Philosophie et histoire de la médecine mentale

Séminaire doctoral, IHPST, Paris I (2007-2008)

 

Problèmes philosophiques de la psychopathologie cognitive : à partir de Bolton & Hill

 

Séance n°4, 13 octobre 2007

Analyse du chapitre 7 de Mind, Meaning, and Mental Disorder: « Psychiatric disorder and its explanation »

 

A/ La différence entre psychopathologie cognitive, psychiatrie biologique, neuropsychiatrie, et « organicisme » en psychiatrie.

  1. La critique d’une psychiatrie biologique trop « étroite » (Guze).
  2. Conséquences pratiques : la remise en cause d’un certain modèle médical de la psychiatrie.
  3. 3 éléments pour une critique : a) on arrive bien à penser une « compensation » morbide dans la maladie mentale, mais pas la création de nouvelles normes du fonctionnement psychique ; b) ce que l’approche bottom-up ne permet pas de penser, les formes originales d’empathie (psychanalyse naturalisée contre dénaturalisation psychanalytique) ; c) l’option d’une ontologie naturaliste et intégrative, comme si c’était la seule attitude philosophique scientifique.

 

B/ Attaqué dans un champ par un taureau furieux : comment opère l’intentionnalité causale selon Bolton et Hill.

  1. Le fonctionnalisme psychologique comme théorie de la causalité mentale : « percevoir un taureau comme dangereux » comme fonction de l’esprit.
  2. 1ère difficulté : à partir d’Anscombe, L’intention §10 : cause de la peur et objet de la peur, la causalité mentale et le point de vue en première personne.
  3. 2ème difficulté : peur de re et peur de dicto. Qui a physiquement peur d’un taureau de dicto ?
  4. Le refus de l’analyse en « niveaux » disjoints chez Bolton et Hill. L’argument d’une unique intentionnalité réelle, mais qui aurait des niveaux de complexité logique. Raison et cause, encore et toujours.
  5. L’indécidabilité fructueuse, ou la fluidité de la transition du causal non-intentionnel dans le causal-intentionnel.

 

C/ « Le » trouble psychiatrique : un point de vue essentialisant, à partir de l’intention causale et de ses vicissitudes

  1. La « bonne » médecine fait déjà droit à des explications causales intentionnelles (l’exemple de la polycythémie).
  2. Les répercussions de la « mauvaise » médecine sur le problème des classifications psychiatriques. Individualisation des entités et comorbidité. L’exigence d’unicisme.
  3. Réhabiliter le contexte interpersonnel de la maladie mentale. La dépression sévère chez les femmes. Sommes-nous si bons juges de l’intentionnalité chez autrui ? La dangerosité du taureau et celle du criminel humain.
  4. Le cercle des interactions entre causal non-intentionnel et causal-intentionnel : a) le cas de l’agressivité chez le jeune mâle humain ; b) la logique des « compensations » délirantes aux symptômes négatifs de la schizophrénie (Roberts) ; c) gènes et environnements (Tienari).
  5. Faut-il (et peut-on) vérifier qu’il y a un tel cercle, et qu’il confirme bien une conception intégrative et naturaliste du mental ? Alternative : utiliser la raison pour enrichir les interactions avec les malades mentaux.

résumé (par Steeves Demazeux)

 

Bolton & Hill promeuvent une analyse conceptuelle qui utilise une instrumentation logique pour clarifier ce que les gens font. Mais quel est en réalité le type de présupposé logique employé pour l’interprétation des énoncés ?

La problématique du chapitre 7 peut se résumer à cette question : quelle est l’autonomie rationnelle de la psychopathologie si on la distingue de la psychiatrie biologique traditionnelle héritière de la psychiatrie organiciste ?

 

A/ La différence entre psychopathologie cognitive, psychiatrie biologique, neuropsychiatrie, et « organicisme » en psychiatrie.

 

1. La critique d'une psychiatrie biologique trop « étroite » (Guze).

 

  Historiquement, 2 grandes écoles : psychiatrie organiciste (dysfonctionnement cérébraux) vs. « psychisme » (Pinel, Esquirol) 

 

L’organicisme en psychiatrie :

  Cf. Article de Bayle, 1822, Remarques sur l’arachnitis chronique

     * Bayle part d’observations sur six personnes qui ont ce qu’on appellera plus tard une paralysie générale. Il découvre une altération cérébrale très précise sur l’arachnitis (cf. in Postel, Dictionnaire de psychiatrie et de psychopathologie clinique, Larousse, Préface qui explique à quoi cela correspond aujourd’hui). Or, Bayle montre que chez ces patients les troubles moteurs sont parallèles aux troubles intellectuels et indiquent la progression d’une seule et même maladie: à mesure que la paralysie progresse, les troubles intellectuels progressent (on pensait auparavant qu’il s’agissait de troubles différents). D’où l’importance de cette découverte pour le développement de la neuropsychiatrie (de même : on montrera que la mégalomanie = symptôme terminal de la paralysie générale, cf. Nietzsche à la fin de sa vie).

     * Par la suite : Organicisme = toute maladie mentale se rapporte en dernière analyse à une altération physique du cerveau.  L’enjeu sera d’étendre à la totalité du champ des maladies mentales ce qui a été construit sur la paralysie générale.

 

C’est contre cette conception que va se dresser la psychopathologie cognitive. Elle part d’une critique de la métaphysique dualiste : dans les maladies mentales, c’est l’esprit qui est malade et non le cerveau. Bolton & Hill insistent sur l’étiquette de « psychopathologie cognitive » (et non « neuropsychopathologie ») et sur l’importance de promouvoir l’idée d’un « nouveau psychisme » non dualiste. Ils critiquent la conception « étroite » de la psychiatrie biologique développée par Guze (1989)

 

   * Guze, Biological psychiatry: is there any other kind?, Psychol Med. 1989 May;19(2):315-23.

  La vraie maladie mentale = un trouble biologique du cerveau. Le simple développement d’un cerveau ou les vicissitudes de ce développement ne suffisent pas à rendre compte de la variété des maladies mentales et de leur gravité. Les apprentissages et les modifications liées à ces apprentissages ne font qu’indiquer des différences de variation possibles d’individu à individu, mais cela ne peut pas expliquer la maladie en tant que maladie. C’est parce que le cerveau est biologiquement lésé que les apprentissages peuvent contribuer au contenu des maladies mentales. Sinon, il n’y aurait que des variations normales (ce pour quoi le cerveau est fait…)

    Conclusion : s’il y a vraiment des pathologies, c’est parce qu’il y a d’abord des modifications structurales du cerveau.

    → Conception étroite de la « biologie » : réductionnisme physico-biologique = n’accepte comme type d’explication que des explications physico-chimiques.

 

   * Bolton & Hill répondent d’abord que c’est empiriquement faux : le développement est essentiel, et ses vicissitudes peuvent être pathologiques. Exemple des enfants abusés sexuellement (ou par violence) qui présentent des anomalies structurales importantes, dans des endroits précis du cerveau, qui ont des conséquences dans le développement des enfants, qui les rendent très sensibles à des phénomènes dépressifs, et cela agit sur le génome lui-même (par effet en boucle : activation ou sous-activation). D’où la possibilité de production de toute sorte de phénomènes pathologiques. Donc : pas de développement neutre par rapport à la pathologie.

     Cf. aussi les modèles animaux : on peut facilement rendre des rats sensibles à l’alcool en perturbant leur attachement à la mère. Trouble du comportement qui entraîne une sensibilité accrue aux toxiques.

      * Ils insistent en outre sur l’idée que la biologie n’est pas seulement la biologie du réduictionnisme physico-chimique. Il y a aussi l’éthologie, la psychobiologie, voire la sociobiologie. On ne peut pas réduire les apprentissages des organismes qui se développent à de simples variations sur la base de cerveaux ou non lésés.  Critique de la vision rétrécie de la psychiatrie biologique : il faut rendre compte des développements  structuraux d’un esprit qui doit être capable de refuser les règles suivant lesquelles il agit en fonction du contexte. Il faut ainsi intégrer l’idée de règles contextuelles pour une adaptation au milieu (implication de la fitness, etc.). D’où l’introduction de l’intentionnalité (idée d’une cause intentionnelle) dans le corpus de la neurobiologie, et la promotion d’une biologie plus sophistiquée : psychobiologie (raisons qui causent) voire sociobiologie (espace social de l’ajustement ; empathie). Bolton & Hill montrent à cet égard que la médecine contemporaine n’est pas en reste et inclut déjà dans la description de ses phénomènes biologiques une certaine dimension d’intentionnalité (Cf. les pathologies systémiques comme la polycythémie).

 

2. Conséquences pratiques : la remise en cause d'un certain modèle médical de la psychiatrie.

 

   Les conséquences pratiques sont très importantes dans ce chapitre. La position de Bolton & Hill aboutit à une remise en cause du modèle médical classique en psychiatrie, ce qui entraîne une certaine crispation (cf. importance de ce modèle médical dans la construction des classifications psychiatriques). L’argument psychopharmacologique perd toute sa force dans l’argumentation de Bolton & Hill: si on prend une cause prochaine pour la véritable cause mentale, on ne se rend pas compte du fait que le médicament modifie le comportement en tant qu’il s’adapte au contexte culturel et social.

   Le cognitivisme psychopathologique est un holisme : il existe des dépendances structurales entre les différentes parties du cerveau. L’intégration des différents réseaux causaux va permettre de juger de la pertinence de l’hypothèse générale. Bolton & Hill entreprennent ainsi de réhabiliter la médecine mentale. La psychothérapie s’intègre de manière « organique », si on peut dire, et n’est plus quelque chose de complémentaire… La psychopathologie cognitive, dans la pratique, est très sensible aux phénomènes de compensation (idée que le délire peut avoir une fonction de compensation qui va permettre à un individu de compenser ses symptômes négatifs). On peut voir que le motif de la compensation revient souvent dans le chapitre 7 en raison même de cette approche holiste.

 

    Remarque : la psychologie évolutionnaire est profondément anti-eugéniste (dans le pool génétique, les gènes présents d’une autre manière chez certains individus sont importants pour le reste de la population…). À l’inverse, la psychiatrie biologique a longtemps été implicitement eugéniste et a reposé sur des traitements très normatifs, inconscients des procédés subjectifs de rétablissement mental via les processus de compensation.

 

3. 3 éléments pour une critique :

a)      On arrive bien à penser une « compensation » morbide dans la maladie mentale, mais pas la création de nouvelles normes du fonctionnement psychique. Bolton & Hill prennent en compte le fait qu’un organisme peut compenser et qu’on peut penser certains délires comme des formes de compensation. Mais ce à quoi ils n’arrivent pas, c’est à penser la création de nouvelles normes de fonctionnement psychique (cela déplace la question de la normalité, cf. psychothérapie des grandes psychoses). L’hypothèse canguilhémienne n’est pas prise en compte alors qu’on en est pourtant près…

b)       Ce que l'approche bottom-up ne permet pas de penser, les formes originales d'empathie (psychanalyse naturalisée contre dénaturalisation psychanalytique). Jusqu’au ridicule, Bolton & Hill développent une approche bottom-up : ils partent du fait le plus trivial et le moins pathologique (des gens, un champ et un taureau ; la peur d’être chargé par le taureau entendue comme une réponse adaptée…) et ils infèrent les différentes possibilités qui rendent cette réponse dysfonctionnelle. Stratégie inverse de la psychiatrie traditionnelle qui consiste au contraire de partir des situations pathologiques. Le problème de cette inférence bottom-up, c’est qu’elle met entièrement de coté la possibilité de prendre en compte les règles originales que suit un malade mental pour se rapporter à autrui ou à son environnement. Au fond, lorsque nous jugeons que le comportement d’autrui est dysfonctionnel, nous nous faisons crédit d’une empathie normale (c’est parce qu’elle est anormale qu’on perçoit une anormalité). Mais n’y a t-il pas un travail de l’empathie (au sens d’une projection rationnelle de ce qui se passe dans la tête de l’autre) qui vient de nous (cf. peur de notre part, projection d’une forme d’anormalité qui apprend autant sur nous que sur l’autre) ? Bolton & Hill ne prennent pas en compte cette possibilité. Leur rapport à la psychanalyse n’est pas du côté transfert/contre transfert, mais du côté génétique (fonctions structurantes) ; psychanalyse naturalisée entièrement réduite à une psychologie génétique des affects.

c)      L'option d'une ontologie naturaliste et intégrative, comme si c'était la seule attitude philosophique scientifique. Leur projet philosophique = ontologie naturaliste du mental.

        « Nature » : au sens aristotélicien (croissance) ; accent sur la psychologie génétique.

        « Nature » : il n’y en a qu’une (monisme) ; continuité entre le biologique, le mental, le social… Tout s’étage et se continue de manière rigoureusement homogène.

     Cette exigence naturaliste de croissance et d’unicité rejaillit à rebours sur la pierre angulaire de leur théorie qui est le concept d’information (intentionnalité prise comme un maillon dans une chaine causale).

    Problème de ce choix : pourquoi la seule philosophie qui vaille serait-elle celle qui pose des questions ontologiques sur les concepts qu’on manipule ? On pourrait très bien se contenter d’une approche critique des concepts. Traditionnellement, en philosophie, si on augmente en clarté et en compréhension, il ne manque rien. Possibilité que la complexité puisse être décrite en tant que pluralité et complexité. On n’est pas donc obligé de faire un projet nécessairement intégrateur (pourquoi devrait-il y avoir Une nature ?). On n’est pas obligé pour faire de la bonne philosophie de naturaliser l’épistémologie. De fait, si on a vraiment un point de vue naturaliste unitaire, alors le discours fait partie de la nature lui-même et est contraint lui-même (épistémologie naturalisée)…

        Remarque : cela n’est pas propre à la psychopathologie, mais à l’ensemble de la philosophie cognitiviste moderne. Cf. en sociologie : il n’y a pas d’ontologie convaincante d’une institution ou d’une représentation collective. Solution = réclamer une ontologie pour les sciences humaines. Idée que pour les objets sociaux, l’activité de critique est bien fondée si et seulement si on dispose d’une ontologie naturelle et unitaire... Mais n’est-ce pas là un détournement de la signification de l’activité critique de la philosophie au profit d’un présupposé ontologique ?

 

 

B/ Attaqué dans un champ par un taureau furieux: comment opère l'intentionnalité causale selon Bolton et Hill.

 

Analyse fastidieuse et minutieuse…qui aboutit à un certain nombre de problèmes philosophiques majeurs.

 

1. Le fonctionnalisme psychologique comme théorie de la causalité mentale : «percevoir un taureau comme dangereux » comme fonction de l'esprit.

 

Idée que peur = réponse normale à la vue d’un taureau perçu comme une menace.

    Pour Bolton & Hill, ceci n’est pas une banalité. Leur ambition est de montrer, à partir de l’articulation des différentes dimensions causales et intentionnelles, psychique et physique, que « percevoir un taureau comme dangereux » est une fonction de l’esprit. Remarque : ce n’est pas un cas de phobie… mais de « peur normale ».

    Contexte d’arrière plan : Bolton et Hill prennent position sur les causes mentales et révisent le vieux schéma Stimulus → Réponse. Entre le stimulus entendu comme cause (explanans/explanandum) et la réponse, on insinue le long de ce parcours un ensemble de croyances et d’attitudes propositionnelles qui intentionnalisent à plusieurs niveaux le parcours causal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux conséquences : Bolton & Hill donnent une valeur causale aux croyances + donnent une valeur intentionnelle aux effets causaux qui se propagent le long de la chaîne Stimulus/Réponse.

Toutes les causes en jeu dans le mouvement de ma main, par exemple, prennent une coloration intentionnelle (deviennent à propos de…).

Bolton et Hill poussent l’analyse jusqu’à la prise en considération de l’image du taureau sur la rétine…Différents types de taureaux anglais (il y en a de plus ou moins gros… un trop petit ou un trop gros ne causera pas de peur…) ; or, déjà au niveau de la perception (qui est biologiquement adaptée), il y a des objets qui nous feront plus ou moins peur selon leur taille (il y aurait des seuils perceptifs, des inférences câblées, à l’œuvre dans la détection de la dangerosité). Idée donc que la détection de la dangerosité en tant que dangerosité est une fonction de l’organisme vivant. Non pas seulement des seuils perceptifs, mais aussi des croyances et attitudes propositionnelles pour appréhender dangerosité en tant que telle.

 

2. 1ère difficulté: à partir d'Anscombe, L'intention §10.- cause de la peur et objet de la peur, la causalité mentale et le point de vue en première personne.

 

E. Anscombe, L’intention, §10 :

 

« Un enfant voit un morceau d'étoffe rouge au détour d'un escalier, et il demande ce que c'est. Il croit que sa nourrice lui dit qu'il s'agit d'un morceau de Satan, et il en ressent une frayeur épouvantable. (Elle lui a évidemment dit que c'était un morceau de satin.) L'objet de sa frayeur est le morceau d'étoffe ; la cause de sa crainte est la remarque de sa nourrice. Il peut arriver que l'objet de la peur corresponde à la cause de la peur, mais, comme Wittgenstein le remarque, il n'est pas en tant que tel la cause de la peur (un visage hideux apparaissant à la fenêtre serait bien sûr à la fois la cause et l'objet, et par conséquent, les deux peuvent facilement être confondus). Ou encore, vous pouvez très bien être fâché de l'action de quelqu'un, alors que ce qui fait que vous êtes en colère, c'est quelque chose qui vous le rappelle ou quelqu'un qui vous en parle.

Cette sorte de cause d'un sentiment ou d'une réaction peut aussi bien être rapportée par la personne elle-même que reconnue par quelqu'un d'autre, même lorsqu'elle n'est pas identique à l'objet. Remarquez que cette sorte de causalité, ou de sens de « causalité », est si loin de s'accommoder avec les explications de Hume, que les gens qui pensent que ce philosophe a convenablement traité du sujet de la causalité n'en tiendraient aucun compte dans leurs raisonnements. Si on attirait leur attention sur elle, ils maintiendraient sans doute que le mot « cause » est ici impropre ou trop équivoque. Ou encore, ils pourraient essayer de fournir une explication humienne pour ce qui est de la reconnaissance de la cause par un observateur extérieur;  mais ils ne le pourraient sûrement pas pour celle du patient. »

 

Objet de la peur ≠ cause de la peur. La véritable cause de la frayeur, c’est la remarque de la nourrice. Anscombe critique ainsi l’idée qu’il y aurait une forme de causalité de la peur traitable de manière humienne. En particulier, il n’y a pas symétrie entre la première personne (cause non humienne : « à cause de » = accès en première personne sans observation) et l’observation en troisième personne (causalité humienne, liée à l’habitude de voir la même réaction de peur face à un taureau). Or, quand je dis que j’ai peur du taureau, ce n’est pas l’objet possible d’une élucidation empirique plus précise ; je ne peux pas descendre dans le grain d’explication causale dans ce cas (jusqu’à la stimulation nerveuse ; rétine…) ; je ne peux pas rentrer plus loin. Le mot de cause semble logiquement impossible à fondre dans une explication empirique. Amphibologie du mot « cause » : ce n’est pas le même mot cause qui est en jeu. Certes, souvent l’objet et la cause de la peur coïncident. Mais on peut très bien les disjoindre, et notamment dans le rapport entre le taureau et sa dangerosité imputée. Un exemple nous est donné dans ce passage fameux d’Un cœur simple de Flaubert :

 

« Un soir d'automne, on s'en retourna par les herbages. La lune à son premier quartier éclairait une partie du ciel, et un brouillard flottait comme une écharpe sur les sinuosités de la Toucques. Des boeufs, étendus au milieu du gazon, regardaient tranquillement ces quatre personnes passer. Dans la troisième pâture, quelques-uns se levèrent, puis se mirent en rond devant elles. - « Ne craignez rien ! » dit Félicité ; et, murmurant une sorte de complainte, elle flatta sur l'échine, celui qui se trouvait le plus près ; il fit volte-face, les autres l'imitèrent. Mais quand l'herbage suivant fut traversé, un beuglement formidable s'éleva. C'était un taureau que cachait le brouillard. Il avança vers les deux femmes. Mme Aubain allait courir. - « Non ! non ! moins vite ! » Elles pressaient le pas cependant, et entendaient par-derrière un souffle sonore qui se rapprochait. Ses sabots, comme des marteaux, battaient l'herbe de la prairie ; voilà qu'il galopait maintenant ! Félicité se retourna et elle arrachait à deux mains des plaques de terre qu'elle lui jetait dans les yeux. Il baissait le mufle, secouait les cornes et tremblait de fureur en beuglant horriblement. Mme Aubain, au bout de l'herbage avec ses deux petits, cherchait éperdue comment franchir le haut-bord. Félicité reculait toujours devant le taureau, et continuellement lançait des mottes de gazon qui l'aveuglaient, tandis qu'elle criait : - « Dépêchez-vous ! dépêchez-vous ! »

Mme Aubain descendit le fossé, poussa Virginie, Paul ensuite, tomba plusieurs fois en tâchant de gravir le talus, et à force de courage y parvint.

Le taureau avait acculé Félicité contre une claire-voie ; sa bave lui rejaillissait à la figure, une seconde de plus il l'éventrait. Elle eut le temps de se couler entre deux barreaux, et la grosse bête, toute surprise, s'arrêta.

Cet événement, pendant bien des années, fut un sujet de conversation à Pont-l'Evêque. Félicité n'en tira aucun orgueil, ne se doutant même pas qu'elle eût rien fait d'héroïque." (Flaubert, Trois contes, Un cœur simple)

 

 Je suis dans un champ avec un taureau. Je sais donc ce qui peut arriver… Ce qui ici cause ma peur, c’est l’évocation des souvenirs que ce taureau me cause. C’est notamment mon souvenir du roman de Flaubert qui cause la peur. Or Bolton & Hill ne prennent pas en compte ce type de possibilité... Ils veulent en finir avec cette distinction cause/objet de l'émotion.

 

3. 2ème difficulté : peur de re et peur de dicto. Qui aurait physiquement peur d'un taureau de dicto ?

 

Deuxième difficulté : il faut distinguer la peur de re et la peur de dicto. Je veux montrer qu’on ne peut pas avoir peur d’un taureau de dicto.

Soit l’énoncé suivant : « j’ai peur d’un taureau qui me fonce dessus ». Depuis Quine, on sait que l’énoncé est ambigu en raison de l’incertitude de l’objet sur lequel porte le quantificateur existentiel. S’agit-il de ce taureau-là ou d’un taureau en général ?

      Ce taureau : peur de re  vs. taureau en général (inclus à l’intérieur de l’énoncé) : peur de dicto.

 

 Bolton & Hill font comme si l’intention qui se rapporte au taureau physique (de re : celui qui impressionne ma rétine) était la même que celle qui se rapporte au taureau de dicto. Or, la formulation de ma règle renvoie au taureau de dicto alors que l’expérience, elle, renvoie au taureau de re.

Est-ce que mon taureau de re ne peut pas être compris comme un cas de taureau de dicto ? Pour ce type de problème, cf. Chisholm, R. 1976. ‘Knowledge and belief: de dicto and de re’, Philosophical Studies 29: 1-20.

On traite alors le taureau de re comme un taureau dont on aurait spécifié tous les prédicats, et en ce cas un taureau de re est individualisé à partir du taureau de dicto, mieux, dans cet approche, le tauraeau de re ne serait qu'un cas du taureau de dicto. Mais cela ne peut pas s'appliquer dans le cas présent. Car Bolton & Hill insistent pour s’en tenir à la pure perception biologique où les problèmes conceptuels ne se posent pas. Problème : il n’y a sûrement pas de description complète en termes conceptuels au niveau des bâtonnets rétiniens ou des neurones. Or, la question qui nous occupe se situe à un problème très élevé sur le plan conceptuel : le taureau en tant que dangereux a des propriétés sémantiques très différentes du taureau simplement perçu.

 

 

4. Le refus de l'analyse en « niveaux » disjoints chez Bolton et Hill. L'argument d'une unique intentionnalité réelle, mais qui aurait des niveaux de complexité logique. Raison et cause, encore et toujours.

 

Bolton & Hill veulent éviter d’avoir à traiter des niveaux de fonctionnement irréductibles les uns aux autres.

Citation, pp. 251-252, deux points à souligner: "The first is that the concept of levels of functioning is misleading if it obscures the extent to which responses with the same intentionality may occur at multiple levels. Equally there are differences in levels of representation such that intentionality with respect to "dangerous bull" has a different logic and degree of complexity than intentionality with respect to "lack of glucose".

 

Ils disent que « le concept de niveau de fonctionnement est trompeur s’il obscurcit à quel point les réponses qui ont la même intentionnalité peuvent arriver à des niveaux multiples » : il faut que ce soit la même intentionnalité en cause, sinon tout se défait. « Également, il y a des différences dans les niveaux de représentation » : rapport peur/taureau dangereux a un degré de complexité différent à celui de bonne/ mauvais hormone qui a les effets requis. Le glucose n’agit sur le récepteur que sous sa description de glucose. Le taureau n’agit sur ma peur qu’en tant qu’il est pris comme taureau dangereux.

Conclusion critique sur cette remarque : l’échelle de complexité de l’intentionnalité est ad hoc :

            * l’une est causale et l’autre langagière

            * c’est le taureau référent (de re ) qui est un facteur causal de la crainte dans l’argument. Autrement dit, l’hétérogénéité logique n’est pas abolie. Le postulat fonctionnel d’identification de la dangerosité (sélection qui a fait qu’on perçoit comme dangereux le taureau qui nous fonce dessus) est le nom du problème, pas sa solution (on ne sait pas comment s’opère le passage taureau de re/de dicto ; ni explication causale troisième personne/ première personne, directe et sans observation).

 

5. L'indécidabilité fructueuse selon Bolton & Hill, ou la fluidité de la transition du causal non-intentionnel dans le causal-intentionnel.

 

  Devant le taureau : trois options possibles pour interpréter sur le plan intentionnel le fait de ne pas bouger:

             * soit stratégie claire et adaptée (ne pas bouger pour ne pas exciter l'animal) 

             * soit conflit entre deux stratégies( on ne sait pas ce qu’il faut faire, et du coup, on reste paralysé entre la fuite et la peur de fuir) 

             *soit paralysie par l’angoisse (annule toute possibilité pour l’organisme pétrifié de développer une quelconque stratégie, l'immobilité n'est pas un conflit, mais un effondrement du fonctionnement mental possible et même de la possibilité d'avoir un conflit de stratégies).

Or cette indécidabilité entre les trois options possibles importe à Bolton et Hill parce qu’elle est liée à leur thèse fondamentale = la continuité intentionnelle est perturbée autant dans le lien neurohormone/récepteur (// cas du glucose) que dans le lien croyance/objet (// cas du lien peur-taureau).

On ne peut pas aborder une maladie mentale sans aborder la question de la décidabilité de ce qui se passe et qui constitue ou pas une maladie mentale : se demander s’il y a une stratégie, ou conflit entre différentes stratégies, ou encore absence de stratégie par effondrement causal et organique… Bolton & Hill se servent de cette indécidabilité pour en faire une maxime d’investigation pour « étudier les stratégies intentionnelles éventuelles dans des situation morbides ». La même intentionnalité se diffracte à travers les niveaux (ils ne veulent pas que les niveaux impliquent un partage par spécialité qui nous enfermeraient dans une dispersion des explications, soit de type neurologique, soit de type psychiatrique…).

  

C/ « Le » trouble psychiatrique : un point de vue essentialisant, à partir de l'intention causale et de ses vicissitudes.

 

1. La « bonne » médecine fait déjà droit à des explications causales intentionnelles (l'exemple de la polycythémie).

 

Bolton et Hill s’en prennent au modèle médical classique pour montrer qu’il n’est pas vrai que celui-ci a pour tâche de montrer des dysfonctions de l’organisme réparées de manière causales

Ex : maladies systémiques où il faut prendre en compte des questions de seuils, de normes…

Exemple de la polycythémie : en altitude (Pérou), une production de globules rouges supplémentaires (GR) à cause de la raréfaction du taux d’oxygène dans l'air qu'on respire… Signes cliniques = tachycardie ; maux de tête ; etc., jusqu’à ce qu’une quantité suffisante de GR soit produite.

Pas une maladie quand on est à 4000 mètres : simple mécanisme d’adaptation. Mais quand on redescend à 1000 mètres ; risque que l’épaississement du sang entraîne des problèmes ; risque d’AVC (accident vasculaire cérébral). Donc, polycythémie : non pas simple dysfonctionnement d’un système ; mais description de la maladie qui implique une certaine intentionnalité de l’organisme, sa sensiblité à l'environnement et son "adaptation en contexte".

Mais cet exemple que développent Bolton & Hill est peut-être un exemple malheureux : il faut en effet distinguer entre polycythémie essentielle et polycythémie accidentelle, secondaire. La maladie, c’est quand on naît avec une dysrégulation du nombre de GR, et en règle générale, la polycytémie est avant tout une affection liée à une anomalie génétique.

 

Quoi qu’il en soit, leur idée = la médecine, en général, fait appel à des normes, à des mécanismes intentionnels. Cela semble peu étonnant pour un canguilhémien, mais cela reste très gênant pour les anglo-saxons (loup du vitalisme dans la bergerie du mécanisme ?). Capital pour l'argument: l'intentionnalité n'est pas introduite en médecine pour le seul intérêt de la médecine mentale. Elle est déjà bien présente en médecine générale, et il suffit de s'appuyer sur les maladies systémiques pour garantir l'appartenance de la psychiatrie à la médecine.

 

2. Les répercussions de la « mauvaise » médecine sur le problème des classifications psychiatriques. Individualisation des entités et comorbidité. L'exigence d'unicisme.

Dans les classifications psychiatriques, on a longtemps privilégié le modèle des maladies non systémiques (ex : modèle des maladies infectieuses) où on peut discrétiser à souhait les symptômes. D’où multiplication des entités pathologiques dans les différentes classifications. Dans le même temps, on se rend compte qu’il y a une grande comorbidité ! Or cette comorbidité est liée au fait qu’on ne considère pas les maladies mentales comme des maladies systémiques… Le point de vue holiste est essentiel. mais ce n'est pas du holisme ad hoc, c'est un hoimse fondé sur une compréhension du caractère systématique des atteintes que subi un organisme vivant, y compris les relations qu'il entretient avec son milieu et ses congénères.

Aujourd’hui (horizon du DSM-V)  : il y a une tendance à renoncer à l’approche  catégorielle des troubles mentaux au profit d’une approche dimensionnelle, et cela dans le but de promouvoir  une conception plus holistique et systémique des maladies mentales.

Remarque au sujet de cette idée de concevoir les maladies psychiatriques comme des maladies systémiques (qui peuvent donc être décrites en termes de rééquilibration, de compensation, etc.) : est-ce un problème ontologique ou épistémologique ? En médecine, il faut être uniciste : toujours chercher le trouble unique derrière l’apparente dispersion des symptômes. Or, être uniciste est un principe avant tout méthodologique qui n’implique pas nécessairement d’hypothèse sur la systématicité des troubles en jeu. Bolton & Hill, eux, font une hypothèse ontologique. Mais on n’est pas obligé de les suivre et on peut très bien se contenter de l’attitude méthodologique (qui prend en compte le postulat de l’unicisme).

 

3. Réhabiliter le contexte interpersonnel de la maladie mentale. La dépression sévère chez les femmes. Sommes-nous si bons juges de l'intentionnalité chez autrui ? La dangerosité du taureau et celle du criminel humain.

 

Bolton & Hill veulent réhabiliter les psychothérapies. Ils insistent sur l’importance du contexte psychosocial des maladies mentales.

Ex : dépression sévère des femmes, des enfants battus… S’agit-il de dysfonctionnements cérébraux particuliers ? La dépression réactionnelle chez les femmes battues est-elle plutôt liée aux conditions de vie particulières ? Cette question n'implique pas de sortir du paradigme cognitiviste (elle n'implique pas qu'on en revienne à un paradigme psychodynamique en psychopathologie). Car il s'agit de penser les réponses pathologiques comme intentionnelles.

Et cependant, "intentionnelles" en quel sens?

 

Remplaçons ensuite la dangerosité d’un taureau par la dangerosité d’un pervers ou d’un criminel (qui est un véritable problème de psychiatre). Est-on si bon juge de l’intentionnalité des comportements qui comptent en psychiatrie ? Le problème est que la manière dont les objets sont appréhendés dans cette approche bottom-up n’aboutit nulle part. Le problème de l’expertise médico-légale, par exemple, n’est pas abordé. Une vraie réflexion philosophique devrait partir de la pratique des experts médico-légaux et de l’analyse fine des intentionnalités de haut niveau impliqué dans la distinction des actes commis sous l'empire de la folie, et de ceux commis par méchanceté. Cf. la question de l’intentionnalité morale en tatn que résolument distincte de l'intentionnalité biologique "améliorée" (relationnelle, contextuelle) de Bolton & Hill : il faut distinguer l’action faite par morale/l’action seulement conforme à la morale (Kant). C’est ici l’intention qui fait la  différence entre ce qui est moral et ce qui ne l'est pas (mais qui est parfaitement adapté à la survie et à l'amélioration des performances des individus)… Or, les raisons d’intérêt sont naturalisables, mais pas l’intention morale, ou l'intention compte en tant qu’intention… et pourtant c’est celle qui compte dans l’expertise médico-légale: l'intention en tant qu'intention.

Par conséquent, à mon avis, la référence importante, ce n’est pas la biologie, mais la psychiatrie entendue comme science morale. Bolton & Hill se contentent de composantes rustiques de l’intentionnalité (ilsq privilégient tout ce qui peut se naturaliser). Mais si on part de ça vers les formes supérieures, on n’aboutit jamais vraiment à ce qui commande effectivement des attitudes appropriées à l'égard des autres êtres humains (sur le plan juridique), ou alors par hasard…

 

4. Le cercle des interactions entre causal non-intentionnel et causal-intentionnel : a) le cas de l'agressivité chez le jeune mâle humain ; b) la logique des « compensations » délirantes aux symptômes négatifs de la schizophrénie (Roberts) ; c) gènes et environnements (Tienari).

 

La limite du raisonnement naturaliste = le cercle des interactions entre causal non-intentionnel et causal-intentionnel.

a) l’agressivité chez les jeunes mâles humains (p. 261). Rapport agressivité/androgènes (taux de testostérone)

 

Il y a un cercle : méchant envers vous donc augmentation du taux de testostérone et donc encore plus méchant…

Le principe du raisonnement de Bolton & Hill est le suivant : tout ce système doit être pensé comme un système en boucle jusques et y compris lorsqu’il intègre une dimension psychosociale : il y a des croyances et des attitudes qui déclenchent chez autrui des croyances et réponses en boucles… avec ajustement des croyances… (perception de l’autre comme de plus en plus dangereux et donc élévation de testostérone). Ce cercle est la réalisation clinique du schéma plus haut, où les causes et les raisons sont mises en continuité dans un raisonnement fonctionnaliste.

 

Problème : cette hypothèse est infalsifiable au sens poppérien (grâce à ce cercle, on peut se situer au point qu’on veut…) ! En allant jusqu’au bout, on peut trivialiser : il n’y a pas d’attitude sociales sans modifications cérébrales et hormonales ; il n’y a pas de modifications cérébrales et hormonales sans rapport aux attitudes sociales… Mais ce n'est pas convaincant pour des raisons bien connues en psychologie sociale expérimentale. On peut très bien donner une drogue qui augmente la réactivité des individus (norépinéphrine dans l'expérience de Schacter et Singer en 1961), et on voit bien que selon le contexte d'interprétation de ces effets ressentis, on peut obtenir, à identité d'état physiologique, des réponses psychiques et sociales complètement opposées!

 

b) Les phénomènes de compensation chez le schizophrène, où les syumptômes positifs (délires) seraient des sortes de rééquilibrage combattant les effets des symptômes négatifs (apragmatisme, anhédonie, etc.). Cf. article séduisant de Roberts (1991), Delusional belief systems and meaning in life: a preferred reality? Br J Psychiatry Suppl. 1991 Nov;(14):19-28: il ne faut pas trop lutter contre les délires, car la qualtié de vie des malades s'en ressent. Mais de nouveau, l’argument est circulaire (il n'y a pas de critère indépendant pour décider à quel degré doit se faire la compensation pour qu'elle assure une qualité de vie normale, ou du moins optimale; car si le patient délire beaucoup, c'est peut-être qu'il a à lutter contre des symptômes négatifs écrasants, et réciproquement). Autrement dit, les observations empiriques ne font jamais que confirmer l’ensemble des hypothèses de ce monisme corps/esprit, qu'il est facile de ramener à une pétition de principe.

 

c) à la fin du chapitre, Bolton & Hill s’intéressent à l’analyse des composantes génétiques et de l’interaction avec l’environnement.

Cf. l'article de Tienari (1991) : des jumeaux schizophrènes sont placés dans des familles différentes. Il y a une grande réplication, mais l’auteur a montré que cela variait en fonction du profil psychologique de la famille (familles plus ou moins dysfonctionnelles…). Cela renvoie au problème de la contrainte générale des organismes au milieu dans lesquels ils se développent.

Seulement, en tant que théorie, il faut reconnaître que le pouvoir prédictif de la théorie de Bolton & Hill est très faible : on sait quand même depuis longtemps que le milieu est important pour la schizophrénie (même si on sait par ailleurs qu’il y a une composante génétique !) en en faisant la preuve d’une dépendance corps/esprit, organisme/milieu… C'est très général, ce n'est pas de l'ordre de la prédictibilité quasi-nomologique, mais de la prévisibilité de bon sens.

 

5. Faut-il (et peut-on) vérifier qu'il y a un tel cercle, et qu'il confirme bien une conception  intégrative et naturaliste du mental ? Alternative : utiliser la raison pour enrichir les interactions avec les malades mentaux.

 

En guise de conclusion: on peut proposer un renversement complet de l’attitude philosophique devant ces problèmes. Au lieu d’un projet de vaste ontologie psychopathologique et intégrative, utiliser la réflexion philosophique de manière critique : comment on peut intentionnaliser un certain nombre de phénomènes mentaux qui se présentent a priori comme non intentionnels? Comment construire des façons de penser les malades mentaux non plus comme pris dans des routines automatiques mais comme réagissant à d’autres normes de fonctionnement psychiques? On peut ainsi chercher à promouvoir une attitude pratique qui consiste à modifier de nouveaux espaces d’empathie en justifiant qu’on le fait par des raisons : créer des relations possibles en modifiant la manière de se rapporter à eux, voire de nouvelles institutions possibles, de manière pragmatique, pour justifier un nouvel espace de sens pour les troubles mentaux.

cf. les patients souffrants de syndrome d’Asperger, cas extrême de la revendication de "neurodiversité" : ils revendiquent style cognitif différent qui les amèneà demander de créer des écoles différentes pour eux, de manière adaptée, en respectant les contraintes qui pèsent sur leurs styles cognitifs différents…c’est peut-être un peu caricatural mais ce qui est important, c’est de mettre l’accent sur la différence plus que sur le déficit. Il ne s’agit pas forcément de soutenir ce type de démarche, mais de reconnaître que cela ouvre la possibilité d’une approche pragmatique différente qui permettrait de développer une manière riche d’interagir avec les patients les plus graves, en laissant un espace à de nouvelles normes de fonctionnement psychique.