Philosophie et histoire de la médecine mentale

Séminaire doctoral IHPST/CESAMES (2008-2009)

(Projet « Philosophy, History and Sociology of Mental Medicine »)

Questions philosophiques et épistémologiques sur les psychothérapies


Séance n°6, 28 janvier 2008 : Inclusion ou extériorité de la psychanalyse dans le champ psychothérapeutique

 

A/ Introduction

Un sentiment d’incommunicabilité entre psychanalyse et le reste du champ psychothérapeutique ; en même temps, rapports de fascination et/ou de caution (Freud, l’ennemi nécessaire). Ses aspects sociologiques (une approche à la Bourdieu, à la R. Castel,  ou à la Gellner, des sociétés psychanalytiques, mais le problème reste celui du « discours psychanalytique »). Ses aspects anthropologiques (invariants de l’individualisme, traits culturels systématiques).

1. Distinguer plusieurs niveaux d’opposition : de « la » psychanalyse aux TCC, de « la » psychanalyse aux approches « psychodynamiques », des versions de la psychanalyse entre elles. Fin de l’hégémonie de la psychanalyse pour définir les hiérarchies de valeur en psychothérapie.

2. Idées de l’homme, du sujet, de l’autonomie, de la vérité. Conflit anthropologique dans les sociétés individualistes entre être « singulier » et être « normal » (par ex. : TCC et sujet démocratique, psychanalyse et sujet tragique). Difficulté : cerner exactement la part logiquement nécessaire de ces incursions dans la sphère éthique ou morale, et la part dépendante des postures d’autorité.

3. Le recours à la « discussion rationnelle » : c’est son statut qui devient l’enjeu. Les positions des gens décident de la valeur qu’ils donnent aux éléments méthodologiques. Problème pour l’exposé lui-même.

Nouvelle formulation du « problème de Frazer » (Comment les primitifs peuvent-ils croire à des rituels de magie, alors qu’il est évident qu’elle est inefficace ?) appliqué aux psychothérapies et à la psychanalyse. Mêmes paires problématiques, rationnel/irrationnel (mystique), rituel (symbolique) et efficace. Mêmes impasses (les critiques de Wittgenstein/de Lara) ?

4. Projet : spécifier ces conflits et leurs points précis de déclenchement. Paradoxe : l’histoire de la psychanalyse montre amplement que ce à quoi elle s’oppose, ce sont des conflits qui l’ont traversée (modèle « médical » vs. modèle « contextuel » à la Wampold). « La » psychanalyse ? (la Menninger Clinic ou Lacan ? Peter Fonagy ou Bion ?)

5. Thèse : une relation épistémologique spécifique entre psychothérapie et psychanalyse (à distinguer de la mise en lumière des filiations historiques, lien à l’hypnose, à la suggestion, aux thérapies cognitives, etc.). La question ne se pose que si la psychanalyse est accompagnée d’effets psychothérapeutiques. Trois points à explorer :

6. Rappel de Freud : les facteurs thérapeutiques ne sont pas intrinsèquement psychanalytiques (Freud et la suggestion). Mais si ce qui guérit en psychanalyse n’est pas spécifique, qu’est-ce qui est spécifique à la psychanalyse ?

Lien à une anthropologie morale implicite et nécessaire : souligner la capacité à se déprendre des effets thérapeutiques, non seulement dans le processus de la cure (« résolution du transfert »), mais dans la philosophie ou l’éthique du processus. Lacan : « La guérison vient par surcroît ». Effet circulaire : prédisposition sociale de certains individus à se faire psychanalyser.

Importance de dire « ce que croient » les gens, et « qui » croit quoi (Dumont sur Mauss) : description, donc, et non pas explication critique, ou tri rationnel entre les théories. Retour au « problème de Frazer » : la description, est-ce suffisant ?

 

B/ Spécificités formelles de la psychanalyse dans le champ des psychothérapies.

Rappel : la logique pratique élémentaire de la cure freudienne :

1. Le conflit interne à la psychanalyse entre modèle « médical » et « contextuel ».

Freud clairement médecin, à la recherche de lois psychologiques déterministes. Le poids de l’histoire de la psychanalyse :

2. En sens contraire du contextualisme : contribution positive de la psychanalyse à l’histoire de la psychiatrie. Fixation des tableaux cliniques (névrose obsessionnelle, paranoïa, approches psychogénétiques des troubles mentaux chez les enfants, etc.). Il y aurait donc des « structures psychiques » dans les maladies mentales. Déclin des thèses ontologiques en psychiatrie.

Mais même ce structuralisme-là redevient progressivement ordonné à la relation transférentielle (le transfert comme révélateur de la structure inapparente). Le problème de la psychose et de sa cure (Lacan la conçoit d’abord dans le cadre de « théorèmes d’impossibilité »).

La psychanalyse entre psychiatrie et anti-psychiatrie.

3. Le problème des « indications » de cure (et des contre-indications).

Une question cruciale pour l’évaluation de l’efficacité relative des psychothérapies. Ses paradoxes du point de vue psychanalytique : la demande de cure fait-elle partie du processus même de l’analyse ? L’immanence radicale du dispositif analytique.

 

C/ Retour sur l’exposé de X. Briffault ( « Tous ont gagné, tous méritent le prix ! », le paradoxe du dodo).

Rappel : la sous-détermination inhérente aux concepts psychologiques (holisme et intensionnalité), et la sous-détermination des descriptions des relations entre ce qu’on fait et ce qu’on a l’intention de faire (ce qui devrait être sensible aux psychanalystes !). Exemple de D. Widlöcher : l’exposition imaginaire avec prévention de la réponse et la séance-type sur le divan. Statut à accorder à ces contraintes logiques dans le débat : en faveur du contextualisme, ou comme moyen de limiter rationnellement la part de la « relativisation » des résultats ?

1. La conscience des « facteurs communs » : importance de ne pas valoriser les succès « dus » à la psychanalyse ; au contraire, publier comme Freud des analyses d’échec des cures. On ne sait pas au juste ce qui a marché, on a peut-être une meilleure idée de ce qui a raté.

2. La prise en charge des « facteurs non-spécifiques » : une autre vision de l’association libre ? Nécessité assumée d’incorporer la totalité de l’existence au processus thérapeutique.

3. Le problème de l’« allégeance » théorique. Faut-il croire à la psychanalyse ? Croire, c’est tenir-pour-vrai. Impossibilité, de l’intérieur, de ne pas y croire. Problème de la « foi » qui guérit : retour du problème de Frazer. Deux remarques sur la croyance : tenir-pour-vrai du côté du patient (une explication sociologique ?) et supposer-que-le psychanalyste-sait (description du transfert selon Lacan : « supposer » et « savoir » comme désarticulation de la simple « croyance »). Polémiques sur la suggestion.

4. « Alliance thérapeutique » et « transfert » : quelle différence ? Psychanalyse et instrumentalisme psychodynamique. Un problème de description : on peut toujours décrire le transfert comme une manipulation interpersonnelle (angoisse de la perversion du thérapeute comme fait culturel) ; l’intention éthique alléguée des psychanalystes, qui ne manipulent personne, mais se mettent au service de la vérité subjective, reste inscrutable. En plus, on peut toujours parler de bien ou de guérison « au second degré ». A nouveau, contrainte logique, pas empirique, liée à l’intentionnalité des descriptions psychologiques.

 

D/ Conclusion.