un moment ou à un autre, il concerne l’identité subjective dans les signifiants dans lesquels cette identité s’énonce. C’est tellement immanquable que c’est probablement un des appuis tacites auxquels je vous renvoie, soit de vos expériences, soit de vos analyses, pour voir qu’il y a des choses qu’on ne peut effectivement pas dire à cause de ça. Il y a des preuves qu’on ne peut pas donner à cause de l’obligation de faire intervenir à un moment ou à un autre le patronyme dans les chaînes d’association décisives. Donc j’ai dû laisser tomber après avoir fait toutes sortes d’efforts une illustration clinique assez fouillée, parce que si on essaie par exemple à se livrer à des manipulations en essayant de changer le patronyme, alors on se retrouve obligé d’inventer carrément quelque chose de différent. C’est une expérience qui pour moi est très révélatrice du fait qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire, parce que quand on essaie de modifier en essayant de garder une sorte d’invariance structurale, les chaînes d’association, les histoires, les anecdotes, les réactions, on se retrouve à démolir littéralement le cas. Ce qui montre qu’il y a un lien extrêmement étroit entre ce qui fait signifiant, ce qui a une fonction phallique, et ce qui définit la position d’un sujet dans un transfert comme dans un réseau de symptômes.

-    est-ce que je peux poser une petite question ? La question du patronyme. Les femmes, quand elles se marient, en change, ou bien elles le gardent. Ça doit avoir une incidence…

-     Ça ne les empêche pas d’avoir un patronyme. On change de nom de famille, mais le nom de famille n’est certainement pas le patronyme. Or, ce qui… je ne dis pas que le nom de famille n’ait aucun poids pour une femme. Certainement pas. Je suis très frappé du fait que dans le seul cas où il m’a semblé que je pouvais raconter, je me suis heurté à cette difficulté. C’est-à-dire qu’on ne peut pas tout déplacer, comme Freud le fait parfois, en évitant les noms… Il y a un degré de finesse dans la texture de l’agencement de ce qui est dit, qui fait qu’on se heurte à quelque chose qui coince. C’est peut-être aussi lié au cas que j’avais voulu analyser. Mais je le maintiens quand même. Pour la question des femmes, il y a un célèbre texte de Lacan sur un symptôme féminin électif qui est la frigidité, je crois que dans ce texte sur la frigidité, il est tout à fait question du patronyme. Ce qui enfin me pousse quand même à me risquer dans cette question du signifiant phallique, c’est qu’on est submergé par des effets comiques, quand on essaie de voir le type de remède auquel on peut penser. J’ai été pris d’un fou rire en lisant l’article 1 de l’autorisation de mise sur le marché du Viagra®, n’est-ce pas, qui porte dans son premier article que c’était un médicament « pour le traitement oral de l’impuissance masculine ». Probablement un fonctionnaire qui quelque part a dû beaucoup s’amuser de pointer à ce degré le fait qu’on ne se débarrasserait pas comme ça d’une sorte de glissement désopilant du sens…

-          Un traitement oral ?

-          Un traitement oral de l’impuissance masculine. Je vous rappelle également que la substance qu’on utilisait avant pour… qu’on utilise encore d’ailleurs en injection pour remédier à l’impuissance tenace, s’appelle la « papavérine ». C’est une chose tout à fait curieuse.

Alors, venons-en à Lacan. Lacan est évidemment à cent lieues de s’appuyer sur quelque chose de biologique ou de darwinien pour motiver l’introduction de la sexualité dans l’économie du signifiant. Il s’appuie bien sûr beaucoup plus sur l’économie des dits et des non-dits sur la sexualité à l’intérieur des cures, sur ce qui évidemment est amené, et qui produit toujours toutes sortes d’effets évocateurs, et que les patients en particulier amènent dans leurs silences comme dans leurs commentaires. La deuxième chose qui me paraît à rappeler pour aborder cette question, c’est que Lacan qui était un fin connaisseur de la l’histoire de la psychanalyse, n’avait pas oublié la querelle, ce qu’on appelle la querelle du phallus, autour de Jones, et autour de cette question qui reste pendante, si je puis dire, même après Lacan, et Lacan n’a jamais prétendu la résoudre, qui est la question de l’asymétrie à l’égard d’une problématique comme celle de la castration ou du Penisneid, entre des hommes et des femmes. D’autant que le seul cas que l’on connaisse commenté par Freud d’un enfant, c’est un petit garçon, c’est Hans, et que Freud a toujours maintenu que par une sorte de chose extrêmement curieuse et qui frappe aussi Lacan parce que ça paraît un peu arbitraire, que l’Œdipe serait paraît-il plus facile ou presque donné naturellement ou du moins la résolution du complexe de castration chez une petite fille, au motif que de pénis, elle n’a pas. Alors, toute la difficulté…

-          Joan Rivière ne dit pas ça.

-          Non, mais dans la querelle du phallus, il y a cette question de l’asymétrie… bon je reviendrai sur la question du clitoris tout à l’heure… sur la question de l’asymétrie, c’est-à-dire qu’on ne voit pas très bien au fond pourquoi il n’y aurait pas une spécificité œdipienne, et pourquoi la libido serait exclusivement masculine. Ce qui est une thèse constante de Freud. Et la libido des femmes ? Pourquoi serait-elle masculine, et que veut dire le mot libido, et que veut dire le mot masculin, et que veut dire femme, etc… ? Et qu’est-ce que c’est que l’homosexualité féminine, etc… alors le problème de Lacan à ce moment-là, c’est d’essayer de se détacher de l’obnubilation sur la présence ou l’absence du signe pénien, en essayant de repenser l’idée de pénis à partir de l’idée de phallus imaginaire. Alors c’est extrêmement curieux, une sorte de forçage initial dans lequel on a l’impression qu’à tout moment, ce qu’on appelle dans la réalité commune le pénis est systématiquement réinscrit, recatégorisé devrais-je dire plutôt, comme phallus dans la catégorie de l’imaginaire.

Donc, ce que je vais faire ce soir, c’est poser 3 questions. Une sur laquelle je m’étendrai longtemps, c’est la question du statut symbolique du phallus. Comment le statut symbolique du phallus aboutit à quelque chose qui nous permet de poser la question du signifiant phallique ? Et à partir de cette idée de signifiant phallique, de phallus imaginaire, de signification phallique, etc... C’est étroitement lié à la métaphore paternelle, et c’est étroitement lié à l’interprétation que Lacan donne de la paranoïa de Schreber, et de la question controversée du refoulement de l’homosexualité chez le président Schreber. La deuxième question que je vais aborder, c’est justement la question de la sexualité féminine comme quelque chose qui ne rentre pas bien dans le premier cadre de la théorie du signifiant phallique. Et je dirai également quelque chose là-dessus, sur la différence des sexes, pour reprendre ce que j’avais dit la dernière fois sur Hélène Prokhoris. Et puis je terminerai sur le fait que justement, la question de la différence des sexes, contrairement à ce qui se raconte, n’a aucune espèce d’intérêt ou d’importance pour la psychanalyse. C’est une confusion totale que de s’imaginer ça. Ce qui a une importance pour la psychanalyse, c’est ce que Lacan a épinglé au titre du « non-rapport sexuel », ce qui est fort différent. Et qui n’est pas du tout une manière compliquée de parler de la différence des sexes. C’est au contraire quelque chose qui n’a pas du tout le même objet ni les mêmes enjeux.

Alors puisque ça m’a guidé pendant toute cette année, je voudrai partir de la question du symbole et du nominalisme que j’ai prêté à Lacan, donc, en disant ceci : c’est extrêmement ennuyeux de parler de signifiant phallique, parce que le principe même d’une analyse positionnelle en terme de signifiant, c’est qu’il ne devrait y en avoir aucun qui soit particulier, ou qui puisse être identifié dans son contenu, sinon dans une relation ou une corrélation entre chaque élément de la structure et tous les autres. Le simple fait de parler de signifiant phallique devrait même apparaître d’une certaine manière comme une contradiction puisqu’il ne peut pas y avoir un signifiant qui aurait une charge particulière, l’analyse différentialiste de Saussure aboutissant à l’idée que c’est uniquement par leurs relations que les signifiants valent. Et donc déjà l’idée de signifiant phallique fait apparaître qu’il y a de l’imaginaire pris dans l’analyse en terme de signifiant, et que cet imaginaire est un imaginaire extrêmement complexe qui porte à la fois sur des vécus, des éprouvés sensément universels, des éprouvés vitaux, et sur de vastes images, des images au sens du symbolisme qui renvoient évidemment à l’histoire des religions, des mythologies, etc… Et donc je crois que jusque dans les années 55-56, jusqu’au cas Schreber probablement, Lacan travaille à faire avancer l’un vers l’autre pour justifier et légitimer sa notion de signifiant phallique, d’un côté une forme imaginaire abstraite, qui s’émancipe jusqu’à prendre les dimensions d’une Gestalt, et de l’autre, avançant vers cette Gestalt, l’idée d’un opérateur symbolique structural, qui, lui, vaudrait dans une sorte de logique très particulière.

Alors si vous prenez par exemple la Traumdeutung avec les immenses chapitres écrits par Steckel (jamais d’ailleurs enlevés par Freud du texte) sur les symboles. Il est évident qu’il n’y a qu’un seul symbole dans la Traumdeutung, c’est le phallus. Et c’est une erreur très significative que d’avoir voulu ajouter à ce symbole phallique, un symbole symétrique sur le plan imaginaire qui serait celui du sexe féminin ¾ comme Rank a tenté de le faire en parlant de l’angoisse de naissance, une sorte d’angoisse originaire, parce que toute la notion de l’angoisse que nous avons est en fait celle de l’angoisse de castration, dit Freud à ce moment-là. Et que cette angoisse de castration ne se conçoit pas par rapport à une sorte d’expérience primitive qui serait de sortir du ventre de la mère, qui se revivrait dans les phénomènes de constriction que Rank décrit à l’infini, qui seraient des phénomènes d’étouffement rappelant le traumatisme originaire. Mais de la question de l’origine même d’un sujet et de ce qui fait naître un sujet en lui donnant justement une place phallique particulière. Alors ce qui fait phallus, dans cette première conception-là, c’est une sorte de vie interprétée non pas comme érection ou érectilité des tissus, mais comme éréthisme. L’éréthisme désignant une susceptibilité vitale à la sensation dont la turgescence de certains tissus serait en quelque sorte la représentation immanente et incontournable.

C’est une chose très très curieuse en psychanalyse, et d’ailleurs je ne sais pas très bien au fond si c’est une position tenable, de dire que nous vivons une vie. Je ne suis absolument pas sûr que nous avons un rapport à notre vie. Je ne suis absolument pas sûr que le rapport que nous avons à ce que nous éprouvons soit un rapport à la vie, et que nous ayons comme ça avec le sentiment d’être vivant, un rapport réel à quelque chose. Il est possible qu’en fait nous ayons là les échos imaginaires de certains processus cénesthésiques en nous, particuliers. Mais cette espèce d’idée qui est que nous aurions un rapport immanent à la vie me pose toujours un problème. Ça pose aussi problème à Lacan, et c’est pourquoi c’est ce sur quoi je terminerai ce soir, c’est-à-dire la manière qu’il a travaillé à construire une notion de jouissance un peu particulière, en ayant égard à ce qui se passe dans certains phénomènes dramatiques de la psychose me paraît se détacher un peu de cette espèce d’ambiance de « vie » qui serait de l’ordre du vécu tel qu’on le sent. La jouissance, ce n’est pas nécessairement de l’ordre de la contiguïté riche à soi, d’un corps qui se sent sentir. Alors comme évidemment il travaille à essayer de rapprocher ça d’un terme abstrait, la Gestalt lui offre toute sorte de ressorts dans la mesure où bien sûr l’érection phallique, c’est pratiquement un prototype de la figure-fond, de la saillance sur un fond, qui offrirait, dit-il souvent, à l’enfant, un choix forcé entre une image virile ou une castration, et à l’enfant, quel que soit son sexe. D’autre part il travaille sur ce qui peut par exemple au niveau de la succion du sein présentifier dans la pointe du sein et dans la forme de la bouche une sorte de subduction de la forme même de l’érection, de l’érectibilité du mamelon, qui comme ça passerait à travers l’allaitement, de l’imaginaire maternel à l’imaginaire infantile comme une sorte d’orientation, de pré-orientation de l’âme enfantine vers un certain type d’imago. C’est toujours dans une relation binaire - du plein et du vide, du saillant et du creux, du fond et de la forme - que c’est ce qui prépare à l’ordre symbolique quelque chose qui va très rapidement distinguer chez Lacan deux niveaux.

Il y a la question d’être ou de ne pas être le phallus, et puis il y a la question d’avoir ou de ne pas avoir le pénis. Et en réalité, la sexuation du garçon ou de la fille va  se jouer à ces deux niveaux. A la jointure de quelque chose qui est de l’ordre de l’imaginaire et du symbolique et qui permet de diviser les deux choses. Alors, du côté du garçon il est tout à fait clair dans la clinique en tout cas du névrosé que le pénis et la jouissance pénienne chez les petits intervient comme compensation de la frustration d’amour. Cette compensation de la frustration d’amour, qui permet au garçon de paraître avoir le pénis tout en n’étant pas le phallus - puisque justement il est de l’autre côté, il est du côté de la mère - est au ressort de la masturbation des petits. J’avais affaire récemment un cas un peu troublant dans la mesure où le souvenir jaillissait sans que je comprenne exactement pourquoi il jaillissait là et avec, je dirais, si peu de refoulement, d’un homme qui se souvient tout à coup de se masturber alors qu’il a 8 ans suite à une frustration particulièrement importante que lui inflige sa mère, et dans un mélange extrêmement impressionnant de chagrin et d’excitation maintenus comme pour ne pas mourir. La mère de ce patient étant par ailleurs probablement une femme schizophrène ou en tout cas une schizophénie dysthymique qui était très impressionnante pour le petit garçon. Pourquoi étais-je ennuyé ? Parce que cette masturbation, ce qu’on en connaît surtout, c’est la version freudienne, et qu’elle implique un puissant refoulement. C’est, en somme, la version du petit Hans, dans la mesure où la castration et tout simplement le fait que la jouissance de la masturbation infantile met le garçon devant une réalité toute simple, c’est qu’il n’a rien à donner qui coïncide avec la demande d’un adulte. Et que « il n’y a rien à donner », c’est tout simplement quelque chose qui n’a aucun sens pour l’érotisme maternel. Du côté de la fille, cette division entre être ou ne pas être le phallus, avoir ou ne pas avoir le pénis, est médié par la visée de ce qui manque à la mère au-delà de l’objet d’amour qu’elle représente. Et ce qui manque à la mère au-delà de l’objet d’amour qu’elle représente, amène aux yeux de Lacan l’être même de la petite fille à s’identifier à quelque chose de l’ordre du phallus. Avec ce qui reste à donner, qui est dans la résolution et dans la construction imaginaire et symbolique progressive de la chose, c’est qu’il y a un enfant à donner, au-delà de ma propre existence. Alors ce qui est très frappant à cet égard, c’est que le petit garçon comme la petite fille se croient l’un et l’autre dotés du phallus non pas en fonction de je ne sais quelle illusion d’optique plus ou moins aberrante, mais tout simplement parce qu’ils sont aimés.

C’est ça le point je crois tout à fait essentiel. Si on veut voir le point où est la présence justement de ce phallus qui n’est pas une sorte d’hallucination chez les petits comme s’ils attendaient de se baigner pour découvrir les uns avec les autres que les uns sont équipés et les autres non de l’appendice pénien. C’est que tout enfant qui est aimé et qui se croit aimé, ou qui hallucine qu’il est aimé, se croit par cela même équipé d’un phallus. Il se croit être le phallus. Et c’est à partir de ce point d’éventuel recul de l’amour maternel pour sa fille, qui est un point que Freud n’aborde pas vraiment, que va pouvoir se mettre en place la signification du fait de ne pas avoir de pénis. Et pas autrement.

Alors il y a un cas qui n’est jamais commenté dans la grande littérature analytique, bien malheureusement d’ailleurs, que je vous signale, qui est un cas extraordinairement riche d’hystérie féminine, allant jusqu’aux limites extrêmes pratiquement de la schizophrénie - puisque la femme en question a d’ailleurs été considérée comme une schizophrène - c’est le cas de Mme G. Ce cas a été exposé avec un flots de détails pratiquement invraisemblable par Robert Stoller, le psychanalyste du transsexualisme. On y voit très bien comment on peut arriver jusqu’à des points de délire, puisque cette femme, Mme G., ressentait à l’intérieur de son ventre la présence d’un pénis en érection. Et ce n’était pas une cénesthésie psychotique délirante. Stoller raconte l’évolution progressive des relations de cette femme avec son mari, ses enfants, sa propre famille, son destin, et finalement elle trouve une sorte d’étayage homosexuel particulier pour elle, mais qui montre quelle proportion peut prendre l’intrusion imaginaire de cette question du pénis lorsque la perte de l’identité phallique signifierait à la limite l’éclipse du sujet, son aphanisis. C’est un très joli cas, qui n’est jamais commenté et qui est à mon avis tout à fait riche.

Alors voilà un peu du côté de la Gestalt, des formes, le travail de subduction imaginaire qui se passe. Du côté des symboles au sens plus généraux, je crois que la culture classique de Lacan l’amenait à donner au phallus la fonction qu’il a dans la comédie antique et dans la comédie moderne. En particulier je crois par exemple à la monstration par excellence du phallus dans la comédie ancienne, qui est la fin de La paix d’Aristophane, dans laquelle les personnages sur scène amènent sur le devant un gigantesque phallus honoré comme l’objet sacré qu’il est. Je vous rappelle que l’intrigue de La paix, c’est que les femmes d’Athènes, lassées de voir leur mari partir sans cesse à la guerre, décident la grève des rapports sexuels jusqu’à ce qu’elles obtiennent que leur mari revienne et au lieu d’aller piller et éventuellement coucher avec les femmes des vaincus, et qu’ils honorent la couche de leurs épouses légitimes. Alors ça c’est tout un premier registre que nous connaissons bien, qui est lié également au registre des mystères, au commentaire sur le phallus des mystères que fait souvent Lacan, dans lequel justement ce qui est montré, et uniquement aux femmes, c’est l’objet ultime, dévoilement ultime, et où tout ce qui compte dans l’initiation c’est le chemin, et non pas ce qu’on montre en dernier lieu. Il y a également toute la question de la circoncision, dont je vous rappelle que c’est toujours en droit français ce qu’on appelle un « mystère juridique », puisque personne ne sait pourquoi on a le droit de circoncire. Le fait est qu’on circoncit, mais il n’y a fondamentalement en droit aucune justification à un acte qui est un acte mutilant et qui n’est pas motivé par des considérations sanitaires…

-          Ce n’est pas considéré comme une mutilation sexuelle ?

-     Il y a plusieurs écoles, mais ce que j’ai beaucoup aimé dans la formule de ça, c’est l’idée que ce soit un « mystère juridique ». C’est que pour nous, ce n’est pas devenu un mystère au sens religieux, mais c’est quelque chose qui existe dans les poches de nos règlements. Les gens circoncis ne se plaignent pas d’avoir été circoncis. Et on se demande ce qui se passerait si quelqu’un venait demander à ce qu’on aurait pas, au motif que quand il était petit, etc…

-          Ce n’est pas du tout comme l’excision ?

-    Non, mais c’est pas du tout parce que quelqu’un a décidé que ça ne l’était pas. C’est ça qui est très intéressant. C’est juste parce qu’il n’y a pas de gens qui portent plainte pour… C’est ça qui est très curieux.

-          C’est pas du tout ce que Derrida raconte là-dessus !

-          Je n’ai pas lu…

-          Dans Circonfession

-          Oui, alors j’ai lu Circonfession. Alors ce qui fait la teneur des considérations que Lacan essaie d’en extraire. C’est que le phallus qui l’intéresse, c’est le phallus qui fait lien à travers les générations, c’est-à-dire qui fait lien de manière à ce que par les opérations symboliques dans lequel le phallus est impliqué, quelque chose traverse la succession des générations et donc présentifie aux yeux des vivants les morts. Les rituels de circoncision dans la religion juive sont bien connus, n’est-ce pas, avec le mohel qui vient, etc, le type de solidarité que ça crée entre le père et fils au moment de la circoncision du petit-fils, etc. Je dirais qu’on pourrait le généraliser à toute sorte d’autre chose. Ce qui est très curieux, c’est que tout à l’heure on était dans le registre imaginaire de la vie, de l’éréthisme, etc… Ici on se trouve beaucoup plus en face de  gens qui apprivoisent la mort. Il s’agit d’apprivoiser la mort. C’est-à-dire de faire en sorte que de génération en génération, quelque chose passe, qui fasse qu’on puisse rappeler et se rappeler à la présence et aux yeux des morts en perpétuant par une opération qui implique quelle part du phallus la présence de ceux qui ont disparu. Alors, c’est là où les choses se conjoignent, dans la mesure où évidemment, cette liaison transgénérationnelle a une texture anthropologique évidente, et que la question d’être ou de ne pas être le phallus et d’avoir ou de ne pas avoir le pénis se trouve du coup inséré dans une problématique du don, de la circulation, qui fait que dans cette transmission entre les générations, ce qui est donné aux vivants, c’est un symbole qui par certains aspects les mutile ou leur demande quelque chose concernant leur fonction de reproduction - de sacrifier tel ou tel objet d’amour, de sacrifier une partie du corps comme le prépuce, etc. - mais qui en même temps humanise ceux qui s’y soumettent.

C’est par le don qu’on accède primitivement, dit Lacan, à la distinction entre le signifiant et le signifié. Si le signifiant et le signifié se détachent, c’est parce que le don est par définition la constitution d’une dimension symbolique au delà de l’objet lui-même. Parce que l’objet vaut pour un autre, qui permet de le donner indépendamment de ce qu’il est. A ce moment-là, ce qui se répercute, c’est que le phallus devient le signifiant, dit Lacan, de la différence entre la demande et le désir. Ça devient un signifiant de la différence entre la demande et le désir, au sens précis où la demande - et je reviendrai tout à l’heure là-dessus - ne sait pas ce qu’elle demande au delà de ce qu’elle demande. Et que l’objet du don qu’elle appelle est un objet qui est si intime, si caché, qu’il ne pourrait prendre finalement comme forme que celle de l’objet ultime : le phallus. Le phallus en tant précisément que soustrait à la vue, à la conscience de chacun des partenaires.

Alors c’est là où je boucle mon affaire en disant que quelque soit la richesse des références de Lacan à l’ancienne comédie, c’est beaucoup plus dans la comédie moderne que vous observez comment fonctionne cette différence entre la demande et le désir. Je pensais surtout à Marivaux, dans la mesure précisément où dans Marivaux, le ressort de la comédie, le ressort captivant de la comédie, c’est que les gens ne savent pas ce qu’ils demandent, et à la fin, une fois que le désir a bien circulé entre tous les individus, clac ! c’est le mariage. Et tout cela se termine par le pacte qui vient celer que le marivaudage s’arrête en même temps que la comédie et que les individus se retrouvent liés et soudés par un arrangement symbolique qui rétrospectivement fait apparaître que le meilleur moment, c’est ce qui se passait avant. J’ai quand même été frappé du fait que Marivaux a quand même été sensible de ce qu’il pouvait présentifier du phallus dans la langue classique de l’auditoire qui était le sien, puisque bien sûr on ne peut se servir du procédé standard d’Aristophane qui consiste à carrément installer le phallus sur le devant de la scène. On fera attention au rôle que joue les personnages déformés, à bosse, dans les dernières répliques des comédies de Marivaux, en particulier comment le bossu, en général le Barnabé compagnon du jeune homme qui a réussi à conquérir la jeune fille, ne manque jamais d’indiquer, une fois que tous les personnages ont quitté la scène que tout ça, ça va se terminer par une grossesse, avec un geste qui est toujours calculé dans la comédie classique pour aller évoquer l’obscénité sans jamais en franchir le seuil.

Alors, c’est là où justement : est-ce que les deux choses peuvent se rejoindre ? Est-ce que ce qu’on peut comme ça évoquer, d’une sorte de généralité du vivant, de généralité des processus vivants va pouvoir coïncider avec ce qui ultimement serait une universalité des processus symboliques ? Certainement pas, dans la mesure où la vie, la vie pure, l’éréthisme de l’excitation, rencontre dans le symbole phallique une barre. La barre, celle des écritures lacaniennes, celle qu’il y a dans ces espèces de fractions qu’on voit un petit peu partout, c’est la même barre que celle qui barre S dans ces écritures. On ne peut pas en quelque sorte écrire F/f, dans la mesure où la barre elle-même est déjà le F. Cet espèce d’arrêt imposé par la fonction purement symbolique du phallus à l’émergence de la vie, est une barre qui en même temps semble déjà toucher quelque chose de réel.

J’avais là aussi prévu de faire un petit développement sur un patient masochiste, de ces gens n’est-ce pas qui se font fouetter. Vous savez que la flagellation est une des conditions d’accès aux Mystères, dans l’Antiquité. Il n’y a de possibilité d’arriver à la contemplation du dernier objet que par le biais de coups que le sujet reçoit. C’est extrêmement difficile, c’est une question qui me préoccupe beaucoup, de savoir si les pratiques masochistes contemporaines, pourraient comme ça, par je ne sais quelle analogie transculturelle, ressembler à ce qu’on trouve dans d’autres cultures. Mais si on renonce à l’analogie pour simplement indiquer le point où la douleur des coups devient un des moyens de rendre l’excitation sexuelle - puisque ça déclenche une excitation sexuelle - plus vive, dans un registre qui n’est pas accessible à la plupart d’entre nous, qui est un registre pervers. On se rend bien compte que le coup imposé par certains mots - il y a des mots qui sont des coups - vient résonner je crois dans le même ordre de réel, si vous voulez, que la flagellation, chez certaines personnes. Et dans les fantasmes obsessionnels, par exemple, on voit de manière surabondante des représentations de flagellation (je vous avais parlé cette année du cas de monsieur D. qui s’était fait expliquer par les religieux qui l’éduquaient que chaque fois qu’un enfant faisait une bêtise, c’est comme s’il prenait un roseau et frappait le Christ au visage, et qui en avait donc intériorisé les interdits sur un mode tel que le sang coulant du visage du Christ devenait une image intolérable qui le hante à l’arrière-fond d’un certain nombre de ses obsessions). On voit qu’ici ce ne sont pas des coups qui sont donnés. Ce sont des mots qui fonctionnent comme des coups.

Alors à partir du moment où il y a une barre, entre les 2 côtés, entre le côté du phallus imaginaire et le côté du phallus symbolique, Lacan opère un retournement, que je n’ai pas tellement pu localiser dans un texte précis, mais qui me paraît être le suivant : c’est que du coup, F (le phallus symbolique), symbolise tout le symbolique. C’est-à-dire tout ce qui se trouve au-delà de la poussée de la vie. Qui fait barre à la poussée de la vie. Et qui symbolise donc aussi bien quelque chose de l’ordre de la mort, que de l’ordre d’une vie éternisée par son élévation à une fonction symbolique. Autrement dit, le phallus, c’est le signifiant de l’action ultime du signifiant sur le signifié.

Et c’est en ce sens que ce que le phallus dénote, dit-il quelque fois, c’est le pouvoir de signification. S’il y a quelque chose qui justement peut nous arracher à la coaptation du mâle et du femelle, de la forme et du fond, de l’épée et du fourreau, pour prendre les éternelles métaphores stoïciennes, c’est précisément l’introduction de cette dimension. Alors c’est là où la réponse à l’échec immédiat - n’est-ce pas, cette histoire de signifiant phallique, c’est contradictoire dans les termes, c’est impossible en terme saussurien ou structuraliste ordinaire de trouver quelque chose comme un signifiant phallique - c’est que ça représente le pouvoir même du signifiant. Et ça symbolise le symbolique lui-même. Ça veut dire, deuxième conséquence qu’il faut en tirer, que le signifiant phallique n’est pas un signifiant parmi les autres. Il est le signifiant qui met en fonction les autres signifiants. Et le phallus imaginaire devient l’objet ultime de cette action. Par là, ce caractère exceptionnel du signifiant phallique, c’est que ce serait le seul qui se signifie lui-même, mais qui se signifiant lui-même reste pour autant innommable.

Alors, je crois que c’est extrêmement difficile d’essayer de montrer à quoi correspond cliniquement et où va-t-on repérer dans ce que raconte quelqu’un quelque chose qui indique sa soumission à un ordre de ce type. J’ai parlé des coups…

-    Oui justement, est-ce que je peux poser une question ? Quelle est la différence entre les flagellations, les tableaux de flagellation par exemple comme celui de ……….. qui n’a strictement rien à voir avec quelque chose je dirai de pervers. Et puis les Saint-Sébastien percés de flèches. Alors là, franchement, quand tu vois les Saint-Sébastien, tu es devant des tableaux pervers. Ils sont empalés, etc… Le Christ de ……… , il n’a pas l’air de souffrir énormément, il est l’objet de négociations entre divers…

-     Je te fais une réponse comme ça, c’est vrai que… bon, ça ne fait pas non plus 30 ans que je suis analyste, je n’ai jamais entendu de fantasme de transfixion, au sens où les gens seraient percés. Je crois que ce qui suscite effectivement une question particulière (ce n’est pas une question de limitation de l’imaginaire ou de limitation de ce que j’ai pu entendre), c’est vraiment l’idée qu’il y a des traits qui sont portés sur… C’est aussi certainement lié au fait que ce qui transperce tue, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais c’est certainement plus facile d’élever la balafre à la dimension d’un signe que ce qui perce.

En tout cas, là où moi je cherche plutôt à saisir le grain de ce type d’expérience, c’est que le sujet précisément quand il est pris dans cette dimension phallique, il s’éprouve sans se saisir. C’est lié à cette expérience particulière de s’éprouver sans se saisir du fait de s’éprouver. Ça n’a strictement rien à voir par exemple avec ce qui pourrait être une forme de cogito sensible dans lequel le fait de se sentir se sentir produirait par cela même une capacité à s’individuer ou à se sentir exister comme sujet. C’est quelque chose de beaucoup plus subtile, dans la mesure où à s’éprouver sans se saisir complètement, toute cette organisation très particulière du rapport du corps vivant à lui-même, ses formes et ses images, se trouve inscrit littéralement sur un fond qui le dépasse et lui permet de faire de sa vie quelque chose qui reste un point d’interrogation tout en ne le délitant pas. Et à ce niveau-là, je crois que l’expérience de l’identification phallique fondamentale, celle qui permet à un sujet d’avoir un corps à soi, cette expérience-là n’est pas autre chose que la possibilité de s’éprouver sans se saisir, tout en laissant à l’autre quelque chose de l’ordre d’un privilège à l’égard de ce qui est senti dans ce que je sens de moi-même. Il y en a plein de figures de ce genre de chose, mais lorsque Lacan va parler par exemple du stade phallique et qu’il va essayer de répondre à cette vieille polémique avec Jones, etc, sur ce que c’est que la phase phallique, le moment où un sujet s’identifie au phallus comme objet du désir de la mère, etc… il marquera une chose très importante. Comme vous le savez, chez Lacan, il y a un refus absolu de l’idée de stade pré-oedipien. Chez Lacan, il n’y a de stades que pré-génitaux, ce qui est très différent. Le pré-eodipien, qu’il ne nie pas d’ailleurs parce que forcément il y a des choses qui existent, est psychanalytiquement inaccessible. C’est un effet de rétroaction de la constitution de l’expérience génitale comme étant une expérience de décharge non dissolvante, non anéantissante, que prend sens rétroactivement l’oralité, l’analité, etc… Et c’est à partir en quelque sorte du phallus, que le sein peut passer pour un précurseur du phallus, c’est à partir du phallus que les excréments peuvent à leur tour passer pour des précurseurs prégénitaux, et non dans une sorte d’intégration développementale extrêmement étrange, ces objets se transformer les uns dans les autres, être introjectés puis projetés, comme dit Mélanie Klein. Alors, c’est aussi sa manière de comprendre, puisque ces stades sont associés à une théorie de la fixation et de la perversion, que ce que c’est qu’une perversion. Eh bien ce n’est rien d’autre que de s’identifier à l’objet positivé du désir d’une mère aimée. Non pas justement en quelque sorte au phallus en tant qu’il ouvre à cette dimension qui est au delà de lui, mais en renonçant à cette dimension qui est au delà de lui, la dimension de Φ, de se replier sur une positivation du phallus à l’intérieur par exemple des excréments, ou bien de l’excitation orale, ou bien des objets de la bouche, etc… Ce qui est tout à fait sensible. C’est-à-dire que le choix de l’objet de l’excitation perverse, c’est une positivation qui essaie de maintenir l’existence du phallus autour duquel se construit le moi pervers, en évitant cette espèce d’effet d’inscription de fait transcendant du Φ. Seul le phallus, en tant qu’il est mise en forme de l’expérience génitale, permet ce passage au-delà. Alors, ça pose des questions très délicates de l’interprétation de ce qu’on trouve par exemple chez les enfants, mais il est certain que le seul biais thérapeutique dont on dispose jamais avec les enfants, il est toujours au niveau du stade phallique. Il peut même éventuellement être de l’ordre de l’injection forcée de quelque chose de l’ordre d’un symbolique chez des enfants très petits. Mais on ne peut pas à proprement parler analyser en tant que tel quelque chose comme une phase anale ou bien des phénomènes de ce genre. Lorsque ces phénomènes sont au premier plan, c’est d’ailleurs ce qui arrive quelques fois - donc des enfants qui se mettent à jouer avec leurs excréments de manière absolument angoissante - on est souvent amené à poser le diagnostic de schizophrénie précoce. Ça veut dire que justement il y a dans ces objets qui sont des objets évidemment investis, quelque chose qui échappe totalement à une dialectique de type phallique. Alors, de tout cela, Lacan tire, vous le savez, dans les années 50-60…

-          Qui n’est pas du tout objet de refoulement…

-          Alors ça, non…

-          Alors que, effectivement chez les enfants « ordinaires »…

-  Oui, chez les petits névrosés, il y a ce refoulement, et on y a accès que par la phallicisation des objets à leurs objets par exemple fécaux. Ça aboutit chez Lacan à une théorie très simple de la fin de l’analyse, qui est une théorie assortie à cette conception de l’imaginaire. cette théorie est toute simple, c’est que terminer une analyse, c’est faire le deuil du phallus. C’est faire le deuil du phallus une fois qu’on a fait le tour des demandes d’amour qui visaient l’au-delà de l’autre. Et qui essayaient d’extraire de l’au-delà de l’autre, dans évidemment le transfert et la figure récapitulative et l’espace de jeu, quelque chose de l’ordre du phallus. C’est la manière dont il conçoit, Lacan, le fait que la libido refoulée, c’est la libido portant sur les investissements pervers. Alors on arrive ainsi à ce que Lacan appelle le – φ, qui est en quelque sorte l’accès à l’angoisse de castration. Le « moins » de – φ étant, si vous vous rappelez les écritures lacaniennes, l’équivalent des parenthèses autour du a, c’est-à-dire ce qui dessine le trou dans lequel l’objet tombe. Alors, lorsqu’on dit que cet objet, que ce deuil du phallus n’intervient que quand on a fait le tour des demandes symboliques d’amour, qu’est-ce que c’est que l’amour, c’est extrêmement crûment le désir du désir. Ce que c’est que l’amour, c’est désirer être désiré. C’est se sentir désirant uniquement du fait d’être désiré, et désiré uniquement du fait d’être désirant. Désiré pour son désir. C’est particulièrement probant ce genre de choses, si vous pensez à la cure de l’hystérie mâle. La cure de l’hystérie mâle est effectivement un procédé qui amène les individus à déborder de leur être, et par là en quelque sorte à lâcher sur les stratégies de séduction précisément ce qui barre l’accès à la jouissance sexuelle. Dans la mesure justement où l’hystérie mâle se caractérise par cette asymétrie entre des postures phalliques et l’impuissance, des espèces de décalages de ce genre. Alors le problème est le suivant : c’est que si cette convergence imaginaire et symbolique est assurée par le signifiant phallique, eh bien on se retrouve devant le problème que j’ai soulevé la dernière fois, c’est que ce n’est plus du nominalisme. C’est-à-dire que Lacan ne serait plus nominaliste pour au moins un signifiant, qui serait le signifiant phallique, puisqu’en fait il est totalement soutenu et supporté par une mise en scène dans la réalité biologique, organique, physiologique, de la population. Alors, la réponse que donne Lacan et qui m’est apparue encore plus vivement quand je n’ai pas réussi cet après-midi à vous présenter en détail un cas - ce qui donne à ma dernière séance un caractère un peu abstrait - c’est que tout cela ne cesse, cette illusion que Lacan ne serait pas nominaliste avec le phallus, ne cesse que lorsqu’on s’aperçoit que le symbole phallique permet de mettre en question l’existence du sujet. Autrement dit, ce qui est la thèse la plus forte de Lacan, c’est que le phallus permet au sujet de se mettre en question, aussi bien dans le champ du réel que dans le champ du symbolique. Qu’est-ce que j’appelle cette mise en question ? Cette mise en question, c’est quelque chose de très différent de la radicalité de la mise en question philosophique. Il ne s’agit pas ici de se demander pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien. Il ne s’agit pas de se demander ici pourquoi c’est moi qui suis moi. Il s’agit précisément de sortir de cette orbe de questions qui contamine beaucoup quelque fois la perception qu’on a de Lacan, non pas en disant que ce sont des questions qui servent à refouler Dieu sait quoi ! Non, en disant qu’il y a un autre type de questions, de questions subjectives qui sont liées à la mise en question de l’existence du sujet par son inscription phallique. C’est : « pourquoi est-ce que je suis un homme ou une femme ? ». C’est : « pourquoi suis-je à cette place dans la filiation ? ». De montrer que ces questions sont les questions qui sont cachées dernière les symptômes. Tout symptôme, d’une certaine manière, est une question. C’est-à-dire qu’on vient comme ça avec une question sur un trouble de la jouissance, voir un analyste, dans la mesure où ces symptômes sont des sortes d’avancées timides, prudentes, et à chaque fois très idiosyncrasiques, vers la question de savoir pourquoi est-ce qu’il m’arrive ceci dans ma vie ? Qu’est ce que c’est que cette espèce de perte éprouvée ? Mais elle s’inscrit non pas dans une sorte de phénoménologie du « pourquoi est-ce que je suis ce que je suis ? », elle s’inscrit de façon extrêmement crue : « pourquoi est-ce que je serai plutôt un homme qu’une femme », « pourquoi tel ou tel de mes plaisirs sont teintés de telle ou telle de ces nuances », « pourquoi telle ou telle image, ou présence, ou destin, ou fatalité familiale semble s’abattre sur moi – ou, il ne faut jamais l’oublier, on peut faire aussi une analyse pour ça - sur mes enfants » ? Alors, ce déplacement-là, je crois que c’est très important parce que moi je ne pense pas que la croyance dans l’inconscient soit un critère indispensable à faire des analystes. En revanche, ce qui à mon avis est un critère indispensable pour faire des analystes, c’est que la question soit posée dans ce registre, et pas dans le registre philosophique de la mise en question portant sur l’être. Pas : « pourquoi il y a-t-il de l’être plutôt que rien ? Pourquoi est-ce que je suis ce que je suis ? Pourquoi est-ce que la vérité est la vérité ? », etc… C’est dans un registre extrêmement décalé, et on y accède qu’à partir de cette situation du signifiant phallique. Je crois que la croyance dans l’inconscient - qui est certainement évidemment j’exagère exigible de quelqu’un qui voudrait devenir analyste - cette croyance dans l’inconscient elle ne peut être une croyance autre qu’idéologique, et une croyance authentiquement subjective, pas suggérée par une lecture par exemple, ou des enseignements, que dans la mesure où elle procède de cette manière de s’interroger sur soi qui consiste à se mettre plutôt dans l’axe de la question posée par le signifiant phallique, de poser son existence dans l’axe de cette question. A cette condition seulement, on se décentre je crois effectivement de ce qu’on a pu appeler le phallocentrisme de Lacan. Le phallocentrisme de Lacan n’est pas une manière d’harmoniser comme ça des représentations imaginaires et des représentations symboliques ou culturelles. Ce phallocentrisme, c’est un phallocentrisme qui met en jeu l’existence du sujet. Et c’est là où je crois que la première théorie du phallus chez Lacan, du signifiant phallique émerge dans toute sa pureté : pourquoi Schreber ? La fameuse métaphore du Nom-du-père, dans le commentaire que Lacan fait de Schreber, cette métaphore du Nom-du-père, qui est écrite par Lacan, en 56, avant que Lacan je vous le rappelle, n’ait défini le sujet comme ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, c’est quelque chose de tout à fait antérieur, cette métaphore du Nom-du-père est une manière de dépsychologiser, de désociologiser l’Œdipe des commentateurs sportifs de la radio, dans lequel il paraît qu’il faut que le père soit là, que la mère soit vachement gentille avec le papa parce que sinon il va se passer des choses épouvantables, et pour lesquels bien évidemment il ne faut surtout pas qu’on confie des enfants à des parents homosexuels, parce que ce serait complètement incompatible avec le développement…, enfin tout le vocabulaire de la psychogenèse, des généralités statistiques qu’on peut développer là-dessus. Alors évidemment, l’idée de Lacan c’est de se débarrasser une bonne fois de cette espèce de chose, en essayant de dire qu’au fond, d’abord on devrait s’interroger sur le fait qu’il y a des tas de familles dans lesquelles le père est mort et où les enfants ne sont pas fous, ce qui montre bien que l’absence du père n’a strictement rien à voir avec la folie des enfants, et que justement c’est là où l’on est obligé, précisément dans ces cas où il n’y a pas de père, et où la mère élève seule l’enfant, de bien se rendre compte du fait que la réalité n’a rigoureusement rien à voir avec quelque chose qui est de l’ordre du subjectif. Puisque c’est non pas l’absence plate du père qui compte, mais ce qui est symbolisé comme étant le père manquant, ou le père qui n’est pas là. Et le simple fait d’être un père mort est tout à fait suffisant pour faire de vous un père symbolique. Dans la mesure où justement ce père mort est symbolisé comme père mort, en tant que père mort. Alors tout ça me paraît… je fais ce petit a parte parce que je lis des choses tellement consternantes, prétendument psychanalytiques sur ces histoires d’homoparentalité, je trouve tout à fait frappant que les couples puissent vouloir instituer un tiers dans leur relation à des enfants qu’ils adopteraient, et qu’au nom de la psychanalyse, et parce que ce tiers apparaît à des gens comme n’étant pas le tiers qu’il faut, qui correspondent à ce qu’ils s’imaginent devoir être le symbolique, on leur refuse. Il y a là quelque chose de complètement tordu dans la représentation post-lacanienne, je dirais entre l’imaginaire et le symbolique qui est extrêmement inquiétante. Nous savons tous, tous les gens qui ont pratiqué l’analyse que ça fait belle lurette qu’il y a des couples d’homosexuels qui ont élevé des enfants, et que ces enfants ne sont pas nécessairement schizophrènes, et qu’on peut parfaitement être hétérosexuels et fabriquer des débiles mentaux ou des psychoses infantiles en série. Et que donc il y a là une économie je dirais complètement absurde des choses, qui parfois invoque la psychanalyse et parfois même avec la psychanalyse lacanienne, avec laquelle je ne suis absolument pas d’accord.

-          On parle même de la bêtise…

-   Non, ça relève du symptôme. La bêtise, ça n’existe pas. Les gens sont tous intelligents, même les débiles mentaux. Les débiles mentaux, ce sont soit des pervers, soit des psychotiques. Mais ils ne sont pas débiles. Non, la bêtise… ou alors la bêtise au sens de la jouissance prise à maintenir ses théories sexuelles infantiles jusqu’au bout. Ça c’est sûr, il y a des gens qui pensent que leur papa est tellement bien que le problème des autres c’est qu’ils n’ont pas un papa comme le leur. On n’y peut rien. Alors ça effectivement, ça ça fait partie de la bêtise. Mais elle n’est pas consubstantielle à la psychanalyse malgré le spectacle qu’on a sous les yeux aujourd’hui. Alors en déplaçant les choses en terme de signifiant, à quoi on arrive ? On arrive à cette idée que c’est la place faite au père symbolique qui était ponctuellement le père mort, et qui peut-être n’est jamais plus symbolique que quand il est mort et quand justement il ne gâche pas tout avec ses comportements ridicules et pathétiques de père - au moins quand il est mort, on peut le sacraliser un bon coup et lui faire tout honneur - qu’une mère est capable de donner forme à ce qui est signifié au sujet de son propre désir, et le Nom-du-père qui est le signifiant grâce auquel la mort ou l’absence du père est donné comme absence, en tant qu’absence. On se retrouve de l’autre côté, en faisant tomber de l’Autre, de l’Autre maternel, quelque chose qui manque à cet Autre et qui est le signifiant phallique. A / phallus, c’est la même chose que A barré = A – Φ. Ce grand A d’où est tombé le signifiant phallique, c’est la même chose que grand A – Φ. Ceci n’est possible que par l’opération du Nom-du-père. Et le Nom-du-père, ce n’est pas le patronyme, vous le savez, c’est ce qui peut permettre au patronyme de jouer son rôle d’ancrage symbolisant l’absence du père. Alors pour que le père ait une présence symbolique, les cultures peuvent multiplier les rapports, entre le père qui existe et l’ensemble de la filiation dont il est issu, qui renvoie toujours n’est-ce pas à une sorte d’ancestralité toujours plus noble, toujours plus illustre. Et Lacan comme vous le savez, a beaucoup insisté sur le fait qu’un des problèmes des sociétés modernes, c’était que le Nom-du-père est mis en péril par les pères existants dans la mesure où l’humiliation constante dans lequel sont plongés les êtres humains par l’ordre social dans lequel ils vivent fait que les défauts du père existant, qui sont patents, sa fragilité, et les crises économiques des sociétés modernes ne font qu’exhiber de manière de plus en plus crue et de plus en plus cruelle, et menacent à tout moment la capacité de la mère à viser dans le père quelque chose de plus que l’homme qui partage sa couche. Alors, chez Schreber, c’est ça qui je crois est la très grande force de l’analyse de Lacan, on voit très bien pourquoi le symptôme fondamental de vouloir se transformer en femme qui fait du cas Schreber un cas de psychose pour la psychanalyse, puisque c’est directement une sorte de transformation sexuelle, dans le cas Schreber, on voit très bien que le défaut de Nom-du-père rejaillit dans la mise en place de la fonction phallique au niveau même de la vie. C’est là qu’il faut se rendre compte que les dépressions psychotiques, ce que Schreber appelle dans son langage, la Grundsprache, le meurtre d’âme, le trou qui est fait dans l’expérience de la vie chez un psychotique, par la forclusion du Nom-du-père, provoque un type de dépression qui a une qualité, une qualité existentielle sans aucune espèce de rapport avec ce dont se plaint un névrosé. C’est véritablement une fêlure qui vient rejaillir à la jointure de la vie dans la définition même de la cohésion à soi du psychisme. La solution ultime que trouve Schreber, comme vous le savez, qui consiste à délirer pour se retrouver à la fois n’est-ce pas la femme qui manque à Dieu et la mère qui manque aux hommes, consiste à s’expédier complètement du côté féminin, et à faire exister une représentation délirante de la femme, sa propre transsexualisation, comme un arrimage redonnant à sa présence phallique non castrée une teneur qui lui rende la vie vivable. Et comme Lacan aussi bien que Freud le note, le moment d’équilibration avant la crise finale et la destruction de Schreber, là où il va bien, finalement, c’est au moment où il se transsexualise. Un petit peu comme si par un phénomène d’épure de toutes les lignes de force de sa psychose, le point de transsexualisation était un point d’équilibre. Les gens que vous avez certainement vu à l’hôpital, qui connaissent des phénomènes schrebérien ne sont pas toujours comme ça. On a souvent plus l’impression que les phénomènes de transsexualisation qu’ils éprouvent font partie de la crise plutôt qu’ils ne la résolvent. Donc il faut faire très attention à ce qui est véritablement l’économie symbolique de ce genre de choses. Ce n’est pas parce que quelqu’un a un délire qui se développe comme un délire schrebérien qu’on va arriver à une stabilisation délirante. Il faut considérer les éléments en jeu. Mais alors justement, qu’est-ce qui se passe au dernier degré de cette stabilisation ? Le Dieu de Schreber lui apparaît, avec cette fameuse parole : « …….. ». Tout non sens, alors c’est l’Aufhebung hégélienne, à la fois s’abolit, se conserve, puisqu’effectivement, le Nom-du-père ressoude, la construction substitutive ou palliative à l’absence du Nom-du-père qu’est le délire de Schreber permet d’obtenir cet effet extraordinaire que lui envoie une voix, puisque le signifiant parle dans le délire de Schreber, le signifiant parle de lui-même, le langage dit de lui-même ce qu’il doit être, c’est ça la teneur des hallucinations, avec cette phrase incroyable : « tout non sens s’abolit ». Et en écho, dans le délire : « Dieu est une pute ». L’autre phrase, qui vient symétriquement, puisqu’à partir du moment où il s’agit de tenir cette tension, l’Autre non barré de manière phallique apparaît comme étant une sorte de chose que rien ne retient, et dont on ne sait pas très bien jusqu’à quel point elle peut pousser l’obscénité dans les incitations, stimulations, et phénomènes corporels angoissant qu’il inflige par ignorance – le Dieu de Schreber ne comprend pas comment fonctionnent les hommes – au pauvre Schreber. Alors, je vous dirai juste une toute petite chose sur ce sujet sur monsieur D. puisque j’en ai parlé cette année, sur un des traits qui avait amené une petite discussion avec Geneviève Morel, sur la question de savoir si la question lien du sang faisait partie justement de ces signifiants refoulés dans l’Autre dont les symptômes présentent constamment le retour. Je vous ferai remarquer que dans la névrose obsessionnelle à grande échelle de monsieur D., un des traits symptomatiques les plus impressionnants, et qui lui a posé dans sa vie des problèmes majeurs, c’est la chosification de la lettre, avec une sorte d’aversion pour la lettre, comme étant précisément ce qui présentifie l’absence. Avec ce phénomène très curieux qu’il ne peut lire de livres que de livres dont il a vu le film parce que vient soutenir à tout moment l’activité d’intelligence du texte, une sorte de présentification imaginaire en continu, qui lui permet toujours d’anticiper, et d’éviter ce temps de suspens où la phrase n’étant pas finie, où le chapitre n’étant pas finie, l’histoire étant ouverte par le processus même de l’écriture et de la symbolisation, quelque chose pourrait s’ouvrir de beaucoup plus angoissant. C’est lui qui avait ce phénomène ahurissant quand il était enfant, d’apprendre par cœur des textes, et de ne pouvoir se rappeler que soit de l’image des mots, soit du sens. Mais jamais des deux. Et donc de souffrir pour réciter par cœur une phrase de quelques lignes, parce que soit il récitait sans comprendre un seul traître mot ce qu’il était en train de lire, mais dans l’ordre dans lequel les signifiants se présentaient, et c’était absolument épuisant de mémoriser comme ça, soit il se rappelait très très bien ce que lui racontait la fable de la Fontaine, mais il était impossible pour lui de restituer à la lettre le texte de la fable. Même chose avec le latin… Une espèce de clivage absolument extraordinaire entre le signifiant et le signifié, liés précisément à ce défaut qui apparaît évidemment maintenant avec le recul et les séances admirablement, à ce défaut de soudure paternel symbolique et phallique des deux dimensions. Alors les liens du sang, cet espèce de mots qui comme les enfants obsessionnels il prend au pied de la lettre, les liens du sang sont expulsés dans l’Autre, et font retour à travers le sang qui coule et ruisselle partout sur tous les personnages aimés, ce qui anime sa fantasmagorie obsessionnelle. Juste deux choses sur la différence des sexes et le rapport sexuel, et puis sur le dernier Lacan, le plus obscur, n’est-ce pas, celui des quanteurs de la sexuation dont j’avais parlé déjà l’an dernier. Je vous rappelle, que contrairement à ce qui se raconte, la psychanalyse n’a rien à faire de la différence des sexes. On est tellement envahi par les opinions des psychanalystes sur la différence des sexes qu’on oublie la mise en garde de Freud selon lequel il y a plusieurs façons de la définir. Soit sociologique, soit biologique à l’égard de la reproduction, soit par une opposition de type psychologique entre l’actif et le passif. Freud étant d’ailleurs relativement réservé semble-t-il sur les déterminants sociologiques de cette opposition. Ce qui est très important, c’est de bien voir que les enfants ne se posent aucune espèce de question, dit Freud, sur le fait qu’il y a des hommes et qu’il y a des femmes. Que la question des enfants, c’est : eux, d’où ils viennent ? D’où viennent les enfants ? Et non sur le fait qu’il y ait des hommes et des femmes. Et d’ailleurs, c’est même tellement sans rapport que la question de savoir d’où viennent les enfants sera très très progressivement rattachée par une théorie sexuelle infantile et par ses remaniements successifs à l’idée qu’il y a de la différence sexuelle et qu’elle joue un rôle dans la reproduction. Ce qui est d’ailleurs extrêmement facile de faire valoir, n’est-ce pas, nous croyons tous que si nous existons, c’est parce qu’il y a eu un rapport sexuel entre nos parents. C’est juste que c’est la dernière théorie infantile sexuelle qui tienne et qui est relativement compatible avec la réalité. Ça n’a absolument rigoureusement aucune espèce de fondement. Pourquoi ce serait comme ça plutôt qu’autrement ? Alors, ça n’empêche évidemment cette définition de la différence des sexes peut être contradictoire. Mais qu’elle soit contradictoire, ça n’empêche pas d’exister. C’est-à-dire qu’on puisse parfaitement construire des contradictions entre l’aspect sociologique et l’aspect biologique, et tout ce que vous voulez, toutes les situations les plus extraordinaires, ça n’empêche nullement ces catégorisations, parfaitement bien implantées, de fonctionner. C’est ce que vous avais expliqué la dernière fois sur l’idée de nominalisme. Le nominalisme ne dit pas que ça reflète l’essence des choses. Il dit que c’est bien implanté. Et que si vous voulez le remettre en question vous êtes obligé de vous en servir. C’est le point essentiel des choses. La question du rapport entre les sexes est tout autre. Elle est tout autre. D’abord, la question du rapport entre les sexes, elle est liée au fait que nous parlons, et que si nous parlons, c’est absolument coextensif du fait, que de rapport entre les sexes, il n’y en a pas. Cette phrase : « il n’y a pas de rapport sexuel », dont on peut se gargariser, faire des titres de romans, dire « comment est-ce que Lacan a pu dire une chose aussi absurde ? ». Il ne s’agit pas non plus de dire que le fait que nous parlons, que le fait que nous n’avons de rapport sexuel que par le biais d’une mise en scène érotique, etc… Ce n’est pas vrai du tout. Il y a des rapports sexuels qui se passent dans la haine, dans le viol, etc, et qui n’ont aucunement besoin de discussions ou d’échanges ou de verbalisations. Et ce sont des rapports sexuels. Punis comme tel, par exemple. Non, c’est l’idée que nous sommes pris dans une économie psychique où de toute façon, il y a suppléance à l’instant. Les animaux n’ont pas besoin de se parler pour se reproduire, ils n’ont pas besoin d’être dans un monde de mots pour se reproduire. Alors vous allez me dire : est-ce que du coup ça veut dire que la reproduction humaine, le fait qu’il y ait des hommes qui couchent avec des femmes et que ça fasse des enfants, est totalement contingente ? Qu’il n’y a aucune part de nature, de naturel ? Oui, si on donne à contingence le sens que ça a dans une théorie rigoureusement nominaliste. Autrement dit, c’est contingent, mais il n’y a pas de quoi en faire une maladie, vu que c’est la seule contingence qu’il y a. C’est la seule chose qui se passe. Autrement dit, c’est tout aussi absurde que de se demander pourquoi une espèce existe, en terme darwinien. Une espèce existe parce qu’elle est sélectionnée pour exister. Il n’y a pas de contingence de l’existence des girafes, ou bien de l’existence des dauphins. Il n’y a pas de contingence dans ce sens-là, puisque le fait qu’elle existe est à soi-même l’argument qui permet de penser qu’il y a une sélection naturelle. On s’en sert comme argument pour montrer qu’il y a une sélection naturelle. De la même manière, dans le registre symbolique, que les êtres humains se reproduisent, même si le langage les dénature, ne doit pas donner à rêver à d’autres manières de se reproduire, ou à d’autres manières de parler, ou à d’autres manières de se reproduire en dehors du langage, ou à des questions de ce type-là, comme s’il y avait un état de nature, par exemple. Le fait est, que les choses s’organisent ainsi. Ce que nous sommes obligés de penser, c’est bien plutôt la distribution des rôles sexuels en fonction du phallus. C’est ce qui fait, je dirai quand même que le fait qu’il n’y ait pas de rapport entre les sexes, nous savons très bien qu’il n’y a pas de rapport entre les sexes. Nous le savons sur un mode très simple, c’est celui de l’angoisse. C’est celui des symptômes. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune espèce de garantie, en dehors de l’invocation aux dieux, qu’entre un homme et une femme, ça va bien se passer au lit. Aucune. Et que ça, c’est ce qui fait qu’on peut soit faire un grand signe de croix avant de rentrer dans le lit conjugal, soit avoir une espèce de petite pratique anti-anxiogène, du genre verre d’alcool, etc… Mais de toute façon, nous savons extrêmement bien que l’angoisse de castration va être portée à son comble, par la prétendue réalisation de l’acte dit naturel. Alors, une fois ceci rappelé – ce sont des banalités, mais ça m’amuse beaucoup de voir que dans les représentations assez populaires de la psychanalyse, c’est tellement peu une banalité que j’ai l’impression qu’il faut rappeler que la psychanalyse n’a rien à dire de la différence des sexes, que la différence des sexes elle est là. Que c’est peut-être dommage pour la psychanalyse qu’elle n’ait rien à dire de la différence des sexes, mais on n’a pas besoin d’avoir à dire quelque chose concernant la différence des sexes pour faire de la psychanalyse. Ça n’empêche pas qu’il y a un problème très particulier qui se pose à l’intérieur de ce dispositif, c’est la sexualité féminine. Puisque la sexualité féminine, c’est ce qui au fond chez Lacan, l’a amené à reconsidérer complètement sa notion de signifiant phallique. En articulant deux choses qu’il n’avait pas articulées jusque-là, la jouissance et le réel. Alors, je vous le laisse comme ça comme une sorte d’indication que je vais juste un petit peu développer. L’idée de Lacan, c’est que vous avez comme ça une sorte de continu dans lequel le phallus intervient comme un bornage. Un bornage qui définit un espace fermé, et un espace ouvert :

 

                       Φ        désir/demande

─────────][────────

          fermé             ouvert

          J(Φ)                 J(A)

 

-   C’est-à-dire qu’il faut demander au signifiant phallique de créer une asymétrie dans la jouissance. Ce n’est pas, si vous voulez, une manière de diviser les choses, il ne peut pas être en quelque sorte quelque chose qui ferait devenir interstitiel, le signifiant phallique. Si vous avez un bornage, ce bornage va définir nécessairement un fermé et un ouvert. Cette image consiste à mettre les hommes d’un côté, les femmes de l’autre, en essayant de se repérer sur une particularité très spéciale qui est celle de la jouissance féminine. Alors, je suis obligé de dire quelque chose du clitoris parce qu’on en a parlé tout à l’heure. Ce qui ne va fondamentalement pas avec les explications et les débats infinis des années 30 sur la question de savoir si le clitoris était un petit pénis et que la femme était castrée, de s’apercevoir qu’un pénis s’est plus grand qu’un clitoris, etc…, ce qui ne va fondamentalement pas avec ça, c’est deux choses : c’est que d’abord c’est mettre l’accent sur quelque chose de purement développemental. Une sorte de psychologie génétique qu’il y a chez les enfants, où il faudrait transformer la petite fille en femme à travers un processus d’intégration psychologique, qui n’a rigoureusement rien à voir avec les prémisses épistémologiques de Freud. La manière dont Lacan essaie de balayer complètement le problème, c’est de dire que nous n’avons jamais à faire à des processus développementaux. Tout se passe en synchronie. C’est toujours aprsè-coup que la masturbation infantile chez une petite fille va prendre cette coloration de lacune phallique, après-coup elle va la prendre. Jamais bien évidemment sur le moment, dans la mesure où les jouissances sont par définition incomparables, autistes, dit même quelque fois Lacan. C’est la construction de ces significations de ces jouissances qui après-coup va caractériser la jouissance clitoridienne comme étant une certaine signification de la jouissance dans un certain ordre. C’est pour ça que je dis qu’il manque un petit Hans qui soit une petite fille, à Freud. Alors, ce qui est un peu étonnant, c’est que quand on lit ces querelles, on se demande un petit peu quelles représentations les gens devaient avoir de ce que c’était que l’analyse des enfants, ou même la sexualité féminine. La deuxième chose que Lacan essaie de déblayer pour y avoir accès, c’est de faire remarquer que c’est quand même étrange que les analystes femmes aient si peu dit de choses pertinentes sur la sexualité féminine. Ce qui prouve qu’il y a quelque chose qui sort du registre de l’incompétence ou de la facilité imaginaire, qui est quelque chose qui a trait à des choses qui peut-être ne peuvent pas se dire. C’est-à-dire ne trouvent pas de signifiants dans lesquels s’articuler. Et il a proposé, je ne sais pas si vous connaissez cette histoire, il a proposé, il a demandé explicitement à un certain nombre de femme de témoigner sur un certain type d’expérience de leur position d’analyste. Et puis, je crois que la troisième chose qui me paraît très importante pour arriver à comprendre des représentations de ce genre, c’est que c’est un effort, penser en terme de fermé et d’ouvert… bon, vous allez me dire que c’est tout aussi métaphorique, mais c’est un effort pour sortir d’actif et passif. Parce que justement, actif et passif, c’est une symétrisation. Et que ce que nous avons de grandes difficultés à penser, que la femme est passive parce que l’homme est actif, elle est passive de l’action de l’homme. C’est ça l’idée qu’on peut trouver d’ailleurs très clairement chez Freud. La polarité en question, la polarité sera toujours suspecte d’être en fait une polarité sociologique. C’est la femme dominée par l’homme dominant. Si vous essayez de penser la différence psychique entre l’homme et la femme, non pas en terme psychologique ou sociologique, mais en terme d’organisation de la jouissance, c’est-à-dire de la satisfaction subjective, c’est-à-dire qu’il y a deux modalités de la satisfaction subjective en terme de jouissance, et si vous essayez de définir ces modalités particulières de la jouissance, vous sortez de ces effets de miroir de l’actif et du passif. Alors, ça implique, et c’est une des conséquences très importantes, non seulement qu’il y une jouissance phallique, chez Lacan, mais il y a aussi cette espèce de jouissance Autre, chez la femme. Lacan a une formule très jolie, il dit : « jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté ». Un rassemblement du corps qui fait que la femme est essentiellement quelqu’un qui condescend à la jouissance phallique, mais qui dans cette jouissance phallique, peut se trouver envoyer dans une jouissance Autre et ineffable. C’est une très très jolie manière d’indiquer un certain nombre de problèmes propres à la jouissance dans l’hystérie, dans l’hystérie féminine.  Dans la mesure où justement, le côté nymphomane de l’hystérique masque toujours fondamentalement le fait qu’il y a autre chose d’ineffable, qui vient chercher un complément, que ce soit un complément toxique, un complément mystique, au-delà de ce qui se laisse attraper et borner à l’intérieur de la jouissance mâle. Une fois qu’on a essayer de caractériser ce type de choses, alors évidemment je vais à cent à l’heure et je termine un peu brutalement, mais ce n’est pas grave car comme ça on pourra éventuellement en discuter. Voyez bien que le signifiant phallique a perdu toute espèce de relation avec quoi que ce soit qui ressemble à un élément saussurien. C’est une « phonction », autrement dit quelque chose qui s’écrit dans les derniers textes de Lacan, Φx. Phonction, puisque c’est le signifiant qui fait que les signifiants fonctionnent comme des signifiants, autant franchir carrément le pas formel ultime, et dire que c’est celui qui les met en fonction de signifiant. Et que lui-même n’étant pas un des signifiants inclus au système mais en position extérieure, est celui qui les met en fonction. On est arrivé je crois au degré le plus lointain et le plus difficile je crois de la pensée de Lacan, mais c’est une autre manière de creuser toujours cette idée que le langage nous dénature, que le fait de parler transforme totalement nos relations organiques les plus nécessaires et les plus vitales à nos semblables, et que si tel est bien le cas, alors il y a quelque chose qui est une mise en fonction des signifiants en tant que ça nous dénature, qui est articulé autour de cette fonction. Et à ce moment-là, la différence entre la demande et le désir apparaît d’une manière tout à fait particulière. C’est que la demande c’est toujours global. Une demande, c’est qu’on me donne ceci… Une demande se formule toujours sur un mode subjonctif, une demande a toujours une caractéristique subjonctive. Et l’idée de Lacan, c’est qu’en déclinant les différentes modalités possibles, modalités logiques, de la demande passant par les signifiants phalliques, on peut obtenir une sorte de répartitoire fixant les positions du masculin et du féminin, de l’homme et de la femme. Alors j’arrête là pour qu’on puisse quand même voir un petit peu jusqu’où a été l’évolution de cette notion de signifiant phallique. Ça aboutit je crois à deux conclusions qui sont extrêmement célèbre, et l’on y rattache souvent le nom de Lacan. La première, c’est qu’un hétérosexuel, c’est quelqu’un qui aime une femme quelque soit son sexe. Avec pour corrélat que le mot « sexualité féminine » a un statut tout à fait particulier. C’est que la façon dont Lacan la concevait, cette homosexualité féminine, elle était une sorte de moyen de s’opposer à l’entropie sociale et à l’écrasement symbolique des relations au nom du phallus. Il y avait l’idée comme ça que Lacan prêtait à l’homosexualité féminine le pouvoir d’être une sorte de remède à l’entropie sociale, et donc à la phallicisation permanente de tout rapport entre les hommes. Alors c’est une chose qui me paraît tout à fait extraordinaire dans la mesure où l’homosexualité féminine a donné lieu à des formes de communautarisme tellement extraordinaires et tellement intenses et tellement fermées qu’on se demande bien où pourrait être là le remède à quelque chose comme l’entropie sociale et le privilège de la circulation phallique. Enfin néanmoins, c’est une thèse qu’il a très fortement soutenue. Et puis la deuxième chose que ça permet d’articuler, cette idée de phallus, c’est que l’articulation entre les organes du corps, le phallus imaginaire, le phallus symbolique et le nom propre, deviennent absolument intrinsèques. C’est-à-dire qu’on peut penser pourquoi les symptômes dans un corps humain, les symptômes sexuels auxquels s’intéresse la psychanalyse, ce sont des manières de libérer, de façon complètement équivoque et mobile, une phallicisation de chacun de nos organes, qui fait qu’une bouche, un nez, des oreilles, un cœur, etc… peut se trouver d’une façon complètement ahurissante, fonctionner comme un certain phallus, et éprouver dans la douleur, dans les ravages du dysfonctionnement, faire éprouver au sujet quelque chose d’une inscription phallique déchaînée qui fonctionne complètement de façon anomale sur lui. En même temps, ça montre bien que chaque sujet humain, que c’est son inscription dans cet ordre phallique qui est le cœur de sa subjectivité. C’est le cœur de sa subjectivité au sens où ce n’est pas ce qu’il va appréhender de l’ordre de son moi, n’est-ce pas, les hommes et les femmes peuvent s’identifier imaginairement à tous les rôles qu’ils veulent, ce n’est pas de l’ordre du moi, de ce dont je parle là. C’est de l’ordre de ce qui fait que je suis là, de ce sexe, à cette place dans la filiation. Alors je m’excuse d’être comme ça extrêmement elliptique, parce que tout ça ne prenait sens que de ce que j’ai dû refaire parce que je n’ai pas pu vous présenter les rêves de ce patient. Disons que dans une fin d’analyse, une analyse qui a duré un certain nombre d’années, avec un certain nombre de tranches, un patient comme ça en vient, d’une manière tout à fait particulière dans un de ses rêves, à s’apercevoir qu’une personne de sa famille, morte, qui a servi en quelque sorte de trou noir, autour duquel tous les liens familiaux, affectifs, d’identification, se sont mis à tourbillonner jusqu’à disparaître dans ce trou noir et à fausser toutes les relations entre les générations et la fratrie à laquelle il appartient, renvoyait à un personnage mort, que ce personnage mort était le fils élu d’un autre personnage de sa famille, qui était le véritable père de la famille bien que ce soit une femme, et que dans un rêve il voit apparaître sur telle partie de son corps, tout au long de 7 ou 8 années qu’a duré son analyse, était constamment en jeu, de façon complètement énigmatique dans le transfert et le moment où ça intervenait, et de s’apercevoir que c’est ce trait qui est le trait phallique qui l’identifie à son père et le met à une place correcte. Le problème, c’est que c’est précisément à travers quelque chose que je ne peux pas dire, parce que c’est son propre nom, qui prononcé d’une certaine façon, indique précisément quelle est la partie du corps, pourquoi c’est cette famille, de quoi il s’agit, etc… Et donc il y a comme ça une sorte d’agression extraordinaire sur son nom de famille, son patronyme ici, c’est dans ce cas-là la même chose, cette espèce d’agression particulière qui se trouve comme ça rendue complètement lisible par une analyse en terme de signifiant phallique. Bon j’ai parlé extrêmement longtemps, c’était un peu désorganisé, je vous demande pardon.

-    Je vais te demander de revenir sur une question qui a un rapport avec une partie de ta conclusion, où tu reprends effectivement le schéma lacanien sur la jouissance féminine, qui moi me pose énormément de problèmes, parce je trouve que c’est tout de même un peu facile… Alors si tu prends le tableau de la sexuation, c’est ce qui ne se voit que du côté de l’homme, c’est un peu énervant d’être toujours renvoyée à cette affaire de jouissance féminine dont on ne sait pas très bien ce que c’est en plus. En revanche, quand tu parlais avant, effectivement, du deuil de la demande d’amour, c’est quelque chose qui est totalement asexué. Tu dis : « l’hystérie mâle ». Alors pourquoi cette hystérie serait-elle mâle ? Elle est absolument commune aux êtres du sexe féminin et aux êtres du sexe masculin si tant est qu’on puisse les définir. Donc c’est complètement contradictoire avec le tableau de la sexuation.

-     D’accord. Alors je ne dis pas que les choses sont chez Lacan non contradictoires. Je crois que le problème de savoir ce que c’est que la jouissance féminine c’est une question qu’on peut se rendre très présent en ayant recours à la clinique psychiatrique. Il y a des psychoses électivement féminines. Parmi ces psychoses électivement féminines, il y en a une qui est une mélancolie cotardienne, qui est de façon extrêmement impressionnante quelque chose qui frappe de façon privilégiée les femmes à travers un parcours qui d’ailleurs reflète un certain nombre de défauts particuliers. Je dis ça parce que le président Schreber est un homme. Que le type de paranoïa qu’il y a chez le président Schreber, dans sa trassexualisation, etc, c’est quelque chose qui est effectivement très typique d’un certain type de présentation masculine. Ça limite à mon avis les possibilités de penser les psychoses. Ça limite tout à fait parce qu’il y a autre chose, il y a bien au-delà du président Schreber une autre réflexion sur les psychoses. Qu’est-ce qui se passe dans ces phénomènes de cotardisation ? Le syndrome de Cotard, je le rappelle, c’est une forme extrême de la mélancolie, dont l’un des signes les plus connus est que les gens ont un délire de négation d’organes : « j’ai plus de tête », « j’ai plus de cerveau », « j’ai plus de cœur », « on m’a enlevé mon foi », etc… Il est accompagné en général d’une abolition de la conscience d’être soi-même. La cotardienne de Leuret disait : « la personne de moi-même n’a pas de nom, la personne de moi-même ne mourra jamais… » et elle prend son essor au terme d’un délire de négation extraordinairement riche et logique. C’est-à-dire qu’à chaque question est opposée une négation. Qu’à chaque demande de réponse est opposée une négation dans une sorte d’opposition logique tout à fait frappante. Ça permet très très bien de se rendre compte de ce que c’est qu’un ouvert, c’est-à-dire du type de jouissance dans lequel une femme peut être emportée, qui est une jouissance Autre. Non pas du tout parce que ce serait une jouissance sexuelle, ce n’est pas à se représenter sur le mode de l’orgasme. Mais sur quelque chose qui est de l’Autre côté, justement, de ce qui peut être ramené au plaisir et à l’orgasme. Et qui est une véritable perception de l’éclatement infini du monde. Dans le Cotard, il y a une chose étonnante, qui est le sentiment qu’on ne mourra jamais. Et qu’on vivra toujours, et que la vie qu’on va vivre est une vie infinie, qui est une abolition de tout ce qui pourrait justement être des bornes ou des limites le long de la chaîne temporelle. Il y a également dans le Cotard ce phénomène très particulier d’analgésie douloureuse, dans lequel on ne sent plus rien, et le fait de ne rien sentir est douloureux. C’est-à-dire qu’à aucun moment on ne peut se poser sur des sensations qui seraient vécues comme des sensations subjectives, à tout moment les choses se perdent, s’évanouissent, etc. Et cette absence de senti, l’effet que ça fait de sentir quelque chose, est vécu comme une sorte de douleur extrêmement tragique. Vous voyez il y a tout un espèce de dispositif qui donne une meilleure idée qu’on trouve à travers la psychose, de cet espèce d’au-delà de la jouissance. Et à mon avis, on doit toujours l’appréhender dans la psychose des femmes. Les psychoses des femmes sont toujours très difficile à diagnostiquer, parce que quand il y a des situations un peu pathétiques ou un peu dramatiques, on ne sait jamais très bien si ce n’est pas une sorte de perte de repère. Ces psychoses de femme auxquelles leur mari retire le droit de porter leur nom. Psychose absolument typique : à 50 ans, divorce, et tout à coup une femme qui a vécu d’une façon relativement normale, ordinaire aux yeux de son entourage, se retrouve à l’hôpital et ça s’est déclenché parce que l’acte de divorce était tel parce que le mari retirait le droit de porter son nom à son épouse. C’est tout à fait singulier. On ne sait pas très bien ce qui se passe dans ce genre de conjectures chez un être humain. Et surtout chez une femme c’est très difficile à diagnostiquer. Et ça, ça paraît donner plus d’indications sur le caractère vraiment Autre de ce qui se passe. Ça permet de mettre en ordre des symptomatologies particulières. Maintenant, je compare avec la question du deuil du phallus. Ça n’enlève certainement pas le fait que, en tant que sujet, bien sûr, et il n’y a pas de toute qu’un sujet, c’est asexué, au sens où même s’il n’y a de sujet que ………… il n’y en a pas un qui est plus sujet que l’autre ou moins sujet que l’autre. Effectivement, le deuil du phallus devient une forme de caractérisation du fait thérapeutique. Je dirai que quand Lacan parle de deuil du phallus, il ne fait que décrire dans son lexique ce qu’est la guérison pour tout le monde. Je dirai que ce n’est pas l’explication d’un processus. C’est une caractérisation, à l’intérieur d’une visée structuraliste de sa théorie, de ce en quoi consiste la castration. Point barre. Deuil du phallus imaginaire. C’est une réappropriation, une redescription à l’intérieur de son dispositif. Alors maintenant pourquoi je disais que c’était particulièrement probant dans le cas de l’hystérie mâle. C’est parce que je pensais à ce fait très particulier que l’hystérie mâle, c’est quelque chose d’abord qu’on a souvent nié, et puis même, c’est paradoxal dans la mesure où pourquoi pourrait-il y avoir un problème chez quelqu’un qui possède un pénis ? Une des très bonnes manières de montrer qu’il y a une différence d’approche dans l’hystérie mâle dans le lacanisme, chez les praticiens lacaniens et dans d’autres conceptions, c’est de montrer justement qu’il y a une économie particulière qui fait qu’il y a des individus qui vivent tout à fait de manière particulière le fait d’être des « phallophores », comme dit quelque fois Lacan, des gens qui ont un pénis. Et puis ça permet de rattacher ça à des types sociaux qui produisent de l’hystérie mâle. Les maghrébins en exil par exemple. Il y a des catégories entières de la population où on a comme ça des mères extrêmement possessives dont les enfants curieusement ne sont pas homosexuels, alors que la mère était extrêmement possessive… bref tout un tas de choses qui dans un cadre freudien orthodoxe paraîtrait fabriquer de l’homosexuel, et qui fabrique de l’hétérosexuel sur le mode du Don Juan qui a des problèmes particuliers, pour lesquels en général ils viennent se plaindre. Je dirai que l’hystérie mâle, ce n’est pas à ma connaissance, d’après ce que raconte des collègues qui en ont vu plus que moi, ce n’est pas quelque chose qui se guérit facilement. Une sorte de difficulté particulière avec ce type de pathologie. Mais néanmoins, ça produit des types très singuliers.. Alors c’est une vraie question de dire pourquoi des gens qui ont une mère extrêmement possessive, qui sont complètement dans l’extraversion, etc, pourquoi ne seraient-ils pas homosexuels ? Pourquoi ? Il faut là une théorie très particulière. L’hystérie mâle, curieusement, ça fait assez peu d’homosexuels. Alors ça c’est une question. Là on peut entrer dans un mécanisme et puis raffiner sur des distinctions de cas en montrant que ça ne fait même pas de bisexuel du tout, ça fait des gens qui sont apparemment comportementalement tout à fait hétérosexuels. Avec certains traits particuliers. Alors là ça devient intéressant, de dire qu’il y a un deuil du phallus et le phallus a un rôle particulier.

-   Ce qui est ennuyeux en fait, dans le point de vue du nominalisme, c’est de parler de jouissance. Ça provoque des malentendus.

-          C’est-à-dire ?

-  Eh bien si on dit « la jouissance Autre », ou « la jouissance phallique », peu importe……………….. La jouissance Autre, on appelle ça une jouissance, alors quand tu dis que dans le cas de la mélancolie extrême, il y a une dénégation de la mort, ce n’est pas de la jouissance.

-     Je suis d’accord. Il y a toujours un problème où toute description, en particulier dans un tableau clinique, est susceptible d’être traitée comme une métaphore, et de rentrer dans ce registre problématique d’annulation des différences, puisque la coupure elle-même entre les sexes est l’objet d’une élaboration métaphorique permanente. C’était juste pour pointer que la notion de jouissance Autre n’est pas exclusivement psychotique, elle est appliquée aussi bien à la toxicomanie par exemple, ou au mysticisme, c’est-à-dire à tout un registre d’expérience qui n’a pour lui d’être autre que phallique.

-          S’envoyer en l’air.

-    Ou être envoyé en l’air, puisqu’ici l’actif et le passif… C’est aussi une manière je dirai de présentifier qu’il y a de la pulsion de mort en un sens je dirai extrêmement sérieux, je dirai un acharnement à la destruction de certaines formes de…

-          Donc ça remet la jouissance dans sa définition fondamentale ?

-   C’est possible qu’on puisse dire ça. Qu’on puisse dire que la jouissance Autre est une certaine manière de ramener la mort à ce que nous en connaissons, c’est-à-dire la pulsion de mort. Cela dit, je crois que ce qui est intéressant, c’est de maintenir béante la question. Comme je l’ai dit plusieurs fois cette année, même si je ne le fais pas trop sentir parce que c’est un peu pédagogique ce que je fais, les propos de Lacan sont des propos qui fonctionnent comme des interprétations. Dont le but est évidemment d’ouvrir un type de perspective, un type de curiosité à l’égard des phénomènes, qui garde sa texture de question. C’est pour ça qu’il est très difficile probablement de faire des théories lacaniennes de la toxicomanie ou du mysticisme. On peut toujours, mais ce sont des artefacts textuels qui consistent à coller des machins ensemble. Bon, c’est déjà quelque chose qu’on se soit intéressé au problème. Qu’on s’oriente vers le problème. Mais la question de la jouissance Autre, qui par définition est ineffable – essayer de faire causer un héroïnomane sur ce qu’il sent – il y a vraiment une extinction particulière… On ne doute pas qu’il se passe quelque chose.

-          Concernant le retrait du nom d’usage marital, en quoi la jouissance Autre…

-          Mais parce que ça peut déclencher des phénomènes psychotiques, des phénomènes élémentaires…

-          ……………….

-    Mais justement, une fois qu’une femme peut se voir privée de ce type d’arrimage, c’est-à-dire d’un rapport à l’autre sexe, parce que quand il dit qu’il n’y a pas de rapport sexuel, il y a bien sûr un rapport au sexe, et ce rapport au sexe est un rapport au phallus. Ce qui me paraît très frappant avec ce type de cas, c’est que c’est quand même très étonnant, que des femmes soient complètement normales n’aient jamais manifesté de symptômes qui aient alarmés leur entourage, débarquent comme ça dans des états de décompensation psychotique majeure avec hallucinations auditives à jet continu, de façon extemporané au moment du divorce au moment où le mari retire l’autorisation de porter le nom. Alors ce qui est intéressant là-dedans, c’est que ça montre comment un patronyme peut fonctionner comme une prothèse là où il n’y avait pas de Nom-du-père. C’est-à-dire qu’il y a une prothèse, et que précisément comme nous vivons dans une société où le patronyme est une marque visible qui dans l’imaginaire présentifie plus ou moins grossièrement ce qu’on pourrait appeler le Nom-du-père, on pourrait tout à fait tenir le coup là-dessus. De la même manière, je dirai que lorsqu’on réussit à ce qu’un psychotique se fasse un nom, c’est-à-dire par exemple, par un travail esthétique, par une performance particulière ou par un travail d’auteur, se fasse un nom. Et avec les effets sédatifs parfois extrêmement remarquables qu’on peut observer à ce niveau-là, dans la mesure où se faire un nom, voire dans un exemple qui avait été discuté il y a quelques années dans ce séminaire par Henri Frignet, quelqu’un qui avait des talents particuliers et qui avait réussi à se faire un nom qui ait une valeur commerciale, et qui avait complètement suturé une psychose maniaco-dépressive enracinée. Ça montre bien que là il y a des points de concrétion très importants. Je dirai que c’est le seul cas où on peut encourager un psychotique à aller dans le sens de la sublimation. Ce n’est pas au sens où il va produire des beaux objets, c’est au sens où il va se faire un nom. C’est une indication, je trouve, de cure.

-    Il y a cette fille complètement folle, qui s’est fait un nom, elle signait d’ailleurs de son pseudonyme. C’était elle qui avait fait le baiser de la fée sur la place à Beaubourg. Et qui s’est fait refaire complètement la figure. Elle a pris les draps de la grand-mère et s’est déguisée en hystérique, en sainte Thérèse... Et elle s’est fait de la chirurgie esthétique… Tu n’as jamais entendu parler de cette fille ?

-          Non, mais tu sais les exemples ne manquent pas, d’équilibration de ce type-là.

-    Et alors effectivement, moi ce qu’elle m’avait raconté de tout ça, c’est tout à fait au début, c’est qu’un jour, sans faire exprès, elle avait signé un chèque à son analyste Orlando. Donc elle s’était inventé un nom. Et ensuite c’était devenu son nom, disons d’artiste.

-   Ce qui est en tout cas très important avec ce type de construction, c’est que justement ce serait extrêmement maladroit ou néfaste d’interpréter le nom. Puisque justement le nom vient comme un barrage à la déliquescence qu’on pourrait réintroduire très facilement. C’est-à-dire de mettre le nom à l’envers, d’aller cherche ce qu’il veut dire, de lui ajouter des lettres, puisque c’est un pare-psychose ce nom. Ce sont des rustines qui fonctionnnent comme des Nom-du-père articulés à des… Bon, on va arrêter là, mais je dirai que ça pose un problème avec lequel Geneviève Morel qui n’est pas là et moi avons un peu essayer de discuter. C’est vrai qu’il y a toute une économie du phallus et du Nom-du-père qui est extrêmement bien implantée dans nos sociétés. C’est un vrai problème de savoir s’il y a d’autres manières de faire tenir ensemble les signifiants d’un sujet et si on doit tenir pour pathologique les gens qui s’équilibrent sur un autre mode. Par exemple, la question très polémique il y a deux ans dans ce séminaire : comment prendre la transsexualisation ? Si vous ouvrez Freud et Lacan, il est clair que la transsexualisation est une solution élégante au problème de Schreber. Quand il était transsexuel, il vivait avec tout le monde, il parlait avec tout le monde, il s’occupait des affaires de sa famille, etc, quand il se prenait pour une femme. Ensuite, il s’est effondré. C’est un vrai problème de savoir ce qu’on doit penser de ces bricolages substitutifs qui font du Nom-du-père, une fois qu’on a introduit le terme en circulation, on n’est pas forcé de se contenter de le faire jouer à l’intérieur de, je dirai la bonne vieille métaphore paternelle. On peut voir une idée de l’humanité dans laquelle des malades mentaux accèdent à une existence vivable en produisant dans leur délire des modalités de rapport à autrui, à leur corps, à leurs acquis, à leurs objets, qui sont ma fois relativement tolérables, par exemple dans le registre esthétique, dans le registre de la provocation littéraire. Alors évidemment, quand il s’agit des transsexuels, ça suscite toutes sorte de… Il y a peut-être d’autres manières de les nouer. C’est ce que Lacan appelle un sinthome. Mais à mon avis, on va terminer là-dessus, c’est un des plus beaux effets d’extension de la représentation de l’humanité que peut faire une théorie psychanalytique bien construite. C’est-à-dire qu’à partir du moment où elle met en circulation quelque chose comme le phallus, puis le Nom-du-père qui est la mise en fonction de ce phallus par rapport aux autres signifiants, vous introduisez des termes qui deviennent n’est-ce pas par leur propre opérativité la possibilité de concevoir qu’il y en a d’autres. Et que ça puisse lever un certain nombre de timidité devant le traitement analytique de certains psychotiques, à condition d’être soi-même suffisamment libre à l’égard de ce qui vous arrime en tant que praticien pour considérer qu’il y a peut-être d’autres arrimages, éventuellement bizarres. Sauf qu’on ne pourra pas se représenter ces arrimages qui sont des arrimages qui arriment à la jouissance Autre, et non pas à la jouissance phallique. Ce qui fait qu’il ne faut pas non plus jouer à l’apprenti sorcier avec les psychotiques. Mais néanmoins, il y a là une autre manière de voir les psychoses que déficitaires, médicales, ou alors fasciner par les performances des fous, comme si les fous avaient inventé je ne sais quoi qui nous soient inaccessibles. Ce qui est tout aussi absurde.