Philosophie et histoire de la médecine mentale

Séminaire doctoral IHPST/CESAMES (2008-2009)

(Projet « Philosophy, History and Sociology of Mental Medicine »)

Questions philosophiques et épistémologiques sur les psychothérapies

 

Séance n°10, 27 mai 2009 : neurosciences et psychothérapie,

état des lieux et nouveaux problèmes

 

A/ Introduction

Deux séries de phénomènes lentement convergents ( ?), une par extension des pratiques, l’a         utre plus liée à des hypothèses méthodologiques et scientifiques

  1. Thérapies à distance (Computer-Based CBT) : la télémédecine mentale. TCC sous forme d’e-therapy, et online counseling (+ hypnose, yoga, etc.).
  2. Thérapies avec des robots psychothérapeutes : entre optimisation des coûts et expérience de psychologie clinique. Pour la dépression, entre télémédecine et robotisation de la thérapie, voir Symptom Relief: Computerised cognitive behavioural therapy.
  3. Thérapie en VR (simulations d’environnements et de situations dans les phobies et les troubles anxieux) : l’argument du dosage des stimulus.
  4. Thérapies agissant explicitement sur les représentations mentales, par manipulation conjointe d’états cérébraux et d’états environnementaux (du subpersonnel au personnel) : des théories étiologiques cognitives sophistiquées.
  5. Les traitements d’appoint de la douleur, les techniques de rééducation (du sensoriel à la réparation neuronale). Voir par exemple : Soldiers Get Virtual Reality Therapy for Burn Pain. Même chose avec les AVC, les prothèses sensorielles (visuelles) qui visent à accélérer la reconstitution du tissu neuronal, etc.
  6. Finalement, comme prothèse neurocognitive généralisable à tous les handicaps mentaux ou psychiques (autisme, Alzheimer, etc.). En ce cas, l’appareil à produire la réalité virtuelle « s’intégrerait » à l’existence (stimulation continue, mémoire de secours, etc.). La machine s’efface dans les mondes qu’elle produit, puis elle devient une partie du monde.

Et :

  1. Le contrôle ( ?) de l’objectivité des transformations induites par les psychothérapies au moyen de la neuroimagerie (Baxter, 1985). L’objectivation neurale de l’effet-placebo.
  2. L’apparition de corrélations nouvelles comme terrain expérimental (à la fois social et neuroscientifique). Le neurobiofeedback entre hypothèse scientifique et médecine douce/ alternative : de la migraine au PTSD et à l’ADHD.
  3. Les progrès techniques de la réalité virtuelle, avec leurs conditions économiques, en quête d’application « humanistes ». Les « 3 I », Interaction, Immersion, Imagination.
  4. La recherche fondationnelle explicite : expliquer les effets psychothérapeutiques comme des effets neurobiologiques. Deux sources : l’accomplissement du programme biologique implicite aux TCC ; la validation objectiviste et réductionniste des thérapies par la parole ( neuropsychanalyse ?)

Quelques journaux: Journal of Medical Internet Research, Anual Review of Cybertherapy and Telemedecine, PsychoNology, Cyberpsychology and Behavior, Journal of Neuroingeneering and Rehabilitation, etc., plus des articles dans des revues de santé publique (télémédecine) et des « opinion papers » dans de grands journaux de psychothérapie, Behaviour Research and Therapy, Journal of Consulting and Clinical Psychology, voire dans Science ou dans des quotidiens (Le Figaro, 27 juin 2007).

Contexte anthropologique commun : l’automanipulation cérébrale comme figure « neuroscientiste » du développement personnel. Connexion logique avec le « It’s not me, it’s my brain ». Un phénomène à corréler avec les techniques d’action directe sur le cerveau dans le cas des maladies neuropsychiatriques (type DBS).

La naturalisation du self comme neurotechnologie ? The Neuroscience of Psychotherapy: Building and Rebuilding the Human Brain de Louis Cozolino (Norton, 2002), avec une critique féroce de Roy Sugarman, The Neuroscience of Psychological Therapies de Rowland Folensbee (Cambridge UP 2007), avec un commentaire plus élogieux, ou Neuropsychotherapy: How the Neurosciences Inform Effective Psychotherapy, de Klaus Grawe (Routledge, 2007).

S’agit-il d’une question marginale ? Signification méthodologique d’une réflexion sur ces objets.

 

B/ Psychothérapie et réalité virtuelle

  1. En quoi consistent ces techniques ?

Guiseppe Riva, "Virtual Reality in Psychotherapy: Review", Cyberpsychology & Behavior, 8, n°3, 2005.

D’autres noms importants dans les TCC : Paul Emmelkamp, Barbara Rothbaum. Une véritable demande/espérance des professionnels des TCC.

Un exemple de ce qui se passe dans une thérapie de ce genre : Virtual Reality Therapy

Origine dans les années 1990 (Larry Hodges) pour la phobie des hauteurs (acrophobie). Ensuite, prendre l’avion et les araignées. Les VRE (Virtual Reality Exposure) : exposition/habituation avec un dosage objectivement quantifiable du stimulus, plus grande facilité éthique (le spectre d'Orange mécanique). Extension des TCC à des formes plus « expérientielles », idée d’énaction à la Varela.

Quelles différences révélatrices avec les procédés ordinaires des TCC ?

La représentation du corps: l’image de soi dans l’obésité ou même l’anorexia nervosa (manipulation des biais cognitifs sur la taille du corps). Le corps comme oublié des TCC, et les machines sensorielles multimodales. Du sextoy de science-fiction au braintoy de demain : traiter la dysfonction érectile par la mise en situation érotique virtuelle (ni randomisée ni en double aveugle).

S’agit-il d’image ou d’action ? Agir en imagination ou agir imaginaire : une vieille difficulté en sciences cognitives (percevoir une image mentale et imaginer qu’on perçoit un objet, Alain et le nombre de colonnes du Panthéon). La question de l’imagerie interne (rêve, souvenirs, etc.) et de l’induction d’images à partir d’une stimulation visuelle externe : jusqu’à quel point peut-on combler l’écart ?

Entre expérimentation neuroscientifique et technique neuropsychothérapeutique hypothétique : Roland Jouvent et les troubles infraconscients de la perception du mouvement intentionnel dans la schizophrénie.

Non plus dans le cerveau, mais dehors : la manipulation des environnements complexes : la timidité en public (SAD), ou la réactualisation des scènes traumatiques. Du coup, la question est de savoir si ce que la réalité virtuelle produit a la consistance d’un « monde » culturellement signifiant.

Toujours une double approche : hyperscientifique et populaire (place de la réalité virtuelle dans le quotidien ludique, Second Life, mais aussi l’ingénierie et les technologies militaires futuristes). « Subpersonnel » dans les articles neuroscientifiques, et « inconscient » dans les versions populaires, voire New Age.

 

  1. Eléments critiques

La question n’est pas l’efficacité ! Elle est avérée.

Le virtuel ne fait que décaler l’intervention humaine (le cadre d’administration des techniques virtuelles reste humain). Le problème des facteurs non-spécifiques (attention, soutien, etc., voir Briffault).

Peut-on croire à quelque chose dont on sait que c’est faux ? Peut-on être à l’abri au coeur du danger ? Corps, image du corps ou corps « pour rire » ? Manipulation des croyances ou des réflexes neurocognitifs sous-jacents ? Du subpersonnel au personnel : est-ce un problème épistémologique ou éthique ?

Le problème de standardisation des procédés. La technologie du virtuel pose un grave problème de situation et de contexte (culturel, notamment le rapport à l’espace). Que mesure-t-on dans l’effet ? Le succès thérapeutique ou le succès technologique de la VR ?

L’insatisfaction subjective résiduelle et le problème de l’appropriation personnelle du résultat (à comparer avec la DBS, Moutaud) : la performance individuelle désocialisée.

Présence et « téléprésence » affective. (Rappel de Freud : pas de transfert in effigie ou in absentia). Damasio et les niveaux d’intégration neuronaux du sentiment de la présence. Le problème de la distance et de l’autonomie dans la prise en charge psychothérapique : une figure nouvelle ( ?) du moi. Les modules téléchargeables d’autothérapie et la privatisation de la gestion des émotions pénibles. Une autre logique que celle de la confidentialité/confiance dans le psychothérapeute.

Est-ce que les neurosciences produisent des techniques nouvelles pour les hommes ou des hommes nouveaux pour leurs techniques ? Lien avec l’enhancement, avec le « lavage de cerveau », avec l’usage militaire de la VR. Modification de la notion non thématique de « rapport normal à la réalité », comme fait socio-anthropologique.

 

C/ De la Brain-Based Psychotherapy  à la « psychotherapy of the brain » : Cozolino et Folensbee

 

Une ambition éclectique/synthétique. Le cerveau comme intégrateur théorique : de l’association libre freudienne comme interconnexion de « réseaux neuraux » à la gestion de l’empathie au niveau des circuits amygdaliens de l’émotion, en passant par le conditionnement intracérébral par biofeedback. Du transfert psychanalytique aux TCC et à la Gestalt, ce sont seulement des activations neuronales différentes.

Problème : une théorie généralisée du traumatisme réel, qui s’est déplacé au niveau des lésions de la circuiterie neuronale (paradigmatique : les abus sexuels infantiles dans la dépression de l’adulte).

Des découvertes empiriques réelles, ou bien la production d’un nouveau langage normatif pour coordonner les descriptions concurrentes (le « mentalais » de Fodor ?) ? En fait, il n’y a pas de solution aux antagonismes aux théories et aux cliniques. Elles sont transportées telles que dans le cerveau. Finalement, on n’a pas beaucoup plus que le rapport des conditions neurales aux effets psychologiques, sans mesure plus précise de la distance étiologique.

(Une contre expérience de pensée : une machine dont les réseaux neuraux produiraient des outputs « psychopathologiques » phénoménologiquement comparables aux nôtres, mais dont les câblages seraient différents des nôtres).

En quel sens peut-on dire que le « cerveau est anxieux » ?

Mais insistance sur l’idée que les neurosciences de la psychothérapie permettent de sélectionner les bons types d’intervention, au niveau général de la méthode à suivre comme au niveau des interactions ponctuelles au sein des séances. Cozolino : le nouveau « paradigme du psychothérapeute en neuroscientifique ».

Ce que dit ou fait le patient révèle l’état de son cerveau (vérité cachée de l’interaction : réhabilitation de l’association libre comme révélation primaire de « what pops in your head » : affect, souvenir, cognition, etc.). Deux options, ensuite :

Et surtout, c’est moins menaçant : Follensbee 2007 : 149) : le moi n’est surtout pas mis en cause, mais seulement des sous-systèmes cérébraux, et la connexion avec les traitements pharmacologiques est plus facile à faire admettre.

 

D/ Conclusion

La désignation explicite du cerveau comme allié ou comme ennemi du self. C’est une « nouvelle manière de communiquer » : un nouveau « jeu de langage » ? La psychothérapie comme procédé pour s’approprier son cerveau de façon instrumentale : la caution de la psychologie évolutionniste se monnaie à la fin en promotion de l’adaptation sociale.