Pierre-Henri Castel : Vous avez dit
« signifiant » ? (8ème séance)
Je vais faire aujourd’hui ce que j’avais promis la
dernière fois, une analyse de ce Lacan a appelé le signifiant phallique. Il va
de soi que dans ce qu’il y a de plus invraisemblable dans les machins
lacaniens, le « signifiant phallique », c’est le pompon. Dans la
mesure où évidemment je crois qu’à peu près tout le monde est d’accord pour
dire que c’est au moins intéressant de s’attacher à certains traits du discours
dans une séance, que ce soit celui des patients, ou les interprétations, ou le
contexte je dirais linguistique d’une analyse. Ça devient carrément
abracadabrant, et je pèse mes mots, quand on essaie d’introduire à l’intérieur
de ce dispositif une analyse de ce dont il s’agit en terme de phallus, de
sexualité, et de penser quelque chose comme le phallus en terme de signifiant.
En même temps, si ce n’est pas possible, je crois que tout le monde comprend
qu’une analyse linguistique de l’interaction ramènerait immédiatement la psychanalyse
à une forme de psychothérapie, voire d’orthopédie du langage, de la façon dont
les gens pensent ou devraient penser leurs pensées. Mais si l’on y ajoute la
dimension de la sexualité, on ne voit pas bien comment elle va devenir
compatible avec quelque chose comme un signifiant défini en terme saussurien.
Alors, il y a en gros deux façons de concevoir les
choses pour introduire la sexualité dans la psychanalyse. Vous avez la grande
voie freudienne, qui est toute simple, qui consiste à dire que nous sommes les
produits d’une évolution darwinienne, et que la science dont la neuropathologie
n’a pas encore tiré avantage, dit Freud dans les années 1880-1890, c’est
justement la biologie issue du darwinisme. Chacun des organismes que nous
sommes est un relais sur la voie de la sélection des espèces, et il ne faut
jamais oublier, n’est-ce pas, que le livre de Darwin contient dans son titre
même l’idée de « sélection sexuelle ». Il devient donc une sorte
d’avenue toute tracée pour un neuropathologue, de dire que chacun des
organismes est régi par quelque chose de l’ordre de l’énergie sexuelle, et
qu’il faut rendre compte de ces phénomènes, et que ces phénomènes étant
nécessairement biologiquement présents dans chacun des organismes de façon
invincible, permanente, etc, liés au fait même qu’il vit, ça doit être une
sorte d’axe directeur absolument indéfectible de l’analyse clinique.
Avec Geneviève Morel, on a fait un petit bouquin
qui sortira à la rentrée, qui s’appelle « le moi et sa sexualité »,
un recueil d’articles, dans lequel elle a écrit un très long essai, et je
profite qu’elle ne soit pas là pour dire que c’est un essai absolument
remarquable sur Freud et la question de la sexualité, et moi j’ai fait le
premier, qui est un essai historique qui reconstitue un petit peu comment c’est
une ligne conductrice qui n’est pas si révolutionnaire qu’on le dit souvent,
que d’avoir eu l’idée que la seule science qui n’avait pas encore véritablement
bénéficié de l’interrogation darwinienne, c’est la neuropathologie ¾, en y introduisant la dimension sexuelle. Et
c’est par ce biais-là que Freud coordonne la neuropathologie et la
psychopathologie à la sexologie de son temps comme à des considérations de la
biologie de l’époque. Alors l’autre voie qui est assez… que je ne vais pas
emprunter… , mais enfin que je vais quand même emprunter, il faut bien le dire,
ce serait une sorte de tentative de déduire l’existence de quelque chose comme
un signifiant phallique d’une analyse de la notion de structure menée sur un
mode spéculatif, où il deviendrait à un moment nécessaire d’intégrer la
dimension de phallus.
Vu le problème d’essayer de réduire un petit peu
l’invraisemblance de cette notion de signifiant phallique, qui alors là est
totalement hors registre saussurien ou linguistique, il y a une voie plus
pédagogique, ce serait de partir de l’analyse d’un symptôme, de l’analyse d’un
fragment de cure. C’est une voie pédagogique, sauf que s’il y a bien quelque
chose qui résiste à la pédagogie, c’est le phallus, n’est-ce pas, qui comme chacun
sait, est assez dur à dresser, et il y aurait là la voie symptomatique qui
serait d’aller commenter les analyses d’impuissance, d’éjaculation précoce,
etc… Le problème, qui est un problème clinique, c’est que l’analyse minutieuse
d’un symptôme de ce type-là, que je pourrais tirer de ma pratique, aboutirait à
un moment ou à un autre à mentionner le patronyme des gens. Et ça c’est un
point qu’il ne faut jamais oublier. Ce qui fait que le signifiant phallique a
une pertinence clinique, c’est qu’à un moment ou à un autre, il concerne
l’identité subjective dans les signifiants dans lesquels cette identité
s’énonce. C’est tellement immanquable que c’est probablement un des appuis
tacites auxquels je vous renvoie, soit de vos expériences, soit de vos
analyses, pour voir qu’il y a des choses qu’on ne peut effectivement pas dire à
cause de ça. Il y a des preuves qu’on ne peut pas donner à cause de
l’obligation de faire intervenir à un moment ou à un autre le patronyme dans
les chaînes d’association décisives. Donc j’ai dû laisser tomber après avoir
fait toutes sortes d’efforts une illustration clinique assez fouillée, parce
que si on essaie par exemple à se livrer à des manipulations en essayant de
changer le patronyme, alors on se retrouve obligé d’inventer carrément quelque
chose de différent. C’est une expérience qui pour moi est très révélatrice du
fait qu’il y a des choses qu’on ne peut pas faire, parce que quand on essaie de
modifier en essayant de garder une sorte d’invariance structurale, les chaînes
d’association, les histoires, les anecdotes, les réactions, on se retrouve à
démolir littéralement le cas. Ce qui montre qu’il y a un lien extrêmement
étroit entre ce qui fait signifiant, ce qui a une fonction phallique, et ce qui
définit la position d’un sujet dans un transfert comme dans un réseau de
symptômes.
- est-ce que je peux poser une petite
question ? La question du patronyme. Les femmes, quand elles se marient,
en change, ou bien elles le gardent. Ça doit avoir une incidence…
- Ça ne les empêche pas d’avoir un
patronyme. On change de nom de famille, mais le nom de famille n’est
certainement pas le patronyme. Or, ce qui… je ne dis pas que le nom de famille
n’ait aucun poids pour une femme. Certainement pas. Je suis très frappé du fait
que dans le seul cas où il m’a semblé que je pouvais raconter, je me suis
heurté à cette difficulté. C’est-à-dire qu’on ne peut pas tout déplacer, comme
Freud le fait parfois, en évitant les noms… Il y a un degré de finesse dans la
texture de l’agencement de ce qui est dit, qui fait qu’on se heurte à quelque
chose qui coince. C’est peut-être aussi lié au cas que j’avais voulu analyser.
Mais je le maintiens quand même. Pour la question des femmes, il y a un célèbre
texte de Lacan sur un symptôme féminin électif qui est la frigidité, je crois
que dans ce texte sur la frigidité, il est tout à fait question du patronyme.
Ce qui enfin me pousse quand même à me risquer dans cette question du
signifiant phallique, c’est qu’on est submergé par des effets comiques, quand
on essaie de voir le type de remède auquel on peut penser. J’ai été pris
d’un fou rire en lisant l’article 1 de l’autorisation de mise sur le marché du
Viagra®, n’est-ce pas, qui porte dans son premier article que c’était un
médicament « pour le traitement oral de l’impuissance masculine ».
Probablement un fonctionnaire qui quelque part a dû beaucoup s’amuser de
pointer à ce degré le fait qu’on ne se débarrasserait pas comme ça d’une sorte
de glissement désopilant du sens…
-
Un
traitement oral ?
-
Un
traitement oral de l’impuissance masculine. Je vous rappelle également que la
substance qu’on utilisait avant pour… qu’on utilise encore d’ailleurs en
injection pour remédier à l’impuissance tenace, s’appelle la
« papavérine ». C’est une chose tout à fait curieuse.
Alors, venons-en à Lacan. Lacan est évidemment à
cent lieues de s’appuyer sur quelque chose de biologique ou de darwinien pour
motiver l’introduction de la sexualité dans l’économie du signifiant. Il
s’appuie bien sûr beaucoup plus sur l’économie des dits et des non-dits sur la
sexualité à l’intérieur des cures, sur ce qui évidemment est amené, et qui
produit toujours toutes sortes d’effets évocateurs, et que les patients en
particulier amènent dans leurs silences comme dans leurs commentaires. La
deuxième chose qui me paraît à rappeler pour aborder cette question, c’est que
Lacan qui était un fin connaisseur de la l’histoire de la psychanalyse, n’avait
pas oublié la querelle, ce qu’on appelle la querelle du phallus, autour de
Jones, et autour de cette question qui reste pendante, si je puis dire, même
après Lacan, et Lacan n’a jamais prétendu la résoudre, qui est la question de
l’asymétrie à l’égard d’une problématique comme celle de la castration ou du Penisneid, entre des hommes et des
femmes. D’autant que le seul cas que l’on connaisse commenté par Freud d’un
enfant, c’est un petit garçon, c’est Hans, et que Freud a toujours maintenu que
par une sorte de chose extrêmement curieuse et qui frappe aussi Lacan parce que
ça paraît un peu arbitraire, que l’Œdipe serait paraît-il plus facile ou
presque donné naturellement ou du moins la résolution du complexe de castration
chez une petite fille, au motif que de pénis, elle n’a pas. Alors, toute la
difficulté…
-
Joan
Rivière ne dit pas ça.
-
Non,
mais dans la querelle du phallus, il y a cette question de l’asymétrie… bon je
reviendrai sur la question du clitoris tout à l’heure… sur la question de
l’asymétrie, c’est-à-dire qu’on ne voit pas très bien au fond pourquoi il n’y
aurait pas une spécificité œdipienne, et pourquoi la libido serait
exclusivement masculine. Ce qui est une thèse constante de Freud. Et la libido
des femmes ? Pourquoi serait-elle masculine, et que veut dire le mot
libido, et que veut dire le mot masculin, et que veut dire femme, etc… ?
Et qu’est-ce que c’est que l’homosexualité féminine, etc… alors le problème de
Lacan à ce moment-là, c’est d’essayer de se détacher de l’obnubilation sur la
présence ou l’absence du signe pénien, en essayant de repenser l’idée de pénis
à partir de l’idée de phallus imaginaire. Alors c’est extrêmement curieux, une
sorte de forçage initial dans lequel on a l’impression qu’à tout moment, ce
qu’on appelle dans la réalité commune le pénis est systématiquement réinscrit,
recatégorisé devrais-je dire plutôt, comme phallus dans la catégorie de
l’imaginaire.
Donc, ce que je vais faire ce soir, c’est poser 3
questions. Une sur laquelle je m’étendrai longtemps, c’est la question du
statut symbolique du phallus. Comment le statut symbolique du phallus aboutit à
quelque chose qui nous permet de poser la question du signifiant
phallique ? Et à partir de cette idée de signifiant phallique, de phallus
imaginaire, de signification phallique, etc... C’est étroitement lié à la
métaphore paternelle, et c’est étroitement lié à l’interprétation que Lacan
donne de la paranoïa de Schreber, et de la question controversée du refoulement
de l’homosexualité chez le président Schreber. La deuxième question que je vais
aborder, c’est justement la question de la sexualité féminine comme quelque
chose qui ne rentre pas bien dans le premier cadre de la théorie du signifiant
phallique. Et je dirai également quelque chose là-dessus, sur la différence des
sexes, pour reprendre ce que j’avais dit la dernière fois sur Hélène Prokhoris.
Et puis je terminerai sur le fait que justement, la question de la différence
des sexes, contrairement à ce qui se raconte, n’a aucune espèce d’intérêt ou
d’importance pour la psychanalyse. C’est une confusion totale que de s’imaginer
ça. Ce qui a une importance pour la psychanalyse, c’est ce que Lacan a épinglé
au titre du « non-rapport sexuel », ce qui est fort différent. Et qui
n’est pas du tout une manière compliquée de parler de la différence des sexes.
C’est au contraire quelque chose qui n’a pas du tout le même objet ni les mêmes
enjeux.
Alors puisque ça m’a guidé pendant toute cette
année, je voudrai partir de la question du symbole et du nominalisme que j’ai
prêté à Lacan, donc, en disant ceci : c’est extrêmement ennuyeux de parler
de signifiant phallique, parce que le principe même d’une analyse positionnelle
en terme de signifiant, c’est qu’il ne devrait y en avoir aucun qui soit
particulier, ou qui puisse être identifié dans son contenu, sinon dans une
relation ou une corrélation entre chaque élément de la structure et tous les autres.
Le simple fait de parler de signifiant phallique devrait même apparaître d’une
certaine manière comme une contradiction puisqu’il ne peut pas y avoir un
signifiant qui aurait une charge particulière, l’analyse différentialiste de
Saussure aboutissant à l’idée que c’est uniquement par leurs relations que les
signifiants valent. Et donc déjà l’idée de signifiant phallique fait apparaître
qu’il y a de l’imaginaire pris dans l’analyse en terme de signifiant, et que
cet imaginaire est un imaginaire extrêmement complexe qui porte à la fois sur
des vécus, des éprouvés sensément universels, des éprouvés vitaux, et sur de
vastes images, des images au sens du symbolisme qui renvoient évidemment à
l’histoire des religions, des mythologies, etc… Et donc je crois que jusque
dans les années 55-56, jusqu’au cas Schreber probablement, Lacan travaille à
faire avancer l’un vers l’autre pour justifier et légitimer sa notion de
signifiant phallique, d’un côté une forme imaginaire abstraite, qui s’émancipe
jusqu’à prendre les dimensions d’une Gestalt,
et de l’autre, avançant vers cette Gestalt,
l’idée d’un opérateur symbolique structural, qui, lui, vaudrait dans une sorte
de logique très particulière.
Alors si vous prenez par exemple la Traumdeutung avec les immenses chapitres
écrits par Steckel (jamais d’ailleurs enlevés par Freud du texte) sur les
symboles. Il est évident qu’il n’y a qu’un seul symbole dans la Traumdeutung, c’est le phallus. Et c’est
une erreur très significative que d’avoir voulu ajouter à ce symbole phallique,
un symbole symétrique sur le plan imaginaire qui serait celui du sexe féminin ¾ comme Rank a tenté de le faire en parlant de
l’angoisse de naissance, une sorte d’angoisse originaire, parce que toute la
notion de l’angoisse que nous avons est en fait celle de l’angoisse de
castration, dit Freud à ce moment-là. Et que cette angoisse de castration ne se
conçoit pas par rapport à une sorte d’expérience primitive qui serait de sortir
du ventre de la mère, qui se revivrait dans les phénomènes de constriction que
Rank décrit à l’infini, qui seraient des phénomènes d’étouffement rappelant le
traumatisme originaire. Mais de la question de l’origine même d’un sujet et de
ce qui fait naître un sujet en lui donnant justement une place phallique
particulière. Alors ce qui fait phallus, dans cette première conception-là,
c’est une sorte de vie interprétée non pas comme érection ou érectilité des
tissus, mais comme éréthisme. L’éréthisme désignant une susceptibilité vitale à
la sensation dont la turgescence de certains tissus serait en quelque sorte la
représentation immanente et incontournable.
C’est une chose très très curieuse en
psychanalyse, et d’ailleurs je ne sais pas très bien au fond si c’est une
position tenable, de dire que nous vivons une vie. Je ne suis absolument pas
sûr que nous avons un rapport à notre vie. Je ne suis absolument pas sûr que le
rapport que nous avons à ce que nous éprouvons soit un rapport à la vie, et que
nous ayons comme ça avec le sentiment d’être vivant, un rapport réel à quelque
chose. Il est possible qu’en fait nous ayons là les échos imaginaires de
certains processus cénesthésiques en nous, particuliers. Mais cette espèce
d’idée qui est que nous aurions un rapport immanent à la vie me pose toujours
un problème. Ça pose aussi problème à Lacan, et c’est pourquoi c’est ce sur
quoi je terminerai ce soir, c’est-à-dire la manière qu’il a travaillé à
construire une notion de jouissance un peu particulière, en ayant égard à ce
qui se passe dans certains phénomènes dramatiques de la psychose me paraît se
détacher un peu de cette espèce d’ambiance de « vie » qui serait de
l’ordre du vécu tel qu’on le sent. La jouissance, ce n’est pas nécessairement
de l’ordre de la contiguïté riche à soi, d’un corps qui se sent sentir. Alors
comme évidemment il travaille à essayer de rapprocher ça d’un terme abstrait,
la Gestalt lui offre toute sorte de
ressorts dans la mesure où bien sûr l’érection phallique, c’est pratiquement un
prototype de la figure-fond, de la saillance sur un fond, qui offrirait, dit-il
souvent, à l’enfant, un choix forcé entre une image virile ou une castration,
et à l’enfant, quel que soit son sexe. D’autre part il travaille sur ce qui
peut par exemple au niveau de la succion du sein présentifier dans la pointe du
sein et dans la forme de la bouche une sorte de subduction de la forme même de
l’érection, de l’érectibilité du mamelon, qui comme ça passerait à travers
l’allaitement, de l’imaginaire maternel à l’imaginaire infantile comme une
sorte d’orientation, de pré-orientation de l’âme enfantine vers un certain type
d’imago. C’est toujours dans une relation binaire - du plein et du vide, du
saillant et du creux, du fond et de la forme - que c’est ce qui prépare à
l’ordre symbolique quelque chose qui va très rapidement distinguer chez Lacan
deux niveaux.
Il y a la question d’être ou de ne pas être le
phallus, et puis il y a la question d’avoir ou de ne pas avoir le pénis. Et en
réalité, la sexuation du garçon ou de la fille va se jouer à ces deux niveaux. A la jointure de
quelque chose qui est de l’ordre de l’imaginaire et du symbolique et qui permet
de diviser les deux choses. Alors, du côté du garçon il est tout à fait clair
dans la clinique en tout cas du névrosé que le pénis et la jouissance pénienne
chez les petits intervient comme compensation de la frustration d’amour. Cette
compensation de la frustration d’amour, qui permet au garçon de paraître avoir
le pénis tout en n’étant pas le phallus - puisque justement il est de l’autre
côté, il est du côté de la mère - est au ressort de la masturbation des petits.
J’avais affaire récemment un cas un peu troublant dans la mesure où le souvenir
jaillissait sans que je comprenne exactement pourquoi il jaillissait là et
avec, je dirais, si peu de refoulement, d’un homme qui se souvient tout à coup
de se masturber alors qu’il a 8 ans suite à une frustration particulièrement
importante que lui inflige sa mère, et dans un mélange extrêmement
impressionnant de chagrin et d’excitation maintenus comme pour ne pas mourir.
La mère de ce patient étant par ailleurs probablement une femme schizophrène ou
en tout cas une schizophénie dysthymique qui était très impressionnante pour le
petit garçon. Pourquoi étais-je ennuyé ? Parce que cette masturbation, ce
qu’on en connaît surtout, c’est la version freudienne, et qu’elle implique un
puissant refoulement. C’est, en somme, la version du petit Hans, dans la mesure
où la castration et tout simplement le fait que la jouissance de la
masturbation infantile met le garçon devant une réalité toute simple, c’est
qu’il n’a rien à donner qui coïncide avec la demande d’un adulte. Et que
« il n’y a rien à donner », c’est tout simplement quelque chose qui
n’a aucun sens pour l’érotisme maternel. Du côté de la fille, cette division
entre être ou ne pas être le phallus, avoir ou ne pas avoir le pénis, est médié
par la visée de ce qui manque à la mère au-delà de l’objet d’amour qu’elle
représente. Et ce qui manque à la mère au-delà de l’objet d’amour qu’elle
représente, amène aux yeux de Lacan l’être même de la petite fille à s’identifier
à quelque chose de l’ordre du phallus. Avec ce qui reste à donner, qui est dans
la résolution et dans la construction imaginaire et symbolique progressive de
la chose, c’est qu’il y a un enfant à donner, au-delà de ma propre existence.
Alors ce qui est très frappant à cet égard, c’est que le petit garçon comme la
petite fille se croient l’un et l’autre dotés du phallus non pas en fonction de
je ne sais quelle illusion d’optique plus ou moins aberrante, mais tout
simplement parce qu’ils sont aimés.
C’est ça le point je crois tout à fait essentiel.
Si on veut voir le point où est la présence justement de ce phallus qui n’est
pas une sorte d’hallucination chez les petits comme s’ils attendaient de se
baigner pour découvrir les uns avec les autres que les uns sont équipés et les
autres non de l’appendice pénien. C’est que tout enfant qui est aimé et qui se
croit aimé, ou qui hallucine qu’il est aimé, se croit par cela même équipé d’un
phallus. Il se croit être le phallus. Et c’est à partir de ce point d’éventuel
recul de l’amour maternel pour sa fille, qui est un point que Freud n’aborde
pas vraiment, que va pouvoir se mettre en place la signification du fait de ne
pas avoir de pénis. Et pas autrement.
Alors il y a un cas qui n’est jamais commenté dans
la grande littérature analytique, bien malheureusement d’ailleurs, que je vous
signale, qui est un cas extraordinairement riche d’hystérie féminine, allant
jusqu’aux limites extrêmes pratiquement de la schizophrénie - puisque la femme
en question a d’ailleurs été considérée comme une schizophrène - c’est le cas
de Mme G. Ce cas a été exposé avec un flots de détails pratiquement
invraisemblable par Robert Stoller, le psychanalyste du transsexualisme. On y
voit très bien comment on peut arriver jusqu’à des points de délire, puisque
cette femme, Mme G., ressentait à l’intérieur de son ventre la présence d’un
pénis en érection. Et ce n’était pas une cénesthésie psychotique délirante.
Stoller raconte l’évolution progressive des relations de cette femme avec son mari,
ses enfants, sa propre famille, son destin, et finalement elle trouve une sorte
d’étayage homosexuel particulier pour elle, mais qui montre quelle proportion
peut prendre l’intrusion imaginaire de cette question du pénis lorsque la perte
de l’identité phallique signifierait à la limite l’éclipse du sujet, son
aphanisis. C’est un très joli cas, qui n’est jamais commenté et qui est à mon
avis tout à fait riche.
Alors voilà un peu du côté de la Gestalt, des formes, le travail de
subduction imaginaire qui se passe. Du côté des symboles au sens plus généraux,
je crois que la culture classique de Lacan l’amenait à donner au phallus la
fonction qu’il a dans la comédie antique et dans la comédie moderne. En
particulier je crois par exemple à la monstration par excellence du phallus
dans la comédie ancienne, qui est la fin de La
paix d’Aristophane, dans laquelle les personnages sur scène amènent sur le
devant un gigantesque phallus honoré comme l’objet sacré qu’il est. Je vous
rappelle que l’intrigue de La paix,
c’est que les femmes d’Athènes, lassées de voir leur mari partir sans cesse à
la guerre, décident la grève des rapports sexuels jusqu’à ce qu’elles
obtiennent que leur mari revienne et au lieu d’aller piller et éventuellement
coucher avec les femmes des vaincus, et qu’ils honorent la couche de leurs
épouses légitimes. Alors ça c’est tout un premier registre que nous connaissons
bien, qui est lié également au registre des mystères, au commentaire sur le
phallus des mystères que fait souvent Lacan, dans lequel justement ce qui est
montré, et uniquement aux femmes, c’est l’objet ultime, dévoilement ultime, et
où tout ce qui compte dans l’initiation c’est le chemin, et non pas ce qu’on
montre en dernier lieu. Il y a également toute la question de la circoncision, dont
je vous rappelle que c’est toujours en droit français ce qu’on appelle un
« mystère juridique », puisque personne ne sait pourquoi on a le
droit de circoncire. Le fait est qu’on circoncit, mais il n’y a
fondamentalement en droit aucune justification à un acte qui est un acte
mutilant et qui n’est pas motivé par des considérations sanitaires…
-
Ce
n’est pas considéré comme une mutilation sexuelle ?
- Il y a plusieurs écoles, mais ce que j’ai
beaucoup aimé dans la formule de ça, c’est l’idée que ce soit un « mystère
juridique ». C’est que pour nous, ce n’est pas devenu un mystère au sens
religieux, mais c’est quelque chose qui existe dans les poches de nos
règlements. Les gens circoncis ne se plaignent pas d’avoir été circoncis. Et on
se demande ce qui se passerait si quelqu’un venait demander à ce qu’on aurait
pas, au motif que quand il était petit, etc…
-
Ce
n’est pas du tout comme l’excision ?
- Non, mais c’est pas du tout parce que
quelqu’un a décidé que ça ne l’était pas. C’est ça qui est très intéressant.
C’est juste parce qu’il n’y a pas de gens qui portent plainte pour… C’est ça
qui est très curieux.
-
C’est
pas du tout ce que Derrida raconte là-dessus !
-
Je
n’ai pas lu…
-
Dans
Circonfession
-
Oui,
alors j’ai lu Circonfession. Alors ce
qui fait la teneur des considérations que Lacan essaie d’en extraire. C’est que
le phallus qui l’intéresse, c’est le phallus qui fait lien à travers les
générations, c’est-à-dire qui fait lien de manière à ce que par les opérations
symboliques dans lequel le phallus est impliqué, quelque chose traverse la
succession des générations et donc présentifie aux yeux des vivants les morts.
Les rituels de circoncision dans la religion juive sont bien connus, n’est-ce
pas, avec le mohel qui vient, etc, le
type de solidarité que ça crée entre le père et fils au moment de la
circoncision du petit-fils, etc. Je dirais qu’on pourrait le généraliser à
toute sorte d’autre chose. Ce qui est très curieux, c’est que tout à l’heure on
était dans le registre imaginaire de la vie, de l’éréthisme, etc… Ici on se
trouve beaucoup plus en face de gens qui
apprivoisent la mort. Il s’agit d’apprivoiser la mort. C’est-à-dire de faire en
sorte que de génération en génération, quelque chose passe, qui fasse qu’on
puisse rappeler et se rappeler à la présence et aux yeux des morts en
perpétuant par une opération qui implique quelle part du phallus la présence de
ceux qui ont disparu. Alors, c’est là où les choses se conjoignent, dans la
mesure où évidemment, cette liaison transgénérationnelle a une texture
anthropologique évidente, et que la question d’être ou de ne pas être le
phallus et d’avoir ou de ne pas avoir le pénis se trouve du coup inséré dans
une problématique du don, de la circulation, qui fait que dans cette
transmission entre les générations, ce qui est donné aux vivants, c’est un
symbole qui par certains aspects les mutile ou leur demande quelque chose
concernant leur fonction de reproduction - de sacrifier tel ou tel objet
d’amour, de sacrifier une partie du corps comme le prépuce, etc. - mais qui en
même temps humanise ceux qui s’y soumettent.
C’est par le don qu’on accède primitivement, dit
Lacan, à la distinction entre le signifiant et le signifié. Si le signifiant et
le signifié se détachent, c’est parce que le don est par définition la constitution
d’une dimension symbolique au delà de l’objet lui-même. Parce que l’objet vaut
pour un autre, qui permet de le donner indépendamment de ce qu’il est. A ce
moment-là, ce qui se répercute, c’est que le
phallus devient le signifiant, dit Lacan, de la différence entre la demande et le désir. Ça devient un
signifiant de la différence entre la demande et le désir, au sens précis où la
demande - et je reviendrai tout à l’heure là-dessus - ne sait pas ce qu’elle
demande au delà de ce qu’elle demande. Et que l’objet du don qu’elle appelle
est un objet qui est si intime, si caché, qu’il ne pourrait prendre finalement
comme forme que celle de l’objet ultime : le phallus. Le phallus en tant
précisément que soustrait à la vue, à la conscience de chacun des partenaires.
Alors c’est là où je boucle mon affaire en disant
que quelque soit la richesse des références de Lacan à l’ancienne comédie,
c’est beaucoup plus dans la comédie moderne que vous observez comment
fonctionne cette différence entre la demande et le désir. Je pensais surtout à
Marivaux, dans la mesure précisément où dans Marivaux, le ressort de la
comédie, le ressort captivant de la comédie, c’est que les gens ne savent pas
ce qu’ils demandent, et à la fin, une fois que le désir a bien circulé entre tous
les individus, clac ! c’est le mariage. Et tout cela se termine par le
pacte qui vient celer que le marivaudage s’arrête en même temps que la comédie
et que les individus se retrouvent liés et soudés par un arrangement symbolique
qui rétrospectivement fait apparaître que le meilleur moment, c’est ce qui se
passait avant. J’ai quand même été frappé du fait que Marivaux a quand même été
sensible de ce qu’il pouvait présentifier du phallus dans la langue classique
de l’auditoire qui était le sien, puisque bien sûr on ne peut se servir du
procédé standard d’Aristophane qui consiste à carrément installer le phallus
sur le devant de la scène. On fera attention au rôle que joue les personnages
déformés, à bosse, dans les dernières répliques des comédies de Marivaux, en
particulier comment le bossu, en général le Barnabé compagnon du jeune homme
qui a réussi à conquérir la jeune fille, ne manque jamais d’indiquer, une fois
que tous les personnages ont quitté la scène que tout ça, ça va se terminer par
une grossesse, avec un geste qui est toujours calculé dans la comédie classique
pour aller évoquer l’obscénité sans jamais en franchir le seuil.
Alors, c’est là où justement : est-ce que les
deux choses peuvent se rejoindre ? Est-ce que ce qu’on peut comme ça
évoquer, d’une sorte de généralité du vivant, de généralité des processus
vivants va pouvoir coïncider avec ce qui ultimement serait une universalité des
processus symboliques ? Certainement pas, dans la mesure où la vie, la vie
pure, l’éréthisme de l’excitation, rencontre dans le symbole phallique une
barre. La barre, celle des écritures lacaniennes, celle qu’il y a dans ces
espèces de fractions qu’on voit un petit peu partout, c’est la même barre que
celle qui barre S dans ces écritures. On ne peut pas en quelque sorte écrire F/f,
dans la mesure où la barre elle-même est déjà le F. Cet espèce d’arrêt imposé par la fonction purement symbolique du
phallus à l’émergence de la vie, est une barre qui en même temps semble déjà
toucher quelque chose de réel.
J’avais là aussi prévu de faire un petit
développement sur un patient masochiste, de ces gens n’est-ce pas qui se font
fouetter. Vous savez que la flagellation est une des conditions d’accès aux
Mystères, dans l’Antiquité. Il n’y a de possibilité d’arriver à la contemplation
du dernier objet que par le biais de coups que le sujet reçoit. C’est
extrêmement difficile, c’est une question qui me préoccupe beaucoup, de savoir
si les pratiques masochistes contemporaines, pourraient comme ça, par je ne
sais quelle analogie transculturelle, ressembler à ce qu’on trouve dans
d’autres cultures. Mais si on renonce à l’analogie pour simplement indiquer le
point où la douleur des coups devient un des moyens de rendre l’excitation
sexuelle - puisque ça déclenche une excitation sexuelle - plus vive, dans un
registre qui n’est pas accessible à la plupart d’entre nous, qui est un
registre pervers. On se rend bien compte que le coup imposé par certains mots -
il y a des mots qui sont des coups - vient résonner je crois dans le même ordre
de réel, si vous voulez, que la flagellation, chez certaines personnes. Et dans
les fantasmes obsessionnels, par exemple, on voit de manière surabondante des
représentations de flagellation (je vous avais parlé cette année du cas de
monsieur D. qui s’était fait expliquer par les religieux qui l’éduquaient que
chaque fois qu’un enfant faisait une bêtise, c’est comme s’il prenait un roseau
et frappait le Christ au visage, et qui en avait donc intériorisé les interdits
sur un mode tel que le sang coulant du visage du Christ devenait une image
intolérable qui le hante à l’arrière-fond d’un certain nombre de ses
obsessions). On voit qu’ici ce ne sont pas des coups qui sont donnés. Ce sont
des mots qui fonctionnent comme des coups.
Alors à partir du moment où il y a une barre,
entre les 2 côtés, entre le côté du phallus imaginaire et le côté du phallus
symbolique, Lacan opère un retournement, que je n’ai pas tellement pu localiser
dans un texte précis, mais qui me paraît être le suivant : c’est que du
coup, F (le phallus symbolique), symbolise tout le
symbolique. C’est-à-dire tout ce qui se trouve au-delà de la poussée de la vie.
Qui fait barre à la poussée de la vie. Et qui symbolise donc aussi bien quelque
chose de l’ordre de la mort, que de l’ordre d’une vie éternisée par son
élévation à une fonction symbolique. Autrement dit, le phallus, c’est le
signifiant de l’action ultime du signifiant sur le signifié.
Et c’est en ce sens que ce que le phallus dénote,
dit-il quelque fois, c’est le pouvoir de signification. S’il y a quelque chose
qui justement peut nous arracher à la coaptation du mâle et du femelle, de la
forme et du fond, de l’épée et du fourreau, pour prendre les éternelles
métaphores stoïciennes, c’est précisément l’introduction de cette dimension.
Alors c’est là où la réponse à l’échec immédiat - n’est-ce pas, cette histoire
de signifiant phallique, c’est contradictoire dans les termes, c’est impossible
en terme saussurien ou structuraliste ordinaire de trouver quelque chose comme
un signifiant phallique - c’est que ça représente le pouvoir même du
signifiant. Et ça symbolise le symbolique lui-même. Ça veut dire, deuxième
conséquence qu’il faut en tirer, que le signifiant phallique n’est pas un
signifiant parmi les autres. Il est le signifiant qui met en fonction les
autres signifiants. Et le phallus imaginaire devient l’objet ultime de cette
action. Par là, ce caractère exceptionnel du signifiant phallique, c’est que ce
serait le seul qui se signifie lui-même, mais qui se signifiant lui-même reste
pour autant innommable.
Alors, je crois que c’est extrêmement difficile
d’essayer de montrer à quoi correspond cliniquement et où va-t-on repérer dans
ce que raconte quelqu’un quelque chose qui indique sa soumission à un ordre de
ce type. J’ai parlé des coups…
- Oui
justement, est-ce que je peux poser une question ? Quelle est la
différence entre les flagellations, les tableaux de flagellation par exemple
comme celui de ……….. qui n’a strictement rien à voir avec quelque chose je
dirai de pervers. Et puis les Saint-Sébastien percés de flèches. Alors là,
franchement, quand tu vois les Saint-Sébastien, tu es devant des tableaux
pervers. Ils sont empalés, etc… Le Christ de ……… , il n’a pas l’air de souffrir
énormément, il est l’objet de négociations entre divers…
- Je
te fais une réponse comme ça, c’est vrai que… bon, ça ne fait pas non plus 30
ans que je suis analyste, je n’ai jamais entendu de fantasme de transfixion, au
sens où les gens seraient percés. Je crois que ce qui suscite effectivement une
question particulière (ce n’est pas une question de limitation de l’imaginaire
ou de limitation de ce que j’ai pu entendre), c’est vraiment l’idée qu’il y a
des traits qui sont portés sur… C’est aussi certainement lié au fait que ce qui
transperce tue, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais c’est certainement plus
facile d’élever la balafre à la dimension d’un signe que ce qui perce.
En tout cas, là où moi je cherche plutôt à saisir
le grain de ce type d’expérience, c’est que le sujet précisément quand il est
pris dans cette dimension phallique, il s’éprouve sans se saisir. C’est lié à
cette expérience particulière de s’éprouver sans se saisir du fait de
s’éprouver. Ça n’a strictement rien à voir par exemple avec ce qui pourrait
être une forme de cogito sensible dans lequel le fait de se sentir se sentir
produirait par cela même une capacité à s’individuer ou à se sentir exister comme sujet. C’est quelque chose de beaucoup plus
subtile, dans la mesure où à s’éprouver sans se saisir complètement, toute
cette organisation très particulière du rapport du corps vivant à lui-même, ses
formes et ses images, se trouve inscrit littéralement sur un fond qui le
dépasse et lui permet de faire de sa vie quelque chose qui reste un point
d’interrogation tout en ne le délitant pas. Et à ce niveau-là, je crois que
l’expérience de l’identification phallique fondamentale, celle qui permet à un
sujet d’avoir un corps à soi, cette expérience-là n’est pas autre chose que la
possibilité de s’éprouver sans se saisir, tout en laissant à l’autre quelque
chose de l’ordre d’un privilège à l’égard de ce qui est senti dans ce que je
sens de moi-même. Il y en a plein de figures de ce genre de chose, mais lorsque
Lacan va parler par exemple du stade phallique et qu’il va essayer de répondre
à cette vieille polémique avec Jones, etc, sur ce que c’est que la phase
phallique, le moment où un sujet s’identifie au phallus comme objet du désir de
la mère, etc… il marquera une chose très importante. Comme vous le savez, chez
Lacan, il y a un refus absolu de l’idée de stade pré-oedipien. Chez Lacan, il
n’y a de stades que pré-génitaux, ce qui est très différent. Le pré-eodipien,
qu’il ne nie pas d’ailleurs parce que forcément il y a des choses qui existent,
est psychanalytiquement inaccessible. C’est un effet de rétroaction de la
constitution de l’expérience génitale comme étant une expérience de décharge
non dissolvante, non anéantissante, que prend sens rétroactivement l’oralité,
l’analité, etc… Et c’est à partir en quelque sorte du phallus, que le sein peut
passer pour un précurseur du phallus, c’est à partir du phallus que les
excréments peuvent à leur tour passer pour des précurseurs prégénitaux, et non
dans une sorte d’intégration développementale extrêmement étrange, ces objets
se transformer les uns dans les autres, être introjectés puis projetés, comme
dit Mélanie Klein. Alors, c’est aussi sa manière de comprendre, puisque ces
stades sont associés à une théorie de la fixation et de la perversion, que ce
que c’est qu’une perversion. Eh bien ce n’est rien d’autre que de s’identifier
à l’objet positivé du désir d’une mère aimée. Non pas justement en quelque
sorte au phallus en tant qu’il ouvre à cette dimension qui est au delà de lui,
mais en renonçant à cette dimension qui est au delà de lui, la dimension de Φ,
de se replier sur une positivation du phallus à l’intérieur par exemple des
excréments, ou bien de l’excitation orale, ou bien des objets de la bouche,
etc… Ce qui est tout à fait sensible. C’est-à-dire que le choix de l’objet de
l’excitation perverse, c’est une positivation qui essaie de maintenir
l’existence du phallus autour duquel se construit le moi pervers, en évitant
cette espèce d’effet d’inscription de fait transcendant du Φ. Seul le
phallus, en tant qu’il est mise en forme de l’expérience génitale, permet ce
passage au-delà. Alors, ça pose des questions très délicates de
l’interprétation de ce qu’on trouve par exemple chez les enfants, mais il est
certain que le seul biais thérapeutique dont on dispose jamais avec les
enfants, il est toujours au niveau du stade phallique. Il peut même
éventuellement être de l’ordre de l’injection forcée de quelque chose de
l’ordre d’un symbolique chez des enfants très petits. Mais on ne peut pas à
proprement parler analyser en tant que tel quelque chose comme une phase anale
ou bien des phénomènes de ce genre. Lorsque ces phénomènes sont au premier
plan, c’est d’ailleurs ce qui arrive quelques fois - donc des enfants qui se
mettent à jouer avec leurs excréments de manière absolument angoissante - on
est souvent amené à poser le diagnostic de schizophrénie précoce. Ça veut dire
que justement il y a dans ces objets qui sont des objets évidemment investis,
quelque chose qui échappe totalement à une dialectique de type phallique.
Alors, de tout cela, Lacan tire, vous le savez, dans les années 50-60…
-
Qui
n’est pas du tout objet de refoulement…
-
Alors
ça, non…
-
Alors
que, effectivement chez les enfants « ordinaires »…
- Oui, chez les petits névrosés, il y a ce
refoulement, et on y a accès que par la phallicisation des objets à leurs
objets par exemple fécaux. Ça aboutit chez Lacan à une théorie très simple de
la fin de l’analyse, qui est une théorie assortie à cette conception de
l’imaginaire. cette théorie est toute simple, c’est que terminer une analyse,
c’est faire le deuil du phallus. C’est faire le deuil du phallus une fois qu’on
a fait le tour des demandes d’amour qui visaient l’au-delà de l’autre. Et qui
essayaient d’extraire de l’au-delà de l’autre, dans évidemment le transfert et
la figure récapitulative et l’espace de jeu, quelque chose de l’ordre du
phallus. C’est la manière dont il conçoit, Lacan, le fait que la libido
refoulée, c’est la libido portant sur les investissements pervers. Alors on
arrive ainsi à ce que Lacan appelle le – φ, qui est en quelque sorte
l’accès à l’angoisse de castration. Le « moins » de – φ étant,
si vous vous rappelez les écritures lacaniennes, l’équivalent des parenthèses
autour du a, c’est-à-dire ce qui dessine le trou dans lequel l’objet tombe.
Alors, lorsqu’on dit que cet objet, que ce deuil du phallus n’intervient que
quand on a fait le tour des demandes symboliques d’amour, qu’est-ce que c’est
que l’amour, c’est extrêmement crûment le désir du désir. Ce que c’est que
l’amour, c’est désirer être désiré. C’est se sentir désirant uniquement du fait
d’être désiré, et désiré uniquement du fait d’être désirant. Désiré pour son
désir. C’est particulièrement probant ce genre de choses, si vous pensez à la
cure de l’hystérie mâle. La cure de l’hystérie mâle est effectivement un
procédé qui amène les individus à déborder de leur être, et par là en quelque
sorte à lâcher sur les stratégies de séduction précisément ce qui barre l’accès
à la jouissance sexuelle. Dans la mesure justement où l’hystérie mâle se
caractérise par cette asymétrie entre des postures phalliques et l’impuissance,
des espèces de décalages de ce genre. Alors le problème est le suivant :
c’est que si cette convergence imaginaire et symbolique est assurée par le
signifiant phallique, eh bien on se retrouve devant le problème que j’ai
soulevé la dernière fois, c’est que ce n’est plus du nominalisme. C’est-à-dire
que Lacan ne serait plus nominaliste pour au moins un signifiant, qui serait le
signifiant phallique, puisqu’en fait il est totalement soutenu et supporté par
une mise en scène dans la réalité biologique, organique, physiologique, de la
population. Alors, la réponse que donne Lacan et qui m’est apparue encore plus
vivement quand je n’ai pas réussi cet après-midi à vous présenter en détail un
cas - ce qui donne à ma dernière séance un caractère un peu abstrait - c’est
que tout cela ne cesse, cette illusion que Lacan ne serait pas nominaliste avec
le phallus, ne cesse que lorsqu’on s’aperçoit que le symbole phallique permet
de mettre en question l’existence du sujet. Autrement dit, ce qui est la thèse
la plus forte de Lacan, c’est que le phallus permet au sujet de se mettre en
question, aussi bien dans le champ du réel que dans le champ du symbolique.
Qu’est-ce que j’appelle cette mise en question ? Cette mise en question,
c’est quelque chose de très différent de la radicalité de la mise en question
philosophique. Il ne s’agit pas ici de se demander pourquoi il y a quelque
chose plutôt que rien. Il ne s’agit pas de se demander ici pourquoi c’est moi qui
suis moi. Il s’agit précisément de sortir de cette orbe de questions qui
contamine beaucoup quelque fois la perception qu’on a de Lacan, non pas en
disant que ce sont des questions qui servent à refouler Dieu sait quoi !
Non, en disant qu’il y a un autre type de questions, de questions subjectives
qui sont liées à la mise en question de l’existence du sujet par son
inscription phallique. C’est : « pourquoi est-ce que je suis un homme
ou une femme ? ». C’est : « pourquoi suis-je à cette place
dans la filiation ? ». De montrer que ces questions sont les questions qui
sont cachées dernière les symptômes. Tout symptôme, d’une certaine manière, est
une question. C’est-à-dire qu’on vient comme ça avec une question sur un
trouble de la jouissance, voir un analyste, dans la mesure où ces symptômes
sont des sortes d’avancées timides, prudentes, et à chaque fois très
idiosyncrasiques, vers la question de savoir pourquoi est-ce qu’il m’arrive
ceci dans ma vie ? Qu’est ce que c’est que cette espèce de perte éprouvée ?
Mais elle s’inscrit non pas dans une sorte de phénoménologie du « pourquoi
est-ce que je suis ce que je suis ? », elle s’inscrit de façon
extrêmement crue : « pourquoi est-ce que je serai plutôt un homme
qu’une femme », « pourquoi tel ou tel de mes plaisirs sont teintés de
telle ou telle de ces nuances », « pourquoi telle ou telle image, ou
présence, ou destin, ou fatalité familiale semble s’abattre sur moi – ou, il ne
faut jamais l’oublier, on peut faire aussi une analyse pour ça - sur mes enfants » ?
Alors, ce déplacement-là, je crois que c’est très important parce que moi je ne
pense pas que la croyance dans l’inconscient soit un critère indispensable à
faire des analystes. En revanche, ce qui à mon avis est un critère
indispensable pour faire des analystes, c’est que la question soit posée dans
ce registre, et pas dans le registre philosophique de la mise en question
portant sur l’être. Pas : « pourquoi il y a-t-il de l’être plutôt que
rien ? Pourquoi est-ce que je suis ce que je suis ? Pourquoi
est-ce que la vérité est la vérité ? », etc… C’est dans un registre
extrêmement décalé, et on y accède qu’à partir de cette situation du signifiant
phallique. Je crois que la croyance dans l’inconscient - qui est certainement
évidemment j’exagère exigible de quelqu’un qui voudrait devenir analyste -
cette croyance dans l’inconscient elle ne peut être une croyance autre
qu’idéologique, et une croyance authentiquement subjective, pas suggérée par
une lecture par exemple, ou des enseignements, que dans la mesure où elle
procède de cette manière de s’interroger sur soi qui consiste à se mettre
plutôt dans l’axe de la question posée par le signifiant phallique, de poser
son existence dans l’axe de cette question. A cette condition seulement, on se
décentre je crois effectivement de ce qu’on a pu appeler le phallocentrisme de
Lacan. Le phallocentrisme de Lacan n’est pas une manière d’harmoniser comme ça
des représentations imaginaires et des représentations symboliques ou
culturelles. Ce phallocentrisme, c’est un phallocentrisme qui met en jeu
l’existence du sujet. Et c’est là où je crois que la première théorie du
phallus chez Lacan, du signifiant phallique émerge dans toute sa pureté :
pourquoi Schreber ? La fameuse métaphore du Nom-du-père, dans le commentaire
que Lacan fait de Schreber, cette métaphore du Nom-du-père, qui est écrite par
Lacan, en 56, avant que Lacan je vous le rappelle, n’ait défini le sujet comme
ce qui est représenté par un signifiant pour un autre signifiant, c’est quelque
chose de tout à fait antérieur, cette métaphore du Nom-du-père est une manière
de dépsychologiser, de désociologiser l’Œdipe des commentateurs sportifs de la
radio, dans lequel il paraît qu’il faut que le père soit là, que la mère soit
vachement gentille avec le papa parce que sinon il va se passer des choses
épouvantables, et pour lesquels bien évidemment il ne faut surtout pas qu’on
confie des enfants à des parents homosexuels, parce que ce serait complètement
incompatible avec le développement…, enfin tout le vocabulaire de la psychogenèse,
des généralités statistiques qu’on peut développer là-dessus. Alors évidemment,
l’idée de Lacan c’est de se débarrasser une bonne fois de cette espèce de
chose, en essayant de dire qu’au fond, d’abord on devrait s’interroger sur le
fait qu’il y a des tas de familles dans lesquelles le père est mort et où les
enfants ne sont pas fous, ce qui montre bien que l’absence du père n’a
strictement rien à voir avec la folie des enfants, et que justement c’est là où
l’on est obligé, précisément dans ces cas où il n’y a pas de père, et où la
mère élève seule l’enfant, de bien se rendre compte du fait que la réalité n’a
rigoureusement rien à voir avec quelque chose qui est de l’ordre du subjectif.
Puisque c’est non pas l’absence plate du père qui compte, mais ce qui est
symbolisé comme étant le père manquant, ou le père qui n’est pas là. Et le
simple fait d’être un père mort est tout à fait suffisant pour faire de vous un
père symbolique. Dans la mesure où justement ce père mort est symbolisé comme
père mort, en tant que père mort. Alors tout ça me paraît… je fais ce petit a
parte parce que je lis des choses tellement consternantes, prétendument
psychanalytiques sur ces histoires d’homoparentalité, je trouve tout à fait
frappant que les couples puissent vouloir instituer un tiers dans leur relation
à des enfants qu’ils adopteraient, et qu’au nom de la psychanalyse, et parce
que ce tiers apparaît à des gens comme n’étant pas le tiers qu’il faut, qui
correspondent à ce qu’ils s’imaginent devoir être le symbolique, on leur
refuse. Il y a là quelque chose de complètement tordu dans la représentation
post-lacanienne, je dirais entre l’imaginaire et le symbolique qui est
extrêmement inquiétante. Nous savons tous, tous les gens qui ont pratiqué
l’analyse que ça fait belle lurette qu’il y a des couples d’homosexuels qui ont
élevé des enfants, et que ces enfants ne sont pas nécessairement schizophrènes,
et qu’on peut parfaitement être hétérosexuels et fabriquer des débiles mentaux
ou des psychoses infantiles en série. Et que donc il y a là une économie je
dirais complètement absurde des choses, qui parfois invoque la psychanalyse et
parfois même avec la psychanalyse lacanienne, avec laquelle je ne suis
absolument pas d’accord.
-
On
parle même de la bêtise…
- Non, ça relève du symptôme. La bêtise, ça
n’existe pas. Les gens sont tous intelligents, même les débiles mentaux. Les
débiles mentaux, ce sont soit des pervers, soit des psychotiques. Mais ils ne
sont pas débiles. Non, la bêtise… ou alors la bêtise au sens de la jouissance
prise à maintenir ses théories sexuelles infantiles jusqu’au bout. Ça c’est
sûr, il y a des gens qui pensent que leur papa est tellement bien que le
problème des autres c’est qu’ils n’ont pas un papa comme le leur. On n’y peut
rien. Alors ça effectivement, ça ça fait partie de la bêtise. Mais elle n’est
pas consubstantielle à la psychanalyse malgré le spectacle qu’on a sous les
yeux aujourd’hui. Alors en déplaçant les choses en terme de signifiant, à quoi
on arrive ? On arrive à cette idée que c’est la place faite au père
symbolique qui était ponctuellement le père mort, et qui peut-être n’est jamais
plus symbolique que quand il est mort et quand justement il ne gâche pas tout
avec ses comportements ridicules et pathétiques de père - au moins quand il est
mort, on peut le sacraliser un bon coup et lui faire tout honneur - qu’une mère
est capable de donner forme à ce qui est signifié au sujet de son propre désir,
et le Nom-du-père qui est le signifiant grâce auquel la mort ou l’absence du
père est donné comme absence, en tant qu’absence. On se retrouve de l’autre
côté, en faisant tomber de l’Autre, de l’Autre maternel, quelque chose qui
manque à cet Autre et qui est le signifiant phallique. A / phallus, c’est la
même chose que A barré = A – Φ. Ce grand A d’où est tombé le signifiant
phallique, c’est la même chose que grand A – Φ. Ceci n’est possible que
par l’opération du Nom-du-père. Et le Nom-du-père, ce n’est pas le patronyme,
vous le savez, c’est ce qui peut permettre au patronyme de jouer son rôle d’ancrage
symbolisant l’absence du père. Alors pour que le père ait une présence
symbolique, les cultures peuvent multiplier les rapports, entre le père qui
existe et l’ensemble de la filiation dont il est issu, qui renvoie toujours
n’est-ce pas à une sorte d’ancestralité toujours plus noble, toujours plus
illustre. Et Lacan comme vous le savez, a beaucoup insisté sur le fait qu’un
des problèmes des sociétés modernes, c’était que le Nom-du-père est mis en
péril par les pères existants dans la mesure où l’humiliation constante dans
lequel sont plongés les êtres humains par l’ordre social dans lequel ils vivent
fait que les défauts du père existant, qui sont patents, sa fragilité, et les
crises économiques des sociétés modernes ne font qu’exhiber de manière de plus
en plus crue et de plus en plus cruelle, et menacent à tout moment la capacité
de la mère à viser dans le père quelque chose de plus que l’homme qui partage
sa couche. Alors, chez Schreber, c’est ça qui je crois est la très grande force
de l’analyse de Lacan, on voit très bien pourquoi le symptôme fondamental de
vouloir se transformer en femme qui fait du cas Schreber un cas de psychose
pour la psychanalyse, puisque c’est directement une sorte de transformation
sexuelle, dans le cas Schreber, on voit très bien que le défaut de Nom-du-père
rejaillit dans la mise en place de la fonction phallique au niveau même de la
vie. C’est là qu’il faut se rendre compte que les dépressions psychotiques, ce
que Schreber appelle dans son langage, la Grundsprache,
le meurtre d’âme, le trou qui est fait dans l’expérience de la vie chez un
psychotique, par la forclusion du Nom-du-père, provoque un type de dépression
qui a une qualité, une qualité existentielle sans aucune espèce de rapport avec
ce dont se plaint un névrosé. C’est véritablement une fêlure qui vient
rejaillir à la jointure de la vie dans la définition même de la cohésion à soi
du psychisme. La solution ultime que trouve Schreber, comme vous le savez, qui
consiste à délirer pour se retrouver à la fois n’est-ce pas la femme qui manque
à Dieu et la mère qui manque aux hommes, consiste à s’expédier complètement du
côté féminin, et à faire exister une représentation délirante de la femme, sa
propre transsexualisation, comme un arrimage redonnant à sa présence phallique
non castrée une teneur qui lui rende la vie vivable. Et comme Lacan aussi bien
que Freud le note, le moment d’équilibration avant la crise finale et la
destruction de Schreber, là où il va bien, finalement, c’est au moment où il se
transsexualise. Un petit peu comme si par un phénomène d’épure de toutes les
lignes de force de sa psychose, le point de transsexualisation était un point
d’équilibre. Les gens que vous avez certainement vu à l’hôpital, qui
connaissent des phénomènes schrebérien ne sont pas toujours comme ça. On a
souvent plus l’impression que les phénomènes de transsexualisation qu’ils
éprouvent font partie de la crise plutôt qu’ils ne la résolvent. Donc il faut
faire très attention à ce qui est véritablement l’économie symbolique de ce
genre de choses. Ce n’est pas parce que quelqu’un a un délire qui se développe
comme un délire schrebérien qu’on va arriver à une stabilisation délirante. Il
faut considérer les éléments en jeu. Mais alors justement, qu’est-ce qui se
passe au dernier degré de cette stabilisation ? Le Dieu de Schreber lui
apparaît, avec cette fameuse parole : « …….. ». Tout non sens,
alors c’est l’Aufhebung hégélienne, à la fois s’abolit, se conserve,
puisqu’effectivement, le Nom-du-père ressoude, la construction substitutive ou
palliative à l’absence du Nom-du-père qu’est le délire de Schreber permet
d’obtenir cet effet extraordinaire que lui envoie une voix, puisque le
signifiant parle dans le délire de Schreber, le signifiant parle de lui-même,
le langage dit de lui-même ce qu’il doit être, c’est ça la teneur des
hallucinations, avec cette phrase incroyable : « tout non sens
s’abolit ». Et en écho, dans le délire : « Dieu est une
pute ». L’autre phrase, qui vient symétriquement, puisqu’à partir du moment
où il s’agit de tenir cette tension, l’Autre non barré de manière phallique
apparaît comme étant une sorte de chose que rien ne retient, et dont on ne sait
pas très bien jusqu’à quel point elle peut pousser l’obscénité dans les
incitations, stimulations, et phénomènes corporels angoissant qu’il inflige par
ignorance – le Dieu de Schreber ne comprend pas comment fonctionnent les hommes
– au pauvre Schreber. Alors, je vous dirai juste une toute petite chose sur ce
sujet sur monsieur D. puisque j’en ai parlé cette année, sur un des traits qui
avait amené une petite discussion avec Geneviève Morel, sur la question de
savoir si la question lien du sang faisait partie justement de ces signifiants
refoulés dans l’Autre dont les symptômes présentent constamment le retour. Je
vous ferai remarquer que dans la névrose obsessionnelle à grande échelle de
monsieur D., un des traits symptomatiques les plus impressionnants, et qui lui
a posé dans sa vie des problèmes majeurs, c’est la chosification de la lettre,
avec une sorte d’aversion pour la lettre, comme étant précisément ce qui
présentifie l’absence. Avec ce phénomène très curieux qu’il ne peut lire de
livres que de livres dont il a vu le film parce que vient soutenir à tout
moment l’activité d’intelligence du texte, une sorte de présentification
imaginaire en continu, qui lui permet toujours d’anticiper, et d’éviter ce
temps de suspens où la phrase n’étant pas finie, où le chapitre n’étant pas
finie, l’histoire étant ouverte par le processus même de l’écriture et de la
symbolisation, quelque chose pourrait s’ouvrir de beaucoup plus angoissant.
C’est lui qui avait ce phénomène ahurissant quand il était enfant, d’apprendre
par cœur des textes, et de ne pouvoir se rappeler que soit de l’image des mots,
soit du sens. Mais jamais des deux. Et donc de souffrir pour réciter par cœur
une phrase de quelques lignes, parce que soit il récitait sans comprendre un
seul traître mot ce qu’il était en train de lire, mais dans l’ordre dans lequel
les signifiants se présentaient, et c’était absolument épuisant de mémoriser
comme ça, soit il se rappelait très très bien ce que lui racontait la fable de
la Fontaine, mais il était impossible pour lui de restituer à la lettre le
texte de la fable. Même chose avec le latin… Une espèce de clivage absolument
extraordinaire entre le signifiant et le signifié, liés précisément à ce défaut
qui apparaît évidemment maintenant avec le recul et les séances admirablement,
à ce défaut de soudure paternel symbolique et phallique des deux dimensions.
Alors les liens du sang, cet espèce de mots qui comme les enfants obsessionnels
il prend au pied de la lettre, les liens du sang sont expulsés dans l’Autre, et
font retour à travers le sang qui coule et ruisselle partout sur tous les
personnages aimés, ce qui anime sa fantasmagorie obsessionnelle. Juste deux
choses sur la différence des sexes et le rapport sexuel, et puis sur le dernier
Lacan, le plus obscur, n’est-ce pas, celui des quanteurs de la sexuation dont
j’avais parlé déjà l’an dernier. Je vous rappelle, que contrairement à ce qui se
raconte, la psychanalyse n’a rien à faire de la différence des sexes. On est
tellement envahi par les opinions des psychanalystes sur la différence des
sexes qu’on oublie la mise en garde de Freud selon lequel il y a plusieurs
façons de la définir. Soit sociologique, soit biologique à l’égard de la
reproduction, soit par une opposition de type psychologique entre l’actif et le
passif. Freud étant d’ailleurs relativement réservé semble-t-il sur les
déterminants sociologiques de cette opposition. Ce qui est très important,
c’est de bien voir que les enfants ne se posent aucune espèce de question, dit
Freud, sur le fait qu’il y a des hommes et qu’il y a des femmes. Que la
question des enfants, c’est : eux, d’où ils viennent ? D’où viennent
les enfants ? Et non sur le fait qu’il y ait des hommes et des femmes. Et
d’ailleurs, c’est même tellement sans rapport que la question de savoir d’où
viennent les enfants sera très très progressivement rattachée par une théorie
sexuelle infantile et par ses remaniements successifs à l’idée qu’il y a de la
différence sexuelle et qu’elle joue un rôle dans la reproduction. Ce qui est
d’ailleurs extrêmement facile de faire valoir, n’est-ce pas, nous croyons tous
que si nous existons, c’est parce qu’il y a eu un rapport sexuel entre nos
parents. C’est juste que c’est la dernière théorie infantile sexuelle qui
tienne et qui est relativement compatible avec la réalité. Ça n’a absolument
rigoureusement aucune espèce de fondement. Pourquoi ce serait comme ça plutôt
qu’autrement ? Alors, ça n’empêche évidemment cette définition de la
différence des sexes peut être contradictoire. Mais qu’elle soit
contradictoire, ça n’empêche pas d’exister. C’est-à-dire qu’on puisse
parfaitement construire des contradictions entre l’aspect sociologique et
l’aspect biologique, et tout ce que vous voulez, toutes les situations les plus
extraordinaires, ça n’empêche nullement ces catégorisations, parfaitement bien
implantées, de fonctionner. C’est ce que vous avais expliqué la dernière fois
sur l’idée de nominalisme. Le nominalisme ne dit pas que ça reflète l’essence
des choses. Il dit que c’est bien implanté. Et que si vous voulez le remettre
en question vous êtes obligé de vous en servir. C’est le point essentiel des
choses. La question du rapport entre les sexes est tout autre. Elle est tout
autre. D’abord, la question du rapport entre les sexes, elle est liée au fait
que nous parlons, et que si nous parlons, c’est absolument coextensif du fait,
que de rapport entre les sexes, il n’y en a pas. Cette phrase : « il
n’y a pas de rapport sexuel », dont on peut se gargariser, faire des
titres de romans, dire « comment est-ce que Lacan a pu dire une chose
aussi absurde ? ». Il ne s’agit pas non plus de dire que le fait que
nous parlons, que le fait que nous n’avons de rapport sexuel que par le biais
d’une mise en scène érotique, etc… Ce n’est pas vrai du tout. Il y a des
rapports sexuels qui se passent dans la haine, dans le viol, etc, et qui n’ont
aucunement besoin de discussions ou d’échanges ou de verbalisations. Et ce sont
des rapports sexuels. Punis comme tel, par exemple. Non, c’est l’idée que nous
sommes pris dans une économie psychique où de toute façon, il y a suppléance à
l’instant. Les animaux n’ont pas besoin de se parler pour se reproduire, ils
n’ont pas besoin d’être dans un monde de mots pour se reproduire. Alors vous
allez me dire : est-ce que du coup ça veut dire que la reproduction
humaine, le fait qu’il y ait des hommes qui couchent avec des femmes et que ça
fasse des enfants, est totalement contingente ? Qu’il n’y a aucune part de
nature, de naturel ? Oui, si on donne à contingence le sens que ça a dans
une théorie rigoureusement nominaliste. Autrement dit, c’est contingent, mais
il n’y a pas de quoi en faire une maladie, vu que c’est la seule contingence
qu’il y a. C’est la seule chose qui se passe. Autrement dit, c’est tout aussi
absurde que de se demander pourquoi une espèce existe, en terme darwinien. Une
espèce existe parce qu’elle est sélectionnée pour exister. Il n’y a pas de
contingence de l’existence des girafes, ou bien de l’existence des dauphins. Il
n’y a pas de contingence dans ce sens-là, puisque le fait qu’elle existe est à
soi-même l’argument qui permet de penser qu’il y a une sélection naturelle. On
s’en sert comme argument pour montrer qu’il y a une sélection naturelle. De la
même manière, dans le registre symbolique, que les êtres humains se
reproduisent, même si le langage les dénature, ne doit pas donner à rêver à
d’autres manières de se reproduire, ou à d’autres manières de parler, ou à
d’autres manières de se reproduire en dehors du langage, ou à des questions de
ce type-là, comme s’il y avait un état de nature, par exemple. Le fait est, que
les choses s’organisent ainsi. Ce que nous sommes obligés de penser, c’est bien
plutôt la distribution des rôles sexuels en fonction du phallus. C’est ce qui
fait, je dirai quand même que le fait qu’il n’y ait pas de rapport entre les
sexes, nous savons très bien qu’il n’y a pas de rapport entre les sexes. Nous
le savons sur un mode très simple, c’est celui de l’angoisse. C’est celui des
symptômes. C’est-à-dire qu’il n’y a aucune espèce de garantie, en dehors de
l’invocation aux dieux, qu’entre un homme et une femme, ça va bien se passer au
lit. Aucune. Et que ça, c’est ce qui fait qu’on peut soit faire un grand signe
de croix avant de rentrer dans le lit conjugal, soit avoir une espèce de petite
pratique anti-anxiogène, du genre verre d’alcool, etc… Mais de toute façon,
nous savons extrêmement bien que l’angoisse de castration va être portée à son
comble, par la prétendue réalisation de l’acte dit naturel. Alors, une fois
ceci rappelé – ce sont des banalités, mais ça m’amuse beaucoup de voir que dans
les représentations assez populaires de la psychanalyse, c’est tellement peu
une banalité que j’ai l’impression qu’il faut rappeler que la psychanalyse n’a
rien à dire de la différence des sexes, que la différence des sexes elle est
là. Que c’est peut-être dommage pour la psychanalyse qu’elle n’ait rien à dire
de la différence des sexes, mais on n’a pas besoin d’avoir à dire quelque chose
concernant la différence des sexes pour faire de la psychanalyse. Ça n’empêche
pas qu’il y a un problème très particulier qui se pose à l’intérieur de ce
dispositif, c’est la sexualité féminine. Puisque la sexualité féminine, c’est
ce qui au fond chez Lacan, l’a amené à reconsidérer complètement sa notion de
signifiant phallique. En articulant deux choses qu’il n’avait pas articulées
jusque-là, la jouissance et le réel. Alors, je vous le laisse comme ça comme
une sorte d’indication que je vais juste un petit peu développer. L’idée de
Lacan, c’est que vous avez comme ça une sorte de continu dans lequel le phallus
intervient comme un bornage. Un bornage qui définit un espace fermé, et un
espace ouvert :
Φ désir/demande
─────────][────────
fermé ouvert
J(Φ) J(A)
- C’est-à-dire qu’il faut demander au
signifiant phallique de créer une asymétrie dans la jouissance. Ce n’est pas,
si vous voulez, une manière de diviser les choses, il ne peut pas être en
quelque sorte quelque chose qui ferait devenir interstitiel, le signifiant
phallique. Si vous avez un bornage, ce bornage va définir nécessairement un
fermé et un ouvert. Cette image consiste à mettre les hommes d’un côté,
les femmes de l’autre, en essayant de se repérer sur une particularité très
spéciale qui est celle de la jouissance féminine. Alors, je suis obligé de dire
quelque chose du clitoris parce qu’on en a parlé tout à l’heure. Ce qui ne va
fondamentalement pas avec les explications et les débats infinis des années 30
sur la question de savoir si le clitoris était un petit pénis et que la femme
était castrée, de s’apercevoir qu’un pénis s’est plus grand qu’un clitoris,
etc…, ce qui ne va fondamentalement pas avec ça, c’est deux choses : c’est
que d’abord c’est mettre l’accent sur quelque chose de purement
développemental. Une sorte de psychologie génétique qu’il y a chez les enfants,
où il faudrait transformer la petite fille en femme à travers un processus
d’intégration psychologique, qui n’a rigoureusement rien à voir avec les
prémisses épistémologiques de Freud. La manière dont Lacan essaie de balayer
complètement le problème, c’est de dire que nous n’avons jamais à faire à des
processus développementaux. Tout se passe en synchronie. C’est toujours
aprsè-coup que la masturbation infantile chez une petite fille va prendre cette
coloration de lacune phallique, après-coup elle va la prendre. Jamais bien
évidemment sur le moment, dans la mesure où les jouissances sont par définition
incomparables, autistes, dit même quelque fois Lacan. C’est la construction de
ces significations de ces jouissances qui après-coup va caractériser la
jouissance clitoridienne comme étant une certaine signification de la jouissance
dans un certain ordre. C’est pour ça que je dis qu’il manque un petit Hans qui
soit une petite fille, à Freud. Alors, ce qui est un peu étonnant, c’est que
quand on lit ces querelles, on se demande un petit peu quelles représentations
les gens devaient avoir de ce que c’était que l’analyse des enfants, ou même la
sexualité féminine. La deuxième chose que Lacan essaie de déblayer pour y avoir
accès, c’est de faire remarquer que c’est quand même étrange que les analystes
femmes aient si peu dit de choses pertinentes sur la sexualité féminine. Ce qui
prouve qu’il y a quelque chose qui sort du registre de l’incompétence ou de la
facilité imaginaire, qui est quelque chose qui a trait à des choses qui
peut-être ne peuvent pas se dire. C’est-à-dire ne trouvent pas de signifiants
dans lesquels s’articuler. Et il a proposé, je ne sais pas si vous connaissez
cette histoire, il a proposé, il a demandé explicitement à un certain nombre de
femme de témoigner sur un certain type d’expérience de leur position d’analyste.
Et puis, je crois que la troisième chose qui me paraît très importante pour
arriver à comprendre des représentations de ce genre, c’est que c’est un
effort, penser en terme de fermé et d’ouvert… bon, vous allez me dire que c’est
tout aussi métaphorique, mais c’est un effort pour sortir d’actif et passif.
Parce que justement, actif et passif, c’est une symétrisation. Et que ce que
nous avons de grandes difficultés à penser, que la femme est passive parce que
l’homme est actif, elle est passive de l’action de l’homme. C’est ça l’idée
qu’on peut trouver d’ailleurs très clairement chez Freud. La polarité en
question, la polarité sera toujours suspecte d’être en fait une polarité
sociologique. C’est la femme dominée par l’homme dominant. Si vous essayez de
penser la différence psychique entre l’homme et la femme, non pas en terme
psychologique ou sociologique, mais en terme d’organisation de la jouissance,
c’est-à-dire de la satisfaction subjective, c’est-à-dire qu’il y a deux
modalités de la satisfaction subjective en terme de jouissance, et si vous
essayez de définir ces modalités particulières de la jouissance, vous sortez de
ces effets de miroir de l’actif et du passif. Alors, ça implique, et c’est une
des conséquences très importantes, non seulement qu’il y une jouissance
phallique, chez Lacan, mais il y a aussi cette espèce de jouissance Autre, chez
la femme. Lacan a une formule très jolie, il dit : « jouissance
enveloppée dans sa propre contiguïté ». Un rassemblement du corps qui fait
que la femme est essentiellement quelqu’un qui condescend à la jouissance
phallique, mais qui dans cette jouissance phallique, peut se trouver envoyer
dans une jouissance Autre et ineffable. C’est une très très jolie manière
d’indiquer un certain nombre de problèmes propres à la jouissance dans
l’hystérie, dans l’hystérie féminine.
Dans la mesure où justement, le côté nymphomane de l’hystérique masque
toujours fondamentalement le fait qu’il y a autre chose d’ineffable, qui vient
chercher un complément, que ce soit un complément toxique, un complément
mystique, au-delà de ce qui se laisse attraper et borner à l’intérieur de la
jouissance mâle. Une fois qu’on a essayer de caractériser ce type de choses,
alors évidemment je vais à cent à l’heure et je termine un peu brutalement,
mais ce n’est pas grave car comme ça on pourra éventuellement en discuter.
Voyez bien que le signifiant phallique a perdu toute espèce de relation avec
quoi que ce soit qui ressemble à un élément saussurien. C’est une
« phonction », autrement dit quelque chose qui s’écrit dans les
derniers textes de Lacan, Φx. Phonction, puisque c’est le signifiant qui
fait que les signifiants fonctionnent comme des signifiants, autant franchir
carrément le pas formel ultime, et dire que c’est celui qui les met en fonction
de signifiant. Et que lui-même n’étant pas un des signifiants inclus au système
mais en position extérieure, est celui qui les met en fonction. On est arrivé
je crois au degré le plus lointain et le plus difficile je crois de la pensée
de Lacan, mais c’est une autre manière de creuser toujours cette idée que le
langage nous dénature, que le fait de parler transforme totalement nos
relations organiques les plus nécessaires et les plus vitales à nos semblables,
et que si tel est bien le cas, alors il y a quelque chose qui est une mise en
fonction des signifiants en tant que ça nous dénature, qui est articulé autour
de cette fonction. Et à ce moment-là, la différence entre la demande et le
désir apparaît d’une manière tout à fait particulière. C’est que la demande
c’est toujours global. Une demande, c’est qu’on me donne ceci… Une demande se
formule toujours sur un mode subjonctif, une demande a toujours une
caractéristique subjonctive. Et l’idée de Lacan, c’est qu’en déclinant les
différentes modalités possibles, modalités logiques, de la demande passant par
les signifiants phalliques, on peut obtenir une sorte de répartitoire fixant
les positions du masculin et du féminin, de l’homme et de la femme. Alors
j’arrête là pour qu’on puisse quand même voir un petit peu jusqu’où a été l’évolution
de cette notion de signifiant phallique. Ça aboutit je crois à deux conclusions
qui sont extrêmement célèbre, et l’on y rattache souvent le nom de Lacan. La
première, c’est qu’un hétérosexuel, c’est quelqu’un qui aime une femme quelque
soit son sexe. Avec pour corrélat que le mot « sexualité féminine » a
un statut tout à fait particulier. C’est que la façon dont Lacan la concevait,
cette homosexualité féminine, elle était une sorte de moyen de s’opposer à
l’entropie sociale et à l’écrasement symbolique des relations au nom du
phallus. Il y avait l’idée comme ça que Lacan prêtait à l’homosexualité
féminine le pouvoir d’être une sorte de remède à l’entropie sociale, et donc à
la phallicisation permanente de tout rapport entre les hommes. Alors c’est une
chose qui me paraît tout à fait extraordinaire dans la mesure où
l’homosexualité féminine a donné lieu à des formes de communautarisme tellement
extraordinaires et tellement intenses et tellement fermées qu’on se demande
bien où pourrait être là le remède à quelque chose comme l’entropie sociale et
le privilège de la circulation phallique. Enfin néanmoins, c’est une thèse
qu’il a très fortement soutenue. Et puis la deuxième chose que ça permet
d’articuler, cette idée de phallus, c’est que l’articulation entre les organes
du corps, le phallus imaginaire, le phallus symbolique et le nom propre,
deviennent absolument intrinsèques. C’est-à-dire qu’on peut penser pourquoi les
symptômes dans un corps humain, les symptômes sexuels auxquels s’intéresse la
psychanalyse, ce sont des manières de libérer, de façon complètement équivoque
et mobile, une phallicisation de chacun de nos organes, qui fait qu’une bouche,
un nez, des oreilles, un cœur, etc… peut se trouver d’une façon complètement
ahurissante, fonctionner comme un certain phallus, et éprouver dans la douleur,
dans les ravages du dysfonctionnement, faire éprouver au sujet quelque chose
d’une inscription phallique déchaînée qui fonctionne complètement de façon
anomale sur lui. En même temps, ça montre bien que chaque sujet humain, que
c’est son inscription dans cet ordre phallique qui est le cœur de sa
subjectivité. C’est le cœur de sa subjectivité au sens où ce n’est pas ce qu’il
va appréhender de l’ordre de son moi, n’est-ce pas, les hommes et les femmes
peuvent s’identifier imaginairement à tous les rôles qu’ils veulent, ce n’est
pas de l’ordre du moi, de ce dont je parle là. C’est de l’ordre de ce qui fait
que je suis là, de ce sexe, à cette place dans la filiation. Alors je m’excuse
d’être comme ça extrêmement elliptique, parce que tout ça ne prenait sens que
de ce que j’ai dû refaire parce que je n’ai pas pu vous présenter les rêves de
ce patient. Disons que dans une fin d’analyse, une analyse qui a duré un
certain nombre d’années, avec un certain nombre de tranches, un patient comme
ça en vient, d’une manière tout à fait particulière dans un de ses rêves, à
s’apercevoir qu’une personne de sa famille, morte, qui a servi en quelque sorte
de trou noir, autour duquel tous les liens familiaux, affectifs, d’identification,
se sont mis à tourbillonner jusqu’à disparaître dans ce trou noir et à fausser
toutes les relations entre les générations et la fratrie à laquelle il
appartient, renvoyait à un personnage mort, que ce personnage mort était le
fils élu d’un autre personnage de sa famille, qui était le véritable père de la
famille bien que ce soit une femme, et que dans un rêve il voit apparaître sur
telle partie de son corps, tout au long de 7 ou 8 années qu’a duré son analyse,
était constamment en jeu, de façon complètement énigmatique dans le transfert
et le moment où ça intervenait, et de s’apercevoir que c’est ce trait qui est
le trait phallique qui l’identifie à son père et le met à une place correcte.
Le problème, c’est que c’est précisément à travers quelque chose que je ne peux
pas dire, parce que c’est son propre nom, qui prononcé d’une certaine façon,
indique précisément quelle est la partie du corps, pourquoi c’est cette
famille, de quoi il s’agit, etc… Et donc il y a comme ça une sorte d’agression
extraordinaire sur son nom de famille, son patronyme ici, c’est dans ce cas-là
la même chose, cette espèce d’agression particulière qui se trouve comme ça
rendue complètement lisible par une analyse en terme de signifiant phallique.
Bon j’ai parlé extrêmement longtemps, c’était un peu désorganisé, je vous
demande pardon.
- Je vais te demander de revenir sur une
question qui a un rapport avec une partie de ta conclusion, où tu reprends
effectivement le schéma lacanien sur la jouissance féminine, qui moi me pose
énormément de problèmes, parce je trouve que c’est tout de même un peu facile…
Alors si tu prends le tableau de la sexuation, c’est ce qui ne se voit que du
côté de l’homme, c’est un peu énervant d’être toujours renvoyée à cette affaire
de jouissance féminine dont on ne sait pas très bien ce que c’est en plus. En
revanche, quand tu parlais avant, effectivement, du deuil de la demande
d’amour, c’est quelque chose qui est totalement asexué. Tu dis :
« l’hystérie mâle ». Alors pourquoi cette hystérie serait-elle mâle ?
Elle est absolument commune aux êtres du sexe féminin et aux êtres du sexe
masculin si tant est qu’on puisse les définir. Donc c’est complètement
contradictoire avec le tableau de la sexuation.
- D’accord. Alors je ne dis pas que les
choses sont chez Lacan non contradictoires. Je crois que le problème de savoir
ce que c’est que la jouissance féminine c’est une question qu’on peut se rendre
très présent en ayant recours à la clinique psychiatrique. Il y a des psychoses
électivement féminines. Parmi ces psychoses électivement féminines, il y en a
une qui est une mélancolie cotardienne, qui est de façon extrêmement
impressionnante quelque chose qui frappe de façon privilégiée les femmes à
travers un parcours qui d’ailleurs reflète un certain nombre de défauts
particuliers. Je dis ça parce que le président Schreber est un homme. Que le
type de paranoïa qu’il y a chez le président Schreber, dans sa
trassexualisation, etc, c’est quelque chose qui est effectivement très typique
d’un certain type de présentation masculine. Ça limite à mon avis les
possibilités de penser les psychoses. Ça limite tout à fait parce qu’il y a
autre chose, il y a bien au-delà du président Schreber une autre réflexion sur
les psychoses. Qu’est-ce qui se passe dans ces phénomènes de
cotardisation ? Le syndrome de Cotard, je le rappelle, c’est une forme
extrême de la mélancolie, dont l’un des signes les plus connus est que les gens
ont un délire de négation d’organes : « j’ai plus de tête »,
« j’ai plus de cerveau », « j’ai plus de cœur », « on
m’a enlevé mon foi », etc… Il est accompagné en général d’une abolition de la
conscience d’être soi-même. La cotardienne de Leuret disait : « la
personne de moi-même n’a pas de nom, la personne de moi-même ne mourra jamais… »
et elle prend son essor au terme d’un délire de négation extraordinairement
riche et logique. C’est-à-dire qu’à chaque question est opposée une négation.
Qu’à chaque demande de réponse est opposée une négation dans une sorte
d’opposition logique tout à fait frappante. Ça permet très très bien de se
rendre compte de ce que c’est qu’un ouvert, c’est-à-dire du type de jouissance
dans lequel une femme peut être emportée, qui est une jouissance Autre. Non pas
du tout parce que ce serait une jouissance sexuelle, ce n’est pas à se représenter
sur le mode de l’orgasme. Mais sur quelque chose qui est de l’Autre côté,
justement, de ce qui peut être ramené au plaisir et à l’orgasme. Et qui est une
véritable perception de l’éclatement infini du monde. Dans le Cotard, il y a
une chose étonnante, qui est le sentiment qu’on ne mourra jamais. Et qu’on
vivra toujours, et que la vie qu’on va vivre est une vie infinie, qui est une
abolition de tout ce qui pourrait justement être des bornes ou des limites le
long de la chaîne temporelle. Il y a également dans le Cotard ce phénomène très
particulier d’analgésie douloureuse, dans lequel on ne sent plus rien, et le
fait de ne rien sentir est douloureux. C’est-à-dire qu’à aucun moment on ne
peut se poser sur des sensations qui seraient vécues comme des sensations
subjectives, à tout moment les choses se perdent, s’évanouissent, etc. Et cette
absence de senti, l’effet que ça fait de sentir quelque chose, est vécu comme
une sorte de douleur extrêmement tragique. Vous voyez il y a tout un espèce de
dispositif qui donne une meilleure idée qu’on trouve à travers la psychose, de
cet espèce d’au-delà de la jouissance. Et à mon avis, on doit toujours
l’appréhender dans la psychose des femmes. Les psychoses des femmes sont
toujours très difficile à diagnostiquer, parce que quand il y a des situations
un peu pathétiques ou un peu dramatiques, on ne sait jamais très bien si ce
n’est pas une sorte de perte de repère. Ces psychoses de femme auxquelles leur
mari retire le droit de porter leur nom. Psychose absolument typique : à
50 ans, divorce, et tout à coup une femme qui a vécu d’une façon relativement
normale, ordinaire aux yeux de son entourage, se retrouve à l’hôpital et ça
s’est déclenché parce que l’acte de divorce était tel parce que le mari
retirait le droit de porter son nom à son épouse. C’est tout à fait singulier.
On ne sait pas très bien ce qui se passe dans ce genre de conjectures chez un
être humain. Et surtout chez une femme c’est très difficile à diagnostiquer. Et
ça, ça paraît donner plus d’indications sur le caractère vraiment Autre de ce
qui se passe. Ça permet de mettre en ordre des symptomatologies particulières.
Maintenant, je compare avec la question du deuil du phallus. Ça n’enlève
certainement pas le fait que, en tant que sujet, bien sûr, et il n’y a pas de
toute qu’un sujet, c’est asexué, au sens où même s’il n’y a de sujet que …………
il n’y en a pas un qui est plus sujet que l’autre ou moins sujet que l’autre.
Effectivement, le deuil du phallus devient une forme de caractérisation du fait
thérapeutique. Je dirai que quand Lacan parle de deuil du phallus, il ne fait
que décrire dans son lexique ce qu’est la guérison pour tout le monde. Je dirai
que ce n’est pas l’explication d’un processus. C’est une caractérisation, à
l’intérieur d’une visée structuraliste de sa théorie, de ce en quoi consiste la
castration. Point barre. Deuil du phallus imaginaire. C’est une
réappropriation, une redescription à l’intérieur de son dispositif. Alors
maintenant pourquoi je disais que c’était particulièrement probant dans le cas
de l’hystérie mâle. C’est parce que je pensais à ce fait très particulier que
l’hystérie mâle, c’est quelque chose d’abord qu’on a souvent nié, et puis même,
c’est paradoxal dans la mesure où pourquoi pourrait-il y avoir un problème chez
quelqu’un qui possède un pénis ? Une des très bonnes manières de montrer
qu’il y a une différence d’approche dans l’hystérie mâle dans le lacanisme,
chez les praticiens lacaniens et dans d’autres conceptions, c’est de montrer
justement qu’il y a une économie particulière qui fait qu’il y a des individus
qui vivent tout à fait de manière particulière le fait d’être des
« phallophores », comme dit quelque fois Lacan, des gens qui ont un
pénis. Et puis ça permet de rattacher ça à des types sociaux qui produisent de
l’hystérie mâle. Les maghrébins en exil par exemple. Il y a des catégories
entières de la population où on a comme ça des mères extrêmement possessives
dont les enfants curieusement ne sont pas homosexuels, alors que la mère était
extrêmement possessive… bref tout un tas de choses qui dans un cadre freudien
orthodoxe paraîtrait fabriquer de l’homosexuel, et qui fabrique de
l’hétérosexuel sur le mode du Don Juan qui a des problèmes particuliers, pour
lesquels en général ils viennent se plaindre. Je dirai que l’hystérie mâle, ce
n’est pas à ma connaissance, d’après ce que raconte des collègues qui en ont vu
plus que moi, ce n’est pas quelque chose qui se guérit facilement. Une sorte de
difficulté particulière avec ce type de pathologie. Mais néanmoins, ça produit
des types très singuliers.. Alors c’est une vraie question de dire pourquoi des
gens qui ont une mère extrêmement possessive, qui sont complètement dans
l’extraversion, etc, pourquoi ne seraient-ils pas homosexuels ?
Pourquoi ? Il faut là une théorie très particulière. L’hystérie mâle,
curieusement, ça fait assez peu d’homosexuels. Alors ça c’est une question. Là
on peut entrer dans un mécanisme et puis raffiner sur des distinctions de cas
en montrant que ça ne fait même pas de bisexuel du tout, ça fait des gens qui
sont apparemment comportementalement tout à fait hétérosexuels. Avec certains
traits particuliers. Alors là ça devient intéressant, de dire qu’il y a un
deuil du phallus et le phallus a un rôle particulier.
- Ce qui est ennuyeux en fait, dans le point
de vue du nominalisme, c’est de parler de jouissance. Ça provoque des
malentendus.
-
C’est-à-dire ?
- Eh bien si on dit « la jouissance
Autre », ou « la jouissance phallique », peu importe……………….. La
jouissance Autre, on appelle ça une jouissance, alors quand tu dis que dans le
cas de la mélancolie extrême, il y a une dénégation de la mort, ce n’est pas de
la jouissance.
- Je suis d’accord. Il y a toujours un
problème où toute description, en particulier dans un tableau clinique, est
susceptible d’être traitée comme une métaphore, et de rentrer dans ce registre
problématique d’annulation des différences, puisque la coupure elle-même entre
les sexes est l’objet d’une élaboration métaphorique permanente. C’était juste
pour pointer que la notion de jouissance Autre n’est pas exclusivement
psychotique, elle est appliquée aussi bien à la toxicomanie par exemple, ou au
mysticisme, c’est-à-dire à tout un registre d’expérience qui n’a pour lui
d’être autre que phallique.
-
S’envoyer
en l’air.
- Ou être envoyé en l’air, puisqu’ici l’actif
et le passif… C’est aussi une manière je dirai de présentifier qu’il y a de la
pulsion de mort en un sens je dirai extrêmement sérieux, je dirai un
acharnement à la destruction de certaines formes de…
-
Donc
ça remet la jouissance dans sa définition fondamentale ?
- C’est possible qu’on puisse dire ça. Qu’on
puisse dire que la jouissance Autre est une certaine manière de ramener la mort
à ce que nous en connaissons, c’est-à-dire la pulsion de mort. Cela dit, je
crois que ce qui est intéressant, c’est de maintenir béante la question. Comme
je l’ai dit plusieurs fois cette année, même si je ne le fais pas trop sentir
parce que c’est un peu pédagogique ce que je fais, les propos de Lacan sont des
propos qui fonctionnent comme des interprétations. Dont le but est évidemment
d’ouvrir un type de perspective, un type de curiosité à l’égard des phénomènes,
qui garde sa texture de question. C’est pour ça qu’il est très difficile
probablement de faire des théories lacaniennes de la toxicomanie ou du
mysticisme. On peut toujours, mais ce sont des artefacts textuels qui
consistent à coller des machins ensemble. Bon, c’est déjà quelque chose qu’on
se soit intéressé au problème. Qu’on s’oriente vers le problème. Mais la
question de la jouissance Autre, qui par définition est ineffable – essayer de
faire causer un héroïnomane sur ce qu’il sent – il y a vraiment une extinction
particulière… On ne doute pas qu’il se passe quelque chose.
-
Concernant
le retrait du nom d’usage marital, en quoi la jouissance Autre…
-
Mais
parce que ça peut déclencher des phénomènes psychotiques, des phénomènes
élémentaires…
-
……………….
- Mais justement, une fois qu’une femme peut
se voir privée de ce type d’arrimage, c’est-à-dire d’un rapport à l’autre sexe,
parce que quand il dit qu’il n’y a pas de rapport sexuel, il y a bien sûr un
rapport au sexe, et ce rapport au sexe est un rapport au phallus. Ce qui me
paraît très frappant avec ce type de cas, c’est que c’est quand même très
étonnant, que des femmes soient complètement normales n’aient jamais manifesté
de symptômes qui aient alarmés leur entourage, débarquent comme ça dans des
états de décompensation psychotique majeure avec hallucinations auditives à jet
continu, de façon extemporané au moment du divorce au moment où le mari retire
l’autorisation de porter le nom. Alors ce qui est intéressant là-dedans, c’est
que ça montre comment un patronyme peut fonctionner comme une prothèse là où il
n’y avait pas de Nom-du-père. C’est-à-dire qu’il y a une prothèse, et que
précisément comme nous vivons dans une société où le patronyme est une marque
visible qui dans l’imaginaire présentifie plus ou moins grossièrement ce qu’on
pourrait appeler le Nom-du-père, on pourrait tout à fait tenir le coup
là-dessus. De la même manière, je dirai que lorsqu’on réussit à ce qu’un
psychotique se fasse un nom, c’est-à-dire par exemple, par un travail
esthétique, par une performance particulière ou par un travail d’auteur, se
fasse un nom. Et avec les effets sédatifs parfois extrêmement remarquables
qu’on peut observer à ce niveau-là, dans la mesure où se faire un nom, voire
dans un exemple qui avait été discuté il y a quelques années dans ce séminaire
par Henri Frignet, quelqu’un qui avait des talents particuliers et qui avait
réussi à se faire un nom qui ait une valeur commerciale, et qui avait
complètement suturé une psychose maniaco-dépressive enracinée. Ça montre bien
que là il y a des points de concrétion très importants. Je dirai que c’est le
seul cas où on peut encourager un psychotique à aller dans le sens de la
sublimation. Ce n’est pas au sens où il va produire des beaux objets, c’est au
sens où il va se faire un nom. C’est une indication, je trouve, de cure.
- Il y a cette fille complètement folle, qui
s’est fait un nom, elle signait d’ailleurs de son pseudonyme. C’était elle qui
avait fait le baiser de la fée sur la place à Beaubourg. Et qui s’est fait
refaire complètement la figure. Elle a pris les draps de la grand-mère et s’est
déguisée en hystérique, en sainte Thérèse... Et elle s’est fait de la chirurgie
esthétique… Tu n’as jamais entendu parler de cette fille ?
-
Non,
mais tu sais les exemples ne manquent pas, d’équilibration de ce type-là.
- Et alors effectivement, moi ce qu’elle
m’avait raconté de tout ça, c’est tout à fait au début, c’est qu’un jour, sans
faire exprès, elle avait signé un chèque à son analyste Orlando. Donc elle
s’était inventé un nom. Et ensuite c’était devenu son nom, disons d’artiste.
- Ce qui est en tout cas très important avec ce type de construction, c’est que justement ce serait extrêmement maladroit ou néfaste d’interpréter le nom. Puisque justement le nom vient comme un barrage à la déliquescence qu’on pourrait réintroduire très facilement. C’est-à-dire de mettre le nom à l’envers, d’aller cherche ce qu’il veut dire, de lui ajouter des lettres, puisque c’est un pare-psychose ce nom. Ce sont des rustines qui fonctionnnent comme des Nom-du-père articulés à des… Bon, on va arrêter là, mais je dirai que ça pose un problème avec lequel Geneviève Morel qui n’est pas là et moi avons un peu essayer de discuter. C’est vrai qu’il y a toute une économie du phallus et du Nom-du-père qui est extrêmement bien implantée dans nos sociétés. C’est un vrai problème de savoir s’il y a d’autres manières de faire tenir ensemble les signifiants d’un sujet et si on doit tenir pour pathologique les gens qui s’équilibrent sur un autre mode. Par exemple, la question très polémique il y a deux ans dans ce séminaire : comment prendre la transsexualisation ? Si vous ouvrez Freud et Lacan, il est clair que la transsexualisation est une solution élégante au problème de Schreber. Quand il était transsexuel, il vivait avec tout le monde, il parlait avec tout le monde, il s’occupait des affaires de sa famille, etc, quand il se prenait pour une femme. Ensuite, il s’est effondré. C’est un vrai problème de savoir ce qu’on doit penser de ces bricolages substitutifs qui font du Nom-du-père, une fois qu’on a introduit le terme en circulation, on n’est pas forcé de se contenter de le faire jouer à l’intérieur de, je dirai la bonne vieille métaphore paternelle. On peut voir une idée de l’humanité dans laquelle des malades mentaux accèdent à une existence vivable en produisant dans leur délire des modalités de rapport à autrui, à leur corps, à leurs acquis, à leurs objets, qui sont ma fois relativement tolérables, par exemple dans le registre esthétique, dans le registre de la provocation littéraire. Alors évidemment, quand il s’agit des transsexuels, ça suscite toutes sorte de… Il y a peut-être d’autres manières de les nouer. C’est ce que Lacan appelle un sinthome. Mais à mon avis, on va terminer là-dessus, c’est un des plus beaux effets d’extension de la représentation de l’humanité que peut faire une théorie psychanalytique bien construite. C’est-à-dire qu’à partir du moment où elle met en circulation quelque chose comme le phallus, puis le Nom-du-père qui est la mise en fonction de ce phallus par rapport aux autres signifiants, vous introduisez des termes qui deviennent n’est-ce pas par leur propre opérativité la possibilité de concevoir qu’il y en a d’autres. Et que ça puisse lever un certain nombre de timidité devant le traitement analytique de certains psychotiques, à condition d’être soi-même suffisamment libre à l’égard de ce qui vous arrime en tant que praticien pour considérer qu’il y a peut-être d’autres arrimages, éventuellement bizarres. Sauf qu’on ne pourra pas se représenter ces arrimages qui sont des arrimages qui arriment à la jouissance Autre, et non pas à la jouissance phallique. Ce qui fait qu’il ne faut pas non plus jouer à l’apprenti sorcier avec les psychotiques. Mais néanmoins, il y a là une autre manière de voir les psychoses que déficitaires, médicales, ou alors fasciner par les performances des fous, comme si les fous avaient inventé je ne sais quoi qui nous soient inaccessibles. Ce qui est tout aussi absurde.