Philosophie et histoire de la médecine mentale

Séminaire doctoral, IHPST, Paris I (2007-2008)

 

Problèmes philosophiques de la psychopathologie cognitive : à partir de Bolton & Hill

 

Séance n°10

 

Analyse du chapitre 8 de Mind, Meaning, and Mental Disorder: « Intentionality in disorder »


A/ Contenu et structure de l’argument du chapitre 8 : il existe bien de l’intentionnalité dans la maladie mentale. Approche top-down (à partir de la logique des représentations) et bottom-up (à partir de l’intentionnalité des systèmes biologiques). Idée : elles convergent, et donc les approches psychologiques-intentionnelles des maladies mentales sont fondées. Statut spécial du traumatisme psychique et des paradoxes cognitifs. Seule limite : le câblage des circuits non-modifiables (les « règles » ultimes d’adaptation de l’organisme). Enfin, examen critique des conséquences pour une toute une série de modèles psychologiques des maladies mentales et de leur traitement.

Remarques générales : a) intentionnalité dans la maladie mentale, pas intentionnalité de la maladie mentale. Ce sont des conflits entre règles suivies (et qui sont en soi normales d’un certain point de vue) qui engendrent des troubles fonctionnels (et l’anormalité). La maladie mentale n’est pas conçue comme l’essai positif-créatif d’une autre intentionnalité que l’intentionnalité habituelle, et elle reste intrinsèquement un déficit. Quelle adaptation ? Quelle expérimentation du mental ? Conséquences sur l’idée de traitement psychologique (qui porte sur des individus, pas sur des représentants de l’espèce). b) Qu’est-ce qui prouve que les approches top-down et bottom-up convergent ? Elles doivent converger au nom du concept de « causalité intentionnelle ». Le problème des redescriptions croisées et de la fabrication de symptômes-types à deux faces. Sont-ils ceux de la clinique, ou ceux que la clinique doit privilégier pour rester épistémologiquement cohérente ? En tous cas, on explique pourquoi la psychothérapie a sa place en psychopathologie cognitive, on ne part pas du fait qu’il y a des traitements psychothérapeutiques pour remonter de là vers ce que cela nous apprend du mental (pratique et usage des concepts du mental/théorie et logique a priori des concepts psychologiques). c) Réhabilitation frappante de la psychanalyse // behaviorisme watsonien : les fonctions normales subissent des chocs traumatiques externes, et les réponses sont intelligentes, adaptatives, stratégiques, y compris dans la reconduction de l’échec à traiter le dommage subi.

B/ L’approche « logique »/« épistémique »/« épistémologique » (pourquoi ces 3 dimensions).

  1. Erreur radicale, évitement et répétition en boucle de l’échec. L’idée d’un « conflit de règles ». Le modèle du sophisme plutôt que le wish fulfiment. La pensée impensable : « ça, c’est ce que je ne peux pas faire ! » En quoi « subvertit »-elle les conditions de l’intentionnalité ?
  2. Du trauma ponctuel au trouble diffus du développement. Quel concept du trauma ? Peut-il y avoir individuation sans une séparation « traumatique » ?
  3. Les troubles de haut niveau : le postulat post-empiriste de la connaissance de soi comme théorie de l’esprit (qui peut être fausse).
  4. Quine et Lakatos au secours de Freud (de Melanie Klein) : les « stratégies défensives » en épistémologie et la psychopathologie du déni, du clivage, de l’idéalisation et de la projection. Point fort : c’est du psychologique qui agit sur du psychologique.
  5. Point faible : le contresens sur Freud : l’intrapsychique et l’interpersonnel ? Freud comme théorie de l’apprentissage, ou de l’inéducable ? L’indifférence du symbolique à la vie. Prémisses épistémologiques ou biais moraux inexplicites ? Irrationalité n’est pas déraison.

 

C/ Vers une déduction de la symptomatologie psychologique à partir des prémisses sur la causalité intentionnelle de l’action. (C’est surtout une dérivation des troubles borderline.)

  1. Le cas de l’attachement (Bowlby, Stern), ses troubles psychologiques et la pathologie de l’action : paralysies et inhibitions.
  2. Un défaut de maîtrise logique et affective de la généralisation/différenciation des règles qui s’appliquent. (Mais est-ce la cause où l’effet ? Le problème de l’identification est évité) : inadéquation de l’agir au contexte émotionnel.
  3. Pas de stabilité dans l’environnement de l’enfant qui se développe : impulsivité. (Si on a les trois, on retrouve l’automutilation et le suicide.)

 

D/L’approche à partir de la biologie/neurobiologie.

Bien voir qu’il faut qu’elle soit compatible avec les théories du self, du parenting, de l’abus sexuel dans l’enfance comme trauma typique, etc. Quelle idée de l’enfance et de l’adolescence ?

Reprendre ici les trois figures de l’action invoquées précédemment : 1. arrêt de toute action (dépression), 2. déficit du monitoring de l’action intentionnelle (schizophrénie), 3. inadaptation de l’action à la vie sociale (personnalité anti-sociale et troubles de la personnalité borderline à fonctionnement « impulsifs »). Via le trauma, on a surtout le cas 3., mais aussi de nombreuses affections névrotiques. Le PTSD : refuge de la symptomatologie « freudienne » dans le DSM3 (Young). Voir dans le chapitre suivant le cas des TOC : troubles anxieux ou troubles de l’agir ?

Bien distinguer devenir un individu humain, et devenir le membre normal d’une espèce animale sociale. Ambiguïté du vocabulaire de l’adaptation et du développement et des « régularités » pertinentes (naturelles ou sociales ?).

E/ Comparaison des approches psychologiques dominantes à partir du postulat d’une causalité intentionnelle et des mécanismes de dérivation des symptômes énumérés ci-dessus.

  1. Théorie du conditionnement. Trop sous-déterminées (cf. ici même l’idée de trauma). Et la créativité ? Que devient l’argument chomskyen du début ? Les TC ne fonctionnent que si l’instance qui suit les règles est intacte.
  2. L’apprentissage social (Bandura) : accepte l’internalisation de règles acquises par observation. La thérapie est prosociale (éduquer les parents pour éduquer les enfants). Comment Bolton et Hill pourraient-ils critiquer ? C’est la réalisation de leur théorie.
  3. Thérapies cognitives. Impliquent, pour opérer, non seulement que la capacité à suivre des règles et à les rectifier, mais aussi que le système de l’action soit indemne (primat de l’action sur la représentation, qui détermine en amont son utilité).
  4. Théories psychanalytiques. Après Melanie Klein, Winnicott (le « jeu » comme espace de l’action selon des règles + méta-représentations). Choix de la relation d’objet et de la théorie de l’action comme cadre de naturalisation/rectification de Freud.
  5. Théories systémiques/familiales. Rejetées par Bolton et Hill : car elles font tout dépendre du contexte, pas de pannes ou de déficits. Nul câblage biologique pertinent, du coup. En revanche, on y repérerait mieux le problème de l’inclusion du thérapeute dans le système relationnel du symptôme (Et le transfert, alors ?), avec le problème d’objectivité/-ation qui en découle. Qu’est-ce qui pose problème avec le contexte (le métacadre) ?
  6. Théorie de l’attachement. En fait, il s’agit justement de ses extensions récentes à la constitution négociée des métacadres, i.e. l’appréciation partagée des attitudes attribuant des intentions aux acteurs (dans la famille). L’attachement devient lui-même évalué selon les contextes d’interaction/d’inter-attribution d’intention. C’est la complexité la plus haute.