la névrose obsessionnelle

8ème séance (20 avril)

 

 

Je vais reprendre sur l’idée que j’avais suggérée la dernière fois, selon laquelle on doit subordonner une analyse de l’analité à l’appareil conceptuel qui en sélectionne les enjeux, qu’on ne peut pas se contenter de repérer là où il y a de l’anal comme si c’était là des choses tout à fait évidentes, pour essayer ensuite de dériver, à partir des propriétés qu’on suppose aux excréments, au fonctionnement de la muqueuse rectale, ou à des choses de ce genre, des conséquences qui auraient une importance pour la psychanalyse. Bien sûr, ce que j’appelle l’appareil conceptuel qui sélectionne les enjeux de l’analité, c’est, toujours en psychanalyse, un appareil conceptuel dépendant du cadre formel du transfert. C’est donc de cela que je vais repartir, en faisant plusieurs choses ce soir.

Je vais d’abord essayer de montrer en quoi cette manière de procéder s’oppose à des manières bien repérables dans le champ analytique de traiter de la question de l’analité, et de l’analité obsessionnelle. Je ferai une sorte de parenthèse assez longue sur le problème de savoir comment on peut donner consistance psychanalytiquement à la notion d’analité, en examinant ce que André Green appelle « l’analité primaire » et pour capter ce dont il s’agit dans cette affaire. Et puis je terminerai en revenant sur un certain nombre de choses que j’ai déjà indiquées depuis le début de notre travail, et qui, par contraste mais aussi en rapport avec cette idée d’analité primaire, nous aident à repérer comment on s’articulent les deux types de névrose obsessionnelle que j’ai spécifiées. La névrose obsessionnelle qu’on peut considérer comme pseudo-paranoïde par exemple, ou encore de type mélancolique, où malgré la présence de symptômes obsessionnels, on a l’impression d’avoir affaire à quelque chose de beaucoup grave, si l’on peut dire, qu’une névrose obsessionnelle comme celle de l’homme aux rats. Et puis cette névrose obsessionnelle beaucoup plus phallique, comme celle qu’Ernst Lanzer apporte à Freud, et dont le profil névrotique n’inspire aucun doute.

Ce que je voudrais enfin essayer, dans cette séance, c’est de serrer toujours plus près la question conceptuelle de l’agir, qui est au cœur de la problématique obsessionnelle, et de rapporter mon analyse à cet autre fil conducteur que j’ai depuis le départ, qui est la critique de la représentation de l’affect et de la représentation, ou de l’affect et du signifiant. D’abord parce que je suis tombé un peu par hasard sur une lettre à Fliess, celle du 22 décembre 1897, où Freud dit qu’un de ses plus anciens soucis est de montrer que le « faire », dans tout son vague obsessionnel, a toujours rapport avec le faire excrémentiel, le « faire sur le pot », dit-il, comme les enfants, et que le vague même du discours obsessionnel est un vague qui vient à la fois euphémiser et abstraire le caractère extrêmement déterminé du contenu de ce verbe, de ce verbe « faire » lequel a toutes ces valeurs d’auxiliaire ou de semi-auxiliaire que vous connaissez. Donc essayer de rendre sa chair, sa « chair anale », à ce faire, à cet agir obsessionnel, pour ne pas en quelque sorte jouer le jeu de l’obsession en vidant de son contenu fantasmatique la problématique de l’agir telle qu’elle est effectivement mise en œuvre dans le symptôme obsessionnel.

Ça me servira à deux choses. La première, je l’ai mentionnée à l’instant : c’est de préciser la distinction que je crois cliniquement patente, entre deux registres de la névrose obsessionnelle, en essayant de rendre cette différence non pas quantitative – en disant que c’est plus ou moins grave, ou que d’un côté c’est plutôt de la personnalité et de l’autre des symptômes ou des choses de ce genre qu’on lit couramment dans la littérature -, mais en essayant d’attraper ce qui est en cause dans ces versions paranoïdes ou mélancoliformes de la névrose obsessionnelle, comme celle dont j’avais discutée en détail le cas il y a quelques années, et éventuellement, d’ailleurs, j’ai raconterai un autre sur le versant plus paranoïde. Donc j’en ferai un levier pour préciser ces distinctions, et montrer quel est l’enjeu de ce qu’André Green propose au titre de ce qu’il appelle l’analité primaire. Et puis, seconde chose, comme j’ai été obligé de donner le programme de l’an prochain au secrétariat, je vous montrerai comment, à partir de ce que je vais dire ce soir, je peux déjà vous indiquer pourquoi je m’intéresse à l’idée d’appareil psychique, en particulier à ce psychanalyste qui s’appelle Bion, parce que la notion d’analité primaire chez Green mobilise des concepts post-kleiniens, des concepts bioniens, et que l’on voit assez bien quel genre de consistance il essaie de donner à l’expérience en se servant de ce repérage-là.

 

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Premier point. A quoi est-ce que j’oppose cette approche de l’analité à partir de la question de la maîtrise et du transfert ?

Il y a une vision largement développée mais qui relève de l’histoire de la psychanalyse ou de la psychologie, c’est la vision psychobiologique de l’analité, qui se heurte à une difficulté centrale évidente, c’est qu’il est très difficile de dire que déféquer est un instinct, et qu’il y aurait là une sorte de pulsion qui viendrait se greffer sur un fonctionnement corporel qui serait instinctuel. En général, donc, ce qu’on appelle la psychobiologie de l’analité, c’est une certaine interprétation du « caractère anal » en termes de tempérament. Je rappelle que le caractère est un ensemble de traits psychosociaux fixés lequel contraste avec un tempérament, qui est la base psychobiologique du caractère. On met comme cela en relation les trois traits principaux de la personnalité obsessionnelle – le goût de l’ordre, l’avarice et l’obstination -, et on essaie de les enraciner dans une base psychobiologique qui fait appel à des postures de restriction ponctuées d’explosion de rage, à des crispations de la musculature, à des troubles gastriques, à des raideurs de toutes sortes, qui seraient les bases tempéramentales de ce caractère. Il y a des tentatives contemporaines pour essayer de rapporter des personnalités aux tempéraments sur des bases génétiques, qui sont il faut le dire, moyennement convaincantes. Mais qu’il y ait des tempéraments, ou des régularités de type psychobiologique, c’est assez difficile à contester. Le problème est que toutes ces bases psychobiologiques donnent plutôt l’impression de revenir à une utilisation expressive du corps pour porter à la connaissance des gens qui approchent quelqu’un qui a telle et telle posture le contenu de ses états d’âme. On a beaucoup de mal devant quelqu’un qui est coincé, raide comme s’il avait un parapluie où je pense, ou qui a les mâchoires serrées, ou qui développe une symptomatologie psychosomatique associée, etc., à bien cerner où est la cause et où est l’effet.

C’est Freud qui a mis en circulation le thème de la personnalité obsessionnelle avec ses traits d’ordre, d’avarice et d’obstination. Or, de l’avis général, les névrosés obsessionnels n’ont pas une personnalité obsessionnelle ; ils ont plutôt – si on admet ce genre de classification - des personnalités « évitantes », ou alors des personnalités « paranoïdes ». Quand on prend un échantillon de population qui développe des TOC, comme font les Américains, il n’y a qu’un quart à peine de la population qui correspond au critère de la névrose obsessionnelle[1].

D’autre part, Freud lui-même ne dit strictement rien, en tout cas dans la première édition des Trois essais sur la sexualité, en 1905, d’un rapprochement éventuel de la névrose obsessionnelle et de l’érotisme anal. C’est quelque chose qui n’apparaît pas avant 1906, avant la correspondance avec Abraham, où il commence à y avoir un rapprochement. Or, s’il y a bien un texte psychobiologique de Freud, c’est la première version, la première édition des Trois essais sur la sexualité, où il engrène son raisonnement sur le matériel de la sexologie contemporaine, et c’est le lieu même où il cherchera toujours à donner des bases de type psychobiologique à ses considérations sur la libido ou les caractères[2]. Je le cite un peu pour mémoire, il y a eu dans l’histoire du mouvement analytique une tentative d’essayer de rapporter plus ou moins confusément l’analité à des bases psychobiologiques ; elles achoppent sur les difficultés que je vous ai indiquées.

Il y a des choses beaucoup plus séduisantes, qui au lieu de mettre l’accent sur la nature, mettent l’accent sur la culture, c’est-à-dire sur la dépravation, et qui établissent toutes sortes de connexion entre l’anti-esthétique perverse ou l’anti-érotique perverse de l’analité, et en quelque sorte tel type de symptôme ou de manifestation qui permettrait de manière plus ou moins empirique de donner un appui à la fameuse thèse selon laquelle la névrose et la perversion sont dans un rapport de négatif à positif, et que, notamment, la névrose obsessionnelle serait dans ce genre de rapport avec un certain type de perversions.

Ça repose sur l’introuvable orgasme anal, qui est un objet extrêmement intéressant et problématique même encore aujourd’hui dans la sexologie contemporaine, et puis aussi sur ces références que je vous avais pointées dans la seconde partie des Cent vingt journées de Sodome, non pas à ce qu’on pourrait appeler l’analité, mais à un ensemble de pratiques particulières qu’on appelle la coprophilie. Le mystère de l’orgasme anal, c’est que c’est un orgasme qui serait purement et simplement fonction chez l’homme – c’est surtout chez l’homme qu’on en parle à cause du rôle de la prostate dans cet orgasme – d’une excitation sexuelle sans décharge à proprement parler des organes génitaux. C’est un thème branché, dans la littérature gay américaine, par exemple chez Leo Bersani, où se développe l’idée qu’il y a une expérience spécifiquement homosexuelle masculine, celle d’un type de jouissance radicalement opposable à la jouissance phallique. C’est ce qui fait notamment de Bersani, dans le milieu des études gays et lesbiennes un personnage particulier, puisqu’il ne considère pas mener un combat commun avec les lesbiennes, dans la mesure où il y aurait là autour de l’orgasme anal une expérience de jouissance exclusivement masculine, dénotant une érogénéisation particulière du corps. Autour de l’orgasme anal, vous avez des pratiques comme le fist fucking, etc., dont on aurait tort de croire que ce sont des inventions érotiques contemporaines, comme je l’ai lu, puisque j’ai trouvé dans Sade une description de fist fucking, et je crois même qu’il y a une petite note dans la Pléiade qui s’émerveille de sa découverte chez Sade.

Le problème de l’orgasme anal, c’est que, rien que quand on emploie le mot, on peut se demander si l’on peut nommer les jouissances du corps sans référence minimalement métaphorique à la jouissance phallique. Qu’il y ait des gens qui disent avoir des orgasmes anaux, sans aucune éjaculation, de manière absolument spécifique et en ne confondant pas l’expérience qu’ils traversent avec aucune autre, c’est tout à fait possible et pourquoi pas vraisemblable. Ce qui est intéressant dans l’esthétique qui s’est développée autour de ça, c’est qu’un représentant de cette érotique de l’orgasme anal en France, un gars qui est mort récemment, Guillaume Dustan, eh bien s’est intéressé au fait que le rectum sert à épuiser, si possible à la chaîne, autant de phallus en érection que possible, dans une sorte de triomphe où il s’agit d’abattre d’une manière à la fois sacrificielle et qui n’est pas sans être porteuse d’un discours poétique, où il s’agit d’abattre littéralement le primat du phallique. C’est un culte érotique qui est d’ailleurs rendu aussi bien par le pénétrant que par le pénétré dans lequel il s’agit de transformer la sodomie en liquidation du primat du phallus. Tout ceci, voyez, c’est extrêmement articulé, ça peut même se prêter à une systématique. Cela dit, c’est complexe ; des gens comme Guillaume Dustan ne viennent pas associer librement sur ce type de choses, donc on a là un point d’énigme comme avec toutes ces figures de la jouissance dite Autre, chez Lacan.

En tout cas, il y a un autre élément qui est beaucoup plus connu et central chez Freud, c’est le traitement de l’analité dans le registre de la coprophilie, puisque Freud fait de la coprophilie le point d’ancrage du fétichisme, et particulièrement du fétichisme du pied, dont Ernst Lanzer, l’homme aux rats lui-même, dans ses fantasmes, manifeste avec une très grande liberté et en même temps angoisse, la puissance évocatrice dans ses fantasmes sexuels. Et c’est un bon nombre de coprophiles et de fétichistes du pied qui font l’objet de la très intéressante correspondance de Freud avec Abraham dans ces années 1906-1910.

J’ai à cet égard beaucoup de difficultés, car on continue à appeler analité quelque chose qui est beaucoup moins là – comme vous le voyez avec Dustan – centré sur l’angoisse, et beaucoup plus centré sur le dégoût.

C’est problématique de continuer à parler d’analité, alors qu’en fait le type d’émotions qu’il s’agit de susciter, négatives ou positives, sont très distinctes. Le fait d’être obsédé par des choses dégoûtantes est un des ressorts connu des grandes névroses obsessionnelles, et en m’informant, j’ai été très frappé de voir que dans les idées contemporaines sur les TOC, quand on fait un recensement des TOC et des descriptions que les gens en donnent, on est de plus en plus certain que la contamination par exemple est quelque chose qui ne peut pas être réduit à sa composante d’angoisse, parce que c’est très souvent médié par le dégoût. Il y a donc des tentatives d’aborder les grands TOC dans le registre des phobies, déclenchées par une aversion, et qui se transforment, mais dans un second temps, en angoisse, et bien sûr en angoisses de contamination. Alors on met en évidence des choses tout à fait bizarres (dont je vous parlerai la prochaine fois) sur le dégoût. Un des points essentiels du dégoût et du fantasme coprophile, chez Ernst Lanzer, c’est la coprophagie, c’est de manger des excréments, c’est de se faire chier dans la bouche, de chier dans la bouche si possible dans la femme ou la fille de Freud – c’est un transfert très impressionnant ! Et je crois que ce transfert si impressionnant explique peut-être – peut-être - pourquoi, lorsque quelques mois après le départ de l’homme aux rats, l’homme aux loups va se présenter à Freud, et que les premières phrases de l’homme aux loups sont qu’il a envie de déféquer sur la tête de Freud – on ne sait pas ça par le cas publié par Freud, mais par ce que Sergeï Pankeieff a raconté ensuite à ses autres analystes -, eh bien Freud qui avait terminé l’analyse de Lanzer quelques mois avant s’était dit « en voilà un autre ! », et il n’a donc pas nécessairement donné toute sa place – c’est une conjecture que je fais -, au fait que c’est quand même une explosion anale extrême, invraisemblable, folle, qui prend là place parmi les premières phrases, les premières minutes de l’analyse de cet homme.

On voit donc bien comment l’accent porté sur l’analité peut masquer des différences de structures et de constructions transférentielles très importantes. Ce n’est pas parce qu’il y a analité qu’il y a névrose obsessionnelle, ni même névrose. Il faut bien penser à l’extrême proximité temporelle, et pas simplement théorique, entre l’homme aux rats et l’homme aux loups.

En tout cas, voyez qu’ici, l’analité - je prends évidemment des extrêmes chez Freud - devient plus complexe. Il est difficile de dire que vous avez simplement l’angoisse du sale, et le retour de la saleté refoulée ; vous êtes également obligé, après l’angoisse et le dégoût, d’inclure une dimension très particulière de l’analité qui est celle de la rage de dégradation - qui est assez sensible dans les déclarations de Lanzer, quand il veut aller mettre quelque chose qu’on traduit en général par de la crotte, une sorte de bouillie dégueulasse, dans les yeux de la fille de Freud. Mais ce n’est sûrement pas par ce genre de fantaisie anale qu’il commence son analyse, et l’écart avec Pankeieff doit vous être sensible, à cet égard. Je veux dire par là que ce n’est pas parce qu’on a fait une approche en termes de culture, donc de perversion, de dégradation de la réalité symbolique au moyen de déjections, qu’on est plus avancé pour cerner ce qu’est la texture de l’analité.

On peut enfin, et c’est le choix qui a été fait par Abraham, essayer de construire de grands parallèles cliniques, et notamment celui qu’Abraham construit autour de la notion d’auto-reproches, auto-reproches qui sont soit conservés sous l’empire du refoulement dans la névrose obsessionnelle, soit introjectés à partir du reproche adressé à un tiers caché,  comme dans la mélancolie : c’est l’opposition entre la névrose obsessionnelle et la mélancolie, et entre les deux facettes de l’érotisme anal. C’est curieux, mais lorsque Freud utilise l’expression « érotisme anal », il l’applique systématiquement à la mélancolie ; quand il parle de la névrose obsessionnelle, il parle toujours de « sadique-anal ». Il semble que les termes qui sont employés, c’est beaucoup plus finalement l’érotisme anal pour la mélancolie et l’hypocondrie, que pour la névrose obsessionnelle. En effet, la névrose obsessionnelle serait le versant actif de cet érotisme anal, dont on voit le témoignage dans les fantaisies non publiées de Lanzer, sauf les deux crottes dans les yeux rapportées de manière un peu tirée par les cheveux à la théorie freudienne du rêve. C’est Abraham qui va mettre la chose en circulation dans la correspondance, et ça va se terminer dans Deuil et mélancolie par de fameuses considérations sur le deuil dans la mélancolie.

Vous avez toute une problématique psychiatrique connue de l’analité, en particulier des encoprésies chez les vieillards mélancoliques, qui vont jusqu’au fécalome[3]. Il y a toute une panoplie de symptômes bien connus dans les mélancolies d’involution et les hypocondries terminales des grandes mélancolies anxieuses, qui tournent autour du bouchage des orifices du corps, et notamment de l’anus.

Mais ce qu’a développé Abraham, c’est l’idée que la perte excrémentielle, dans la mélancolie, est prise entre deux pôles. Il y a d’une part un délire d’appauvrissement, c’est-à-dire que perdre ses excréments, c’est perdre sa propre substance qui est compliquée de quelque chose qui est moins facile à observer, mais dont il donne le témoignage, et qui est l’impulsion coprophagique. L’impulsion coprophagique chez les mélancoliques est quelque chose qu’on observait au 19ème siècle, probablement aussi dans des circonstances particulières avec des gens qui n’étaient pas médiqués, qui était le fait sinon de dévorer ses propres excréments, de ronger les débris de sa propre peau, ses ongles, cheveux, de boire ses urines, etc., bref, de ne plus vouloir perdre aucune espèce de parcelles de son corps. Abraham avait rapporté ce type de manifestations, qui sont rarissimes alors que les délires d’appauvrissement par défécation sont beaucoup plus visibles, à un véritable symbolisme dans lequel la réingurgitation du mauvais objet était un moyen imaginaire de se retrouver comme inclus et rivé dans la position du mauvais objet. Et ça va arriver jusqu’à cette figure insupportable de la plainte mélancolique dont Abraham donne la clé symbolique, en disant qu’il s’agit véritablement de ne plus pouvoir « chier le mort », lequel reste littéralement incrusté à l’intérieur de l’endeuillé, sans pouvoir le quitter en tant que personne, et qui le ravage comme une personne transformée en fécalome psychique inexpulsable. Le mélancolique abrahamien ne peut plus l’expulser, et il est voué à le sentir avec haine et auto-reproche s’agiter en lui, et progressivement prendre sa place.

Il y a tout un côté évidemment grand guignol kleinien, dans ce genre de présentation, mais il faut bien se rappeler que nous parlons là de patients qui n’étaient pas émoussés par les antidépresseurs ni les régulateurs d’humeur, et qui étaient donc capables de donner une certaine fantaisie à leurs élaborations mélancoliques. D’autre part, on a le sentiment, quand on manipule cette grammaire affective un peu répugnante, de toucher du doigt des possibilités d’empathie avec certains enfouissements mélancoliques profonds, qui nous donnent l’impression de quelque chose de beaucoup moins rationnel et de beaucoup plus affecté dans le deuil, autrement dit dans l’impossibilité d’expulser un objet interne absolument mauvais. Au fond, ce n’est pas tellement que nous parlons un langage de rêve, ou bien un langage de fantasme pour expliquer les rêves ou les fantasme – qui est le reproche qu’on fait aux kleiniens : comment voulez-vous expliquer les fantasmes si vous expliquez les fantasmes par d’autres fantasmes ? –, mais c’est une manière de se positionner par rapport au discours du mélancolique, du grand délirant, voire de discours mélancoliques carrément schizophréniques, et de se mettre davantage sur un plan d’immanence duquel on élimine les effets de surplomb. C’est ça je crois qui fait la force des positions kleiniennes, notamment avec les enfants : vous entrez dans le langage du cauchemar pour parler du cauchemar avec celui qui cauchemarde. La théorie est alors la mise en acte de son contre-transfert par l’analyste, en fonction du transfert qu’il y a sur lui, et où l’on voit très bien que la manière de recevoir ce qui est dit par un enfant ou par un grand délirant – les deux objets des kleiniens – interdit de tenir sur eux un discours pseudo-objectivant. C’est au contraire de mettre à l’épreuve sa capacité psychique, son propre appareil psychique d’analyste, à manipuler des représentations et des affects aussi bouleversants pour l’enfant ou le délirant que pour vous, qui met en évidence quelque chose que votre propre appareil psychique peut abriter : la folie, ou le symptôme très grave de la personne dont vous vous occupez.

Je referme cette parenthèse, mais c’est une manière de dire qu’il y a une position dans le kleinisme qu’il ne faut pas réduire à celle de la théorie fausse. Les post-kleiniens croient beaucoup au contre-transfert (contrairement à Melanie Klein), et ils en font un usage qui leur sert à minimiser les attitudes de surplomb, les attitudes objectivantes, de manière à ce qu’on soit pleinement et sans faux-semblant dans la mise en jeu de l’analyse de l’analyste et de l’appareil psychique que l’analyste s’est construit par son analyse, puis seulement alors dans l’empathie, la réparation et la compréhension de ce qui est en cause chez le patient. Il faut donc faire attention à ne pas dire qu’il s’agit de débordement imaginaire dans lequel il faudrait mettre un peu de forme ou de structure pour que ça tienne debout.

 

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Voilà qui me fait une petite transition pour introduire un auteur – André Green - qui suscite largement la polémique, surtout chez les lacaniens, et qui s’est intéressé justement – puisque Green est un grand lecteur de Melanie Klein, Winnicott, Bion, Masud Khan, c’est-à-dire de toute l’école britannique – à ces symptômes où l’on pourrait dire qu’on a affaire à des personnalités obsessionnelles quasi-paranoïaques, d’une grande dureté, généralement considérées comme inanalysables – car ce qui intéresse fondamentalement Green, c’est l’inanalysable, les borderlines, c’est-à-dire tout ce qui porte à sa limite l’analyse même de l’analyste. L’analyste, en effet, lui, a un Œdipe, et il est alors obligé de se déplacer dans une sphère qui n’est plus tout à fait la sienne, du moins celle dans laquelle le travail créateur de l’analyste est mis en cause par le fait que les types de structure dont il s’approche sont des structures qui manipulent des éléments beaucoup plus archaïques que ceux que justement l’Œdipe nous permet de ne pas rencontrer dans leurs formes déchaînées, monstrueuses, bref… kleiniennes !

Vous reconnaissez donc ce qu’on appelle les borderlines, qui sont caractérisés généralement par des agirs dramatiques, par des expériences de vide mental très intenses, qu’on rapporte en général à des défauts primaire de la symbolisation, quoique ces défauts de symbolisation ne vont pas jusqu’à mettre en péril le rapport à la réalité, ils ne sont pas des délirants, des psychotiques au sens de la psychiatrie. Les états-limite ont ensuite cette singularité clinique qui en fait un objet si préoccupant - même les études les plus anti-freudiennes reconnaissent aux psychothérapies analytiques une utilité exemplaire avec ces patients -, qui est liée au danger particulier qu’ils présentent. C’est que c’est au moment où le borderline va très bien qu’il se suicide. Il y a une sorte d’effet de tromperie du mieux-être du borderline, qui oblige à une extrême précaution. Ce que Green accepte, comme Kernberg, c’est donc un registre qui ne serait pas paranoïaque tout en étant pas non plus névrotique, et qui a une consistance difficile à cerner dans les catégories lacaniennes, puisqu’on ne sait pas bien si on a là affaire à une sorte d’exubérance imaginaire menaçante, ou un défaut d’articulation symbolique, et si l’on a un défaut d’articulation symbolique, on est plutôt tenté de dire que c’est soit de la psychose soit de la névrose, mais qu’il n’y a rien entre les deux.

Le point de départ de Green, pour parler de l’analité primaire, qui est une des structures à partir desquelles on peut mettre un ordre psychanalytique dans ce fatras de cas repérés comme borderlines, le point de départ de Green est transférentiel.

C’est en effet une particularité de la relation transférentielle, explique-t-il dans un texte qui a 20-25 ans, que pour certains patients, le problème n’est pas que le psychanalyse a un pouvoir, mais qu’il est la (toute-)puissance. Les gens qui sont sur le divan traitent l’analyste non pas comme quelqu’un qui peut quelque chose, mais à partir du moment où ils sont dans un rapport transférentiel, il n’y a du côté du fauteuil qu’une angoisse et un défi qui est lancé – car ils ne sont pas écrasés du tout par cette toute-puissance qu’ils voient du côté de l’analyste -, quelque chose qui est toujours de l’ordre d’une sorte de tout, qui les empêche du coup d’avoir un rapport thérapeutique, puisque soigner n’est pas un pouvoir de l’analyste, mais l’expression ultime de sa toute-puissance, et que c’est évidemment au titre de cette imputation de toute-puissance, qu’un mieux thérapeutique peut être effectivement, transformé en occasion de se suicider, de s’auto-mutiler, bref, de faire des choses terribles pour échapper à cette toute-puissance qui impose même jusqu’à la guérison ou le sentiment d’aller mieux. Avec évidemment, en miroir, l’idée de réduire à l’impuissance l’analyste, et de ponctuer – c’est quelque chose je crois qu’on voit relativement souvent en pratique – le développement de la cure de manifestations dont on se demande quelquefois si elles ne sont pas franchement paranoïdes, notamment avec des espèces de devinement de la pensée dont le patient de sent l’objet sur le divan.

J’ai déjà parlé d’un patient que j’ai reçu, qui avait un symptôme qui évoque nettement un symptôme de Lanzer, qui est de croire qu’il y a des rêves prémonitoires : il y a les rêves pour moi, dans la cure, interprétables, et puis les rêves qui sont vraiment prémonitoires, et qui sont hors-analyse. Ce qui fait que vous avez là une sorte de point un peu étrange dans le transfert, qu’il convient de ne pas trop bousculer à la fourche, car si on vient attaquer quelqu’un qui croit à la présence en lui de productions mentales qui lui disent ce qui va se passer, ses réactions deviennent carrément paranoïdes. Et c’est uniquement à son propre rythme, qu’il peut d’ailleurs se défaire de cette idée que ces états de pseudo-certitude sur le futur sont plutôt des « crampes » dont il peut se défaire tout doucement et avec prudence, et non des communications surnaturelles, un peu lorsque Freud note que ce n’est pas simplement dans son enfance que l’homme aux rats pensait que ses parents devinaient ses pensées, mais qu’au fond, ça a toujours été son mode de vie. Vous vous souvenez que même lorsqu’il va voir Freud, il y a ce rapport à l’analyste qui fait que lorsqu’il lui dit « je suis un sale type et vous allez me foutre dehors », il pense que Freud devine ce qu’il pense. Il y a donc une dimension dont il faut bien voir qu’imaginairement elle peut ressembler ponctuellement, de manière inquiétante d’un point de vue clinique, à de la paranoïa.

Or, ce qui caractérise la fixation particulière de l’analité primaire, c’est que ce n’est pas exactement la fixation de la pulsion à un stade antérieur, c’est une fixation narcissique au conflit. Je ne sais plus où j’ai trouvé cette formule, mais Green dit « plutôt non à l’objet que oui à soi ». Ce « plutôt non à l’objet que oui à soi » n’est pas une position objectale, ce n’est pas une position pulsionnelle. C’est une sorte de narcissisme négatif, de narcissisme « de mort », comme dit Green, dont il faut apprécier la qualité dans ce que ça peut avoir de court-circuit par rapport à la vie pulsionnelle. Et ça se manifeste de manière exemplaire dans une situation transférentielle, où ce n’est pas que l’analyste est à un point particulier du parcours un tenant-lieu de la mère, mais au moment où le psychanalyse est la mère. Il y a des moments de raidissement dans lequel il devient impossible de dissocier l’Autre dont le lieu est symboliquement occupé par un silence, une relance, ou une poignée de main, ou l’encaissements des honoraires, mais par quelque chose d’extrêmement compact qui donne un sentiment plus primitif qui est cet Autre sur lequel le déchaînement projectif est tel que l’association elle-même donne le sentiment de ne pas être un commentaire sur ce qui vient à l’esprit, mais une mise en acte parlée des images qui remontent de façon intense, et remonte de ce qu’on a bien envie d’appeler un fond archaïque du patient.

C’est une finesse de Green à cet égard de montrer qu’on a des éléments où l’on reconnaît très bien la haine de l’obsessionnel, la tension constamment tamponnée qui fait qu’il s’adresse à l’analyste sur le mode de l’avoir fixé à une position où chacun se pétrifie et se rive dans des positions bloquées, mais où, en quelque sorte, la position de l’Autre et les imagos qui viennent à être invoquées à la place où la parole est adressée à l’analyste, eh bien ces imagos ont une caractéristique oedipienne qui est encore la triangulation - on voit bien qu’il s’agit de passer du père à la mère, etc. -, mais, dit Green, avec une particularité très intéressante. Cette particularité très intéressante c’est que la différence entre les imagos parentales n’est plus celle des sexes, mais celle du bon au mauvais.

On ne tourne pas ici autour de la question de ce qui a pu se passer sexuellement dans la scène primitive entre les parents, mais de la question de savoir qui des deux est le bon, et qui est le mauvais, dans une sorte de dégénitalisation ou de prégénitalisation qui est tout à fait mise en acte par le type de discours paranoïde que tient le patient. C’est là nettement différent du standard kleinien de la séance où, dès que le patient entre, il sort de la scène primitive : dès qu’il ouvre la bouche, il est chu, il est expulsé du rapport sexuel entre les parents, et il vient associer, autrement dit révéler les traces de cette expulsion du rapport sexuel entre les parents, chacun de ses propos ne venant que témoigner du lieu inconscient dont il est exilé. Là, on a affaire à quelque chose où les parents ne sont pas constitués comme étant de sexes différents, et il ne s’agit plus d’un rapport sexuel dont il est expulsé : il est expulsé comme mauvais objet, tantôt par l’un, tantôt par l’autre, tantôt par les parents combinés, et du coup la sexualisation de sa propre position, en tant qu’il parle, devient extrêmement problématique.

Le troisième point essentiel de cette position, c’est que Green observe - et c’est je crois extrêmement sensible dans toute névrose obsessionnelle très grave, et notamment dans ces névroses obsessionnelles borderlines qui ont l’air plus archaïques que ce qu’on appelle la névrose obsessionnelle bien phallique chez Lanzer -, il note ces bascules identificatoires soudaines, qui ne sont pas tout à fait du transitivisme, mais qui sont néanmoins à prendre au pied de la lettre, comme lorsque le patient dit : « Quand vous avez prononcé ces mots, je me suis senti extraordinairement soulagé », comme si le patient se soulageait dans l’analyste, dans les paroles mêmes de l’analyste, en étant, comme de l’intérieur même des paroles prononcées par l’analyste, dénoué de son symptôme ou de sa souffrance. Ce qui fait qu’on a le sentiment inquiétant de faire une interprétation à un psychotique, puisqu’il ne s’agit pas du tout pour lui de s’approprier comme d’une vérité tierce le contenu de ce que l’analyste interprète dans, mais qu’on a l’impression que la parole même de l’analyste est venue se greffer dans le flux mental du patient au point que sa conscience d’être lui-même, séparé, détaché, etc., est ponctuellement abolie, et qu’il devient l’effet imaginaire – il se projette - du moi de celui qui prononce l’interprétation, ce qui est extrêmement particulier. Ce type de phénomènes, je suis embarrassé pour les décrire, car il est clair que si on a une conception je dirais binaire des positions de l’analyste - soit la place du grand Autre est barrée, soit elle ne l’est pas, il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, il n’y a pas de milieu entre la barre et l’absence de barre -, vous voyez qu’on est mécaniquement poussé par la notation formelle des repères du transfert, à dire que tant que l’Autre est barré on se situe dans une constellation névrotique, et quand l’Autre se présente sans barre, avec ces effets imaginaires, on est obligé de considérer qu’on a affaire à de la psychose. Néanmoins, voyez que ces effets de se sentir soulagé comme si on était en quelque sorte soulagé dans les mots mêmes de celui qui nous soulage, comme contenu de son contenant, ça n’a pas grand-chose à voir avec du transitivisme, puisque le transitivisme c’est se prendre pour un autre quelconque, tandis que là c’est vraiment sous la dépendance du transfert qu’il y a du (quasi-)transitivisme, et limité à ce qui se joue dans le transfert.

Je crois qu’on aurait un peu de mal à nier que tout ceci recouvre des réalités cliniques palpables. D’abord parce qu’on peut lire toutes sortes d’auteurs post-kleiniens, on peut lire Rosenfeld, on peut lire Bion, et pas seulement Green, et trouver un certain nombre de positions conceptuelles étayées sur une clinique qui raconte ce type de choses. En même temps, le problème est de comprendre comment en faisant cela on ne sombre pas dans une sorte d’impressionnisme, où en renonçant à l’articulation un peu binaire que j’évoquais tout à l’heure – grand Autre barré, grand Autre non barré -, finalement, on jette sa propre théorisation en pâture à la fantasmatisation contingente du patient qui nous apporterait des faits bizarres.

C’est là que les choses sont intéressantes.

Green fait observer que ce qu’il appelle ici l’analité primaire n’est pas tant quelque chose qui serait régressif et donc « moins construit » que ce qui se situe au niveau oedipien, il fait valoir qu’on a là affaire à un appareillage particulier. Et ce que je propose d’entendre là-dedans, c’est une certain référence à l’idée d’appareil psychique selon Bion, ce qui fait de l’analité primaire l’appareil psychique minimal ; autrement dit, ce qu’on suppose lorsque quelqu’un devient capable d’aller demander une analyse, et d’entrer dans un dispositif transférentiel minimal.

C’est pour cela que quand je parle de montage ou d’appareillage, je ne voudrais pas que le mot d’imaginaire soit utilisé ici au sens lacanien avec référence au stade du miroir, ou au sens plus vague que l’imaginaire a souvent chez Lacan quand ça connote la signification ou des choses de ce genre.

Cet appareillage repose sur au moins deux données.

D’abord sur une articulation de l’intérieur à de l’extérieur, qui est une articulation à deux niveaux. Il n’y a pas simplement dans l’analité primaire le rapport de l’intérieur à l’extérieur, qui est un rapport d’expulsion, qui est le rapport de la décharge de rage de l’obsédé, mais un rapport de l’intérieur à l’intérieur lui-même, c’est-à-dire un rapport de rétention. L’opposition entre l’expulsion et la rétention, qui est une des oppositions fondamentales de la personnalité obsessionnelle, construit un appareil psychique dans la mesure où lorsqu’on va de l’intérieur à l’extérieur, l’intérieur qui va vers l’extérieur est lui-même un intérieur qui a un intérieur : la rétention c’est précisément garder l’intérieur à l’intérieur. On n’a donc pas simplement le franchissement d’une limite, mais l’organisation d’une double limite, où l’extérieur permet de penser un intérieur qui a lui-même un intérieur, à l’intérieur de quoi sont retenus les objets internes. Evidemment, je pense à des phénomènes bien connus dans la névrose obsessionnelle comme le jeu de la rétention des excréments dans le rectum qui est une pratique de masturbation anale immanquable dans les cas de névrose obsessionnelle. Mais je crois surtout que ce à quoi on a affaire ici, c’est véritablement à la fantasmatique du faire, de l’agir, et du rapport à soi qui est charnellement et imaginativement – plutôt qu’imaginairement – constitutive de la pâte du flux psychique dans le fantasme de l’obsessionnel, cet espèce de travail de l’intérieur à l’intérieur, et de rumination de l’objet psychique « à l’intérieur de l’intérieur ».

La deuxième chose importante à marquer dans cet appareillage, c’est qu’il produit un circuit élémentaire qui n’est pas dans le sens de l’expulsion, mais dans le sens de l’assimilation, soit de ce qui vient du dehors à l’intérieur, selon une boucle oro-anale. C’est une chose qu’on trouvait chez le maître et l’analyste d’André Green, Maurice Bouvet – qui est cet analyste dont se gausse Lacan bien à tort, car en fait il ne s’en gausse pas, il est très impressionné par la construction très orthodoxe, très classique que fait Maurice Bouvet de la névrose obsessionnelle. Maurice Bouvet en effet avait beaucoup insisté sur ce dispositif qui fait qu’entre le sein et l’anus, se dessine un espace où ce que donne le sein, on met un certain temps à l’assimiler, on en sélectionne une partie, on clive la bonne et la mauvaise partie, et la mauvaise partie vient à être expulsée à l’autre bout du tuyau et du processus. Et le soi, c’est ce qui existe « entre » la bouche collée sur le sein et l’anus, donc entre deux excitations, l’ensemble de ces processus psychiques absorbant sur le mode du sein un objet qui est ensuite clivé à l’intérieur du sujet et retenu pour ce qu’il y a de bon et rejeté pour ce qu’il y a de mauvais, ce processus dessinant l’espace primaire du soi. Un aspect important de cette transition temporalisée entre ce qui est pris du sein et ce qui est rejeté de manière anale, c’est que ce qui est rejeté a au moins cette consistance d’être le degré zéro de l’objet, si j’ose dire, d’être l’objet « quelconque », dédifférencié. Ce qui est rejeté non seulement est mauvais par rapport à ce qui retenu, mais est mauvais tout en étant quelconque. C’est-à-dire que c’est ce qu’on ne veut pas, mais parce que « ça n’a pas de signification pour moi », et du coup l’analité, le fait de s’emmerder, le fait que tout soit égal à tout, le fait que la réalité se fonde dans une grisaille insupportable où les gens sont interchangeables à l’infini, ce rapport onirique et fantasmatique à la réalité est produit sur la base du fait qu’il y a l’intérieur de l’intérieur, lequel est justement ce soi qui se trouve entre la bouche-au- sein et l’anus expulsant l’objet quelconque.

Je rappelle que cette vision minimale du vivant comme un tore, où quelque chose rentre et sort, c’est la vision aristotélicienne, puisque dans Les parties des animaux, c’est ainsi qu’est défini le vivant, que ce soit la plante ou l’animal : la plante a sa bouche enfoncée dans le sol et c’est pourquoi elle ne peut pas bouger, tandis que l’animal a sa bouche au-dessus du sol et peut donc manger en se déplaçant. Ce qui fait d’ailleurs, chez Aristote, que l’animal le plus malheureux dans L’histoire des animaux est le poulpe, puisque le poulpe a la bouche juste à côté de l’anus, qu’il se nourrit au milieu de ses déjections, et que dans la hiérarchie des perfections, être poulpe est la pire chose qui puisse vous arriver ! En revanche, puisque ça a l’air de vous faire rire, l’animal suprême, c’est la grue, puisque la grue tourne en rond autour du cosmos et ne se pose que dans un seul endroit, en Egypte. Elle tourne autour du cosmos en imitant la forme parfaite, et même en Egypte c’est un animal tellement sacré que pour ne pas se souiller, elle va d’un pied sur l’autre et ne met jamais les deux pieds sur le sol, ce qui est une preuve de son dégoût des réalités de ce bas monde — d’où l’expression « faire le pied de grue » qui existe en grec aussi !

Bien, revenons à des choses horribles !

Pourquoi est-ce que c’est bionien, cette conception que je tire de l’analité primaire chez Green ? Parce qu’il y a appareil psychique à partir du moment où il y a une transformation et un traitement des particules qui de l’extérieur franchissent une première limite, et sont contenues dans une deuxième. Vous reconnaissez l’hyper-abstraction bionienne dont nous verrons plus tard l’espèce d’algèbre étrange. Mais cette algèbre étrange est faite de manière à avoir prise, de manière assez structurale en réalité, sur tout ce que vous pouvez placer ici qui serait de l’ordre de la perception du monde extérieur, de l’endoperception, de la décharge de plaisir, de l’image de rêve, de l’hallucination, du fonctionnement organique, et toute la difficulté est de construire et de se construire un appareil psychique dans lequel il y a un intérieur de l’intérieur par rapport à quoi l’extérieur devient quelque chose qui est l’extérieur de cet intérieur. Et de cet intérieur un extérieur s’esquisse et se dessine. Là, vous avez la matrice topologique, au sens où Bion va construire une topologie que je comparerai l’an prochain à celle de Lacan, et des buts qui sont poursuivis par l’abstraction bionienne par rapport à l’abstraction lacanienne, vous avez là déjà les conditions minimales d’un appareil psychique.

Pourquoi est-ce que Green appelle cette analité « primaire » ? Ce n’est pas parce que c’est chic, c’est parce que du coup vous mesurez qu’il y a une analité secondaire, que nous pouvons envisager régressivement par rapport à l’Œdipe, par rapport au stade oedipien, au moment où l’Œdipe se constitue.

Effectivement, à partir du moment où on a une mise en place œdipienne, on a déjà de façon très classique dans l’histoire de la psychanalyse, on a deux types d’analité : l’analité féminine et l’analité féminine. L’analité féminine est celle qui fait que le vagin et le rectum sont deux cavités homologues, qui fantasmatiquement dans les théories sexuelles infantiles, c’est le lieu qui donne accès à l’intérieur et qui rend perplexe les petites filles sur le « comment » quelque chose peut se produire à l’intérieur du corps de la mère comme la production d’un enfant. Donc il y a cette espèce d’identification du vagin au rectum, par la théorie cloacale de la naissance qui exerce ses ravages sur les fillettes autour de 5-6 ans. Et puis, chez les garçons, vous avez cette espèce de transformation si problématique du pénis anal en pénis génital, c’est-à-dire comment sous le regard de la mère, qui sollicite l’étron, la valeur de ce qui est à l’intérieur du corps sous cette forme pénétrante, s’inverse comme capacité à pénétrer qui va investir le pénis dans la phallicisation progressive – cette phase est avant la phase génitale – du petit garçon. Il y a donc toujours chez le petit garçon, dans sa fantasmatique, la présence classique dans toute analyse, de la sodomie par le père, où des diverses activités homosexuelles qui vont revenir à titre de fantasmes masturbatoires pendant la puberté. Tout cela est très banal dans l’onirisme et dans les cures d’enfant, dans les théories sexuelles des enfants, puisqu’en tout cas dans les cures d’enfant c’est la seule analité à laquelle on a affaire, puisque les patients comme la petite Erna de Melanie Klein qui sont déjà paranoïaques à 7 ou 8 ans, ce sont quand même des cas plus rares.

Donc, ce qui est intéressant dans l’idée de « primaire », c’est que ça permet de séparer une analité structurante du du soi - d’un minimum d’organisation du dedans, du dehors, de la temporalité, de la sélection du bon objet, de l’articulation au sein, à l’Autre, de l’étayage à la réalité, etc. -, d’une part, et d’autre part, cette analité conçue par régression à partir de l’Œdipe, qui est l’analité à laquelle on a affaire dans la névrose viennoise standard. Donc elle n’est pas primaire au sens d’un génétisme naïf, au sens il y aurait d’abord la primaire et ensuite la secondaire ; elle est primaire – mais ce ne sont pas les termes de Freud, en tout cas pas ceux de Green – au sens d’une position, c’est-à-dire d’un mode d’instauration du soi face à l’Autre, lequel, c’est pourquoi je parle de position, est un mode d’instauration ubiquitaire : c’est une modalité de lecture du transfert dont il s’agit ici.

Penser l’analité primaire, penser la façon dont certains phénomènes archaïques peuvent émerger dans une cure, c’est une manière d’en repérer la configuration et de l’articuler à ce qui est généralement traitable uniquement au niveau des imagos œdipiennes constituées. C’est essentiel au repérage de ces moments-limites qui intéressent éminemment Green, quand l’identification projective n’interroge pas chez l’Autre le rapport sexuel des parents, mais plutôt si dans l’Autre c’est bon ou mauvais. Ces coordonnées post-kleiniennes et bioniennes que je souligne dans la théorie de l’analité primaire concernent je crois un type particulier de cas de névroses obsessionnelles, ces névroses obsessionnelles soit paranoïdes soit mélancoliformes dont Rosenfeld a donné des descriptions impressionnantes, mais qu’on peut également trouver chez des auteurs plus anciens pré-kleiniens dans le registre des caractéropathies, chez Reich par exemple.

Si j’insiste sur la substructure théorique, chez Green, de cette analité primaire, c’est parce qu’il voudrait nous la vendre avec une certaine interprétation de « l’homme aux loups ». Mais on n’a pas besoin d’acheter les deux. On peut se contenter de retenir cette construction de l’appareil psychique qu’il propose autour de l’analité primaire, sans avoir besoin de toute cette exégèse qui mettrait en continuité l’homme aux rats, l’homme aux loups, et un certain nombre d’autres cas.

En tout cas, l’appareil psychique ici, dans l’analité primaire, est un ensemble de pures relations, et c’est pourquoi je parlais de position. Et non seulement de relations, mais de relations de relations, à partir d’éléments perceptifs, oniriques, verbaux, qui donnent une consistance au self. Et à partir du moment où cet appareil psychique est ici envisagé non pas comme un effet de dégradation et de retour au chaos par rapport à l’idéal de la bonne forme œdipienne, il devient possible, précisément parce que ce n’est pas un chaos, de penser comment cet « appareil anal primaire » – si je peux inventer ce concept -, est lui-même susceptible de sombrer dans le chaos. Autrement dit, comment il peut y avoir entre les relations de relations qui constituent l’appareil anal primaire, « attaque contre les liens » - pour parler comme Bion – et dissolution de certaines connexions essentielles de cet appareil psychique de base.

Voilà qui nous fait voir, et c’est intéressant d’un point de vue épistémologique, l’intérêt de l’apport de Green à la théorie de la névrose obsessionnelle. Ce n’est pas tellement qu’il ait comme tout le monde dit que la névrose obsessionnelle était ce qu’il y a le plus difficile et de plus intéressant, etc., c’est qu’il a isolé l’analité comme étant le point organisateur central qui fait difficulté dans le psychisme, et auquel on a accès notamment par la névrose obsessionnelle. C’est je crois, épistémologiquement, le truc intéressant à retenir de Green : c’est qu’on s’aperçoit qu’il y a une analité qui donne une consistance non-phallique au sujet, mais qui reste une consistance. Ce qui ouvre des perspectives je crois non seulement sur les pseudo-névroses obsessionnelles paranoïdes, mais aussi peut-être de relire de façon moins méprisante et sarcastique les grands textes d’Abraham sur la mélancolie, et pourquoi pas, c’est ce que j’essaierai de vous montrer l’année prochaine, les auteurs britanniques contemporains de la lignée de Rosenfeld, et de voir ce qu’ils ont à dire - précisément parce qu’ils ne sont pas dans cette opposition névrose / psychose qui est cardinale et structurante chez Lacan – du traitement des psychoses, et ce qu’est l’analyse d’un analyste dont l’appareil psychique serait simplement articulé à celui d’un patient psychotique de manière à y produire un effet qu’on appellerait une cure. Voyez, ce sont des questions tout à fait centrales.

J’emploie avec beaucoup de soins l’expression d’appareil psychique plus que de moi, parce que vous voyez que le self est du côté de l’appareil psychique, et se distingue tout à fait du moi en tant qu’instance. La seule manière d’avoir une vision qui ne soit pas naïve du self, c’est de donner du self une métapsychologie autonome qui est celle précisément de l’appareil psychique. Et je vous rappelle que self, en anglais, n’est pas un terme substantif, c’est un terme relationnel. C’est-à-dire quand vous dites self-ownership, ce n’est pas la propriété « du » soi par « le » soi, c’est l’auto-appropriation. Il faut toujours entendre self comme on entend auto-, et non pas le self comme une entité qui serait comme une sorte de moi en plus chic. Self a toujours une valeur fondamentalement relationnelle et réflexive, et ce n’est pas une substance.

C’est précisément en ce sens que Bion pensera la notion de lien, et d’attaques contre les liens, et de liens de liens, comme la possibilité abstraite de constituer un appareil psychique sur des bases strictement relationnelles, dont self est le raccourci relationnel, et non pas substantiel. Il est même tellement relationnel que l’appareil psychique est aussi bien le cadre de la cure, et c’est parce qu’il est le cadre de la cure que le self de l’analyste peut effectivement y jouer un rôle cadrant, au sens fort.

Si je fais cette distinction, c’est que ça devrait modifier notre appréciation de ces cas énigmatiques où on a l’impression qu’on n’a pas affaire à un névrosé obsessionnel, mais, comme on pourrait dire dans la conversation courante, à un paranoïaque qui tamponne ses réactions paranoïaques avec des mécanismes obsessionnels — tout en se disant in petto que s’il était vraiment paranoïaque, il n’y aurait pas ceci et cela, et qu’apparemment on a quand même bien un transfert « résistant ». Parfois on est dans des situations délicates pour porter un jugement définitif sur ce à quoi on a affaire.

Je crois que le statut de la haine est extrêmement intructif dans ces hésitations. Chez Freud, où il n’y a pas de concept de self, la haine est rapportée au moi, sur le mode du rejet de ce qui déplaît, et que donc tout ce qui déplaît, c’est-à-dire tout ce qui nuit aux pulsions d’autoconservation, tout ce qui est déplaisant au sens où le moi-plaisir s’oppose à l’irruption de cette épine qui provoque de la ré-pulsion, fait que le rapport du moi à la haine permet à Freud de récupérer tout le vocabulaire dominant à l’époque de « l’affirmation de la volonté », au chef de la fameuse pulsion d’emprise, de la maîtrise, etc. Au fond, la racine de l’affirmation de soi, donc de la maîtrise, c’est cette haine qui expulse du moi-plaisir tout ce qui lui est intolérable. Freud a quand même été fort conscient des limites radicales de sa conception. Je ne sais plus où, je crois que c’est dans Pulsions et destin des pulsions, il fait cette observation très fine selon laquelle « une pulsion ne peut pas haïr l’objet ». C’est une chose absolument remarquable, car dire qu’une pulsion ne peut pas haïr l’objet - on se situe avant la notion de pulsion de mort - c’est dire que toute pulsion, d’une certaine manière, a déjà admis l’objet par rapport auquel elle joue en alimentant la ré-pulsion. Il ne peut pas y avoir une répulsion qui n’ait pas déjà admis et sinon assimilé, en tout cas touché à l’objet même sur quoi va s’exercer la répulsion. Il n’y a du dégoût que du goûté, je dirais. Pour avoir du dégoût, il faut quand même que la chose vous ait touché le bout de la langue, et de là il peut y avoir répulsion. C’est pour ça que la haine est l’un des chemins qui mène à la pulsion de mort : lorsqu’il dit qu’une pulsion ne peut pas haïr l’objet, il est sûr qu’une pulsion d’autoconservation ou du moi, et sexuelle, a nécessairement goûté à ce qu’elle rejette. Il va donc se trouver devant la difficulté de cette ex-pulsion radicale, de quelque chose qui n’est pas simplement ré-pulsion (« On y a goûté et on n’en veut pas »), mais une mise à distance originairement constitutive, un « non » qui est un rejet haineux.

C’est cette problématique-là que la notion d’appareil psychique permet d’envisager. L’appareil psychique anal est ce qui permet de haïr, et non pas ce qui nous réduit à haïr.

Déjà, haïr est un processus remarquablement organisé. Je crois que c’est fondamental, car tout cela est hyper-abstrait mais d’une extraordinaire concrétude dans le maniement du transfert. Il y a des tas de névroses obsessionnelles où la voie du soin du patient consiste à ce qu’il discerne que la haine est un pouvoir, et non un effondrement. Les gens savent très bien que la haine est un ressort chez eux. La manière dont beaucoup d’élans vers la justice sociale chez les obsessionnels sont alimentés par une haine féroce du genre humain, c’est quelque chose dont il ne faut pas sourire, au sens où c’est la condition même de l’appareil psychique, que d’avoir la haine comme pouvoir et non à tous coups comme cette négativité uniquement destructrice qu’au nom d’on ne sait quel bien, on devrait condamner. En tout cas, l’expérience montre que la réalisation d’à quel point la haine est un pouvoir est un des facteurs essentiels en cause dans l’interminabilité de certaines cures d’obsessionnels. Ce qui les rend interminable, est souvent est souvent le fait qu’il y a une étrange répugnance du langage commun à admettre que la haine est un pouvoir. Cet espèce d’inassimilabilité de la positivité psychique de la haine, positivité qui ne peut qu’être psychanalytique – le sens commun ne peut pas trouver dans la haine un bien quelconque -, est un des facteurs je crois essentiel dans l’insolubilité du transfert obsessionnel, parce qu’il y a quelque chose qui pour se dire là, fait difficulté. S’il y a donc une interminabilité légitime de certaines cures, elle est peut-être liée à cela : ce que doit inventer l’obsessionnel est particulièrement pénible pour lui, et parfois introuvable au moment de la reconnaissance de la fonction de la haine comme puissance, comme fonction, comme capacité, dans la constitution même de son appareil psychique. C’est là où les obsessionnels sont éthiquement instructifs.

En tout cas, vous voyez qu’une conception de ce genre, que je formalise un pas au-delà de ce que Green raconte, est beaucoup moins naïve que l’idée intuitive selon laquelle la névrose obsessionnelle serait exclusive de la psychose, ou que la névrose obsessionnelle servirait de pare-psychose : juste avant que ça s’effondre, il y aurait le palier de la névrose obsessionnelle où les relations d’objet sont maintenues de la façon la plus vigoureuse, au prix de la maladie. Pourquoi est-ce moins naïf ? Parce que ça vous montre plutôt que d’être dans une logique de la régression ou de l’ultime rempart, ça vous montre la consistance du rempart, et l’articulation interne de cette analité, comme seuil minimal pour l’existence de l’appareil psychique.

 

*

 

Je voudrais vous apporter une deuxième chose ce soir, après cette discussion sur l’analité primaire.

Je voudrais en effet faire bouger un petit peu la conception commune, qui dit que l’obsessionnel est quelqu’un qui traite tout désir de l’Autre, tout désir qui vient de l’Autre, de Alio, comme latinise Lacan (au sujet de l’Autre et venant de lui), comme une demande. En plus, l’obsessionnel traite tout désir qui vient de l’Autre comme une demande qui exige en réponse la positivation de l’objet, c’est-à-dire que ce qu’il veut, c’est mon travail, c’est de l’argent, c’est mon pénis, etc. Cette positivation de l’objet donne sa coloration pseudo-perverse à certains symptômes obsessionnels, comme par exemple le collectionnisme, qui peut aller jusqu’à l’accumulation la plus insensée, l’incapacité à jeter des objets, etc. L’idée que je voudrais proposer pour faire bouger cette conception commune - mais qui est tout à fait opératoire, je ne dis pas qu’elle est fausse -, pour essayer de montrer comment on peut peut-être l’affiner et la connecter à ce que je viens de dire dans la première partie de mon exposé, ce soir, c’est une chose très simple, c’est que l’obsessionnel se maîtrise pour ne pas affecter l’Autre.

Ça, c’est l’expérience très simple du transfert : la raison pour laquelle l’obsessionnel se maîtrise, ça ne peut jamais être envisagé de manière psychologique comme un processus qu’il a dans la tête parce qu’il serait en train de se promener son excrément à l’intérieur de sa muqueuse anale puis de le monter et descendre pour le garder le plus longtemps possible - ce qui est une façon très poétique de nommer les choses -, mais c’est surtout qu’il ne faut pas affecter l’Autre. Ça, ça implique qu’on va avoir un effet sur le corps de quelque chose qui est d’abord une attitude que nous repérons dans le transfert. Parce que si on se met dans le cadre formel du transfert, ce que ne veut pas l’obsessionnel, c’est que ce qu’il dise lui fasse quoi que ce soit. Et si ça fait quelque chose, aussitôt il s’excuse, ou se tait, il ne faut pas qu’il puisse y avoir dans l’Autre quoi que ce soit comme de l’affect. Si on ne part pas de cette structure-là, alors on va repsychologiser, et on va perdre le mythe en quelque sorte pour faire une sorte de physiologie ignoble à base d’excréments qui se baladent dans les intestins, une sorte d’analogie physiologique sans bien comprendre ce qui est en cause dans l’appareil psychique où ce qui peut être retenu à l’intérieur de l’intérieur, ce n’est pas simplement des excréments, mais comme nous le savons ça peut être aussi bien un rêve qui a été rêvé il y a 4 ans ½, et ça fait 4 ans ½ que l’obsessionnel se promet de venir pour le raconter à l’analyste, qui meurt de chagrin pendant ce temps-là, totalement incapable d’y voir clair dans cette fichue cure, etc., et au bout de 4 ans ½,, eh bien le rêve sort enfin ! Voilà ce qui importe dans l’idée de l’appareil psychique, c’est que si on ne pense pas en termes de transfert, on va sombrer dans une sorte de mythologie sphinctérienne-mentale atroce, où l’excrément n’est plus l’objet interne, et devient vraiment de l’excrément.

Je vais partir pour développer cela d’une remarque d’une patiente, qui me disait il y a quelques jours, car elle se sentait dédoublée sur le divan sous la contrainte inflexible de la règle de tout dire, de l’association libre : « l’une sent, et l’autre observe et verbalise ».

Je trouve cette formule extrêmement juste chez un sujet qui n’a pas passé sa vie à lire Bion, et qui dans cette auto-présentation, met d’emblée sur la table la dissociation entre l’affect et la représentation. Nous ne pouvons pas faire autrement que décrire notre existence – et l’obsédé moins qu’un autre – en dissociant son affect et sa représentation. En même temps, vous voyez bien dans cette formule que la dissociation elle-même, loin de servir à expliquer la névrose obsessionnelle, est obsessionnelle ! A quoi le voit-on ? Au fait que c’est adressé ! Cette formule « l’une sent, l’autre observe et verbalise » est adressée, parce que qu’est-ce que ça permet ? Ça permet de témoigner de l’effort que fait la patiente pour se filtrer elle-même. La division subjective fonctionne non à l’intérieur psychologique de la personne qui parle, elle fonctionne entre la personne qui parle et celle qui pourrait entendre.

Le constat est adressé avec du coup comme bénéfice de l’entendre adressé, avec une prise de conscience soudaine de ce dont il s’agit dans la rumination. Pourquoi est-ce si difficile quand on essaie d’extorquer de l’obsessionnel qu’on a sur le divan, le rouleau de papier hygiénique à la main, « à quoi est-ce que vous pensez ? Qu’est-ce que vous ruminez ? ». Le ruminant rumine quelque chose « entre » l’aliment et l’excrément, et je crois que quand on appelle ça des ruminations, on est véritablement dans la chose même, soit dans les significations qui sont pré-verbales, mais post-sensorielles. Ce sont des choses, ces choses qu’on rumine, dont on ne peut pas dire le texte exact, mais dont on peut parler indirectement : si c’était des phrases, ça serait ceci ou cela. Le propre de la texture langagière d’une rumination – ces significations moroses et vaguement masturbatoires qui nous hantent -  et c’est exactement ce que cette patiente a tout d’un coup réalisé parce que la contrainte de l’association libre ne rate pas ici l’obsessionnel, elle introduit le coin au bon endroit pour disjoindre les bonnes parties du problème -, elle s’apercevait qu’elle pouvait parler de ce qu’elle rumine mais pas parler ce qu’elle rumine. Ça, c’est totalement impossible, et ça pose, un pas au-delà encore, un problème que j’aborderai en parlant de Bion l’année prochaine, c’est celui de l’autonomie du rêve en dehors du récit du rêve. Est-ce que quand on rêve avant de raconter ce dont on rêve, est-ce que le rêve est réellement dissociable du récit du rêve ? Pour Bion oui, parce qu’il y a un certain niveau d’organisation, nous pouvons utiliser un certain formalisme pour appréhender ce qui se passe à ce niveau de la rumination. Ce n’est pas de la bouillie pour les chats, c’est déjà un niveau d’articulation par rapport à ce que la psychose nous apprend, lorsqu’il n’y a déjà même plus ce niveau d’organisation, et notamment dans la schizophrénie.

Voyez, le raisonnement consiste à utiliser un formalisme structural pour appréhender des niveaux de consistance de la vie psychique en deçà du niveau dans lequel il s’articule en une parole adressée. Lorsqu’on nous dit « l’un sent, l’autre observe et verbalise », vous avez là la réflexion, dans le sens d’un effet en retour, de ce qui viserait autrement l’existence de l’analyste. Ce qui visait en effet mon existence là-dedans, c’est le danger que de la haine se déchaîne. Il s’agissait au fond de s’instituer dans ce clivage représentation / affect (que je ne prends pas comme vous le voyez comme une manière d’expliquer la névrose obsessionnelle mais comme la texture même de la névrose obsessionnelle), il s’agissait pour elle de s’instituer le filtre de sa propre vie psychique, pour que rien n’en filtre qui puisse affecter son analyste. D’où un problème que j’ai discuté avec plusieurs personnes expérimentées pour voir un peu ce qu’elles en pensaient, qui est le problème de la « technique active » avec la névrose obsessionnelle. A partir du moment où vous êtes en face de quelqu’un qui filtre pour que rien ne transparaisse, la technique active consisterait à inciter le patient à vous haïr. C’est un vieux problème parce qu’il y a deux écoles : il y a ceux qui disent qu’il ne faut jamais faire ça, et ceux qui expliquent qu’il faut toujours faire ça. Et c’est très compliqué, car un certain nombre de questions que Ferenczi a posé sur la technique active, il est transparent que c’est parce qu’il avait l’idée qu’au fond « faire cracher » la haine, ce serait arrivé « plus vite » au « plus vrai ». Dit comme ça, on comprend la réticence de Freud. Cependant quelqu’un comme Lacan employait quelque chose comme de la technique active, et on ne peut pas le soupçonner de le faire pour aller plus vite au plus vrai, ce n’est pas du tout ce qui intéressait Lacan. Mais en tout cas, se pose constamment la difficulté de ne pas laisser la règle de l’association libre alimenter la névrose obsessionnelle. Quand on dit à quelqu’un d’associer… d’associer quoi ? C’est ça le problème ! S’il s’agit d’associer en sorte que l’association soit précisément dans son déploiement le déploiement d’une dissociation permanente entre la parole et l’affect, il y a des fois où il vaut mieux se taire, où il vaut mieux respecter une certaine montée de l’acte de parole plutôt que d’inciter un déplacement métonymique qui ne fait que reconduire le problème en exploitant la cure elle-même à nourrir stérilement le malaise. C’est un facteur d’interminabilité.

En tout cas, bien sûr lorsque je suis avec quelqu’un qui dit « l’un sent, l’autre observe et verbalise », voyez qu’on est aux antipodes du type de patient que sert à décrire l’analité primaire, puisque c’est l’Autre qui ne doit être affecté ni d’amour, ni de haine. Mais cet Autre est déjà là, constitué, on n’est pas dans une fixation narcissique où le patient peut continuer à parler les yeux clos pendant que vous allez ouvrir au suivant, et continue à associer pendant que vous êtes sorti du cabinet, ce qui est une expérience extrêmement troublante qui montre qu’il y a des patients obsessionnels qui n’ont pas constitué l’Autre dont ils craignent la haine ou l’amour, et qu’ils sont dans une fixation narcissique et non pas dans une fixation pulsionnelle.

Ce que ce deuxième type de névrose obsessionnelle plus classique, viennoise, montre donc, c’est que Freud avait raison de dire que c’est de refouler l’amour et la haine qu’il s’agit dans la névrose obsessionnelle ; mais ce qu’il a manqué, c’est qu’il s’agit de l’amour et de la haine de l’Autre.

C’est cela qui n’est pas transparent dans « L’homme aux rats », où les sentiments sont toujours décrit par Freud comme émanant sur un mode psychologique du patient. C’est-à-dire qu’il ne prend pas la mesure - alors qu’il sait qu’il est, lui, Freud, le « capitaine cruel » – de ce que j’ai appelé il y a plusieurs séances, l’accordage émotionnel, c’est-à-dire qu’on ne s’affecte que de ce qui affecte l’autre. L’affect ne peut jamais être quelque chose que vous avez en vous, dont vous avez une connaissance en première personne. Vos affects, vous n’y avez accès qu’en fonction de ce qui affecte l’Autre et qui vous affecte en retour, d’affecter l’Autre.

C’est le point sur lequel je voudrais conclure aujourd’hui : lorsque je parle de surmonter la coupure affect /représentation, en suivant les recommandations explicites de Freud au début de la deuxième partie du cas publié de l’homme aux rats (où il dit qu’on ne peut pas en rester au simple clivage de la représentation et de l’affect parce que c’est ce que disent les obsessionnels), et que, par conséquent il faut penser l’acte ; ensuite, malheureusement, Freud ne fait que décrire les clivages entre représentation et affect... Bon, mais si on essaie d’être fidèle à l’inspiration freudienne, il faut alors considérer le transfert comme un acte de parole (« acte de parole » que j’ai bien conscience d’utiliser de manière de plus en plus personnelle et de moins en moins proche de ce qu’on peut par exemple attraper d’Austin, de Searle, de Cavell). Pourquoi ? Mais parce que cet acte de parole noue trois dimensions essentielles, qui est ce qu’on dit à l’Autre, ce qu’on pose comme acte en le disant – l’illocutoire – et ce qu’on fait à l’Autre en lui disant ça comme ça – le perlocutoire[4]. C’est ça que je crois être le point essentiel : le perlocutoire affecte l’Autre. Dans le transfert, c’est la dimension perlocutoire, qui n’est pas conventionnelle (comme l’illocutoire), qu’on ne peut réellement pas calculer d’avance, mais dont on ne cesse farouchement à chercher à produire les effets de façon réglée.

C’est le matériau même du fantasme : ce que le fantasme ambitionne, ce serait d’être un effet perlocutoire qui s’impose à l’autre par principe, tout comme dire : « Je promets » me lie par convention à ma promesse. C’est pour ça qu’un fantasme n’est qu’un fantasme : on n’arrive pas à créer un état dans lequel on puisse maîtriser le désir de l’Autre, mais ça ne nous empêche pas d’essayer… Le discours obsessionnel se loge ainsi d’autant mieux dans la demande d’associer librement, qu’il se l’approprie à ses propres fins et qu’il détourne la règle fondamentale, en sorte que justement l’obsessionnel réussisse à associer sans que le psychanalyste ait aucune présence réelle, rien qui s’affecte des affects du patients. Sa façon d’élider la présence réelle de l’analyste est une des propriétés essentielles de l’association obsessionnelle, car pour ne pas affecter l’analyste, il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas de perlocutoire dans le propos qu’on lui tient. L’impossibilité, malheureusement, de faire qu’il n’y ait pas de perlocutoire aboutit à la production d’au moins cet affect qui est l’ennui, qui est l’ultime rempart avant l’angoisse. Produire de l’ennui dans la cure est un succès de la névrose, une prouesse de l’appareil psychique.

C’est une des déterminations essentielles de la juste longueur des séances. Pourquoi les britanniques font-ils des séances extrêmement longues ? C’est qu’au bout d’un certain temps d’ennui, l’angoisse arrive au rendez-vous. C’est quand même une des justifications intrinsèques de la longueur des séances : vous ne pouvez pas ennuyer sans qu’au bout d’un certain temps, même si ce sont des semaines et des semaines d’ennui et d’ennui, l’angoisse se fraye son chemin.

Je termine là-dessus. Il n’y a pas besoin d’en dire plus. La prochaine fois, je parlerai des TOC, j’essaierai de vous montrer qu’il y a une continuité extrêmement intéressante entre les ambitions d’explication psychologique freudienne dans sa théorie de l’action régressive et les conceptions actuelles, cognitives et comportementales, de la névrose obsessionnelle.

 

X : Les kleiniens font des séances de combien de temps ?

 

Pierre-Henri Castel : ce que je connais des Britanniques avec qui j’ai un peu échangé, c’est 50 minutes ou 1 heure. Mais c’est surtout le nombre de séances par semaine qui fait que c’est un peu particulier : ils insistent beaucoup pour voir les gens 5 fois par semaine.

 

X : Je ne connais pas bien la technique active, mais est-ce que ça consiste à intervertir…

 

Pierre-Henri Castel : oui, il y a plein de procédés. La technique active, le premier point, ça consiste à toucher les patients. Ça peut ensuite aller jusqu’à l’interversion de la position du psychanalyste et du psychanalysé. Mais toucher les patients, c’était semble-t-il tout à fait particulier, et c’était très mal pris par les analystes des années 30. Il y avait une tradition phobique des rapports au corps du patient. Serrer la main du patient était jusque dans les années 50 quelque chose de problématique, il fallait réfléchir avant de serrer sa main ! Cela dit, je pense que tout le monde en a fait l’expérience : il suffit que l’analyste pose son doigt sur l’épaule pour que tout flambe ! Il y a quand même une question d’à-propos : produire des effets pour produire des effets… C’est toujours le problème de ces trucs kleiniens : quand c’est entre les mains d’un Bion ou d’un Bollas ou de gens comme Green, ça va, mais on a quand même le sentiment qu’en dehors d’une profonde spécification des buts de l’analyse, on descend rapidement la pente de l’humanisme de la chatouille thérapeutique où l’on fait de l’effet pour faire de l’effet. Le problème du kleinisme, c’est qu’il manipule des représentations qui sont si folles, et d’une certaine manière, si proche de ce qu’il y a de plus fou dans l’inconscient, qu’il est obligé, pour tenir la route, d’être extraordinairement sensé au niveau des enjeux réels, et d’autre part que les analystes eux-mêmes soient très profondément analysés. S’il subsiste un peu trop de votre pathologie, on comprend ce qui se passait avec Masud Khan : on vire à la perversion très vite. Masud Khan allait se saouler avec ses patients chez eux ! Alors que c’était le secrétaire particulier de Winnicott, et que pendant 25 ans il s’est allongé sur le divan de Winnicott, qui n’y a vu que du feu !

 

Y : Green en a parlé de Masud Khan, d’un conflit qu’il avait eu avec Masud Khan, un truc assez étonnant…

 

Pierre-Henri Castel : Ils se connaissaient. Moi je trouve Masud Khan moins intéressant que Rosenfeld…

 

Y : A propos du self : Est-ce que vous pensez que ce n’est pas non plus une substance chez Winnicott ?

 

Pierre-Henri Castel : Je ne sais pas. Winnicott n’a écrit au fond qu’un seul texte vraiment systématique qui est Human nature dans lequel il récapitule ses positions philosophiques. Pour répondre à ce type de question, moi je le trouve très aristotélicien, c’est vraiment quelqu’un qui pense à un développement, une genèse, une croissance, etc. Dès ce moment-là, on ne peut pas éviter d’avoir le paradoxe aristotélicien d’un self substantiel, d’un moteur vital, d’une source de mouvement interne qui s’actualise de différentes manières en supportant des tensions. En plus, ce qui est problématique, c’est que Winnicott n’est pas un penseur du conflit ou de la contradiction. C’est un penseur de la contrariété, et par conséquent, il y a partout de la médiété, tout ce qui chez Freud est déchirement, comme l’Œdipe, est chez lui retourné en consolidation. Il est profondément aristotélicien dans sa construction du psychisme, et finalement, même dans les meilleurs aspects de la pensée de Winnicott, ceux où il est très humien, où il pense une production radicale par la fantaisie, quand il pense que la capacité à fantasier est dépendante de l’Autre maternel, ça vire à la fin à une théorie du narcissisme primaire. Donc à un soi substantiel. Winnicott croit au narcissisme primaire dans un sens le plus bêta, il a beaucoup de mal, même s’il le fait par moment, à envisager que si on a un rapport imaginatif à la production fantasmatique, c’est parce que nous sommes accueillis dans l’Autre, que l’Autre fait une place.

Dans la lecture qu’il fait du stade du miroir de Lacan, c’est clair : Winnicott prend du stade du miroir la version de la mère la plus compatible avec une sorte d’idéalisme du développement du sujet. Alors que rien ne prouve que lorsque la mère regarde le regard de l’enfant se regardant dans le miroir, elle lui dise : « C’est bien toi ! » Dans son regard, il peut y avoir aussi bien : « Ben qu’est-ce que tu as ? » C’est l’enfant qui produit le : « C’est bien moi », et pas toujours. Le portage, le holding de l’enfant par sa mère devant le miroir n’a pas chez Lacan ce caractère téléologique qu’y suppose Winnicott.

Le problème est que le Winnicott intéressant est le Winnicott passé à la moulinette de Green, c’est un Winnicott bionisé. L’objet transitionnel devient alors la pièce centrale d’un appareil psychique au sens de Bion. L’objet transitionnel permet de construire le cadre de l’analyse, la structure du transfert, et de récupérer en termes de « position » ubiquitaire, investissable à tous les moments de la cure, quelque chose qui au départ est un simple épisode de la psychogenèse infantile. L’objet transitionnel, ou mieux, la transitionnalité, est donc construit comme un appareil à produire des relations, un « espace » transitionnel qui se métamorphose dans la théorie et la clinique de Green en « appareil » transitionnel. L’objet de Winnicott est traité par Green à la lumière la fameuse métaphore bionienne de la machine à penser ses pensées ».



[1] Ce sont les là les critères de l’axe II du DSM-IV.

[2] C’est par exemple là qu’il va rajouter une fameuse note sur le rôle des hormones.

[3] Une sorte de bouchon excrémentiel qui se forme à l’intérieur du rectum, qui se dessèche, et qu’il faut enlever par des moyens chirurgicaux ; car sinon on en meurt : il y a quasi minéralisation des résidus excrémentiels à l’intérieur du corps.

[4] On ne dit pas à quelqu’un qu’on le menace, mais on lui parle de manière telle que l’effet que ça lui fasse qu’on lui parle, c’est qu’il se sente menacé. Si on lui dit « je te menace », c’est complètement inutile et ça tombe à l’eau, et Cavell note à ce propos que le « je » ne peut pas figurer dans l’explicitation du perlocutoire sans en émousser la force.