Philosophie et histoire
de la médecine mentaleSéminaire doctoral, IHPST, Paris I (2007-2008)
Problèmes
philosophiques de la psychopathologie cognitive : à partir de Bolton &
Hill
Problèmes
philosophiques de la psychopathologie cognitive : à partir de Bolton
et Hill, séance n°7
Analyse du chapitre 8 de Mind, Meaning, and Mental
Disorder « Intentionality in disorder »
A/ Contenu et structure de l’argument du chapitre
8 : il existe bien de l’intentionnalité dans la maladie mentale.
Approche top-down (à partir de la logique des représentations)
et bottom-up (à partir de l’intentionnalité des systèmes
biologiques). Idée : elles convergent, et donc les approches psychologiques-intentionnelles
des maladies mentales sont fondées. Statut spécial du traumatisme
psychique et des paradoxes cognitifs. Seule limite : le câblage des
circuits non-modifiables (les « règles » ultimes d’adaptation
de l’organisme). Enfin, examen critique des conséquences pour
une toute une série de modèles psychologiques des maladies
mentales et de leur traitement.
Remarques générales : a) intentionnalité dans la maladie
mentale, pas intentionnalité de la maladie mentale. Ce sont des conflits
entre règles suivies (et qui sont en soi normales d’un certain
point de vue) qui engendrent des troubles fonctionnels (et l’anormalité).
La maladie mentale n’est pas conçue comme l’essai positif-créatif
d’une autre intentionnalité que l’intentionnalité
habituelle, et elle reste intrinsèquement un déficit. Quelle
adaptation ? Quelle expérimentation du mental ? Conséquences
sur l’idée de traitement psychologique (qui porte sur des individus,
pas sur des représentants de l’espèce). b) Qu’est-ce
qui prouve que les approches top-down et bottom-up convergent ? Elles doivent
converger au nom du concept de « causalité intentionnelle ».
Le problème des redescriptions croisées et de la fabrication
de symptômes-types à deux faces. Sont-ils ceux de la clinique,
ou ceux que la clinique doit privilégier pour rester épistémologiquement
cohérente ? En tous cas, on explique pourquoi la psychothérapie
a sa place en psychopathologie cognitive, on ne part pas du fait qu’il
y a des traitements psychothérapeutiques pour remonter de là
vers ce que cela nous apprend du mental (pratique et usage des concepts
du mental/théorie et logique a priori des concepts psychologiques).
c) Réhabilitation frappante de la psychanalyse // behaviorisme watsonien
: les fonctions normales subissent des chocs traumatiques externes, et les
réponses sont intelligentes, adaptatives, stratégiques, y
compris dans la reconduction de l’échec à traiter le
dommage subi.
B/ L’approche « logique »/« épistémique
»/« épistémologique » (pourquoi ces 3 dimensions).
1. Erreur radicale, évitement et répétition en boucle
de l’échec. L’idée d’un « conflit
de règles ». Le modèle du sophisme plutôt que
le wish fulfiment. La pensée impensable : « ça, c’est
ce que je ne peux pas faire ! » En quoi « subvertit »-elle
les conditions de l’intentionnalité ?
2. Du trauma ponctuel au trouble diffus du développement. Quel concept
du trauma ? Peut-il y avoir individuation sans une séparation «
traumatique » ?
3. Les troubles de haut niveau : le postulat post-empiriste de la connaissance
de soi comme théorie de l’esprit (qui peut être fausse).
4. Quine et Lakatos au secours de Freud (de Melanie Klein) : les «
stratégies défensives » en épistémologie
et la psychopathologie du déni, du clivage, de l’idéalisation
et de la projection. Point fort : c’est du psychologique qui agit
sur du psychologique.
5. Point faible : le contresens sur Freud : l’intrapsychique et l’interpersonnel
? Freud comme théorie de l’apprentissage, ou de l’inéducable
? L’indifférence du symbolique à la vie. Prémisses
épistémologiques ou biais moraux inexplicites ? Irrationalité
n’est pas déraison.
C/ Vers une déduction de la symptomatologie
psychologique à partir des prémisses sur la causalité intentionnelle
de l’action. (C’est surtout une dérivation des troubles borderline.)
1. Le cas de l’attachement (Bowlby, Stern), ses troubles psychologiques
et la pathologie de l’action : paralysies et inhibitions.
2. Un défaut de maîtrise logique et affective de la généralisation/différenciation
des règles qui s’appliquent. (Mais est-ce la cause où l’effet
? Le problème de l’identification est évité) : inadéquation
de l’agir au contexte émotionnel.
3. Pas de stabilité dans l’environnement de l’enfant qui
se développe : impulsivité. (Si on a les trois, on retrouve l’automutilation
et le suicide.)
D/L’approche à partir de la biologie/neurobiologie.
Bien voir qu’il faut qu’elle soit compatible avec les théories
du self, du parenting, de l’abus sexuel dans l’enfance comme trauma
typique, etc. Quelle idée de l’enfance et de l’adolescence
?
Reprendre ici les trois figures de l’action invoquées précédemment
: 1. arrêt de toute action (dépression), 2. déficit du monitoring
de l’action intentionnelle (schizophrénie), 3. inadaptation de
l’action à la vie sociale (personnalité anti-sociale et
troubles de la personnalité borderline à fonctionnement «
impulsifs »). Via le trauma, on a surtout le cas 3., mais aussi de nombreuses
affections névrotiques. Le PTSD : refuge de la symptomatologie «
freudienne » dans le DSM3 (Young). Voir dans le chapitre suivant le cas
des TOC : troubles anxieux ou troubles de l’agir ?
Bien distinguer devenir un individu humain, et devenir le membre normal d’une
espèce animale sociale. Ambiguïté du vocabulaire de l’adaptation
et du développement et des « régularités »
pertinentes (naturelles ou sociales ?).
E/ Comparaison des approches psychologiques dominantes à partir du postulat
d’une causalité intentionnelle et des mécanismes de dérivation
des symptômes énumérés ci-dessus.
1. Théorie du conditionnement. Trop sous-déterminées (cf.
ici même l’idée de trauma). Et la créativité
? Que devient l’argument chomskyen du début ? Les TC ne fonctionnent
que si l’instance qui suit les règles est intacte.
2. L’apprentissage social (Bandura) : accepte l’internalisation
de règles acquises par observation. La thérapie est prosociale
(éduquer les parents pour éduquer les enfants). Comment Bolton
et Hill pourraient-ils critiquer ? C’est la réalisation de leur
théorie.
3. Thérapies cognitives. Impliquent, pour opérer, non seulement
que la capacité à suivre des règles et à les rectifier,
mais aussi que le système de l’action soit indemne (primat de l’action
sur la représentation, qui détermine en amont son utilité).
4. Théories psychanalytiques. Après Melanie Klein, Winnicott (le
« jeu » comme espace de l’action selon des règles +
méta-représentations). Choix de la relation d’objet et de
la théorie de l’action comme cadre de naturalisation/rectification
de Freud.
5. Théories systémiques/familiales. Rejetées par Bolton
et Hill : car elles font tout dépendre du contexte, pas de pannes ou
de déficits. Nul câblage biologique pertinent, du coup. En revanche,
on y repérerait mieux le problème de l’inclusion du thérapeute
dans le système relationnel du symptôme (Et le transfert, alors
?), avec le problème d’objectivité/-ation qui en découle.
Qu’est-ce qui pose problème avec le contexte (le métacadre)
?
6. Théorie de l’attachement. En fait, il s’agit justement
de ses extensions récentes à la constitution négociée
des métacadres, i.e. l’appréciation partagée des
attitudes attribuant des intentions aux acteurs (dans la famille). L’attachement
devient lui-même évalué selon les contextes d’interaction/d’inter-attribution
d’intention. C’est la complexité la plus haute.
A/ Contenu et structure de l’argument du chapitre 8.
Le livre de Bolton & Hill est apprécié
par sa capacité d’intégration importante d’un très
large matériel clinique, ainsi que par sa compatibilité avec de
nombreux travaux neurobiologiques et épidémiologiques. Sa force,
indéniablement, est de s’appuyer sur la psychiatrie mainstream.
De tous les chapitres de Mind, Meaning and Mental Disorder : The Nature
of Causal Explanation in Psychology and Psychiatry, le chapitre 8 est l’un
des plus souvent cités, et il a été repéré
dans la littérature critique comme étant originale. Sa thèse
est qu’il y a de l’intentionnalité dans la maladie mentale,
et que c’est donc de la maladie mentale au sens fort dont il est ici question,
et pas d’un épiphénomène de la neurobiologique ou
d’un artefact. Pour Bolton & Hill, la maladie mentale est une réalité
épistémologique. Le plan de ce chapitre montre que son objectif
est de rendre compatible l’approche top-down (qui part d’une analyse
des concepts psychologiques et cherche à s’assurer que les concepts
psychologiques sont éclairés par les dispositifs neuropsychologiques)
et l’approche bottom-up (dont l’hypothèse est qu’il
y a un substrat cérébral qui rejoint les manifestations cliniques
psychopathologiques, et qui se fonde sur l’intentionnalité des
systèmes biologiques). La thèse qui y est développée
est que ces deux approches convergent, et donc que l’approche psychologique-intentionnelle
des maladies mentales est recevable.
Ce cours a une double direction : il vise à expliquer les arguments que mobilisent Bolton & Hill pour justifier leur psychopathologie philosophique, et à faire valoir le coût rationnel de leurs prémisses, le coût philosophique de l’intégration de l’ensemble des données qu’ils utilisent.
On peut noter tout d’abord l’existence
d’un certain déséquilibre dans l’argumentation du
chapitre 8 : il est évident pour Bolton & Hill que la psychologie
est acceptable, mais uniquement tant qu’elle n’est pas en contradiction
avec ses (supposées) bases neurobiologiques. En réalité,
s’ils défendent l’idée qu’il y a un fonctionnement
naturel autonome du cerveau, c’est parce que c’est la seule manière
de travailler avec des modèles animaux sur la base de données
évolutionnaires. On pourrait pourtant considérer que le propre
de l’espèce humaine, ce serait par exemple que le fonctionnement
psychique est d’annexer des fonctionnements biologiques, sans qu’a
priori cela signifie qu’il y a des prédispositions particulièrement
spécifiques pour que le cerveau des humains leur permette de parler.
Il est manifeste également, à travers ce chapitre 8, que Bolton
& Hill sont totalement ignorants de l'hypothèse à la Canguilhem,
selon laquelle il est possible de penser une maladie (maladie du cerveau ou
maladie mentale) en termes de crises et de nouvelles normes vitales. Leur approche
est ici très traditionnelle : il faut compenser ce qui est pensé
sur le mode du déficit. Et quel est le déficit qu’on ne
peut pas compenser, sinon le déficit du cerveau ? Bolton, notamment,
est un clinicien qui développe la dimension créative et développementale
de ce qu’on peut faire avec les gens malades de TOCs. Au fond, il reste
du côté de l’encouragement éthique et moral, alors
que la nature ne s’oppose pas à ce qu’on construise quelque
chose dans le cadre de normes nouvelles. Du coup, on voit quel est le postulat
de ce chapitre : c’est celui de l’harmonie préétablie,
où la démarche bottom-up va rejoindre la démarche top-down.
L’idée est qu’on devrait pouvoir aller de manière
continue du biologique au mental.
L’objection classique de Donald Davidson (l’idée de l’anomie du mental, le fait qu’il existe des manières absolument distincts de décrire des concepts mentaux et des concepts physiques) n’est à aucun moment discutée par Bolton & Hill.
Enfin, il est évident que Bolton & Hill recourent à une certaine théorie du trauma que leur fournissent les débuts de la psychopathologie, qui est beaucoup moins un fait clinique que ce dont ils ont besoin pour soutenir tout l’édifice théorique en question. La conception qu’ils se font du traumatisme, ils la déduisent a priori. Elle leur vient de la psychopathologie du 19ème siècle, en un temps où la neurologie n’existe pas en tant que telle. Les termes du débat, d’une certaine manière, restent proches de ceux 19ème siècle, et décident des types de psychopathologie que Bolton & Hill trouvent intéressantes. C’est extrêmement révélateur, sociologiquement, de ce qui fait problème pour un auteur anglo-saxon.
Remarques générales.
a) Dans Bolton & Hill, il y a de
l’intentionnalité dans la maladie mentale, mais il n’y
a pas de l’intentionnalité de la maladie mentale. Ce qui
est manqué, du coup, c’est la possibilité de penser la maladie
mentale comme étant de l’ordre de la crise, et comme tentative
de fabriquer de manière originale de nouvelles normes, de traiter un
problème sur le mode de l’invention positive. Ici, la maladie mentale
est pensée sur le mode du déficit, et donc de la compensation.
Autrement dit, la maladie mentale n’est pas conçue comme l’essai
positif-créatif d’une autre intentionnalité que l’intentionnalité
habituelle, et elle reste intrinsèquement un déficit. Quel mental
est-il en jeu, et de quel conflit entre structures intentionnelles s’agit-il
ici ? On peut donner des raisons logiques, et non pas des raisons mécaniques,
du rapport entre les règles, par exemple si on déplace la référence
philosophique non pas vers la philosophie de la biologie, mais vers la philosophie
morale. Les conflits moraux ne sont pas des contrastes entre deux types de règles,
car le conflit moral se caractérise par le fait que nous faisons des
choses en contradiction avec ce que nous devons faire : pêcher, ou faire
du mal, c’est se mettre en infraction avec la règle. Par contre,
ne pas savoir quelle conduite on doit suivre, c’est suivre une règle
contre une autre. C’est inéluctable : quand on suit une règle,
on est en défaut par rapport à l’autre. Si Bolton s’intéresse
à notre capacité à suivre des règles très
différentes dans des cadres contraignant, c’est parce que c’est
compatible avec l’idée de compensation de déficits : on
veut maintenir certaines conduites vitales, mais comme on se retrouve pris dans
des contradictions, ça entraîne des pathologies. En construisant
des règles intermédiaires entre conflits causaux et intentionnels,
on parvient ainsi à capter des exemples cliniques divers. Mais on voit
aussi en quoi une telle solution pose un problème, qui est lié
à la taille des mailles du filet conceptuel. Bolton & Hill ne font
référence à l’intentionnalité dans la maladie
mentale qu’en un sens affaibli, qui permet de faire une place à
la disruption normale de l’esprit par des facteurs causaux. On peut donc
leur objecter, parce qu’ils ne pensent pas la maladie mentale avec une
intentionnalité interne, qu’ils se ferment à la possibilité
de penser la maladie mentale comme invention de normes de fonctionnement nouvelles.
Car on ne dit pas assez qu’on ne meurt pas de la maladie mentale : la
maladie mentale, ce n’est pas un cancer. La tolérance du milieu
est décisive, et c’est aussi pourquoi cette maladie est très
difficile à biologiser complètement. C’est ce qui justifie
que l’on prenne ses distances à l’égard des stratégies
objectivantes.
b) Qu’est-ce qui prouve que les approches top-down et bottom-up convergent
? A lire Bolton & Hill, on a le sentiment qu’elles doivent
converger, et ce au nom du concept de « causalité intentionnelle
». On est donc en droit de se demander si les symptômes-types sur
lesquels se fonde leur psychopathologie philosophique leur sont donnés
par la clinique, ou bien s’ils ne sont pas plus simplement ceux que la
clinique doit privilégier pour rester épistémologiquement
cohérente ! A la fin du chapitre, ça a les conséquences
les plus graves, car ce qu’on soigne, dans un cadre psychothérapeutique,
ce n’est pas vraiment un membre de l’espèce humaine. On ne
peut pas oblitérer le fait que les normes de la relation psychothérapeutique
mettent l’accent sur l’individualisation. Penser pouvoir normer
les résultats des psychothérapies à partir d’une
normalité qui vaut pour les représentants de l’espèce,
c’est par conséquent très problématique. C’est
aussi problématique que l’idée d’une neuro-imagerie
“contrôlant” les modifications fonctionnelles ou structurelles
suite à une psychothérapie comportementale. Exemple : il existe
en biologique des constantes vitales. Mais si l’on essaie de réanimer
quelqu’un en alignant ses constantes vitales sur celles des statistiques,
il meurt ! Quand on essaie de produire de l’extérieur ce que seul
l’organisme lui-même peut parvenir à produire, l’organisme
meurt. C’est un exemple éloquent car ça montre la résistance
de l’organisme singulier à son alignement aux statistiques. Faut-il
en conclure que les dispositifs de compensation doivent venir de l’organisme
lui-même ? On voit en quoi cela permet de penser la place qui est faite
aux psychothérapies en psychopathologie cognitive : dans cette approche,
on part de l’existence des traitements psychothérapeutiques, pour
remonter de là vers ce que cela est supposé nous apprendre du
mental. Autrement dit, le point de départ n’est donc pas celui
des pratiques et des usages des concepts du mental dont on cherche ensuite à
construire la théorie, mais celui d’une logique a priori des concepts
psychologiques.
c) Autre point : dans les pays anglo-saxon, on assiste à une réhabilitation
d’un certain type de psychanalyse, à travers Winnicott ou Melanie
Klein. Le livre de Bolton & Hill suit cette voie. Mais il faut faire deux
remarques sur l’épistémologie implicite d’une telle
psychanalyse : 1) C’est une psychologie psychanalytique internaliste :
l’inconscient est dans la tête des gens, voire dans leur cerveau.
L’inconscient n’est donc pas relationnel, comme chez Lacan, où
l’inconscient est le discours de l’Autre ; 2) la théorie
du traumatisme véhiculé dans ce livre est celle que Freud a récusée,
c’est-à-dire celle où le traumatisme arrive de l’extérieur
comme un malheur au sujet. Pour Freud, il y a un traumatisme nécessaire
et structurant, et donc pas d’individuation sans traumatisme séparateur.
Le traumatisme, ainsi, a une fonction positive. Ça rend compte de l’ambiguïté
entre normal et pathologique en psychanalyse.
En somme, dans le chapitre 8 du livre de Bolton & Hill, ce qui est réintégré, ce sont les versions du développement naturel le plus réparateur possible, associées à une théorie du développement qui naturalise Mélanie Klein (donc sans la pulsion de mort), et un Winnicott sans le caractère radicalement psychotique des premiers moments de l’existence. Ici, l’individuation biologique tient lieu d’individualisation de l’être humain. Le faire remarquer, ce n’est pas faire une critique, mais ça permet de mesurer la somme de présupposés moraux, sociaux et politiques, que nous introduisons quand nous disons de quelqu’un qu’il se subjective, qu’il devient soi. C’est là une grande difficulté, qui témoigne de l’importance de la régularité pour pouvoir penser l’exception : s’il n’y a que des individus, on ne peut plus penser les gens. Il y a peut-être une indétermination conceptuelle fondamentale qu’on n’arrive pas à penser, une réalité biologique que nous ne connaissons pas, et qui témoigne de nos préjugés sociaux ainsi que d’autres impensés.
B/ L’approche « logique » / « épistémique » / « épistémologique »
1. Pourquoi ces trois dimensions ?
Parce que le problème tel que le posent Bolton & Hill repose sur les propriétés conceptuelles de l’intentionnalité : les choses sont encodées dans le cerveau sous forme d’informations, c’est donc une démarche causale, et comme elle est porteuse de sens, ça réapparait du coup à des niveaux très élevés comme des intentions, que nous suivons comme des règles plutôt que comme des lois. C’est ce qui fonde l’idée d’un trouble de l’intentionnalité, et le fait que nous n’arrivons pas à réviser nos croyances. On voit ainsi que le modèle suivi dans le livre de Bolton & Hill est un modèle fort en philosophie, celui de la révision de la hiérarchie des hypothèses dans une explication scientifique. Dans ce chapitre 8, il apparaît que la façon dont progresse la science n’est que la forme la plus achevée du processus du développement de l’esprit humain qui progressivement apprend à appliquer des règles de plus en plus complexes, à intégrer les échecs de l’expérience. Ainsi, les théories épistémologiques Lakatos / Popper ne font que cristalliser quelque chose qui est enveloppé dans ce qui paraît être une théorie de l’esprit que les enfants se construisent en ajustant leur croyances aux expériences. En dernière analyse, une théorie de l’esprit fonctionne comme une théorie scientifique, avec révision des croyances. Donc, il ne peut pas y avoir d’intentionnalité du trouble mental, mais uniquement dans le trouble mental. Autrement dit, le conflit ne peut être un conflit créateur, il n’y a pas de possibilité d’intégrer la créativité du conflit des règles. Il est évident que c’est très contre-intuitif, car en réalité on est d’autant plus mobilisé subjectivement qu’on ne sait pas ce qu’on doit faire ! La solution de Bolton & Hill fait l’impasse sur le fait que la philosophie morale repose bien souvent sur le problème du conflit, et pas seulement sur celui du choix rationnel. Le modèle du conflit entre règles suit le modèle du sophisme : en dernier analyse, on a affaire à de l’irrationalité, et c’est ce qui justifie le social learning, c’est-à-dire le fait qu’il faut éduquer les parents et les enfants (finalement, ce qui humanise les théories comportementales, c’est leur intérêt à suivre un certain nombre de règles). Or, si c’est le modèle du sophisme, ce n’est pas celui du wish fulfilment, de l’accomplissement de souhait. Le désir, c’est vouloir le beurre, l’argent du beurre el le sourire de la crémière. On est là en présence de désirs de choses impossibles. Mais désirer croire, est-ce une attitude propositionnelle, ou une combinaison d’analyses propositionnelles : désirer et croire ? Comment s’emboitent les grammaires de ces choses-là ? C’est une question essentielle, car les hallucinations de souhait, de type hystérique, n’ont pas la même structure que les hallucinations de type psychotique. Désirer croire, ça peut avoir des effets causaux, ça peut altérer la perception sur un mode différent de la déchirure telle que l’expérience psychotique la donne à voir.
2. L’idée de Bolton & Hill, c’est que le conflit tel qu’ils l’entendent est un évitement d’informations nouvelles. Quel est leur concept du trauma ? Peut-il y avoir individuation sans une séparation « traumatique » ? Le rapport à l’évitement est un verbe intentionnel. Comment ne pas voir que la répétition traumatique est à l’autre extrême du spectre, par rapport à la répétition dans la névrose obsessionnelle ? Pointer ceci, c’est attirer l’attention sur le grain de la description clinique propre à la psychopathologie de Bolton & Hill, et montrer que l’envi de produire des systèmes finit par faire perdre un certain type de nuances. A quoi Bolton & Hill répondraient que justement, c’est fait pour perdre l’excès de finesse qui nous empêche de voir le mécanisme réel des choses ! Ils donnent ainsi à la psychanalyse un caractère de pensées conditionnées : chez Freud comme chez Watson, il y a de l’intolérable auquel on ne veut pas penser. Ce qu’ils veulent marquer, c’est qu’ils sont en train de décrire un mécanisme intentionnel. Le mécanisme traite des significations, et en ce sens, il est mental. Et c’est pourquoi ils ne font pas place aux thérapies comportementales qui se fondent sur les stimuli, mais aux thérapies qui font appel aux règles suivis sur les stimuli. C’est en ce sens qu’on peut parler de thérapies cognitives : on agit sur la façon dont les gens suivent les règles. Du coup, Freud et Watson – « Fratson » si j’ose dire – sont supposés penser la maladie mentale comme un pattern de représentations qui en dernière analyse est faussé par quelque chose de traumatique et d’externe. C’est dire qu’il y a de l’inné, sur le mode : « comment auriez-vous fonctionné mentalement, si vous n’aviez pas été l’objet de sévices sexuels ? ». La thèse de Bolton & Hill, c’est qu’il y a un développement biologique, une théorie neuro-développementale avec des propriétés propres. Ils ont l’impression ainsi de retrouver le vrai Freud, le vrai Winnicott… On voit comment leur thèse les conduit à poser le problème de l’articulation des croyances à l’action : ils privilégient la dimension de la régulation de l’action par les croyances qui sont universelles, car ils supposent que notre espèce s’est adaptée, et que le désir est un accident individuel et non la propriété d’une espèce. Mais qu’en savons-nous, que notre espèce est adaptée ? L’évolution, ça se voit à la fin !
3. Pourquoi Bolton & Hill recourent-ils à l’épistémologie post-empiriste ? Parce qu’elle leur permet de penser les troubles de haut niveau, à travers le postulat post-empiriste de la connaissance de soi comme théorie de l’esprit (qui peut être fausse). L’idée, c’est qu’il y a des croyances-noyaux et des croyances révisables. C’est une récusation de l’analytique et du synthétique, car il n’y a pas deux types de croyances : on a seulement du plus ou moins nodal et du plus ou moins périphérique. Bolton & Hill pensent que ça limite la quantification et l’usage des échelles psychométriques. C’est une conséquence pratique importante, car à travers ce postulat, comme tout est au service de l’action, il est inévitable qu’il existe bien une représentation impossible, qui est celle qu’on ne peut pas mettre au service de l’action. Dans une telle perspective, toute croyance que nous ne pouvons pas agir est profondément destructrice, et va donc produire une contre-action, une action d’évitement de l’action nous reconduisant à l’action qu’il faudrait faire, etc. Ça, c’est la déduction logique du mécanisme nodal du symptôme et du trauma. Au fond, une expérience d’impuissance absolue, dans le traumatisme, fait que nous nous retrouvons avec une représentation absolument inintégrable… Donc la représentation ne sert qu’à empêcher l’action. Autrement dit : « je suis impuissant à le faire », c’est la représentation toxique par excellence dans le système de croyances. L’intentionnalité de l’action qui la régule est subvertie par la présence de cette représentation, qui n’est pas exactement la représentation du traumatisme, car c’est plus un mécanisme, une définition affaiblie du traitement de la représentation impossible. Néanmoins, ça permet de traiter la phobie et l’obsession, par exemple. Le mécanisme n’a pas besoin d’être ponctuel ; il est suffisamment sous-déterminé pour pouvoir rendre compte de l’ensemble du développement. C’est à ça qu’on voit que Bolton & Hill sont des lecteurs de Freud qui laissent de côté le caractère nécessaire du trauma. Confrontés à ce problème de contradiction radicale, on est obligé de réintroduire tout de même quelque chose comme un noyau dure équivalent aux propriétés formelles ou analytiques de la pensée. Dans l’économie de l’argument, ça nous renvoie au fait que si tous les traumatismes sont externes, vous êtes innéistes.
4. Est-ce incompatible avec l’indétermination quinienne de la traduction ? Non, car Bolton & Hill utilisent l’indétermination quinienne de la traduction pour dire qu’il y a différentes façons de construire les croyances et de les justifier, mais il y a des noyaux durs logiques qui expriment les contraintes innées. Il y a quand même des bases logiques ultimes, qui sont des connecteurs propositionnels, des réponses en oui/non. C’est autre chose que le relativisme. Ce qui est très beau dans ce dispositif, c’est que la psychologie doit être compatible avec le câblage biologique. Dès lors, les troubles supérieurs, ceux qui impliquent la connaissance de soi, la construction de sa propre identité, sont les troubles ultimes. Les attitudes que nous repérons en philosophie des sciences pour protéger les théories fausses peuvent dans un tel cadre toutes être traitées comme des déficiences psychiques au sens kleinien du terme. Le splitting, le « je ne prends dans la réalité que ce qui me va », le déni, l’idéalisation – les grands mécanismes fondamentaux de Melanie Klein – ne sont rien d’autres que des expressions psychologiques de … dans les approches Popper/Lakatos. La confirmation d’un tel modèle se voit dans le fait que les enfants traumatisés par leurs parents continuent à les aimer. On pourrait voir là la nécessité, pour eux, de préserver absolument l’idée que leurs parents les aiment : ils protègent leurs croyances-noyaux des révisions par l’expérience.
5. Le point faible d’une telle construction, c’est qu’elle repose sur un contresens sur Freud, qui apparaît notamment lorsqu’on distingue l’intrapsychique de l’interpersonnel. Freud comme théorie de l’apprentissage, ou de l’inéducable ? L’indifférence du symbolique à la vie. Prémisses épistémologiques ou biais moraux inexplicités ? Irrationalité n’est pas déraison.
C/ Vers une déduction de la symptomatologie psychologique à partir des prémisses sur la causalité intentionnelle de l’attachement (c’est surtout une dérivation des troubles borderline)
.
Le cas de l’attachement (Bowlby, Stern), ses troubles psychologiques et
la pathologie de l’action : paralysies et inhibitions. Dans le chapitre
8, il apparaît clairement que la théorie de l’attachement
de Bowlby, mais aussi la référence à Stern, est d’un
poids considérable. Elle est pour Bolton & Hill le moyen de tout
naturaliser, et à mettre en relation avec l’intuition de base de
la pédiopsychiatrie, qui est celle de la curiosité dont font preuve
les bébés. Ce modèle contredit celui de la boule du narcissisme,
qui était le modèle du développement de l’enfant
dans la psychanalyse des années 50. Sa force, c’est qu’elle
permet d’aller des troubles de l’enfant avec sa mère, jusqu’aux
troubles borderline dans lequel l’adulte a tellement intériorisé
son environnement traumatogène, qu’au lieu de toucher à
l’objet, il se mutile. L’idée soutenue par Bolton & Hill,
c’est celle d’un défaut de maîtrise logique et affective
de la généralisation/différenciation des règles
qui s’appliquent. Autrement dit, il y a inadéquation de l’agir
au contexte émotionnel.
D/ L’approche à partir de la biologie / neurologie
Il ne faut pas oublier que l’approche
biologique / neurologique de Bolton & Hill est compatible avec les théories
du self, du parenting, de l’abus sexuel dans l’enfance comme trauma
typique, etc. De quelle idée de l’enfance et de l’adolescence
cela témoigne-t-il ?
Les trois figures de l’action invoquées précédemment
: 1. arrêt de toute action (dépression), 2. déficit du monitoring
de l’action intentionnelle (schizophrénie), 3. inadaptation de
l’action à la vie sociale (personnalité anti-sociale et
troubles de la personnalité borderline à fonctionnement «
impulsifs »). Via le trauma, on a surtout le cas 3., mais aussi de nombreuses
affections névrotiques. Le PTSD (syndrome post-traumatique) : refuge
de la symptomatologie « freudienne » dans le DSM 3 (Young). Voir
dans le chapitre suivant le cas des TOC : troubles anxieux ou troubles de l’agir
?
Nécessité de distinguer le fait de devenir un individu humain,
et le fait de devenir le membre normal d’une espèce animale sociale.
Il faut noter l’ambiguïté du vocabulaire de l’adaptation
et du développement et des « régularités »
pertinentes (naturelles ou sociales ?).
E/ Comparaison des approches psychologiques dominantes à partir du postulat d’une causalité intentionnelle et des mécanismes de dérivation des symptômes énumérés ci-dessus.
1. Plus personne ne croit aux théories du conditionnement, car elles sont trop sous-déterminées : une théorie du conditionnement permet de faire dire la même chose à Freud et Watson. La faiblesse d’un tel modèle a été soulevée dans le débat opposant Chomsky à Skinner, à travers notamment le problème de la créativité du langage : les enfants produisent des énoncés et des structures d’énoncés, qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’entendre avant. On voit mal comment le conditionnement pourrait expliquer une telle créativité ! Pourtant, on a par la suite assisté à un retour en force du néo-behaviorisme, dont l’idée est celle-ci : la créativité serait tellement conditionnée qu’elle ne serait qu’une manière de parler de la production d’énoncés jamais produits auparavant. Il n’y aurait en somme pas de sphère du cognitif fonctionnant de manière autonome, et il serait donc faux qu’on puisse réduire les thérapies comportementales à des théories cognitives appliquées à la pensée. Autrement dit, toute thérapie doit d’abord être cognitive, et non comportementale, car les thérapies comportementales ne fonctionnent que si l’instance qui suit les règles est intacte.
2. La théorie de l’apprentissage social du type de celle proposée par Bandura peut ici être invoquée, car ce qu’elle fait, c’est qu’elle se présente à la charnière du cognitif et du comportemental comme une internalisation de règles acquises par observation. Son idée, c’est non pas qu’il faut agir sur l’enfant lui-même, mais sur ce avec qui il est obligé d’interagir en suivant les règles que les autres suivent. C’est aussi pourquoi elle ne va pas sans l’idée d’éduquer les parents à suivre les bonnes règles. Dans un tel cadre, les thérapies cognitives sont celles qui contiennent les règles et la révisabilité des règles.
3. Comme le postulat de Bolton & Hill est que la représentation n’a de sens que si l’action qu’elle légitime est possible, il n’y a de thérapie cognitive possible que si tout le système de l’action est indemne chez l’individu. Ça rend compte de ce fait simple, c’est que si les gens sont très déprimés, on ne peut leur faire réviser leurs croyances, car ils échouent à agir. En somme, les thérapies cognitives impliquent, pour opérer, non seulement que la capacité à suivre des règles et à les rectifier soit indemne, mais aussi que le système de l’action lui-même le soit (primat de l’action sur la représentation, qui détermine en amont son utilité).
4. On voit la façon dont la théorie de l’action se constitue, dans son lien avec la psychanalyse, dans ce chapitre 8 : ce que Bolton & Hill vont prélever, c’est la théorie du jeu chez Winnicott, où l’enfant régule son action. Comment ne pas penser à la théorie piagétienne de l’apprentissage des règles ? Sauf évidemment que la théorie piagétienne du jeu est une théorie qui n’a pas ce caractère aussi substantiel, aussi créateur de soi, que la grammaire du jeu chez Winnicott. Comme Bolton & Hill veulent construire une théorie de l’esprit, ils sont contraints de proposer une théorie méta-représentationnelle, avec un jeu de représentations entre elles. L’expérience de la subjectivation, c’est ici l’expérience du libre jeu (le jeu comme espace de l’action selon des règles + méta-représentations), qui trouve confirmation dans la croissance de l’enfant qui lui permet de devenir lui-même. Du coup, les troubles envahissants du développement s’emboitent sur des carences du jeu, du rapport à la règle, etc. Ce type de relation d’objet et cette théorie de l’action vaut comme le cadre de naturalisation/rectification de Freud.
5. Il n’est pas bien difficile, également, de voir pourquoi les théories systémiques et familiales sont rejetées par Bolton & Hill. C’est qu’elles font tout dépendre du contexte, et posent donc la question de l’impossibilité d’objectiver du dehors en déplaçant le lieu de la maladie de l’individu à la relation de l’individu à ce qui l’entoure. Il n’y a alors plus place pour la biologie (c’est un problème pour une appréhension clinique par les médecins). Pourquoi est-ce que la psychanalyse a été réduite au jeu ? Ça a trait à la théorie du transfert. Les thérapies familiales, en effet, peuvent être abordées en fonction de deux orientations, soit très psychanalytique, soit très cognitive. En réalité Bolton & Hill (même s’ils sont très partagés car ils voient que la question du métacadre se pose dans toute thérapie) sont allés chercher dans les thérapies systémiques ce qui est mis à nu dans les théories du transfert (c’est toute la différence entre ce qui est un élément du tableau clinique, et ce qu’un clinicien objective). A la recherche d’un facteur d’objectivation, ils font de la pathologie ce qui abîme le fonctionnement biologique. Mais le problème des thérapies systémiques, c’est qu’elles posent le problème de l’indétermination du métacadre (Voyez par exemple l’ethnométhodologie de Garfinkel, qui décrit cette indétermination du métacadre).
6. A la fin de ce chapitre, il est manifeste que Bolton & Hill acceptent la théorie de l’attachement parce qu’elle est compatible avec une perspective développementale. Qu’est-ce que s’attacher à ses parents ? C’est apprendre à apprécier quelles sont les attitudes intentionnelles des autres à son égard, l’ampleur du cadre contextuel à l’intérieur duquel on attribue des intentions aux autres. Cette théorie intègre le fait qu’on construit des règles de plus en plus sophistiquées. Ici l’attachement lui-même, au lieu d’être une base presque biologisante à la Bowlby, devient une variable sur laquelle on peut dire quelque chose à l’intérieur d’un réseau d’actions et interactions, qui sont des interactions mentales (l’attribution d’une intention à autrui). C’est le degré de complexité le plus haut.
A partir de là, il y a une explicitation
profonde du cercle vertueux à l’intérieur duquel se construit
cette psychopathologie cognitive, avec la façon dont elle débouche
sur une psychothérapie intégrative cohérente..