Philosophie et histoire de la médecine mentale

Séminaire doctoral IHPST/CESAMES (2008-2009)

(Projet « Philosophy, History and Sociology of Mental Medicine »)

Questions philosophiques et épistémologiques sur les psychothérapies


Séance n°4, 16 décembre 2008 : Peut-on naturaliser les objets moraux en psychothérapie?

 

Séance consacrée à l’analyse d’un article classique de Paul Salkovskis sur l’auto-imputation excessive de responsabilité dans les TOC :

Salkovskis (Paul M.), Wroe (Abigail L.), Gledhill (Ann), Morrison (Norma), Forrester (Elizabeth), Richards (Candida), Reynolds (M.) & Thorpe (S.), “Responsibility attitudes and interpretations are characteristic of obsessive compulsive disorder”, Behaviour and Research Therapy 38 n°4, pp.347-372.

Autres références utilisées :

Salkovskis (Paul M.), Forrester (Elizabeth) & Richards (Candida), "Cognitive-behavioural approach to understanding obsessional thinking", British Journal of Psychiatry 173, suppl. n°35, pp.53-63.

Mancini (Francesco) & Gangemi (Amelia), "Fear of guilt from behaving irresponsibly in obsessive-compulsive disorder", Journal of Behavior Therapy and Experimental Psychiatry 35, n°2, pp.109-120.

 

A/Introduction

 

B/ Les attitudes d’auto-imputation excessive dans les TOC : Paul Salkovskis.

  1. Le contexte : les TC des compulsions. Lavage et vérification comme cas-types ; le problème du lien « causal » avec des états mentaux : obsession de pollution mentale, et doute. Rationalisation a posteriori (biais cognitif ?) ou directionnalité mentale de l’agir ? Contre l’angoisse des pensées « automatiques », la discussion socratique des « axiomes » de la pensée obsessionnelle. L’inévitabilité de l’intention dans l’action. Traitement évolutionnaire du « contenu étroit » et contextualisation/relativisation du « contenu large » : effets sur la limite du normal et du pathologique.
  2. Le problème du mental en tant que mental. Les pensées désavouées, vécues comme intrusives. Une idée du « moi » cachée dans celle de l’intrusion. Les pensées ou les émotions ? L’angoisse se cherche-t-elle des objets (effets d’intentionnalité), ou bien l’angoisse seule est-elle impuissante à produire les symptômes sans appoint d’un « schéma cognitif » ? Tenir compte de l’agent rationnel dans le patient : pas d’irrationalité sans rationalité : ce sont des erreurs non du traitement des informations émotionnelles, mais dans l’interprétation de ces informations (donc dans leur contextualisation, leur hiérarchisation par rapport à des buts pratique, etc.).
  3. Une théorie intentionnaliste : l’interprétation « morbide » de pensées intrusives « normales ». Le travail de Stanley Rachman et Padmal da Silva : "Abnormal and normal obsessions", Behaviour Research and Therapy (1978) n°16, pp.233-248.
  4. Le schéma cognitif de Salkovskis. Sa définition de la responsabilité. La construction de l’échelle RAS (avec un bon α de Cronbach, et une corrélation assez solide avec le MOCI et d’autres inventaires d’obsessions). L’auto-imputation de responsabilité excessive est un prédicteur fort du score sur les échelles d’obsessionnalité. Importance de ne pas mêler ces mesures aux mesures de la TAF, qui sont l’autre grand cas de mentalisation pure dans les TOC (la « pensée magique » comme action directe sure le monde extérieur, sans action du sujet).
  5. Une efficacité mesurable, comparable aux TC strictes mais aussi à la clomipramine ; la norme : TCC + clomipramine. Le problème de l’instrument d’évaluation (Y-BOCS) et de la sélection des « bons patients ».
  6. Deux objections de fond : a) pourquoi les mécanismes, pas juste les contenus de pensée ne sont-ils pas eux aussi « normaux » ? Obligation de supposer une « prédisposition » ; la théorie cognitive est trop compréhensible et ne rend pas compte de l’incompréhensible. b) Cas-type du paradoxe de l’épistémologie post-empiriste en psychopathologie cognitive : on ne peut plus faire de différence empirique entre le « moi » et « ce qui lui arrive », parce que le « moi » n’est rien d’autre qu’un ensemble d’hypothèses et de croyances révisables sur sa propre identité. Du coup, est-ce qu’on a une théorie du fonctionnement mental, ou une construction (sociale ?) interpersonnelle qui fait juste accepter une redescription de ce fonctionnement ? Validation pratique ou théorique ? L’objection de Janet au « traitement moral » revisitée.

 

C/Une application critique : les obsessionnels « purs ».

  1. Les « rituels mentaux » et le paradoxe des contre-pensées obsessionnelles « identiques » aux pensées obsessionnelles : seul l’intention volontaire fait la différence. Le problème du cercle vicieux.
  2. Comment marche la thérapie : en pratique, traiter des rapports de raison (en « puisque ») entre états mentaux comme des relations causales (en « parce que »). La pensée-comportement, la technique du magnétophone et le contrôle de l’angoisse. (Une réserve clinique : obtenir le texte des obsessions est peut-être la partie opératoire véritablement du traitement). En fait, une déshabituation de l’angoisse portant sur les contenus mentaux.
  3. Texture verbale ou texture mentale des obsessions ? La question du sens et de l’identité de contenu des croyances (interpréter que A est « la même chose » que B).
  4. Lien problématique avec la discussion « socratique » : comment ajuster la croyance et l’affect associé ? Comment les jugements moraux peuvent-ils avoir une efficacité causale (sur l’émotion ou sur l’action) ? « Croire très fort » et « tenir pour vrai ». Une conception émotiviste (néo-humienne) de l’émotion. Problèmes : les inférences élémentaires et le raisonnement pratique.
  5. La revendication d’une co-construction de la solution: “...the treatment is further enhanced by embedding it in a cognitive rationale. Bringing about belief changes prior to exposure of this type increases compliance and speeds up the rate of improvement. Exposure ceases to be a atheoretical technique and can be clinically enhanced by an understanding of the way it can be used to bring about belief change in specific and focused ways (as in behavioural experiments). Before considering the way in which the cognitive theory is applied to obsessional thinking, the general ideas behind the cognitive approach are outlined to provide a more general context”. Mais ce n’est pas avant, c’est au fur et à mesure que la TCC se déploie. La cognition offre un cadre pour penser les obsessions qui transforme déjà la manière même d’être obsédé. Plus que, ou en amont de l’empowerment, la réécriture du « script du self ».

A chaque psychothérapie ses malades ? Peut-on imaginer d’autres réconciliations cognitives et émotionnelles de l’obsessionnel avec ses obsessions (la psychanalyse ?) ? Importance cruciale de la discussion sur la mesure « athéorique » de l’efficacité thérapeutique. Seule la mesure est « athéorique ». Mais Salkovskis contre la Y-BOCS (l’item de résistance et la mesure de l’évitement).

  1. Une objection épistémologique : l’unicité de l’explication fait défaut.

La critique de Francesco Mancini et Amelia Gangemi : non l’auto-imputation excessive de responsabilité, mais la crainte d’être coupable de se comporter de façon irresponsable. Pas la responsabilité « déontique » (kantienne), mais la responsabilité « téléologique » (l’accord avec son propre système de valeur). Cas critiques : a) ce n’est pas le mauvais résultat en soi, mais la manière dont il a été obtenu qui cause l’angoisse obsessionnelle (Salkovskis est du côté du Surmoi, Mancini et Gangemi du côté de l’Idéal du moi !). b) On ne voit pas pourquoi un sujet qui se sent responsable au sens de Salkovskis serait anxieux, puisqu’il se sent, par hypothèse, entièrement aux commandes ! Au contraire, c’est le sentiment vertigineux de la liberté morale et de la cohérence par rapport aux valeurs propres qui crée l’angoisse. L’obsessionnel a une approche « prudentielle » : « better safe than sorry ». Comparer avec l’approche quasi-bayésienne de l’évaluation du risque chez l’obsessionnel de Salkovskis ; ce n’est plus une approche utilitariste, mais aristotélicienne.

Un débat sur l’essence de la responsabilité (Kant, Aristote, Bentham) : une description conceptuelle alternative ; pas d’unicité théorique.

Salkovskis est obligé de favoriser la quantité d’angoisse sur la qualité propre de la volonté ; le système causal mental sous-jacent a peu de plausibilité éthique, l’intentionnalité est pauvre, mais la texture des symptômes est préservée. Mancini et Gangemi collent plus à la réalité vécue du dilemme moral, mais en redécrivant l’intentionnalité sous-jacente, ils n’éclairent pas les symptômes observables. Un système de raisons d’agir est toujours sous-déterminé par rapport un système d’actions, mais un réseau causal manquera toujours de la souplesse requise pour capter les variations d’attitudes subjectives en contexte.

 

Pour conclure