Philosophie et histoire de la médecine mentale

Séminaire doctoral IHPST/CESAMES (2008-2009)

(Projet « Philosophy, History and Sociology of Mental Medicine »)

Questions philosophiques et épistémologiques sur les psychothérapies

Pierre-Henri Castel (contact : pierrehenri.castel@free.fr)

 

Séance de conclusion, 10 juin 2009

 

A/ Introduction : rappel des questions initiales.

1. Les enjeux théoriques du séminaire :

·        Ce qui pose d’entrée de jeu problème quand on parle de philosophie et d’épistémologie des psychothérapies : un débat rationnel est-il seulement possible ?

·        Traiter de questions fondamentales en philosophie de l’esprit non à partir des contraintes neurobiologiques sous-jacentes à la vie de l’esprit, mais à partir des modifications thérapeutiques et donc de la plasticité de l’esprit dans une interaction spécifique avec autrui (interpersonnelle, et aussi sociale) : les psychothérapies.

·        Une cartographie de l’état actuel du débat philosophique sur les psychothérapies. Premier repère bibliographique : Philosophy and Psychotherapy d’Edward Erwin (1997).

·        Passer de « l’esprit explique l’esprit » à « l’esprit soigne l’esprit » : reprise des conclusions du séminaire de l’année précédente sur Bolton & Hill. Quelles conséquences pratiques une épistémologie « post-empiriste » a-t-elle ?

·        De la philosophie à l’épistémologie. « Soigner l’âme » comme problème de philosophie morale, les psychothérapies comme problème épistémologique : difficultés soulevées par ce déplacement de la problématique, tant historiques et sociologiques que conceptuelles. La psychothérapie est-elle et doit-elle être une science (ou une application de la science) ? Le « traitement moral » est-il une dimension indépassable de toute psychothérapie ?

Quelques points névralgiques :

2. Déplacement/réécriture de ces questions. Ce qui a été fait, ce qui ne l’a pas été.

Ce qui a été fait :

Essentiellement défendre la possibilité d’un discours rationnel sur les psychothérapies (TCC : justifications internes plus qu’externes, cependant). Généalogie des psychothérapies cognitives dans la tradition rationaliste de la lutte contre les passions mauvaises (Granger). Celle des thérapies comportementales dans les techniques de rectification du self (lien avec la pensée « puritaine » aux EU). Connexion intime entre philosophie morale, philosophie de l’esprit et épistémologie. La question des « jugements de valeur » et de leur rationalité ; la solution à la Putnam par l’objectivité croissante et relative ; rationalité et scientificité en psychopathologie.

Relativiser la question de l’efficacité (Briffault), et la resituer dans un débat moral et social plus large sur le statut de l’individu.

Touchant les représentations collectives de l’individualisme moderne :

Mesure de l’ignorance et du mépris cachés dans l’anti-scientisme régnant. Importance de les situer et non de les condamner.

 

Ce qui n’a pas été fait :

Traiter à fond la question philosophique/métaphysique centrale : psychothérapies et philosophie de l’esprit. De « l’esprit comprend l’esprit » (le cercle post-empiriciste, l’intentionnalité naturalisée dans un cadre évolutionniste et le remodelage du self en fonction des règles et plus seulement des mécanismes intra-cérébraux) à « l’esprit soigne l’esprit ». Philosophie « sociale » de l’esprit, transformations réelles (de quoi ?) et bases neurobiologiques. Touchant ces bases neurobiologiques, reste obscure la façon dont le paradigme évolutionnaire altère profondément la relation classique entre cerveau et self. C’est une question très générale de philosophie de la psychopathologie, mais elle a sûrement un retentissement pour les psychothérapies.

Reprendre très généralement la question des causes et des raisons en psychothérapie.

Affect d’une part (émotions sociales intrapersonnelles et « sentiments moraux » interpersonnels), représentation/cognition ou inférence normée de l’autre : l’espace des possibles logiques du débat. Peut-on transformer la pertinence pour la compréhension des processus psychothérapiques en tests pour les doctrines en philosophie de l’esprit ?

Un premier débat contourné : l’autonomie supposée de la rationalité psychanalytique (et de la pratique). Ce qui changerait, si l’on abordait ce problème à partir de l’exposé serré des TCC. Idéal d’autonomie et affirmation d’hétéronomie (l’inconscient, la neutralité morale, etc.).

Plus généralement, la connexion entre les différentes sortes de psychothérapies (Bolton & Hill). Du problème de l’enquête sociologique (ce que les gens disent, et ce qu’ils font), épistémologique (les facteurs spécifiques et non-spécifiques), à celui de « ce que l’esprit fait à l’esprit » quand il le connaît, s’y adapte, le guérit, le manipule, le transforme, etc. : peut-on déduire les formes de la psychothérapie d’un concept élargi de l’esprit social ?

Le problème de la dynamique de transformation des TCC : une évolution dans le sens de l’éclatement et de la spécialisation ? Ses motifs épistémologiques, ses causes sociales. Les TCC auront-elles un destin social différent de celui de la psychanalyse (pluralité des écoles, spécialisation des jargons, etc.) ?

Autre débat contourné : les questions posées par la spiritualité (Bouddhisme), par les approches phénoménologiques (Daseinsanalyse), etc. (Une extension du refus de la psychothérapie par beaucoup de psychanalystes ?)

 

B/ Nouvelles problématiques à explorer (liste ouverte à la discussion).

Déjà partir des questions en suspens. Y a-t-il des lacunes empiriques majeures dans le parcours préalable ? Les thérapies « de groupe » (psychanalytiques, systémiques ou cognitives) : une autre dynamique ? Les thérapies « institutionnelles » (ou ce qu’il en reste…) : des psychothérapies ou des sociothérapies ? L’hypnose, « mère des psychothérapies » ; ses usages touchant la douleur ; les avances des neurosciences sur l’hypnose. La suggestion comme principe plus ou moins universel (quelques réserves conceptuelles à ce sujet). Les psychothérapies ou thérapies « traditionnelles » (par exemple autour du travail de Tobie Nathan, des populations immigrées, etc.).

Mais aussi :

Connexion psychothérapie/médecine. Deux pistes : l’usage des psychotropes/neuroleptiques en psychothérapie. Les suivis/accompagnements psychothérapeutiques en médecine générale (douleur, dépression des troubles cardio-vasculaires, cancer, etc.). La psychothérapie comme « humanisation » objectiviste des pratiques cliniques (vieillissement, etc.) ? Est-ce une spécialité à enseigner, ou bien quelque chose qui va « naturellement » avec la posture sociale de tout soignant ? Peut-on imaginer un lien conceptuel intéressant avec le care ?

Psychothérapie et psychiatrie générale : quelles évolutions prévisibles à l’horizon du DSM5 ? Les psychothérapies (TCC) sont-elles un facteur agissant des évolutions en cours, ou des coquilles vides adaptées a posteriori aux nouvelles nosographies ? Pourquoi et comment des TCC à l’âge des neurosciences ?

Les TCC comme techniques sociales de gestion des malaises individuels : se pencher sur les thérapies pour chômeurs dépressifs, parents carents, enfants à problème, détenus, délinquants sexuels, etc. En quel sens n’était-ce pas déjà une application informelle des thérapies psychodynamiques ? Quels changements ?

Un autre registre d’analyse épistémologique, à la jointure morale/épistémologie : l’étude de cas. Casuistique et statistique, la psychothérapie comme lieu privilégié de réflexion, entre clinique et psychométrie. Lien historique avec la spiritualité, avec le droit, avec l’éthique normative. La subsomption comme pratique rationnelle, mais aussi sociale (en un sens pragmatique). Dé-psychologiser le méta-discours sur la psychothérapie : donner leur valeur conceptuelle aux notions de singularité, d’individualité, de généralisation, d’inférences (du particulier au particulier, ou du particulier au général), etc.

Ne pas non plus négliger la dimension esthétique : Lars von Trier, Antichrist, les TCC comme moyens d’accès à ce qui était autrefois le monopole de la psychanalyse. Faire une filmographie des psychothérapies (Hitchcock et la psychanalyse, les expressionnistes allemands, etc.) ?

 

C/ Conclusions ouvertes et projets.

Journée d’études « Talking cure et neuroscience » à l’IoP. Quels thèmes ?

Choix de textes fondamentaux en philosophie de la psychothérapie. Cummins sur l’explication fonctionnelle, Grünbaum sur le placebo, Erwin sur les TC et TCC, Wampold sur les évaluations, Folensbee sur les neuropsychothérapies ? La place de l’histoire : Pinel, Janet, Jaspers, Freud ?

Qui inviter ?

Quelles modalités de travail ? Exposés sur ces textes, préparation collective de la traduction et de la présentation, dans le cadre d’une problématique générale de philosophie et d’épistémologie.

Il est convenu que dans les jours qui viennent, les suggestions sur ce que pourrait être un tel Sourcebook en philosophie-épistémologie des psychothérapies seront adressées à Pierre-Henri Castel.