Séminaire au Centre d'études du vivant (Paris 6, Paris 7)

L'action: "chaînon manquant" entre biologie et psychologie?

(2) Enjeux d'une psychopathologie de l'action

(année 2000-2001)

  1. Séance introductive: pourquoi la psychopathologie?

  2. La neuropsychopathologie cognitive de la schizophrénie de Christopher Frith: une lecture critique.

  3. L'énigme de l'autisme de Uta Frith, cognitivisme contre théories psychodynamiques.

  4. L'hypothèse Grivois-Proust-Jeannerod sur la psychose "naissante".

  5. La dépression comme artefact épistémologique: Les logiques de la dépression de Daniel Widlöcher.


Le séminaire sur l'action, à la charnière (éventuelle) de la biologie et de la psychologie se poursuivra en abordant une discipline pour qui l'enracinement de la psychologie dans les processus biologiques revêt une importance décisive: la psychopathologie. C'est essentiellement à partir d'hypothèses cognitives qu'une psychopathologie de l'action s'est constituée ces quinze dernières années, mais on montrera que le projet en est déjà parfaitement compris par Freud, et qu'il est constant dans toute tentative de naturaliser les troubles mentaux.

Comment se présente, tout d'abord, cette psychopathologie de l'action? On peut d'ores et déjà dessiner deux axes de réflexion pour en cerner les contours. Le premier est nosographique et clinique: plusieurs pathologies mentales dont la composante biologique est assez connue, ou en passe de le devenir (on sait au moins déjà que les médicaments psychotropes ont un "effet" sur les individus), manquent d'une théorie neuropsychologique susceptible d'éclairer comment des dysfonctionnements cérébraux peuvent retentir dans l'esprit. La psychopathologie cognitive de la dépression, mais aussi de la schizophrénie, ou encore de l'autisme infantile, a donc exploité la notion d'action pour jeter un pont entre déterminisme neurobiologique et clinique psychiatrique, et a lancé le défi d'une explication des phénomènes émotionnels et intellectuels de certains troubles mentaux à partir de causes entièrement naturelles. Le second est beaucoup plus spéculatif, mais appelé par le premier. Les concepts psychologiques fondamentaux, celui, en particulier de subjectivité (au moins le sentiment d'être soi-même), ou bien les problèmes apparemment distincts de ceux de l'action que posent la perception (cruciale dans toute doctrine de l'hallucination), tombent-ils encore sous le coup de l'entreprise naturaliste menée sous l'étendard d'une théorie généralisée de l'action? La réponse, pour un certain nombre de chercheurs, est résolument oui. A ce niveau de généralité, la psychopathologie cognitive serait donc en voie de se constituer en théorie intégrale du psychisme humain, et pourrait rivaliser dans ses ambitions avec la psychanalyse: elle passe de la revendication d'être empiriquement mieux fondée à l'espoir d'être objectivement aussi, ou même plus compréhensive. Il faudra examiner en quel sens. Bien sûr, ce que la psychanalyse permet de répondre (sur la base des concepts d'action et surtout d'acte) sera également débattu. Mais peut-on simplement en conclure, comme on le fait trop facilement, que ce n'est pas du même "homme" qu'il s'agit, dans les deux psychopathologies?

La psychopathologie, argumenterai-je tout d'abord, est certainement le lieu où l'action est la mieux placée pour jouer le rôle du "chaînon manquant" enfin découvert entre le cérébral et le mental. Mais peut-elle pour autant surmonter les objections conceptuelles fondamentales dont on a décrit les variantes l'an passé? La naturalisation des actions pathologiques dans les maladies mentales réussit-elle mieux que celle de l'action tout court? Que fait-elle voir au juste, et quelles fausses notions de l'esprit (malade) corrige-t-elle? Ou bien ne fait-elle que transporter ses apories dans la clinique psychiatrique, ce qui pourrait avoir pour effet de la biaiser? De toutes façons, quelle est alors la nature de ce "biais"? N'est-il pas, comme la conjecture en avait été faite en conclusion des travaux de l'an passé, anthropologiquement significatif d'une mutation dans la perception que l'homme à de lui-même? Peut-il d'ailleurs en être autrement quand on s'interroge sur les racines que la pensée plonge dans la vie?

Procédant comme l'an passé à partir de l'analyses et de la discussion de textes difficiles (pour des raisons techniques et épistémologiques), le séminaire examinera plusieurs théories significatives de la démarche naturaliste en psychopathologie cognitive, toutes reposant à des degrés divers sur le concept d'action. Un accent particulier sera mis sur les travaux de C. S. Frith, de D. Widlöcher et M.-C. Hardy-Baylé, de A. Leslie, puis de J. Proust et M. Jeannerod.


Séance n°1: pourquoi la psychopathologie?

Lien avec le séminaire de l'an passé

Ccpt central du grand projet de naturalisation de l'intentionnalité, qui est le coeur philosophique des sciences cognitives.

Naturaliser: sciences de la nature physico-chimie, biologie (pas un problème éthique, un immanentisme comme chez Spinoza ou Lucrèce; mais on va voir que la question se pose, parce que les maladies mentales brassent un lexique moral, impliquent une critique de l'imagination qui sont justement des problèmes du naturalisme au sens classique). Sc de la nature sur un mode hypothético-déductif et avec une ambition réductionniste (pas la Naturphilosophie goethéenne), mais évidemment avec l'assomption fondamentale de la biologie, le darwinisme.

L'intentionnalité: celle de la signification (la référence, le fait qu'un signe soit un signe de quelque chose, plus généralement l'"à-propos" (d'un discours) et l'action (qu'elle soit "faite exprès", donc avec une hiérarchie interne finalisée de son accomplissement: c'est une coordination de moyens au service d'un but). Pas le sens phénoménologique.

On répond à la question pourquoi en donnant des raisons (Platon dans le Phédon)

Normalement, naturaliser l'intentionnalité est impossible (réduire la finalité à la causalité, le sens à la matérialité, la forme aux éléments, etc.). La parabole d'Anscombe: pomper l'eau du puits. Un seul processus causal, de multiples descriptions, faisant varier, avec les fins, la nature de l'action.

Le paradoxe de l'accordéon. Découpage logique à partir du tout de l'action, dont les éléments ne sont donc pas des segments temporels. Le paradoxe du pont de César (Descombes). La coordination est sociale, et la hiérarchie n'est pas un rapport de subordination mécanique. Le paradoxe de l'acte non-acte. L'agentivité réelle, donc la causalité matérielle, n'est pas nécessaire; une référence à la norme suffit.

Néanmoins, la neurobiologie nous apprend des choses sur ce qui se passe dans l'action et dans la visée du sens. Option 1; triviale, mais radicale et programmatique (tout se passe ultimement dans le cerveau, identité forte "esprit cerveau", à visée directement éliminativiste). Option 2 plus raffinée, qui accepte l'intentionnalité pour la réduire (c'est ce qu'il y a dans le cerveau qui nous permet de surmonter l'arbitraire verbal des descriptions, de stabiliser l'intentionnalité par rapport aux finalités biologiques). 2 est en général fonctionnaliste.

Question non pas neurobiologique (même bagage), mais philosophique. Action: action qui cause quelque chose de réel dans le réel. Si les descriptions sont indifférentes, si donc l'intentionnalité est causalement inerte, l'action fait une différence. Sauf dualisme, il y a une série antécédente du mouvement à partir de bases mécaniques et d'une phylogénie, et des contraintes descendantes (celles de l'adaptation pour survivre, transmettre le patrimoine génétique, etc.). De même, la pensée est une manipulation de symboles dans le cerveau qui répond à des besoins vitaux. L'homme est un primate, un animal.

Critique de la psychologie populaire qui mélange les niveaux, et appelle "raison justificatrice" un peu n'importe quoi. Illusions pratiques, biais attributifs, arguments d'ignorance neurobiologique. Également, confusion esthétique sur les normes (quantité d'effet écologique harmonieux sont des effets d'interactions causales pures: l'aquarium synthétique).

La pompe d'Anscombe revisitée: aller des téléologies organiques et gestuelles (sens kinesthésique), vers les intentions subdoxastiques, puis vers les redescriptions contextuelles de haut niveau (acte à valeur morale et politique), en cherchant les éléments et les étapes (à quel âge peut-on vouloir les divers types d'action? que peut faire un singe? qu'est-ce qu'un cerveau lésé ne peut pas faire (agir)?)

Noter toutefois qu'on ne peut pas tirer de cette entreprise une réponse à la q de savoir si pomper l'eau est bien ou mal, ni rationnel ou irrationnel. Mais on peut en tirer quelque chose.

Pourquoi la psychopathologie?

Echec global, examiné l'an passé à présenter une théorie positive de la naturalisation de l'action. Au mieux, on tire des traites sur l'avenir, on ne peut pas sortir du social, on doit naturaliser le social, etc. (Pacherie). C'est aussi un biais anthropologique de la modernité, à cause des conséquences pol et morale de ce naturalisme scientiste. Néanmoins, il y a des fragments naturalisables de l'action (biologie de l'action chez Berthoz). Le problème, c'est de savoir si ce qui est naturalisable nous apporte des éléments suffisants pour renouveler vraiment notre idée de l'action de haut niveau: les animaux ainsi conçus sont-ils moins bêtes (rappel de Descartes)? Peut-on biologiser l'esprit dans son à-propos, et l'acte dans son fait-exprès? (Proust)? c'est vraiment très douteux, sauf à jouer de l'analogie.

Des animaux, passons aux malades mentaux.

Plusieurs postulats de bon sens:

  1. La maladie mentale est un dysfonctionnement cérébral. Cas de neuropsychiatrie, de démences, de délires dont le contenu est identique aux "folies essentielles" (mégalomanie des PG), mais induits par des toxiques ou des lésions. Évidences génétiques par la statistique (PMD et maladies cardiaques). Présomptions de troubles neurodéveloppementaux (matière blanche et aires ventriculaires dans la schizophrénie). La question de savoir si le cerveau dysfonctionne à cause de la folie ou l'inverse est sans importance. Il y a des traces, et peut-être des boucles (cas du cerveau des enfants, de l'épigenèse, etc.). On n'est pas forcément archi-réductionniste en psychiatrie cognitive.

  2. Plus facile d'expliquer un dysfonctionnement qu'un fonctionnement. On sait à quoi on s'attaque, pas besoin d'une théorie de la pensée ou de l'action à réduire. La singularité anormale a une cause (une pathogenèse, une évolution). On ne peut pas s'en sortir en excipant d'une intentionnalité de plus haut degré, d'un autre point de vue, etc., un moment, ça coince. Néanmoins, l'adaptation vitale reste présente (psychopathologie évolutionniste à venir).

  3. On peut agir sur l'intentionnalité psychopathique par des moyens expérimentaux objectifs ou quasi: substances psychotropes, et manipulations cognitives standardisées (TCC) qui ne font pas un usage massif, holiste, de l'intentionnalité intersubjective.

  4. Contexte sociologique important: le discrédit des approches psychodynamiques, l'appel à être efficace (donc à produire des explications causales): santé mentale, problème de santé publique, idée d'évaluer économiquement les thérapies, etc., et aussi idée de la non-pertinence de la subjectivité "radicale" de l'individu (sa vie privée, sa façon d'y réagir reste évidemment inscrutable, mais sa maladie est un fait naturel régulier, catégorisable). Demande d'adaptation sociale forte.

  5. Héritage clinique immense, qui fournit une tradition de repérage de l'anomalie, mais qui a toujours été incapable de fournir une théorie étiologique, notamment pour des raisons de méthodologie scientifique et d'outillage. On peut désormais tenter d'y remédier. Au lieu de suivre la clinique (grand principe de la psychiatrie traditionnelle), on va faire des hypothèses et proposer des modèles, et tenter de les valider en les rapportant à la clinique, voire en créant une autre clinique. Désormais, c'est la raison qui commande, pas l'empirie. Les maladies mentales ne sont pas des faits d'une autre sorte que les objets de la nature, et ils doivent donc être objectivés de la même manière.

En même temps, par ce biais naturaliste, on arrive très vite au coeur du problème métaphysique sous-jacent: la q de l'identité personnelle (le sentiment de contrôler son action), de la justifiabilité des actions (l'intégration d'un contexte) et de l'anormalité du raisonnement, de l'enracinement de la déviance de haut niveau (actions délirantes) dans des troubles de bas niveau, ou de la réalité de la perception (hallucinations); + récemment encore, on s'est enfin intéressé aux affects et aux émotions. En fait, c'est même ma dépendance entre ces notions qui émerge.

Mais justement: dépendance causale, ou dépendance conceptuelle, enveloppée par l'hypothèse?

D'où la référence que je ferai à Freud.

Freud, théoricien de l'action (nécessité d'un enracinement cérébral, d'une intentionnalité du sens, idée darwinienne à l'horizon, il a parcouru toutes ces idées, mais sans la neurobiologie vraie des contemporains, uniquement sur un mode spéculatif): c'est donc encore + révélateur de ce qui reste totalement spéculatif dans la neurobiologie contemporaine des maladies mentales.

Autre problème: quelles maladies mentales? Principe du modèle d'abord. Donc autre découpage: entités qui sont + massives, et ne seront raffinées qu'en raffinant le modèle, pas l'observation. D'où l'intérêt pour la schizophrénie (un conglomérat confus), la dépression (même pas une maladie, un symptôme), ou l'autisme infantile. Rien sur les paranoïas, ou les perversions, abandon du cadre des névroses (des pathologies relationnelles mal définies).

A ce niveau de généralité, la psychopathologie cognitive serait donc en voie de se constituer en théorie intégrale du psychisme humain, et pourrait rivaliser dans ses ambitions avec la psychanalyse: elle passe de la revendication d'être empiriquement mieux fondée à l'espoir d'être objectivement aussi, ou même plus compréhensive. Il faudra examiner en quel sens. Bien sûr, ce que la psychanalyse permet de répondre (sur la base des concepts d'action et surtout d'acte) sera également débattu. Mais peut-on simplement en conclure, comme on le fait trop facilement, que ce n'est pas du même "homme" qu'il s'agit, dans les deux psychopathologies?

La psychopathologie, argumenterai-je tout d'abord, est certainement le lieu où l'action est la mieux placée pour jouer le rôle du "chaînon manquant" enfin découvert entre le cérébral et le mental. Mais peut-elle pour autant surmonter les objections conceptuelles fondamentales dont on a décrit les variantes l'an passé? La naturalisation des actions pathologiques dans les maladies mentales réussit-elle mieux que celle de l'action tout court? que fait-elle voir au juste, et quelles fausses notions de l'esprit (malade) corrige-t-elle? ou bien ne fait-elle que transporter ses apories dans la clinique psychiatrique, ce qui pourrait avoir pour effet de la biaiser? De toutes façons, quelle est alors la nature de ce "biais"? N'est-il pas, comme la conjecture en avait été faite en conclusion des travaux de l'an passé, anthropologiquement significatif d'une mutation dans la perception que l'homme à de lui-même? Peut-il d'ailleurs en être autrement quand on s'interroge sur les racines que la pensée plonge dans la vie?

Programme prévisionnel:

  1. C. S. Frith, Neuropsychologie cognitive de la schizophrénie, trad. B. Pachoud et C. Bourdet, PUF, 1996. Esquisse du champ de recherches. La neuropsychologie, ses méthodes (T. Shallice) et le lien à la psychologie cognitive (nature des tests en jeu). Est-ce une théorie psychiatrique ou une philosophie naturaliste de la psychiatrie? Naturaliser (méthode) et biologiser (ontologie) la psychopathologie: quelles différences? Surmonte-t-on les apories de la naturalisation en général, quand on naturalise une maladie mentale? Qu'est-ce que le mental naturalisable?

  2. I. Joseph et J. Proust, La folie dans la place, pathologies de l'interaction, Raisons pratiques n°7, EHESS, 1996. Action, perception, raisonnement, perception et inférence des intentions d'autrui et identité personnelle dans l'autisme et la schizophrénie. Une série d'articles exemplaires sur la connexion des thèmes.

  3. J. Proust, "Vers une genèse cognitive de la centralité", in J.-P. Dupuy et H. Grivois, Mécanismes mentaux, mécanisme sociaux, La découverte, 1995. L'hypothèse JPG et le lien à la clinique. Le problème de la clinique et de la naturalisation de la relation clinique (talon d'Achille des théories cognitivistes en psychiatrie: c'est le lieu d'évacuation originaire de toute intentionnalité dense); occasion d'un contraste avec les théories dominantes de la dépression (résolument anticliniques).

  4. Retour à Freud "naturaliste" en ccl. Exposé de son naturalisme à partir de la théorie du rêve et de la névrose. Le problème des croyances et des désirs comme motifs d'"actions". La question de l'action non-naturalisable (le contenu moral ultime de l'acte). La question du fondement ultime de la folie: est-ce un fait naturel? Folie et liberté. Conséquences éthiques et politiques de la naturalisation des maladies mentales. L'homme appartient-il à la nature?

  5. Bilan général


Séance n°2: La neuropsychologie cognitive de la schizophrénie, de C. D. Frith, une lecture critique

Un jalon crucial dans l'histoire de la psychiatrie et de la philosophie naturaliste

Rappel sur le naturalisme en philosophie et comme méthodologie scientifique: en général, ce n'est pas une approche de la déviance ou de l'anormalité. La nature est stable; ce qui intéresse le naturalisme, c'est ce sur quoi on ne se pose pas de question parce que ça fonctionne (on cherche comment ça fonctionne): la nature humaine soumise au projet inductiviste et expérimental, c'est celle de tous les jours (comment on pense, vit, forme des liens sociaux). La déviance n'est justement pas investie d'un pouvoir révélateur particulier, au contraire (opposition à la démarche pathologique, comme on la voit en psychanalyse, ou encore en ethnologie, avec l'idée que l'Autre dit la vérité sur moi). Paradoxe donc d'une psychiatrie cognitive: comment normaliser les dysfonctionnements? Il faut réduire l'écart entre les dysfonctionnements cognitifs psychiatriques et le reste des phénomènes naturels morbides. Pas de privilège métaphysique de la "folie"; corrélation étroite avec la neurobiologie; pas d'idéaux thérapeutiques extra-médicaux (éthiques, par ex.). Surtout pas l'idée que chacun aurait une psychose distincte, méritant une approche singulière, dans un cadre formel très abstrait.

Tim Crow: analyser non pas des malades, mais une maladie. Standardiser les descriptions cliniques pour y soustraire les effets de la relation intersubjective (qui n'est pas niée): modèle du questionnaire, du test de performance, pas du dialogue. Aucune importance aux questions de catégorisation diagnostique: on cherche l'étiologie causale des symptômes, en démembrant, s'il le faut, les maladies mentales, et on ne fait pas de la clinique un moyen d'exemplifier des structures pathologiques construites pour les articuler systématiquement (opposer: "Untel fait un délire de persécution, c'est pourquoi tel et tel de ses symptômes sont liés entre eux" et "S'il a du mal dans telle tâche, c'est parce que tel sous-système est atteint, et d'ailleurs il y a des lésions cérébrales qui produisent le même effet que dans la schizophrénie").

Méthodologie expérimentale: celle de la neuropsychologie. On construit des réseaux hypothétiques, analysant les opérations mentales impliquées dans la réalisation de tâches testables; on en déduit les troubles possibles (par cassure de liens sur le réseau) et on les compare avec la clinique; puis on examine les corrélation entre les modules cognitifs adéquats et le cerveau, jusqu'à obtenir une convergence de la neurobiologie et de la neuropsychologie. Démarche classique depuis l'étude de l'aphasie (c'est la méthode de la "cloche" de Charcot), renforcée par la physio cérébrale. Pas de la neuropharmacologie expérimentale: on ne teste pas la physiologie en tant que telle avec des drogues pour examiner les corrélations avec le comportement. C'est juste un appoint; on veut comprendre comment ça pense, ou ça délire; il faut un étage proprement psychologique entre le cerveau et les performances.

2 points méconnus et très importants sur une théorie naturaliste de la schizophrénie:

on doit pouvoir déduire des phénomènes cliniques jusque là inobservés. On doit même en déduire des conséquences valables en-dehors de la schizophrénie. En finir avec le mépris des psychiatres classiques ou des psychanalystes pour les défauts cliniques de la psychiatrie cognitive. C'est vrai qu'elle ignore l'histoire (la psychiatrie française, notamment), mais elle crée une nouvelle clinique et enrichit le débat.

paradoxe absurde des "purs cliniciens": la schizophrénie doit ne pas être un trouble cérébral pour être schizophrénie. De la difficulté à observer des lésions, on passe à un critère classificatoire normatif, qui implique ensuite l'idée d'une psychogenèse pure (qui est le cache-sexe épistémologique!). Mais enfin, il y a partout des activations neuronales. Danger d'un dualisme naïf et circulairement auto-fondé. C'est pourquoi il n'y a pas de frontière ontologique entre psychiatrie et neurologie: cas de la leucodystrophie métachromatique. Faits incontestables: la dilatation des ventricules, l'irrigation frontale, etc. (toutefois, c'est important pour les malades déficitaires, pas tellement pour les symptômes positifs de la "folie").

L'action psychopathologique selon Frith: niveaux et fonctions

1/ Originalité de Frith: une théorie informationnelle, computationnelle et fonctionnaliste de l'action au service de la neuropsychologie de la schizophrénie. Extension du modèle de Tim Shallice.

Subtilité: réussir à faire jouer un rôle cognitif (supérieur à à des dysfonctionnements du traitement élémentaire de l'information: Le problème des tests d'inhibition latente (une tâche, pas un processus); il faut supposer un "plan" en cours, qui définit des degrés de "pertinence"; introduction du niveau téléologique fonctionnel (d'un répertoire de buts intentionnels).

2/ Sa définition de l'action: "Une action est définie comme étant une réponse dirigée vers un but - goal-directed -, impliquant habituellement un mouvement". Analogie constante: "j'ai l'intention de", "j'essaie de", "je fais un effort pour", "j'esquisse un mouvement"

Le déficit de l'action: modèle de la psychasthénie comme aboulie, échec qui engendre du négatif...

Affect: forme d'action (contre Widlöcher), liée à la mimique. L'émoussement des affects est un déficit de l'action d'extérioriser; on se demande bien comment se fait la différence avec le faciès figé des parkinsoniens (78, 83, 137).

Vers un "monitoring des intentions" de plus en plus abstrait, de plus en plus mental

1/ "Monitoring": 11. On se demande si cette naturalisation du mental comme auto-contrôle cybernétique ne repose pas sur le champ métaphorique du terme! Dispositif de supervision-détection endogène du traitement de l'info, mais aussi contrôle, "prise de conscience" (awareness) et appréhension-compréhension des inputs externes, on glisse.

2/ Les 2 schémas principaux de la théorie de Frith: 70 et 113 (commentaire)

3/ L'expansion clinique de la métaphore du monitoring:

Quelques difficultés conceptuelles de la théorie de Frith d'un point de vue philosophique et psychiatrique

1/ Peut-on désubjectiver radicalement l'éprouvé délirant, et en respecter la donnée clinique? Tout pourrait n'être qu'hallucinose: l'effet de certitude subjective est raté. Problème de la "signification personnelle" (Tua res agitur). Ce n'est pas un éprouvé de réalité (hallucination toxiques), mais de vérité, qui fait l'hallucination. C'est aussi vrai de l'hallu sensorielle, et même visuelle, que de la signification dans l'hallucination purement psychique, celui de la signification persécutrice (on peut avoir quelque chose de négatif à l'esprit, subjectivement identifié comme une idée parasitaire, cela n'oblige pas à y croire comme une agression). De même, ce n'est pas la voix qui fait la paranoïa, c'est l'hallucination auditivo-verbale péjorative, et péjorative à cause de son effet de dénudement moral portant sur les désirs intimes du sujet, que la voix lui impute là où ça fait mal, où qu'elle révèle au dehors en le diffamant (le syndrome SVP de Ey). Vrai, bon et beau restent transcendants: comment les naturaliser dans leur fonction normative même?

Le problème, c'est que la théorie de Frith empêche qu'on pose complètement le problème: la subjectivité ne peut pas être vraiment atteinte, dans la mesure où elle se réduit à un organe comparateur interne qui discrimine normalement l'endogène et l'exogène. Idée-clé: c'est l'incapacité à assurer cette distinction qui est cruciale pour la schizophrénie. Mais c'est le problème de toutes les explications fonctionnalistes de la subjectivité: ce mécanisme, s'il ne marche pas, est en tant que mécanisme quelque chose qui n'a rien de subjectif. S'il fonctionne, il fonctionne aussi bien sans moi, et s'il ne fonctionne pas, pourquoi faudrait-il que cela me fasse quelque chose subjectivement? Au lieu de la subjectivité du mental on a un concept objectivé du mental, et il faut faire un saut pour s'y reconnaître, et trouver l'analogie plausible; or, même si c'était vrai, comment y croire (Nagel) ? Un unique détail: comment se produit l'interprétation fausse des effets du mécanisme causal du monitoring, se demande Frith (127). Il faut donc encore que cela pénètre la subjectivité...

2/ La théorie de l'intention ici développée la superpose à une théorie de la volonté, et à une idée selon laquelle l'intention est un essai qui produit une sensation interne d'effort mental. C'est largement critiquable d'un point de classique (Wittgenstein contre Hume): "Penser, comme toutes nos actions, est normalement accompagné d'un sentiment d'effort, et d'une impression de choix délibéré lorsque nous passons d'une pensée à une autre. Si nous nous trouvions en train de penser, sans trouver cette sensation d' effort qui reflète ce monitoring central, nous pourrions ressentir ces pensées comme étant étrangères et donc comme ayant été insérées dans notre esprit. De la même manière, nos actions nous apparaîtraient déterminées par des forces extérieures si nous avions aucune conscience de notre intention d'agir. " (114)

En fait, c'est une preuve négative que donne Frith: par la "main étrangère". Mais on dirait un bouche-trou (faussement intuitif), et qui fait la plus belle part aux rationalisations descriptives du patient.

3/ La théorie du langage de Frith est complètement contre-intuitive: "La pensee a quelque chose d'intime alors que le langage est notre principal outil de communication avec autrui. Le langage n'est donc pas simplement l'expression de pensées, mais l'expression de pensées en vue de les communiquer à autrui" (131). On n'en sait rien!! L'usage spécial ne dit rien de la fonction réelle. Plusieurs conséquences:

3/ La question de Widlöcher: "Est-ce le programme d'action pathologique qui contraint l'appareil nerveux à l'exécuter ou est-ce l'appareil qui contraint à l'exécution de ce programme?" (9). Il ne suffit pas d'avoir un point de vue neurologique pour que celui-ci soit exclusif. Et si c'était la contrainte sociale externe qui agissait sur les actions imposées? Oui, nous avons un cerveau génétiquement déterminé à fonctionner ainsi, mais aussi, épigenèse, et enfin, nature complètement extériorisée du cortex cérébral humain (tout ce qui est précâblé, peut-on dire, ne sert qu'à rendre l'engrammage post-natal encore plus important et crucial pour la survie). Le nourrisson à qui on ne parle pas (et à qui on ne donne pas des soins avec affection) meurt. Question subsidiaire: le verre à moitié vide ou plein: quel est le degré de gravité des lésions ou anomalies schizophrénisantes? Quel est le degré de compensation par les câblages ultérieurs, les prothèses du cerveau social interactif? Ne pas oublier que les anomalies cérébrales, neurodéveloppementales, expliquent plutôt les symptômes négatifs et quasi démentiels; pas ceux de la "folie" au sens usuel (les symptômes positifs, le délire, notamment, et ce qui pose un problème de tolérance et de convention sociale).

Bien sûr, il y a les arguments antisociologiques (et antifreudiens) classiques: 1% de schizophrènes dans toutes les catégories sociales (mais ce sont les plus pauvres, socialement et intellectuellement, qui sont les plus chroniques; on confond prévalence de la maladie et prise en charge). Refus qu'il y ait des causes psychosociales de la schizophrénie hors de toute prédisposition neurobiologique (mais tout dépend de ce qu'on accepte comme catégorisation: les délires de relation des sensitifs sont caractérisés par un déclenchement traumatique de type moral, et c'est justement cette pathologie qui soutient la prétention des psychognéticiens classiques; et d'autre part, accepter que la neurobiologie soit une prédisposition, c'est comme capituler sans combat: il faut qu'elle soit toujours plus que cela).

4/ Enfin ne pas se leurer: on ne guérit pas la schizophrénie par des moyens biologiques seuls, et même quand on les administre (agonistes dopaminergiques), on les administre toujours dans un contexte intersubjectif et social important. A la limite, tout ce qui est avancé comme argument en faveur de la neurobiologie ultime de la schizophrénie peut être inversé: on sédate, on diminue, on n'élimine jamais les symptômes, et surtout, ils restent formellement identifiables dans la relation intersubjective même après les épisodes aigus. On pourrait donc dire (je ne vais pas jusque là) que cela prouve que la schizophrnéie n'est pas un problème biologique, mais un problème intrinsèquement mental qui s'agrave sous certaines contraintes biologiques. Mais quand on n'a qu'un marteau, on voit des clous partout!

Conclusions: qu'apprend-on ici sur la naturalisation de l'action? Nouvelles questions et nouvelles pistes.

Le rejet de la philosophie (47): "Par où commencer si on veut mettre en rapport les signes et symptômes schizophréniques avec une anomalie des fonctions cérébrales ? Un tel projet exige une théorie des rapports entre l'esprit et le cerveau, ce qui nous ramène à un problème débattu depuis longtemps par les philosophes sans qu'aucune solution ne s'en soit dégagée. Je suis convaincu que ce type de problème philosophique se dissoudra de lui- même, ou tout au moins sera reformulé au fur et à mesure des progrès des sciences cognitives et de la neurophysiologie (Dennett, 1991)". Mais en fait, Frith est partisan de la "théorie de l'identité" (esprit/cerveau), et un naturaliste convaincu (mais pas humien, pcq Frith, lui, se sent être son moi).

En revanche, comment éviter une construction de ce genre (Shallice et Frith)? Freud et l'appareil de la Traumdeutung (ccl de ces conférences): l'action est un processus naturel qui a des effets causaux réels, parler est un certain genre d'action, se mouvoir, penser... le sont aussi, dans la mesure où ce sont des parties réellement inséparables du mouvement terminal.

Rappel de la théorie descriptiviste de l'action (Anscombe). Mais Frith a des arguments cliniques intéressants et probants: des expériences d'être agis très différentes ("entendre ses pensées énoncées à haute voix" et "croire que les autres peuvent lire dans mes pensées") pourraient être deux descriptions du même phénomène (93). Sur le plan critique, cela réfute des distinctions clinqiues apparemment classiques (ici, entre un symptôme plutôt schizophrénique, et un autre, plutôt paranoïaque). encore mieux, le cas des sourds congénitaux qui "entendent", ou voient des gens "user du langage des signes" (102): hallucination auditive, psychique, ou visuelle? C'est pourquoi il n'est pas possible d'être complètement anti-naturaliste en psychiatrie. Il faut savoir se rendre attentif à la critique des descriptions subjectives ou linguistiques de surface par le point de réel objectif où on s'aperçoit des équivalences. Importance de disposer d'un autre niveau (95) pour trier les classifications acceptables. Mais cela n'implique pas que cet autre niveau soit plus déterminant!

Nouvelles pistes, à la fin, sur l'autisme: lié la théorie de l'action à la théorie de la représentation des états mentaux d'autrui. Connaissance et métaconnaissance de ses propes intentions (Leslie). Ce sera l'objet de la prochaine séance.


Séance n°3: L'énigme de l'autisme de Uta Frith, cognitivisme contre théories psychodynamiques.

Connexion avec la conférence précédente

D'une théorie naturaliste de l'intentionnalité de l'action à une théorie de la conscience de soi, de la vie mentale. On garde la naturalisation de l'intentionnalité, on pense l'architecture et la mécanique des modules mentaux sur cette base, puis leur intégration sémantique, censée à la fin équivaloir à la conscience de soi. Dépassement de l'action vers la croyance, et de la croyance vers l'identité personnelle (autos).

Autisme: étymologie à la dérive (de l'autoérotisme Freud et Bleuler, à l'isolement autistique). De la contraction sur soi-même (narcissisme) à une déconnexion du social. Pour Frith, c'est en fait une déficience neuropsychologique du traitement des stimuli sociaux.

Kanner (aujourd'hui les autistes très déficitaires) et Asperger (les autistes supérieurs) en 1943 et 1944: sortir les autistes des imbéciles congénitaux, des déficients mentaux. Les pics de performance comme signes d'une altération spécifique + le caractère personnel des autistes supérieurs (leur évolution, à la diff des idiots savants). La capacité stupéfiante de plusieurs autistes supérieurs à utiliser un langage de type introspectif pour se décrire (autobiographies): Temple Grandin, Ma vie d'autiste, Odile Jacob, 1994, ainsi que Penser en images et autres témoignages sur l'autisme, Odile Jacob, 1997.

1. Le modèle neuropsychologique de C. Frith: autisme et schizophrénie, ressemblances et différences.

A/ La + importante ressemblance: il faut supposer un module de très haut niveau pour donner une cohérence aux stratégies intentionnelles lésées dans les 2 maladies. De la "cohérence centrale" chez U. Frith, ou bien un module de "planification" et de sélection de buts chez C. Frith. Pas évident de savoir si ces deux modules se recouvrent réellement (ou si on leur assigne des buts fonctionnels identiques, à valeur heuristique, comme une sorte de localisation du lieu idéal où il faut réintroduire la finalité dans le mécanisme mental, sans que cela prouve vraiment l'existence d'un module réel, sinon ex hypothesi). En ce sens, les deux constructions théoriques sont censées se soutenir pour renouveler le regard sur la maladie mentale (idem avec la dépression, comme on verra). Ne jamais oublier le point positif de cette méthodologie: suspendre le social, le relationnel, assez longtemps pour voir émerger ce qui ne serait pas du relationnel, mais de l'inné, du biologique ("solipsisme méthodologique" de Fodor). Sans les excès de la psychodynamique, c'est inintelligible. Le point négatif: la réduction de l'étage psychosocial à des superstructures contingentes, qui ne construisent rien de nécessaire dans le tableau final, ou qui sont des artefacts descriptifs subjectifs. Mais on peut éviter ce second mouvement explicite de la pensée de U. Frith.

B/ Les symptômes négatifs de la schizophrénie sont déjà présents (en un sens) dans l'autisme. Mais les symptômes positifs non. C. Frith: les schizophrènes ont eu un développement normal jusqu'à un certain point; les autistes ont un problème de développement. Mais pourquoi cet arrêt intervient-il à l'adolescence chez les schizophrènes?

2. L'argument du développement: très nombreux déficits objectifs neurovégétatifs, etc., forts mais pas spécifiques de l'autisme. En +, période critique: avant 3 ans, et après 5 ans (avec la tranche sanctuaire 3 -5 ans), où c'est de la psychose infantile (avec des sym positifs).

Problème avec ce développement: l'accent est mis sur la composante biologique, alors même qu'on est d'accord sur l'idée qu'il faut une hypothèse psychologique pour préciser ce qu'on cherche, et bien isoler les autistes des déficients mentaux. 3 sur 4 autistes sont des attardés (et c'est pour U. Frith une preuve biologique…). Nombreux arguments donc, mais pas forcément cérébraux (la sérotonine dans les plaquettes sanguines, etc.). En +, on est obligé de reconnaître l'importance de facteurs périnataux (là, il devient de plus en plus absurde de récuser le facteur de la socialisation des enfants, ce n'est plus de l'inné!). Mais précisément à ces âges, l'épigenèse est considérable dans le cerveau. Il y a peut-être (sans doute) un problème de câblage profond (génétique?), mais l'intégration des stimuli sociaux implique des troubles de l'interaction avec la mère (notamment). Or cette interaction est sans cesse récusée (la traiter comme un facteur de l'autisme, ce serait trop psychodynamique)!

Paradoxe constant: on définit le stimulus qui fait problème comme "social", mais on ne s'intéresse qu'au traitement non-social, purement neurobiologique, de ce stimulus, quel qu'en soit le contenu sémantique propre, à égalité avec les stimuli perceptifs, bien que d'une autre sorte. On ne dit non plus rien de l'immense difficulté en psychologie sociale, qui consiste à isoler des stimuli sociaux en tant que sociaux (ce ne sont pas des saillances perceptives): en fait, on les dégage toujours post hoc, en inférant leur rôle causal à partir des effets dans l'interaction sociale. Mais les conditions d'identification des effets sociaux de ces stimuli spéciaux sont complètement holistiques, et contredisent le rôle causal analytique qu'on fait jouer aux dits stimuli du point de vue individualiste méthodologique du neuropsychologie cognitif. Il est même problématique de parler de stimuli sociaux, n'importe quel stimulus bien défini (perceptuel) pouvant être amené à jouer un rôle social dans une stratégie interactive (les feux rouges, ou les indices dans les romans policiers).

3. Cependant, les deux modèles des Frith sont mal articulés: la schizophrénie des cognitivistes est une maladie du déficit du monitoring de l'action (pour les symptômes négatifs, c'est assez clair). L'autisme est une maladie de la mise en place du contrôle central de l'action, mais plus généralement de l'intentionnalité qu'elle suppose (jolie remarque de U Frith, comme quoi les enfants autistes ne sont pas capable d'insérer des nouveaux éléments dans l'échange en utilisant des incises du type "à propos", "au fait", etc.). De +, pas forcément des causalités homogènes avec des lésions parallèles des mêmes modules cognitifs. En fait, on ne sait pas si ce ne sont pas des artefacts de la description délibérément objectivantes de déficits mentaux, dont la grammaire s'impose et crée des parallélismes illusoires.

Test et hypothèses: vers le déficit de "cohérence centrale".

1. La théorie de U. Frith.

A/ La triade de Wing: déficience de l'interaction sociale, de la communication (impassibilité émotionnelle, indifférence aux états mentaux d'autrui), et restriction des centres d'intérêts (avec parfois hypertrophie de certaines compétences) sensible dans le manque d'imagination ludique. Car ils ne jouent jamais à faire semblant (et ont du mal à distinguer l'imaginaire du réel, voir le rêve de la réalité, ce que faisait Kaspar Hauser).

Les bases dans l'action motrice: le contrôle de l'action est particulier (nystagmus anormal, amour de la rotation, oreille interne: Berthoz). Les crises de violence, de perte de contrôle moteur (avec appoint épileptique dans 1/3 des cas), nécessitant dans le cas de Temple Grandin l'invention d'une machine bizarre de contention qui lui permet de se réapproprier jsuqu'à son sentiment d'identité. Aussi, le geste obsessionnel, la réitération stéréotypée pensée comme problème de contrôle (d'autant que les autistes supérieurs redécrivent ces phénomènes comme des pièges dont ils auraient voulu sortir). D'un autre côté, c'est parfois la voie vers un usage gratifiant de certains mouvements (autistes musiciens).

L'intention est ici pensée comme un effort mental, un essayer de (c'est une partie réelle de l'action).

B/ Le faire-semblant de Leslie.

C/ Contexte et pertinence (Wilson et Sperber). Les autistes ne tiennent pas compte du contexte (même perceptif), et c'est éventuellement un force (test des images cachées). Mais au niveau sémantique, "s'ils ne ressentent pas le besoin de libérer le langage de son enchâssement dans les événements, c'est tout simplement parce qu'à leurs yeux, il n'y a jamais été enchâssé" 150-151. Ce contexte est toujours intentionnel (capital pour la pragmatique, pour le repérage des intentions de signifier: "Peux-tu me passer le sel? Oui").

Certes, mais le problème est comme chez Frith de relier l'anomalie de traitement de l'information à des symptômes comportementaux cliniques. Il faut passer de l'information à la sémantique. Le test d'inhibition latente: les stimuli nouveaux ne sont pas traités comme il faut (trouble de l'habituation); mais en même temps, il n'y a pas d'angoisse quand ils répondent de façon répétitive! En même tps, comment être sûr que ce déficit de traitement des informations n'est pas l'effet de dysfonctionnement cognitif supérieur (et pas sa cause basique, élémentaire, infra-cognitive)? On peut dire qu'ils imposent des structures, au lieu de les détecter (0101010 ou 11111 ou 00000). Du coup, on peut prédire leurs erreurs à partir d'un minuscule fragment de la chaîne des stimuli.

L'automutilation: moyen de filtrer la surabondance des stimuli (vécu de débordement chez Grandin).

D/ L'ennui, c'est que la cohérence centrale est un idéal épistémique qui doit lui-même être contrôlé (regressus ad infinitum des contrôles de contrôles, comme toujours quand on essaie de faire jouer à un mécanisme une fonction finalisée). Difficile d'y voir un module spécifique, ou un mécanisme mental. On retombe donc, comme toujours, sur Janet: c'est une "force" mentale qui est affaiblie chez les autistes. Mais ce qui fait défaut, plutôt, c'est le besoin de cohérence, pas tellement la capacité à la cohérence, conclut d'ailleurs U. Frith. Il est difficile d'imaginer un module de régulation du besoin de cohérence. Tout dépend aussi bien de la sollicitation dans l'interaction. Cela démentalise la mécanique pour la recontextualiser socialement (en fait, les Asperger font toujours état d'un individu spécial qui les a stimulé, et sans qui ils seraient restés piégés).

2. La théorie de Baron-Cohen (La cécité mentale. Un essai sur l'autisme et la théorie de l'esprit, trad. franç. Presses Universitaires de Grenoble, 1998).

Baron-Cohen à la recherche d'une connexion plus serrée entre le problème de l'action motrice et de la détection des intentions, et celui de la difficulté, voire de l'impossibilité à produire des interprétations devançantes des intentions d'autrui: mindblindness. Pour lui, l'impossibilité de s'empêcher de penser que les autres ont des intentions est tellement forte qu'elle ne peut être que biologique (C'est parfaitement gratuit! Au contraire, c'est purement non-biologique, peut-on aussi bien dire…). C'est enraciné dans l'évolution; idée de Pinker que le langage humain est un réflexe. Ce seraient les chasseurs cueilleurs du pléistocène qui auraient développé cette coordination spéciale.

A/ Le langage des yeux. Ce n'est pas que l'autiste fuit le regard (projection exogène typiquement psy d'une intentionnalité de ne pas qui laisse échapper l'impuissance de l'intentionnalité endogène de l'enfant à sélectionner dans le contexte l'information du stimulus social du regard des autres comme + importante que le reste), c'est qu'il ne l'utilise pas pour communiquer, ni le sien ni celui d'autrui. Du coup, problème de l'attention conjointe, qui n'est pas établie. Mais plus loin encore, impossibilité de "lire de la pensée" dans les yeux des autres.

B/ Le schéma à 3 niveaux:

ID (détecteur d'intentionnalité) et EDD (détecteur de direction des yeux), centralisé dans un SAM (mécanisme d'attention partagée), sous la dépendance d'un TOMM (module de théorie de l'esprit). Lésion dans SAM: autisme primaire, dans TOMM, autisme secondaire.

La détection de l'intentionnalité, comme celle du regard, et la détection du mouvement des yeux: ce qui est bizarre, c'est que les mécanismes d'identification d'un agent sont primitifs (c'est le module qui isole les mouvements autogénérés TO/BY de Leslie).

ID marche souvent chez les autistes (untel veut un gâteau), et EDD aussi.

SAM, mécanisme de l'intégration triadique du dyadique: [maman voit (je vois - le gâteau)]. Le dessin SAM-EDD avec le visage dessiné aux yeux orientés.

TOMM: niveau de l'intégration triadique métareprésentative: Je sais qu'elle sait que je le vois et que je le veux. Là on a agent + attitude + proposition + réflexivité.

Contre qui cette théorie de l'autisme est-elle construite?

1. Contre la psychanalyse (les psychanalyses?).

A/ Importance de la lutte politique pour le contrôle médico-social des soins. On ne guérit pas plus l'autisme avec une théorie cognitive que sans. Pas moins non plus. Guerre pour une définition. Si elle est naturaliste, elle implique ipso facto l'exclusion de la subjectivité dans l'interaction. Celle-ci revient défigurée par la fenêtre sous la forme confuse et cliniquement inexploitable du besoin d'amour des autistes qu'il faut satisfaire, de leur "beauté obsédante" (comme un intelligence dormante, qui nous appelle), de l'amour nécessaire des enfants "à cause" de leur autisme et non "malgré lui", etc. Bien des chose qualifiées de mythe par U. Frith se retrouvent dans le livre, dans les marges de la théorie de l'esprit, ou sous une autre forme.

B/ Les paradoxes de Grandin: le début est une autoconstruction de soi d'esprit cognitiviste (en fait, elle se présente précisément dans le vocabulaire mental mécaniciste qui permet de valider une théorie des modules cognitifs), la fin une formidable confirmation des thèses ultra-symboliques de la psychanalyse (la porte comme symbole, la trappe à bétail, à laquelle il ne manque même pas la castration! De +, elle se demande si cette autothérapie est généralisable, ce qui donne un caractère franchement psychotique à ces élaborations). Chaque fois, c'est trop parfait. La métaphore commune: "la machine à penser ses pensées" (Bion).

(parenthèse anthropologique: l'autiste est soi vécu comme le modèle de la spontanéité et de la sincérité surnaturelle, soit comme un automate; cette équivoque est typique du point de vue culturel; nous voyons comme des robots (et nous aidons les autistes à se décrire comme tels, comme Temple Grandin) ce qui autrefois aurait paru une simplicité à la limite de la sainteté (et les autistes supérieurs auraient été des exemples franciscains, comme frère Junipère). Tout cela reflète notre incapacité à penser l'automatisme comme autoproduction déterministe de ses actions et comme liberté absolue, ininfluençable. Autre aspect amusant: c'est du point de vue cognitiviste qu'on traite les enfants de "behavioristes naturels", sans théorie de l'esprit; on ne sait donc pas si en fait ils sont dépourvus de théorie de l'esprit, ou bien si c'est parce qu'on a une théorie de la théorie de l'esprit qu'on reconsidère le tableau clinique qu'ils offrent…).

2. Les artefacts méthodologiques (confusion de la pertinence du modèle avec la structure de la réalité à laquelle il s'applique).

En plus, il y a une sorte de prise de conscience du déficit dans des mots qui confirment la théorie du déficit vu du point de vue extérieur non-autistique. Dans quelle mesure ceci n'est-il pas aussi appris (qu'il faut s'exprimer dans le lexique de la "prise de conscience")? Dans quelle mesure Grandin n'est-elle pas encore plus impénétrable, quand elle décrit dans nos mots, et pour nous, son impénétrabilité. Elle est plus aux prises avec son problème dans sa trappe à bétail que dans son autobiographie, qui lui sert de prothèse socialisante, pas de socialisation (comment peut-elle même se représenter ce qu'est une autobiographie pour ses lecteurs?).

Exclure le rôle pathogène de l'environnement s'il accuse les relations précoces avec les mères (le refus de la psychanalyse). On commence par éliminer la possibilité de polémiquer sur le caractère intersubjectif singulier des rapports mère/enfant en disant

Mais justement, sur

De toutes façons, pourquoi n'y aurait-il pas une psychodynamique spéciale des sujets cérébrolésés?

3. La dimension subjective et intersubjective ultime.

A aucun moment, on ne peut se passer de l'interaction réelle avec les soignants, et de sa singularité (Grandin et Mr Carlock). Cette interaction est indépendante de la manière dont les soignants se représentent les raisons de leur action. Pt-clé: on peut s'attacher à un autiste à la différence d'un autre. Ils ont des personnalités fascinantes à cause de ce qu'ils inventent (pas du tout les déficients mentaux purs, ni même la plupart des psychoses infantiles).

A/ N'y a-t-il pas risque de fabrication aveugle d'une maladie mentale infantile et de sa confirmation circulaire: les déficits modulaires sont inférés à partir d'échecs statistiques (parfois 50% des autistes n'échouent pas aux tests cruciaux: on suppose alors que le module lésé est chez certains plus fonctionnel que chez les autres). Les différences des cas sont imputés à un spectre de gravité, pourvu qu'il ne remette pas en question l'étiquette générale. On peut ensuite toujours accuser le déficit intellectuel cliniquement concomitant chez beaucoup. Parfois, U. Frith accablée par les contre-exemples notoires (autistes qui jouent à cache-cache, qui, comme Grandin, sont capables de mentir pour éviter une punition, ou ont de trop bons rapports avec la mère qui démentent les hypothèses cognitives d'impasse dans la perception des intentions), montre plus de souplesse; avec les tout-petits, on ne sait pas si c'est de l'autisme ou de la déficience mentale brute.

B/ Mais caractère de postulat de la "voie finale commune": quelles que soient les causes, elles sont biologiques et concourent à la maladie mentale clinique. L'hypothèse neurocognitive fonctionne ici de façon paradoxale: elle sert à maintenir l'hypothèse globale d'un trouble neurobiologique du développement alors qu'on n'a aucune idée des facteurs neurobiologiques en cause (anatomiques, neurochimiques, etc.): elle immunise la théorie biologique de la maladie mentale contre la critique biologique, en repérant des stabilités cliniques qui peuvent avoir des causes biologiques hétérogènes, mais toujours biologiques (fonctionnelles, génétiques, périnatales, infectieuses, etc.); on voit le danger de la méthode: la "chaîne causale" prise globalement est biologique, mais aucun de ses maillons n'est une cause unique ou suffisante. Un moment, U. Frith se demande même si elle ne fait un peu trop le travail de la cohérence centrale pour ses sujets (293!): et si tout cela était dû au hasard, à une réaction psychologique de non-autiste devant l'autisme…

C/ Peut-être alors que c'est un facteur autre, non purement biologique, mais épigénétique et donc socialement défini, qui fédère les causes et les rend cliniquement visibles comme des dysfonctions de l'interaction…

Passage à la limite: on fait comme si une hypothèse neurocognitive était déjà une réfutation de toutes ses alternatives psychologie néo-freudienne (on oublie que les théories de l'interaction précoce sont éventuellement retraduisibles en nouvelles questions cliniques, et même en thèmes expérimentaux).

Conclusion

Théorie des maladies mentales: importance de les présenter de façon critique et non dogmatique et exclusive. Même si on fait une théorie de l'autisme, on soigne un autiste, et on reste une personne en train d'en soigner une autre. Ce qui est gênant pour le psychanalyste, c'est toutes les choses simples qu'il n'avait pas remarquées. C'est l'abstraction formelle de l'autisme. Si donc il y a un trouble mère/enfant, il n'est pas appréhendable dans les termes affectifs banals de la psychodynamique usuelle (celle qui sert aux névroses). Il concerne des biais subtils, des manières d'insérer l'enfant et son corps dans le monde psychique et linguistique qui ne sont pas exclusifs de la bonne volonté, de l'affection de la mère (théorie de la mère de la mère). Ce qui l'est pour le cognitiviste, ce sont toutes les choses complexes qui relèvent de l'idiosyncrasie, voire du cas chaque fois unique, des interactions tardives, qui ne se laissent pas apprivoiser par des protocoles répétables, mais qui sont néanmoins pointées par les autistes supérieurs comme cruciales dans leur évolution positive.

Importance de cet aspect à la fois éthique et anthropologique de la polémique contre les théories psychodynamiques.


Séance n°4: L'hypothèse Grivois-Proust-Jeannerod.

Joëlle Proust, "Vers une genèse cognitive de la centralité. Réflexions à partir du travail clinique d'Henri Grivois", in Mécanismes mentaux, mécanismes sociaux. De la psychose à la panique, Henri Grivois et Jean-Pierre Dupuy (éds), La découverte, Paris, 1995, pp.67-95.

Une conjonction exemplaire et rare.

L'articulation cognitive des deux registres: clinique et étiologique; l'hypothèse JPG

  1. La clinique de la "psychose naissante" PN (Grivois: Le fou et le mouvement du monde). L'entrée en psychose (idée d'une psychose unique, mécanisme asémantique originaire) à l'adolescence. Un humain seul face à tous les autres, et en même temps communiquant sans médiation avec la totalité de leurs intentions. Prévalence non pas de la "signification personnelle" (c'est trop verbal, donc dérivé) et de la perplexité (trop intellectuelle), mais de l'abolition quasi-physique des frontières entre soi et autrui au niveau moteur et même prémoteur. Tout est enveloppé dans un "automatisme moteur" a minima et invisible au départ, compliqué de transitivisme mimétique. "Concernement" (être l'objet de l'attention universelle) et "centralité" (devenir le point saillant à partir duquel tout s'ordonne, et qui paradoxalement, contrôle en retour les intentions des autres). // Raisonnement de Foville sur l'interprétation et la mégalomanie. Rôle essentiel du contrôle de la motricité fine dans la psychose (infra-conscient) et de la coordination intraspécifique (les mouvements constamment attendus de nos congénères dans l'espace). Les anomalies perceptives sont dérivées: Frith, idée que les schizos traitent trop d'informations et qu'ils sont débordés, mais ici, c'est en conséquence de ce défaut de planification des intentions motrices interactives.

  2. Un relais philosophique crucial: la naturalisation de l'intentionnalité de l'action et, dans un second temps, l'externalisation causale des contenus sémantiques du délire.

  1. L'intentionnel réduit au prémoteur, et objectivable hors de ses descriptions verbales, ou de ses interprétations surimposées.

  2. L'attribution vient compliquer dans un second temps ce premier temps asémantique, en donnant sa place à la culture et à la rationalisation. Nisbett et Wilson: quand on ne connaît pas le motif de ses actions, on l'invente et on prétend l'avoir découvert par introspection. Du coup, on impute à l'autre (xénopathie) d'être la cause de ses propres actes. Frappant avec les hallucinations auditives. Le délire est une rationalisation contingente surajoutée, dont la causalité (par ailleurs tout à fait normale, c'est la rectification d'une "dissonance") est indépendante du phénomène prémoteur (intentionnel) primaire. Possibilité de retrouver les styles de centralité de la psychiatrie classique, avec ses délires différents (mélancolie, érotomanie, etc.). Ce qui est quand même ennuyeux, c'est qu'on ne voit pas comment va se faire la transition entre le sémantique et l'asémantique: comment l'attribution se "greffe"-t-elle sur l'intentionnalité de niveau inférieur?

  3. Quelques conséquences thérapeutiques: justification indirecte de la psychopharmacologie de la dopamine, le corps en mouvement comme cible pour les soins (Schumann au piano), l'abstention interprétative, le statut décisif de la première crise aiguë pour la suite de la maladie (prise en charge des adolescents).

  4. Remarque: pas besoin d'une "théorie de l'esprit" (autisme) à l'origine.

  1. Ce que contient déjà de "mental" la neurophysiologie du contrôle de l'action. La téléologie neurobiologique de la "décharge corollaire": quand une commande motrice est envoyée, pour expliquer la possibilité du contrôle continu de l'exécution, on est obligé de postuler cette entité fonctionnelle, comme une sorte de copie de l'ordre moteur stockée dans le système central, qui a pour fonction d'inhiber les effets éventuels des réafférences. Si on imagine un défaut de cette décharge, il suit que le contrôle ne s'exerce plus, et que pour ainsi dire l'agent "ne sait plus" qui est l'agent de ce qui est en train de se dérouler comme action. On interprète le déficit en information (codée neurologiquement dans un format quelconque, purement fonctionnel et postulé) dans le contrôle et la stabilisation de l'action comme un égarement épistémique susceptible de mener l'agent à attribuer son action à un autre que lui. C'est exagéré: une lacune informationnelle est mise soudain en continuité avec un processus obscur de formation de croyance. Mais les gens qui ont des vertiges ou des troubles du contrôle moteur ne sont pas tous des psychotiques. On peut toujours postuler que c'est "plus fin", "plus discret", mais alors toute la clinique neuropsychiatrique est pliée à l'hypothèse, et traitée sur un mode vérificationniste. Il y a un problème, ici, lié au caractère postulé de cette entité fonctionnelle qu'est la décharge corollaire; postulée et fonctionnelle, elle n'est pas susceptible d'une variation pathologique (car elle en correspond pas à des événements neurologiques précis qui en seraient les véhicules ou les éléments individuellement isolables); donc, dire qu'il y a un trouble de la décharge corollaire est toujours possible, mais peu pertinent.

  2. Contrôle de l'action, sentiment de soi, et identité personnelle.

  1. Naturalisation de l'identité personnelle: l'étape préliminaire de la définition impersonnelle de la personne. La nécessité d'une stabilisation de l'identité non-dépendante d'un ensemble singulier de traits dispositionnels (sinon, on changerait d'identité à chaque nouveau désir!). L'incorrigibilité du "soi pour soi" (Locke): les interprétations confabulantes de sa propre identité.

  2. La solution par l'agentivité réelle (projet), opposée à la narrativité (récit). Cette agentivité doit être objectivée (pb de la circularité de l'idée de personne et de l'idée de continuité intentionnelle, cercle qu'il faut rompre): on veut définir la personne par la continuité objective de ses intentions, et non la continuité des intentions en présupposant que c'est toujours la même personne qui les a (Butler contre Locke). Solution par la quasi-intention (Shoemaker et Parfit): si X a l'intention i de faire a et que Y effectue a selon un processus causal approprié conforme à i (mais pas nécessairement spécifié), X et Y ne sont pas nécessairement identiques numériquement. La télétransportation sur Mars: comment faire naître le doute sur l'identité personnelle. Néanmoins, imaginez le dialogue suivant entre moi et ma copie télétransportée (identité qualitative, donc identité des indiscernables!): - "Tu ne mourras pas, puisque tu vas continuier à vivre tout entier en moi" -"Je ne te crois pas..." - "Mais tu ne peux pas faire autrement que me croire, puisque tu es moi, tu as objectivement toutes mes dispositions!" C'est carrément effrayant (c'est peut-être une indication sur ce qui se passe dans l'expérience motrice de la centralité). En fait, pour que l'argument de l'objectivation de l'identité personnelle par la quasi-intention marche, il ne faut pas que les X et Y se mettent à dialoguer sur ce qui se passe.

  3. Application à la psychiatrie cognitive: la convergence entre la centralité et l'expérience des quasi-intentions: "je suis agi", mon moi est continu avec autrui, ou bien, cas de suspension de la condition d'indexicalité de l'intention de l'action. Je veux faire telle chose et un autre, justement, l'accomplit sous mes yeux: le moment de la coïncidence intentionnelle dans l'initiation du délire. La xénopathie est ici expliquée dans sa texture interne (pas seulement comme un effet de mimétisme, mais en relation avec l'identité du sujet tel qu'il parle et se pense).

Revue critique de l'argument

1. Quelle psychose? L'automatisme moteur est-il exemplaire? Il y a d'autres automatismes mentaux, cliniquement aussi primitifs (cf. Clérambault, ou c'est verbal ou mental, mais sémantique). La structure formelle de la clinique de la psychose naissante est surtout topologique: le cas de la mélancolie est le plus pur (désir de s'expulser d'un monde qu'on souille, réprobation universelle, sédation radicale après le déclenchement paroxystique). Mais que fait-on de la dimension du contenu éthique? Cliniquement, il n'est pas vrai que le sentiment de péjoration suive la perte du contrôle de l'action (idem pour les hallucinations auditives: ce qui est pathognomonique de la paranoïa, c'est qu'elles soient insultantes, pas seulement personnelles).

2. Comment est définie l'action pathologique du psychotique? Peut-on faire abstraction du contexte descriptif de l'action en tant qu'action "anormale"; privilège de la schizophrénie sur la paranoïa à cet égard (où il s'agit plus d'acte que d'action, par exemple dans la quérulence). On éprouve sûrement un sentiment diffus de bizarrerie devant les PN, mais les malades sont souvent capables de redécrire leurs actions en les normalisant. Importance du "malaise" quasi biologique qu'on ressent (même quand on n'est pas théoriquement informé de la folie). Certes, mais parler d'"action" ou de dérèglement fin de l'''interaction" n'est-ce pas déjà métaphorique? (on redescend purement verbalement de l'interaction à l'action). Il y a un nœud inextricable de mots, de significations et de gestes, et c'est davantage la forme de la centralité que son étiologie naturaliste qui compte. A la limite, on peut parfaitement faire une lecture lacanienne de cette topologie de la PN!

3. Aspect idéologique sensible: en la naturalisant, on ne fait que pathologiser en essence la connexion conceptuelle faire = faire faire (du coup, toute action collective est conçue comme l'action d'une foule dont les agents individuels s'influencent réciproquement). De l'individualisme méthodologique à la théorie du mimétisme généralisé, et à l'anti-socialisme de Le Bon! (ou alors, au néo-tardisme cognitif?)

4. Quelques remarques sur la théorie de l'attribution:

  1. dans le cas de la théorie de l'attribution, on peut rectifier l'attribution, pas dans la psychose. Ce qui sert à expliquer des biais de raisonnement sert ici à expliquer un déraillage définitif (car toute rationalisation supplémentaire sera versée au compte du délire). Comment alors se conjuguent les dérèglements moteurs et leur rationalisation? Continuité causale? Parallélisme invincible?

  2. la place morale de la subjectivité et du phrasé intentionnel du développement délirant; à nouveau la douleur mélancolique, intrication de verbalisation auto-accusatrice délirante et de trouble thymique majeur (mais il ne faut surtout pas donner d'antidépresseurs, juste des antidélirants, et l'humeur se tasse à mesure que le délire péjoratif s'estompe).

  1. On ne peut pas faire sortir le lapin du chapeau sans l'y avoir d'abord introduit: l'objectivation du soi dans le contrôle de l'action. Opposition entre le moi (objectivé) et le je (adversatif): l'indexicalité inéliminable (on ne peut pas toujours remplacer l'identité numérique de la personne par l'identité qualitative de ce qui est semblable en tous points à la personne). La continuité subjective comme continuité des intentions auto-imputées (à teneur morale). Peut-on séparer l'agentivité objective de la narrativité subjective? Pas en clinique mentale. Le sentiment de soi n'est pas l'identité personnelle.

  2. La circularité de la définition de l'effet subjectif des troubles du contrôle de l'action. On peut toujours postuler un déficit du traitement de l'information des décharges corollaires. Tout cela repose sur des possibilités neurophysiologiques, pas sur des déclenchements expérimentaux de psychoses (éthiquement impossibles? et la torture?). Plus empiriquement, il est difficile de découvrir un mécanisme qui permette de distinguer entre l'action qu'on initie, celle à laquelle on pense, et celle qu'on observe (les mêmes aires cérébrales sont activées). Il faut trouver un module de discrimination supérieur. Pb qui est justement conceptuel: comment distinguer une action que j'imagine et l'imagination d'une action (si faire et imaginer qu'on fait, c'est la même chose, ou qu'il n'y a qu'une différence de degré et que ces deux activités sont fonctionnellement équivalentes (Jeannerod), on arrive à des paradoxes: l'exemple d'Alain, ne pas confondre compter les colonnes du panthéon sur le souvenir qu'on en a, et s'imaginer compter les colonnes du panthéon).

Conclusions

La théorie la plus convaincante de la psychiatrie cognitive.

La validation circulaire d'un récit psychotique de l'action automatique, de la machine qui pense, et d'une théorie mécaniste de la pensée psychotique. Univers machinique de la désubjectivation (aliénation) dont la théorie se fait le parfait reflet. Rejet de toutes les auto-interprétations psychotiques, sauf de celle-là. Très net avec la théorie des quasi-intentions: son usage potentiel de science-fiction (Parfit, télétransportation et branching, etc.) la rend affine au délire qu'elle décrit, ou bien plutôt le reformule en langage cognitiviste. Est-ce alors de l'adéquation phénoménologique? Vertige de la co-construction entre le délire et la théorie objective de ce délire (// Freud et Schreber, crédité de plus d'insight psychanalytique que Freud lui-même!). En tous cas, pas sûr qu'on sorte de la iatrogénie (imputée à la démarche du psychanalyste censé exhumer l'histoire sous-jacente et les dispositions subjectives au délire), si l'on explique à un psychotique l'hypothèse GPJ…

Plus conceptuel: une difficulté capitale avec l'objectivation du soi par les quasi-intentions: on construit une théorie descriptive du mécanisme motivationnel, mais on se heurte à l'impénétrabilité de la certitude psychotique (de l'auto-attribution d'une intention, dans le délire = de l'hétéro-attribution d'une quasi-intention). Pas de Je qui puisse résister à la dialectique imaginaire moi/autrui (Lacan). Mais il s'agit alors d'un problème de grammaire de l'intention, de sémantique de la relation à autrui, pas d'action au sens naturaliste de la motricité. Le cas des dialogues intrapsychiques avec les voix: le Je qui se bat et argumente contre les hallucinations auditivo-verbales. Faut-il alors bloquer le mécanisme de la production automatique des intentions d'action (contrôle dopaminergique, techniques du corps, etc.) ou esquisser une stratégie interpersonnelle de suppléance du Je, par des identifications idéales plus stables, par exemple investies éthiquement (cas de la mélancolie et des paranoïas dites sensitives).

Transition logique vers la théorie cognitive de la dépression, plus modeste mais liant encore une fois action, à la charnière de la motricité et de l'acte à valeur irréductiblement subjective et intentionnelle (le rapport aux idéaux), et émotion morale, (rappel du statut central de la mélancolie en psychiatrie), dans un contexte de cognitions perturbées.


heurte à l'impénétrabilité de la certitude psychotique (de l'auto-attribution d'une intention, dans le délire = de l'hétéro-attribution d'une quasi-intention). Pas de Je qui puisse résister à la dialectique imaginaire moi/autrui (Lacan). Mais il s'agit alors d'un problème de grammaire de l'intention, de sémantique de la relation à autrui, pas d'action au sens naturaliste de la motricité. Le cas des dialogues intrapsychiques avec les voix: le Je qui se bat et argumente contre les hallucinations auditivo-verbales. Faut-il alors bloquer le mécanisme de la production automatique des intentions d'action (contrôle dopaminergique, techniques du corps, etc.) ou esquisser une stratégie interpersonnelle de suppléance du Je, par des identifications idéales plus stables, par exemple investies éthiquement (cas de la mélancolie et des paranoïas dites sensitives).

Transition logique vers la théorie cognitive de la dépression, plus modeste mais liant encore une fois action, à la charnière de la motricité et de l'acte à valeur irréductiblement subjective et intentionnelle (le rapport aux idéaux), et émotion morale, (rappel du statut central de la mélancolie en psychiatrie), dans un contexte de cognitions perturbées.