la névrose obsessionnelle
Je
vais reprendre sur l’idée que j’avais suggérée la dernière fois, selon laquelle
on doit subordonner une analyse de l’analité à l’appareil conceptuel qui en
sélectionne les enjeux, qu’on ne peut pas se contenter de repérer là où il y a
de l’anal comme si c’était là des choses tout à fait évidentes, pour essayer ensuite
de dériver, à partir des propriétés qu’on suppose aux excréments, au
fonctionnement de la muqueuse rectale, ou à des choses de ce genre, des
conséquences qui auraient une importance pour la psychanalyse. Bien sûr, ce que
j’appelle l’appareil conceptuel qui sélectionne les enjeux de l’analité, c’est,
toujours en psychanalyse, un appareil conceptuel dépendant du cadre formel du
transfert. C’est donc de cela que je vais repartir, en faisant plusieurs choses
ce soir.
Je
vais d’abord essayer de montrer en quoi cette manière de procéder s’oppose à
des manières bien repérables dans le champ analytique de traiter de la question
de l’analité, et de l’analité obsessionnelle. Je ferai une sorte de parenthèse
assez longue sur le problème de savoir comment on peut donner consistance
psychanalytiquement à la notion d’analité, en examinant ce que André Green
appelle « l’analité primaire » et pour capter ce dont il s’agit dans
cette affaire. Et puis je terminerai en revenant sur un certain nombre de
choses que j’ai déjà indiquées depuis le début de notre travail, et qui, par
contraste mais aussi en rapport avec cette idée d’analité primaire, nous aident
à repérer comment on s’articulent les deux types de névrose obsessionnelle que
j’ai spécifiées. La névrose obsessionnelle qu’on peut considérer comme
pseudo-paranoïde par exemple, ou encore de type mélancolique, où malgré la
présence de symptômes obsessionnels, on a l’impression d’avoir affaire à
quelque chose de beaucoup grave, si l’on peut dire, qu’une névrose
obsessionnelle comme celle de l’homme aux rats. Et puis cette névrose
obsessionnelle beaucoup plus phallique, comme celle qu’Ernst Lanzer apporte à
Freud, et dont le profil névrotique n’inspire aucun doute.
Ce
que je voudrais enfin essayer, dans cette séance, c’est de serrer toujours plus
près la question conceptuelle de l’agir, qui est au cœur de la problématique
obsessionnelle, et de rapporter mon analyse à cet autre fil conducteur que j’ai
depuis le départ, qui est la critique de la représentation de l’affect et de la
représentation, ou de l’affect et du signifiant. D’abord parce que je suis
tombé un peu par hasard sur une lettre à Fliess, celle du 22 décembre 1897, où
Freud dit qu’un de ses plus anciens soucis est de montrer que le « faire »,
dans tout son vague obsessionnel, a toujours rapport avec le faire
excrémentiel, le « faire sur le pot », dit-il, comme les enfants, et
que le vague même du discours obsessionnel est un vague qui vient à la fois
euphémiser et abstraire le caractère extrêmement déterminé du contenu de ce
verbe, de ce verbe « faire » lequel a toutes ces valeurs d’auxiliaire
ou de semi-auxiliaire que vous connaissez. Donc essayer de rendre sa chair, sa
« chair anale », à ce faire, à cet agir obsessionnel, pour ne pas en
quelque sorte jouer le jeu de l’obsession en vidant de son contenu
fantasmatique la problématique de l’agir telle qu’elle est effectivement mise
en œuvre dans le symptôme obsessionnel.
Ça
me servira à deux choses. La première, je l’ai mentionnée à l’instant :
c’est de préciser la distinction que je crois cliniquement patente, entre deux
registres de la névrose obsessionnelle, en essayant de rendre cette différence
non pas quantitative – en disant que c’est plus ou moins grave, ou que d’un
côté c’est plutôt de la personnalité et de l’autre des symptômes ou des choses
de ce genre qu’on lit couramment dans la littérature -, mais en essayant
d’attraper ce qui est en cause dans ces versions paranoïdes ou mélancoliformes
de la névrose obsessionnelle, comme celle dont j’avais discutée en détail le
cas il y a quelques années, et éventuellement, d’ailleurs, j’ai raconterai un
autre sur le versant plus paranoïde. Donc j’en ferai un levier pour préciser
ces distinctions, et montrer quel est l’enjeu de ce qu’André Green propose au
titre de ce qu’il appelle l’analité primaire. Et puis, seconde chose, comme
j’ai été obligé de donner le programme de l’an prochain au secrétariat, je vous
montrerai comment, à partir de ce que je vais dire ce soir, je peux déjà vous
indiquer pourquoi je m’intéresse à l’idée d’appareil psychique, en particulier
à ce psychanalyste qui s’appelle Bion, parce que la notion d’analité primaire
chez Green mobilise des concepts post-kleiniens, des concepts bioniens, et que
l’on voit assez bien quel genre de consistance il essaie de donner à
l’expérience en se servant de ce repérage-là.
*
Premier
point. A quoi est-ce que j’oppose cette approche de l’analité à partir de la
question de la maîtrise et du transfert ?
Il
y a une vision largement développée mais qui relève de l’histoire de la
psychanalyse ou de la psychologie, c’est la vision psychobiologique de
l’analité, qui se heurte à une difficulté centrale évidente, c’est qu’il est
très difficile de dire que déféquer est un instinct, et qu’il y aurait là une
sorte de pulsion qui viendrait se greffer sur un fonctionnement corporel qui
serait instinctuel. En général, donc, ce qu’on appelle la psychobiologie de
l’analité, c’est une certaine interprétation du « caractère anal » en
termes de tempérament. Je rappelle que le caractère est un ensemble de traits
psychosociaux fixés lequel contraste avec un tempérament, qui est la base
psychobiologique du caractère. On met comme cela en relation les trois traits
principaux de la personnalité obsessionnelle – le goût de l’ordre, l’avarice et
l’obstination -, et on essaie de les enraciner dans une base psychobiologique
qui fait appel à des postures de restriction ponctuées d’explosion de rage, à
des crispations de la musculature, à des troubles gastriques, à des raideurs de
toutes sortes, qui seraient les bases tempéramentales de ce caractère. Il y a
des tentatives contemporaines pour essayer de rapporter des personnalités aux
tempéraments sur des bases génétiques, qui sont il faut le dire, moyennement
convaincantes. Mais qu’il y ait des tempéraments, ou des régularités de type
psychobiologique, c’est assez difficile à contester. Le problème est que toutes
ces bases psychobiologiques donnent plutôt l’impression de revenir à une
utilisation expressive du corps pour porter à la connaissance des gens qui
approchent quelqu’un qui a telle et telle posture le contenu de ses états
d’âme. On a beaucoup de mal devant quelqu’un qui est coincé, raide comme s’il
avait un parapluie où je pense, ou qui a les mâchoires serrées, ou qui
développe une symptomatologie psychosomatique associée, etc., à bien cerner où
est la cause et où est l’effet.
C’est
Freud qui a mis en circulation le thème de la personnalité obsessionnelle avec
ses traits d’ordre, d’avarice et d’obstination. Or, de l’avis général, les
névrosés obsessionnels n’ont pas une personnalité obsessionnelle ; ils ont
plutôt – si on admet ce genre de classification - des personnalités « évitantes »,
ou alors des personnalités « paranoïdes ». Quand on prend un
échantillon de population qui développe des TOC, comme font les Américains, il
n’y a qu’un quart à peine de la population qui correspond au critère de la
névrose obsessionnelle[1].
D’autre
part, Freud lui-même ne dit strictement rien, en tout cas dans la première
édition des Trois essais sur la sexualité,
en 1905, d’un rapprochement éventuel de la névrose obsessionnelle et de
l’érotisme anal. C’est quelque chose qui n’apparaît pas avant 1906, avant la
correspondance avec Abraham, où il commence à y avoir un rapprochement. Or,
s’il y a bien un texte psychobiologique de Freud, c’est la première version, la
première édition des Trois essais sur la
sexualité, où il engrène son raisonnement sur le matériel de la sexologie
contemporaine, et c’est le lieu même où il cherchera toujours à donner des
bases de type psychobiologique à ses considérations sur la libido ou les
caractères[2].
Je le cite un peu pour mémoire, il y a eu dans l’histoire du mouvement analytique
une tentative d’essayer de rapporter plus ou moins confusément l’analité à des
bases psychobiologiques ; elles achoppent sur les difficultés que je vous
ai indiquées.
Il
y a des choses beaucoup plus séduisantes, qui au lieu de mettre l’accent sur la
nature, mettent l’accent sur la culture, c’est-à-dire sur la dépravation, et
qui établissent toutes sortes de connexion entre l’anti-esthétique perverse ou
l’anti-érotique perverse de l’analité, et en quelque sorte tel type de symptôme
ou de manifestation qui permettrait de manière plus ou moins empirique de
donner un appui à la fameuse thèse selon laquelle la névrose et la perversion
sont dans un rapport de négatif à positif, et que, notamment, la névrose
obsessionnelle serait dans ce genre de rapport avec un certain type de
perversions.
Ça
repose sur l’introuvable orgasme anal, qui est un objet extrêmement intéressant
et problématique même encore aujourd’hui dans la sexologie contemporaine, et
puis aussi sur ces références que je vous avais pointées dans la seconde partie
des Cent vingt journées de Sodome,
non pas à ce qu’on pourrait appeler l’analité, mais à un ensemble de pratiques
particulières qu’on appelle la coprophilie. Le mystère de l’orgasme anal, c’est
que c’est un orgasme qui serait purement et simplement fonction chez l’homme –
c’est surtout chez l’homme qu’on en parle à cause du rôle de la prostate dans
cet orgasme – d’une excitation sexuelle sans décharge à proprement parler des
organes génitaux. C’est un thème branché, dans la littérature gay américaine,
par exemple chez Leo Bersani, où se développe l’idée qu’il y a une expérience
spécifiquement homosexuelle masculine, celle d’un type de jouissance
radicalement opposable à la jouissance phallique. C’est ce qui fait notamment
de Bersani, dans le milieu des études gays et lesbiennes un personnage
particulier, puisqu’il ne considère pas mener un combat commun avec les
lesbiennes, dans la mesure où il y aurait là autour de l’orgasme anal une
expérience de jouissance exclusivement masculine, dénotant une érogénéisation
particulière du corps. Autour de l’orgasme anal, vous avez des pratiques comme
le fist fucking, etc., dont on aurait
tort de croire que ce sont des inventions érotiques contemporaines, comme je
l’ai lu, puisque j’ai trouvé dans Sade une description de fist fucking, et je crois même qu’il y a une petite note dans la Pléiade qui s’émerveille de sa
découverte chez Sade.
Le
problème de l’orgasme anal, c’est que, rien que quand on emploie le mot, on
peut se demander si l’on peut nommer les jouissances du corps sans référence
minimalement métaphorique à la jouissance phallique. Qu’il y ait des gens qui
disent avoir des orgasmes anaux, sans aucune éjaculation, de manière absolument
spécifique et en ne confondant pas l’expérience qu’ils traversent avec aucune
autre, c’est tout à fait possible et pourquoi pas vraisemblable. Ce qui est
intéressant dans l’esthétique qui s’est développée autour de ça, c’est qu’un
représentant de cette érotique de l’orgasme anal en France, un gars qui est
mort récemment, Guillaume Dustan, eh bien s’est intéressé au fait que le rectum
sert à épuiser, si possible à la chaîne, autant de phallus en érection que
possible, dans une sorte de triomphe où il s’agit d’abattre d’une manière à la
fois sacrificielle et qui n’est pas sans être porteuse d’un discours poétique,
où il s’agit d’abattre littéralement le primat du phallique. C’est un culte érotique
qui est d’ailleurs rendu aussi bien par le pénétrant que par le pénétré dans
lequel il s’agit de transformer la sodomie en liquidation du primat du phallus.
Tout ceci, voyez, c’est extrêmement articulé, ça peut même se prêter à une systématique.
Cela dit, c’est complexe ; des gens comme Guillaume Dustan ne viennent pas
associer librement sur ce type de choses, donc on a là un point d’énigme comme
avec toutes ces figures de la jouissance dite Autre, chez Lacan.
En
tout cas, il y a un autre élément qui est beaucoup plus connu et central chez
Freud, c’est le traitement de l’analité dans le registre de la coprophilie,
puisque Freud fait de la coprophilie le point d’ancrage du fétichisme, et
particulièrement du fétichisme du pied, dont Ernst Lanzer, l’homme aux rats
lui-même, dans ses fantasmes, manifeste avec une très grande liberté et en même
temps angoisse, la puissance évocatrice dans ses fantasmes sexuels. Et c’est un
bon nombre de coprophiles et de fétichistes du pied qui font l’objet de la très
intéressante correspondance de Freud avec Abraham dans ces années 1906-1910.
J’ai
à cet égard beaucoup de difficultés, car on continue à appeler analité quelque
chose qui est beaucoup moins là – comme vous le voyez avec Dustan – centré sur
l’angoisse, et beaucoup plus centré sur le dégoût.
C’est
problématique de continuer à parler d’analité, alors qu’en fait le type
d’émotions qu’il s’agit de susciter, négatives ou positives, sont très
distinctes. Le fait d’être obsédé par des choses dégoûtantes est un des
ressorts connu des grandes névroses obsessionnelles, et en m’informant, j’ai
été très frappé de voir que dans les idées contemporaines sur les TOC, quand on
fait un recensement des TOC et des descriptions que les gens en donnent, on est
de plus en plus certain que la contamination par exemple est quelque chose qui
ne peut pas être réduit à sa composante d’angoisse, parce que c’est très souvent
médié par le dégoût. Il y a donc des tentatives d’aborder les grands TOC dans
le registre des phobies, déclenchées par une aversion, et qui se transforment,
mais dans un second temps, en angoisse, et bien sûr en angoisses de
contamination. Alors on met en évidence des choses tout à fait bizarres (dont
je vous parlerai la prochaine fois) sur le dégoût. Un des points essentiels du
dégoût et du fantasme coprophile, chez Ernst Lanzer, c’est la coprophagie,
c’est de manger des excréments, c’est de se faire chier dans la bouche, de
chier dans la bouche si possible dans la femme ou la fille de Freud – c’est un
transfert très impressionnant ! Et je crois que ce transfert si
impressionnant explique peut-être – peut-être
- pourquoi, lorsque quelques mois après le départ de l’homme aux rats,
l’homme aux loups va se présenter à Freud, et que les premières phrases de
l’homme aux loups sont qu’il a envie de déféquer sur la tête de Freud – on ne
sait pas ça par le cas publié par Freud, mais par ce que Sergeï Pankeieff a raconté
ensuite à ses autres analystes -, eh bien Freud qui avait terminé l’analyse de
Lanzer quelques mois avant s’était dit « en voilà un autre ! »,
et il n’a donc pas nécessairement donné toute sa place – c’est une conjecture
que je fais -, au fait que c’est quand même une explosion anale extrême,
invraisemblable, folle, qui prend là place parmi les premières phrases, les
premières minutes de l’analyse de cet homme.
On
voit donc bien comment l’accent porté sur l’analité peut masquer des
différences de structures et de constructions transférentielles très
importantes. Ce n’est pas parce qu’il y a analité qu’il y a névrose
obsessionnelle, ni même névrose. Il faut bien penser à l’extrême proximité
temporelle, et pas simplement théorique, entre l’homme aux rats et l’homme aux
loups.
En
tout cas, voyez qu’ici, l’analité - je prends évidemment des extrêmes chez
Freud - devient plus complexe. Il est difficile de dire que vous avez
simplement l’angoisse du sale, et le retour de la saleté refoulée ; vous
êtes également obligé, après l’angoisse et le dégoût, d’inclure une dimension
très particulière de l’analité qui est celle de la rage de dégradation - qui
est assez sensible dans les déclarations de Lanzer, quand il veut aller mettre
quelque chose qu’on traduit en général par de la crotte, une sorte de bouillie
dégueulasse, dans les yeux de la fille de Freud. Mais ce n’est sûrement pas par
ce genre de fantaisie anale qu’il commence son analyse, et l’écart avec
Pankeieff doit vous être sensible, à cet égard. Je veux dire par là que ce
n’est pas parce qu’on a fait une approche en termes de culture, donc de
perversion, de dégradation de la réalité symbolique au moyen de déjections,
qu’on est plus avancé pour cerner ce qu’est la texture de l’analité.
On
peut enfin, et c’est le choix qui a été fait par Abraham, essayer de construire
de grands parallèles cliniques, et notamment celui qu’Abraham construit autour
de la notion d’auto-reproches, auto-reproches qui sont soit conservés sous
l’empire du refoulement dans la névrose obsessionnelle, soit introjectés à
partir du reproche adressé à un tiers caché, comme dans la mélancolie : c’est
l’opposition entre la névrose obsessionnelle et la mélancolie, et entre les
deux facettes de l’érotisme anal. C’est curieux, mais lorsque Freud utilise l’expression
« érotisme anal », il l’applique systématiquement à la
mélancolie ; quand il parle de la névrose obsessionnelle, il parle
toujours de « sadique-anal ». Il semble que les termes qui sont
employés, c’est beaucoup plus finalement l’érotisme anal pour la mélancolie et
l’hypocondrie, que pour la névrose obsessionnelle. En effet, la névrose
obsessionnelle serait le versant actif de cet érotisme anal, dont on voit le
témoignage dans les fantaisies non publiées de Lanzer, sauf les deux crottes
dans les yeux rapportées de manière un peu tirée par les cheveux à la théorie
freudienne du rêve. C’est Abraham qui va mettre la chose en circulation dans la
correspondance, et ça va se terminer dans Deuil
et mélancolie par de fameuses considérations sur le deuil dans la
mélancolie.
Vous
avez toute une problématique psychiatrique connue de l’analité, en particulier
des encoprésies chez les vieillards mélancoliques, qui vont jusqu’au fécalome[3].
Il y a toute une panoplie de symptômes bien connus dans les mélancolies
d’involution et les hypocondries terminales des grandes mélancolies anxieuses,
qui tournent autour du bouchage des orifices du corps, et notamment de l’anus.
Mais
ce qu’a développé Abraham, c’est l’idée que la perte excrémentielle, dans la
mélancolie, est prise entre deux pôles. Il y a d’une part un délire
d’appauvrissement, c’est-à-dire que perdre ses excréments, c’est perdre sa
propre substance qui est compliquée de quelque chose qui est moins facile à
observer, mais dont il donne le témoignage, et qui est l’impulsion
coprophagique. L’impulsion coprophagique chez les mélancoliques est quelque
chose qu’on observait au 19ème siècle, probablement aussi dans des
circonstances particulières avec des gens qui n’étaient pas médiqués, qui était
le fait sinon de dévorer ses propres excréments, de ronger les débris de sa
propre peau, ses ongles, cheveux, de boire ses urines, etc., bref, de ne plus
vouloir perdre aucune espèce de parcelles de son corps. Abraham avait rapporté
ce type de manifestations, qui sont rarissimes alors que les délires
d’appauvrissement par défécation sont beaucoup plus visibles, à un véritable
symbolisme dans lequel la réingurgitation du mauvais objet était un moyen
imaginaire de se retrouver comme inclus et rivé dans la position du mauvais
objet. Et ça va arriver jusqu’à cette figure insupportable de la plainte
mélancolique dont Abraham donne la clé symbolique, en disant qu’il s’agit
véritablement de ne plus pouvoir « chier le mort », lequel reste
littéralement incrusté à l’intérieur de l’endeuillé, sans pouvoir le quitter en
tant que personne, et qui le ravage comme une personne transformée en fécalome
psychique inexpulsable. Le mélancolique abrahamien ne peut plus l’expulser, et il
est voué à le sentir avec haine et auto-reproche s’agiter en lui, et progressivement
prendre sa place.
Il
y a tout un côté évidemment grand guignol kleinien, dans ce genre de
présentation, mais il faut bien se rappeler que nous parlons là de patients qui
n’étaient pas émoussés par les antidépresseurs ni les régulateurs d’humeur, et
qui étaient donc capables de donner une certaine fantaisie à leurs élaborations
mélancoliques. D’autre part, on a le sentiment, quand on manipule cette
grammaire affective un peu répugnante, de toucher du doigt des possibilités d’empathie
avec certains enfouissements mélancoliques profonds, qui nous donnent
l’impression de quelque chose de beaucoup moins rationnel et de beaucoup plus
affecté dans le deuil, autrement dit dans l’impossibilité d’expulser un objet interne
absolument mauvais. Au fond, ce n’est pas tellement que nous parlons un langage
de rêve, ou bien un langage de fantasme pour expliquer les rêves ou les
fantasme – qui est le reproche qu’on fait aux kleiniens : comment
voulez-vous expliquer les fantasmes si vous expliquez les fantasmes par
d’autres fantasmes ? –, mais c’est une manière de se positionner par
rapport au discours du mélancolique, du grand délirant, voire de discours
mélancoliques carrément schizophréniques, et de se mettre davantage sur un plan
d’immanence duquel on élimine les effets de surplomb. C’est ça je crois qui
fait la force des positions kleiniennes, notamment avec les enfants : vous
entrez dans le langage du cauchemar pour parler du cauchemar avec celui qui
cauchemarde. La théorie est alors la mise en acte de son contre-transfert par
l’analyste, en fonction du transfert qu’il y a sur lui, et où l’on voit très
bien que la manière de recevoir ce qui est dit par un enfant ou par un grand
délirant – les deux objets des kleiniens – interdit de tenir sur eux un
discours pseudo-objectivant. C’est au contraire de mettre à l’épreuve sa
capacité psychique, son propre appareil psychique d’analyste, à manipuler des
représentations et des affects aussi bouleversants pour l’enfant ou le délirant
que pour vous, qui met en évidence quelque chose que votre propre appareil
psychique peut abriter : la folie, ou le symptôme très grave de la personne
dont vous vous occupez.
Je
referme cette parenthèse, mais c’est une manière de dire qu’il y a une position
dans le kleinisme qu’il ne faut pas réduire à celle de la théorie fausse. Les
post-kleiniens croient beaucoup au contre-transfert (contrairement à Melanie Klein),
et ils en font un usage qui leur sert à minimiser les attitudes de surplomb,
les attitudes objectivantes, de manière à ce qu’on soit pleinement et sans
faux-semblant dans la mise en jeu de l’analyse de l’analyste et de l’appareil
psychique que l’analyste s’est construit par son analyse, puis seulement alors dans
l’empathie, la réparation et la compréhension de ce qui est en cause chez le
patient. Il faut donc faire attention à ne pas dire qu’il s’agit de débordement
imaginaire dans lequel il faudrait mettre un peu de forme ou de structure pour
que ça tienne debout.
*
Voilà
qui me fait une petite transition pour introduire un auteur – André Green - qui
suscite largement la polémique, surtout chez les lacaniens, et qui s’est
intéressé justement – puisque Green est un grand lecteur de Melanie Klein,
Winnicott, Bion, Masud Khan, c’est-à-dire de toute l’école britannique – à ces
symptômes où l’on pourrait dire qu’on a affaire à des personnalités
obsessionnelles quasi-paranoïaques, d’une grande dureté, généralement
considérées comme inanalysables – car ce qui intéresse fondamentalement Green,
c’est l’inanalysable, les borderlines, c’est-à-dire tout ce qui porte à
sa limite l’analyse même de l’analyste. L’analyste, en effet, lui, a un Œdipe,
et il est alors obligé de se déplacer dans une sphère qui n’est plus tout à
fait la sienne, du moins celle dans laquelle le travail créateur de l’analyste
est mis en cause par le fait que les types de structure dont il s’approche sont
des structures qui manipulent des éléments beaucoup plus archaïques que ceux
que justement l’Œdipe nous permet de ne pas rencontrer dans leurs formes déchaînées,
monstrueuses, bref… kleiniennes !
Vous
reconnaissez donc ce qu’on appelle les borderlines, qui sont
caractérisés généralement par des agirs dramatiques, par des expériences de
vide mental très intenses, qu’on rapporte en général à des défauts primaire de la
symbolisation, quoique ces défauts de symbolisation ne vont pas jusqu’à mettre
en péril le rapport à la réalité, ils ne sont pas des délirants, des
psychotiques au sens de la psychiatrie. Les états-limite ont ensuite cette
singularité clinique qui en fait un objet si préoccupant - même les études les
plus anti-freudiennes reconnaissent aux psychothérapies analytiques une utilité
exemplaire avec ces patients -, qui est liée au danger particulier qu’ils présentent.
C’est que c’est au moment où le borderline va très bien qu’il se
suicide. Il y a une sorte d’effet de tromperie du mieux-être du borderline,
qui oblige à une extrême précaution. Ce que Green accepte, comme Kernberg, c’est
donc un registre qui ne serait pas paranoïaque tout en étant pas non plus
névrotique, et qui a une consistance difficile à cerner dans les catégories
lacaniennes, puisqu’on ne sait pas bien si on a là affaire à une sorte
d’exubérance imaginaire menaçante, ou un défaut d’articulation symbolique, et
si l’on a un défaut d’articulation symbolique, on est plutôt tenté de dire que
c’est soit de la psychose soit de la névrose, mais qu’il n’y a rien entre les
deux.
Le
point de départ de Green, pour parler de l’analité primaire, qui est une des
structures à partir desquelles on peut mettre un ordre psychanalytique dans ce
fatras de cas repérés comme borderlines, le point de départ de Green est
transférentiel.
C’est
en effet une particularité de la relation transférentielle, explique-t-il dans
un texte qui a 20-25 ans, que pour certains patients, le problème n’est pas que
le psychanalyse a un pouvoir, mais qu’il est la (toute-)puissance. Les gens qui sont sur le divan traitent
l’analyste non pas comme quelqu’un qui
peut quelque chose, mais à partir du moment où ils
sont dans un rapport transférentiel, il n’y a du côté du fauteuil qu’une
angoisse et un défi qui est lancé – car ils ne sont pas écrasés du tout par
cette toute-puissance qu’ils voient du côté de l’analyste -, quelque chose qui
est toujours de l’ordre d’une sorte de tout, qui les empêche du coup
d’avoir un rapport thérapeutique, puisque soigner n’est pas un pouvoir de l’analyste, mais
l’expression ultime de sa toute-puissance, et que c’est évidemment au titre de
cette imputation de toute-puissance, qu’un mieux thérapeutique peut être
effectivement, transformé en occasion de se suicider, de s’auto-mutiler, bref, de
faire des choses terribles pour échapper à cette toute-puissance qui impose même
jusqu’à la guérison ou le sentiment d’aller mieux. Avec évidemment, en miroir,
l’idée de réduire à l’impuissance l’analyste, et de ponctuer – c’est quelque
chose je crois qu’on voit relativement souvent en pratique – le développement
de la cure de manifestations dont on se demande quelquefois si elles ne sont
pas franchement paranoïdes, notamment avec des espèces de devinement de la
pensée dont le patient de sent l’objet sur le divan.
J’ai
déjà parlé d’un patient que j’ai reçu, qui avait un symptôme qui évoque nettement
un symptôme de Lanzer, qui est de croire qu’il y a des rêves prémonitoires :
il y a les rêves pour moi, dans la cure, interprétables, et puis
les rêves qui sont vraiment
prémonitoires, et qui sont hors-analyse. Ce qui fait que vous avez là une sorte
de point un peu étrange dans le transfert, qu’il convient de ne pas trop bousculer
à la fourche, car si on vient attaquer quelqu’un qui croit à la présence en lui
de productions mentales qui lui disent ce qui va se passer, ses réactions
deviennent carrément paranoïdes. Et c’est uniquement à son propre rythme, qu’il
peut d’ailleurs se défaire de cette idée que ces états de pseudo-certitude sur
le futur sont plutôt des « crampes » dont il peut se défaire tout
doucement et avec prudence, et non des communications surnaturelles, un peu
lorsque Freud note que ce n’est pas simplement dans son enfance que l’homme aux
rats pensait que ses parents devinaient ses pensées, mais qu’au fond, ça a toujours
été son mode de vie. Vous vous souvenez que même lorsqu’il va voir Freud, il y
a ce rapport à l’analyste qui fait que lorsqu’il lui dit « je suis un sale
type et vous allez me foutre dehors », il pense que Freud devine ce qu’il
pense. Il y a donc une dimension dont il faut bien voir qu’imaginairement elle
peut ressembler ponctuellement, de manière inquiétante d’un point de vue
clinique, à de la paranoïa.
Or,
ce qui caractérise la fixation particulière de l’analité primaire, c’est que ce
n’est pas exactement la fixation de la
pulsion à un stade antérieur, c’est une fixation narcissique au conflit. Je ne sais plus où j’ai trouvé cette
formule, mais Green dit « plutôt non à l’objet que oui à soi ». Ce
« plutôt non à l’objet que oui à soi » n’est pas une position
objectale, ce n’est pas une position pulsionnelle. C’est une sorte de
narcissisme négatif, de narcissisme « de mort », comme dit Green,
dont il faut apprécier la qualité dans ce que ça peut avoir de court-circuit
par rapport à la vie pulsionnelle. Et ça se manifeste de manière exemplaire
dans une situation transférentielle, où ce n’est pas que l’analyste est à un
point particulier du parcours un tenant-lieu de la mère, mais au moment où le
psychanalyse est la mère. Il y a des
moments de raidissement dans lequel il devient impossible de dissocier l’Autre
dont le lieu est symboliquement occupé par un silence, une relance, ou une
poignée de main, ou l’encaissements des honoraires, mais par quelque chose
d’extrêmement compact qui donne un sentiment plus primitif qui est cet Autre
sur lequel le déchaînement projectif est tel que l’association elle-même donne
le sentiment de ne pas être un commentaire sur ce qui vient à l’esprit, mais
une mise en acte parlée des images qui remontent de façon intense, et remonte
de ce qu’on a bien envie d’appeler un fond archaïque du patient.
C’est
une finesse de Green à cet égard de montrer qu’on a des éléments où l’on
reconnaît très bien la haine de l’obsessionnel, la tension constamment
tamponnée qui fait qu’il s’adresse à l’analyste sur le mode de l’avoir fixé à
une position où chacun se pétrifie et se rive dans des positions bloquées, mais
où, en quelque sorte, la position de l’Autre et les imagos qui viennent à être
invoquées à la place où la parole est adressée à l’analyste, eh bien ces imagos
ont une caractéristique oedipienne qui est encore la triangulation - on voit
bien qu’il s’agit de passer du père à la mère, etc. -, mais, dit Green, avec
une particularité très intéressante. Cette particularité très intéressante c’est
que la différence entre les imagos parentales n’est plus celle des sexes, mais
celle du bon au mauvais.
On
ne tourne pas ici autour de la question de ce qui a pu se passer sexuellement
dans la scène primitive entre les parents, mais de la question de savoir qui
des deux est le bon, et qui est le mauvais, dans une sorte de dégénitalisation
ou de prégénitalisation qui est tout à fait mise en acte par le type de
discours paranoïde que tient le patient. C’est là nettement différent du
standard kleinien de la séance où, dès que le patient entre, il sort de la
scène primitive : dès qu’il ouvre la bouche, il est chu, il est expulsé du
rapport sexuel entre les parents, et il vient associer, autrement dit révéler les
traces de cette expulsion du rapport sexuel entre les parents, chacun de ses
propos ne venant que témoigner du lieu inconscient dont il est exilé. Là, on a
affaire à quelque chose où les parents ne sont pas constitués comme étant de
sexes différents, et il ne s’agit plus d’un rapport sexuel dont il est
expulsé : il est expulsé comme mauvais objet, tantôt par l’un, tantôt par
l’autre, tantôt par les parents combinés, et du coup la sexualisation de sa
propre position, en tant qu’il parle, devient extrêmement problématique.
Le
troisième point essentiel de cette position, c’est que Green observe - et c’est
je crois extrêmement sensible dans toute névrose obsessionnelle très grave, et
notamment dans ces névroses obsessionnelles borderlines qui ont l’air
plus archaïques que ce qu’on appelle la névrose obsessionnelle bien phallique chez
Lanzer -, il note ces bascules identificatoires soudaines, qui ne sont pas tout
à fait du transitivisme, mais qui sont néanmoins à prendre au pied de la
lettre, comme lorsque le patient dit : « Quand vous avez prononcé ces
mots, je me suis senti extraordinairement soulagé », comme si le patient
se soulageait dans l’analyste, dans les paroles mêmes de l’analyste, en
étant, comme de l’intérieur même des paroles prononcées par l’analyste, dénoué
de son symptôme ou de sa souffrance. Ce qui fait qu’on a le sentiment
inquiétant de faire une interprétation à un psychotique, puisqu’il ne s’agit
pas du tout pour lui de s’approprier comme d’une vérité tierce le contenu de ce
que l’analyste interprète dans, mais qu’on a l’impression que la parole même de l’analyste est
venue se greffer dans le flux mental du patient au point que sa conscience
d’être lui-même, séparé, détaché, etc., est ponctuellement abolie, et qu’il
devient l’effet imaginaire – il se projette - du moi de celui qui prononce
l’interprétation, ce qui est extrêmement particulier. Ce type de phénomènes, je
suis embarrassé pour les décrire, car il est clair que si on a une conception
je dirais binaire des positions de l’analyste - soit la place du grand
Autre est barrée, soit elle ne l’est pas, il faut qu’une porte soit ouverte ou
fermée, il n’y a pas de milieu entre la barre et l’absence de barre -, vous
voyez qu’on est mécaniquement poussé par la notation formelle des repères du transfert,
à dire que tant que l’Autre est barré on se situe dans une constellation
névrotique, et quand l’Autre se présente sans barre, avec ces effets
imaginaires, on est obligé de considérer qu’on a affaire à de la psychose.
Néanmoins, voyez que ces effets de se sentir soulagé comme si on était en
quelque sorte soulagé dans les mots mêmes de celui qui nous soulage, comme
contenu de son contenant, ça n’a pas grand-chose à voir avec du transitivisme, puisque
le transitivisme c’est se prendre pour un autre quelconque, tandis que là c’est
vraiment sous la dépendance du transfert qu’il y a du (quasi-)transitivisme, et
limité à ce qui se joue dans le transfert.
Je
crois qu’on aurait un peu de mal à nier que tout ceci recouvre des réalités
cliniques palpables. D’abord parce qu’on peut lire toutes sortes d’auteurs post-kleiniens,
on peut lire Rosenfeld, on peut lire Bion, et pas seulement Green, et trouver
un certain nombre de positions conceptuelles étayées sur une clinique qui
raconte ce type de choses. En même temps, le problème est de comprendre comment
en faisant cela on ne sombre pas dans une sorte d’impressionnisme, où en
renonçant à l’articulation un peu binaire que j’évoquais tout à l’heure – grand
Autre barré, grand Autre non barré -, finalement, on jette sa propre
théorisation en pâture à la fantasmatisation contingente du patient qui nous apporterait
des faits bizarres.
C’est
là que les choses sont intéressantes.
Green
fait observer que ce qu’il appelle ici l’analité primaire n’est pas tant
quelque chose qui serait régressif et donc « moins construit » que ce
qui se situe au niveau oedipien, il fait valoir qu’on a là affaire à un
appareillage particulier. Et ce que je propose d’entendre là-dedans, c’est une
certain référence à l’idée d’appareil psychique selon Bion, ce qui fait de
l’analité primaire l’appareil psychique minimal ; autrement dit, ce
qu’on suppose lorsque quelqu’un devient capable d’aller demander une analyse,
et d’entrer dans un dispositif transférentiel minimal.
C’est
pour cela que quand je parle de montage ou d’appareillage, je ne voudrais pas
que le mot d’imaginaire soit utilisé ici au sens lacanien avec référence au
stade du miroir, ou au sens plus vague que l’imaginaire a souvent chez Lacan
quand ça connote la signification ou des choses de ce genre.
Cet
appareillage repose sur au moins deux données.
D’abord
sur une articulation de l’intérieur à de l’extérieur, qui est une articulation
à deux niveaux. Il n’y a pas simplement dans l’analité primaire le rapport de
l’intérieur à l’extérieur, qui est un rapport d’expulsion, qui est le rapport
de la décharge de rage de l’obsédé, mais un rapport de l’intérieur à
l’intérieur lui-même, c’est-à-dire un rapport de rétention. L’opposition entre l’expulsion
et la rétention, qui est une des oppositions fondamentales de la personnalité
obsessionnelle, construit un appareil psychique dans la mesure où lorsqu’on va
de l’intérieur à l’extérieur, l’intérieur qui va vers l’extérieur est lui-même
un intérieur qui a un intérieur : la rétention c’est précisément garder l’intérieur
à l’intérieur. On n’a donc pas simplement le franchissement d’une limite, mais
l’organisation d’une double limite,
où l’extérieur permet de penser un intérieur qui a lui-même un intérieur, à
l’intérieur de quoi sont retenus les objets internes. Evidemment, je pense à
des phénomènes bien connus dans la névrose obsessionnelle comme le jeu de la
rétention des excréments dans le rectum qui est une pratique de masturbation
anale immanquable dans les cas de névrose obsessionnelle. Mais je crois surtout
que ce à quoi on a affaire ici, c’est véritablement à la fantasmatique du
faire, de l’agir, et du rapport à soi qui est charnellement et imaginativement
– plutôt qu’imaginairement – constitutive de la pâte du flux psychique dans le
fantasme de l’obsessionnel, cet espèce de travail de l’intérieur à l’intérieur,
et de rumination de l’objet psychique « à l’intérieur de
l’intérieur ».
La
deuxième chose importante à marquer dans cet appareillage, c’est qu’il produit
un circuit élémentaire qui n’est pas dans le sens de l’expulsion, mais dans le
sens de l’assimilation, soit de ce qui vient du dehors à l’intérieur, selon une
boucle oro-anale. C’est une chose qu’on trouvait chez le maître et l’analyste
d’André Green, Maurice Bouvet – qui est cet analyste dont se gausse Lacan bien
à tort, car en fait il ne s’en gausse pas, il est très impressionné par la
construction très orthodoxe, très classique que fait Maurice Bouvet de la
névrose obsessionnelle. Maurice Bouvet en effet avait beaucoup insisté sur ce dispositif
qui fait qu’entre le sein et l’anus, se dessine un espace où ce que donne le
sein, on met un certain temps à l’assimiler, on en sélectionne une partie, on
clive la bonne et la mauvaise partie, et la mauvaise partie vient à être
expulsée à l’autre bout du tuyau et du processus. Et le soi, c’est ce qui
existe « entre » la bouche collée sur le sein et l’anus, donc entre
deux excitations, l’ensemble de ces processus psychiques absorbant sur le mode
du sein un objet qui est ensuite clivé à l’intérieur du sujet et retenu pour ce
qu’il y a de bon et rejeté pour ce qu’il y a de mauvais, ce processus dessinant
l’espace primaire du soi. Un aspect important de cette transition temporalisée
entre ce qui est pris du sein et ce qui est rejeté de manière anale, c’est que
ce qui est rejeté a au moins cette consistance d’être le degré zéro de l’objet,
si j’ose dire, d’être l’objet « quelconque », dédifférencié. Ce qui
est rejeté non seulement est mauvais par rapport à ce qui retenu, mais est
mauvais tout en étant quelconque. C’est-à-dire que c’est ce qu’on ne veut pas,
mais parce que « ça n’a pas de signification pour moi », et du coup
l’analité, le fait de s’emmerder, le fait que tout soit égal à tout, le fait
que la réalité se fonde dans une grisaille insupportable où les gens sont
interchangeables à l’infini, ce rapport onirique et fantasmatique à la réalité
est produit sur la base du fait qu’il y a l’intérieur de l’intérieur, lequel
est justement ce soi qui se trouve entre la bouche-au- sein et l’anus expulsant
l’objet quelconque.
Je
rappelle que cette vision minimale du vivant comme un tore, où quelque chose
rentre et sort, c’est la vision aristotélicienne, puisque dans Les parties
des animaux, c’est ainsi qu’est défini le vivant, que ce soit la plante ou
l’animal : la plante a sa bouche enfoncée dans le sol et c’est pourquoi
elle ne peut pas bouger, tandis que l’animal a sa bouche au-dessus du sol et
peut donc manger en se déplaçant. Ce qui fait d’ailleurs, chez Aristote, que
l’animal le plus malheureux dans L’histoire des animaux est le poulpe,
puisque le poulpe a la bouche juste à côté de l’anus, qu’il se nourrit au
milieu de ses déjections, et que dans la hiérarchie des perfections, être
poulpe est la pire chose qui puisse vous arriver ! En revanche, puisque ça
a l’air de vous faire rire, l’animal suprême, c’est la grue, puisque la grue
tourne en rond autour du cosmos et ne se pose que dans un seul endroit, en
Egypte. Elle tourne autour du cosmos en imitant la forme parfaite, et même en
Egypte c’est un animal tellement sacré que pour ne pas se souiller, elle va
d’un pied sur l’autre et ne met jamais les deux pieds sur le sol, ce qui est
une preuve de son dégoût des réalités de ce bas monde — d’où l’expression
« faire le pied de grue » qui existe en grec aussi !
Bien,
revenons à des choses horribles !
Pourquoi
est-ce que c’est bionien, cette conception que je tire de l’analité primaire
chez Green ? Parce qu’il y a appareil psychique à partir du moment où il y
a une transformation et un traitement des particules qui de l’extérieur
franchissent une première limite, et sont contenues dans une deuxième. Vous
reconnaissez l’hyper-abstraction bionienne dont nous verrons plus tard l’espèce
d’algèbre étrange. Mais cette algèbre étrange est faite de manière à avoir
prise, de manière assez structurale en réalité, sur tout ce que vous pouvez
placer ici qui serait de l’ordre de la perception du monde extérieur, de
l’endoperception, de la décharge de plaisir, de l’image de rêve, de
l’hallucination, du fonctionnement organique, et toute la difficulté est de
construire et de se construire un
appareil psychique dans lequel il y a un intérieur de l’intérieur par rapport à
quoi l’extérieur devient quelque chose qui est l’extérieur de cet intérieur. Et de cet intérieur un extérieur s’esquisse et se
dessine. Là, vous avez la matrice topologique, au sens où Bion va construire
une topologie que je comparerai l’an prochain à celle de Lacan, et des buts qui
sont poursuivis par l’abstraction bionienne par rapport à l’abstraction
lacanienne, vous avez là déjà les conditions minimales d’un appareil psychique.
Pourquoi
est-ce que Green appelle cette analité « primaire » ? Ce
n’est pas parce que c’est chic, c’est parce que du coup vous mesurez qu’il y a
une analité secondaire, que nous pouvons envisager régressivement par rapport à
l’Œdipe, par rapport au stade oedipien, au moment où l’Œdipe se constitue.
Effectivement,
à partir du moment où on a une mise en place œdipienne, on a déjà de façon très
classique dans l’histoire de la psychanalyse, on a deux types d’analité :
l’analité féminine et l’analité féminine. L’analité féminine est celle qui fait
que le vagin et le rectum sont deux cavités homologues, qui fantasmatiquement
dans les théories sexuelles infantiles, c’est le lieu qui donne accès à
l’intérieur et qui rend perplexe les petites filles sur le
« comment » quelque chose peut se produire à l’intérieur du corps de
la mère comme la production d’un enfant. Donc il y a cette espèce d’identification
du vagin au rectum, par la théorie cloacale de la naissance qui exerce ses
ravages sur les fillettes autour de 5-6 ans. Et puis, chez les garçons, vous
avez cette espèce de transformation si problématique du pénis anal en pénis
génital, c’est-à-dire comment sous le regard de la mère, qui sollicite l’étron,
la valeur de ce qui est à l’intérieur du corps sous cette forme pénétrante, s’inverse
comme capacité à pénétrer qui va investir le pénis dans la phallicisation
progressive – cette phase est avant la phase génitale – du petit garçon. Il y a
donc toujours chez le petit garçon, dans sa fantasmatique, la présence
classique dans toute analyse, de la sodomie par le père, où des diverses
activités homosexuelles qui vont revenir à titre de fantasmes masturbatoires
pendant la puberté. Tout cela est très banal dans l’onirisme et dans les cures
d’enfant, dans les théories sexuelles des enfants, puisqu’en tout cas dans les
cures d’enfant c’est la seule analité à laquelle on a affaire, puisque les
patients comme la petite Erna de Melanie Klein qui sont déjà paranoïaques à 7
ou 8 ans, ce sont quand même des cas plus rares.
Donc,
ce qui est intéressant dans l’idée de « primaire », c’est que ça
permet de séparer une analité structurante du du soi - d’un minimum d’organisation
du dedans, du dehors, de la temporalité, de la sélection du bon objet, de
l’articulation au sein, à l’Autre, de l’étayage à la réalité, etc. -, d’une
part, et d’autre part, cette analité conçue par régression à partir de l’Œdipe,
qui est l’analité à laquelle on a affaire dans la névrose viennoise standard.
Donc elle n’est pas primaire au sens d’un génétisme naïf, au sens il y aurait
d’abord la primaire et ensuite la secondaire ; elle est primaire – mais ce
ne sont pas les termes de Freud, en tout cas pas ceux de Green – au sens d’une
position, c’est-à-dire d’un mode d’instauration du soi face à l’Autre, lequel,
c’est pourquoi je parle de position, est un mode d’instauration
ubiquitaire : c’est une modalité de lecture du transfert dont il s’agit
ici.
Penser
l’analité primaire, penser la façon dont certains phénomènes archaïques peuvent
émerger dans une cure, c’est une manière d’en repérer la configuration et de
l’articuler à ce qui est généralement traitable uniquement au niveau des imagos
œdipiennes constituées. C’est essentiel au repérage de ces moments-limites qui
intéressent éminemment Green, quand l’identification projective n’interroge pas
chez l’Autre le rapport sexuel des parents, mais plutôt si dans l’Autre c’est
bon ou mauvais. Ces coordonnées post-kleiniennes et bioniennes que je souligne
dans la théorie de l’analité primaire concernent je crois un type particulier
de cas de névroses obsessionnelles, ces névroses obsessionnelles soit
paranoïdes soit mélancoliformes dont Rosenfeld a donné des descriptions
impressionnantes, mais qu’on peut également trouver chez des auteurs plus
anciens pré-kleiniens dans le registre des caractéropathies, chez Reich par
exemple.
Si
j’insiste sur la substructure théorique, chez Green, de cette analité primaire,
c’est parce qu’il voudrait nous la vendre avec une certaine interprétation de « l’homme
aux loups ». Mais on n’a pas besoin d’acheter les deux. On peut se
contenter de retenir cette construction de l’appareil psychique qu’il propose
autour de l’analité primaire, sans avoir besoin de toute cette exégèse qui
mettrait en continuité l’homme aux rats, l’homme aux loups, et un certain
nombre d’autres cas.
En
tout cas, l’appareil psychique ici, dans l’analité primaire, est un ensemble de
pures relations, et c’est pourquoi je parlais de position. Et non seulement de
relations, mais de relations de relations, à partir d’éléments perceptifs,
oniriques, verbaux, qui donnent une consistance au self. Et à partir du
moment où cet appareil psychique est ici envisagé non pas comme un effet de
dégradation et de retour au chaos par rapport à l’idéal de la bonne forme œdipienne,
il devient possible, précisément parce que ce n’est pas un chaos, de penser comment cet « appareil anal
primaire » – si je peux inventer ce concept -, est lui-même susceptible de
sombrer dans le chaos. Autrement dit, comment il peut y avoir entre les
relations de relations qui constituent l’appareil anal primaire, « attaque
contre les liens » - pour parler comme Bion – et dissolution de certaines connexions
essentielles de cet appareil psychique de base.
Voilà
qui nous fait voir, et c’est intéressant d’un point de vue épistémologique,
l’intérêt de l’apport de Green à la théorie de la névrose obsessionnelle. Ce
n’est pas tellement qu’il ait comme tout le monde dit que la névrose
obsessionnelle était ce qu’il y a le plus difficile et de plus intéressant,
etc., c’est qu’il a isolé l’analité comme étant le point organisateur central
qui fait difficulté dans le psychisme, et auquel on a accès notamment par la
névrose obsessionnelle. C’est je crois, épistémologiquement, le truc
intéressant à retenir de Green : c’est qu’on s’aperçoit qu’il y a une
analité qui donne une consistance non-phallique au sujet, mais qui reste une
consistance. Ce qui ouvre des perspectives je crois non seulement sur les
pseudo-névroses obsessionnelles paranoïdes, mais aussi peut-être de relire de
façon moins méprisante et sarcastique les grands textes d’Abraham sur la
mélancolie, et pourquoi pas, c’est ce que j’essaierai de vous montrer l’année
prochaine, les auteurs britanniques contemporains de la lignée de Rosenfeld, et
de voir ce qu’ils ont à dire - précisément parce qu’ils ne sont pas dans cette
opposition névrose / psychose qui est cardinale et structurante chez Lacan – du
traitement des psychoses, et ce qu’est l’analyse d’un analyste dont l’appareil
psychique serait simplement articulé à celui d’un patient psychotique de
manière à y produire un effet qu’on appellerait une cure. Voyez, ce sont des
questions tout à fait centrales.
J’emploie
avec beaucoup de soins l’expression d’appareil psychique plus que de moi, parce
que vous voyez que le self est du côté de l’appareil psychique, et se
distingue tout à fait du moi en tant qu’instance. La seule manière d’avoir une
vision qui ne soit pas naïve du self, c’est de donner du self une
métapsychologie autonome qui est celle précisément de l’appareil psychique. Et
je vous rappelle que self, en anglais, n’est pas un terme substantif,
c’est un terme relationnel. C’est-à-dire quand vous dites self-ownership, ce n’est pas la propriété « du » soi par
« le » soi, c’est l’auto-appropriation. Il faut toujours entendre self
comme on entend auto-, et non pas le self comme une entité qui serait
comme une sorte de moi en plus chic. Self a toujours une valeur fondamentalement
relationnelle et réflexive, et ce n’est pas une substance.
C’est
précisément en ce sens que Bion pensera la notion de lien, et d’attaques contre
les liens, et de liens de liens, comme la possibilité abstraite de constituer
un appareil psychique sur des bases strictement relationnelles, dont self
est le raccourci relationnel, et non pas substantiel. Il est même tellement
relationnel que l’appareil psychique est aussi bien le cadre de la cure, et
c’est parce qu’il est le cadre de la cure que le self de l’analyste peut
effectivement y jouer un rôle cadrant, au sens fort.
Si
je fais cette distinction, c’est que ça devrait modifier notre appréciation de
ces cas énigmatiques où on a l’impression qu’on n’a pas affaire à un névrosé
obsessionnel, mais, comme on pourrait dire dans la conversation courante, à un
paranoïaque qui tamponne ses réactions paranoïaques avec des mécanismes
obsessionnels — tout en se disant in petto que s’il était vraiment paranoïaque,
il n’y aurait pas ceci et cela, et qu’apparemment on a quand même bien un
transfert « résistant ». Parfois on est dans des situations délicates
pour porter un jugement définitif sur ce à quoi on a affaire.
Je
crois que le statut de la haine est extrêmement intructif dans ces hésitations.
Chez Freud, où il n’y a pas de concept de self, la haine est rapportée
au moi, sur le mode du rejet de ce qui déplaît, et que donc tout ce qui
déplaît, c’est-à-dire tout ce qui nuit aux pulsions d’autoconservation, tout ce
qui est déplaisant au sens où le moi-plaisir s’oppose à l’irruption de cette
épine qui provoque de la ré-pulsion, fait que le rapport du moi à la haine
permet à Freud de récupérer tout le vocabulaire dominant à l’époque de « l’affirmation
de la volonté », au chef de la fameuse pulsion d’emprise, de la maîtrise,
etc. Au fond, la racine de l’affirmation de soi, donc de la maîtrise, c’est
cette haine qui expulse du moi-plaisir tout ce qui lui est intolérable. Freud a
quand même été fort conscient des limites radicales de sa conception. Je ne
sais plus où, je crois que c’est dans Pulsions
et destin des pulsions, il fait cette observation très fine selon laquelle
« une pulsion ne peut pas haïr l’objet ». C’est une chose absolument
remarquable, car dire qu’une pulsion ne peut pas haïr l’objet - on se situe avant
la notion de pulsion de mort - c’est dire que toute pulsion, d’une certaine
manière, a déjà admis l’objet par rapport auquel elle joue en alimentant la ré-pulsion.
Il ne peut pas y avoir une répulsion qui n’ait pas déjà admis et sinon
assimilé, en tout cas touché à l’objet même sur quoi va s’exercer la répulsion.
Il n’y a du dégoût que du goûté, je dirais. Pour avoir du dégoût, il faut quand
même que la chose vous ait touché le bout de la langue, et de là il peut y
avoir répulsion. C’est pour ça que la haine est l’un des chemins qui mène à la
pulsion de mort : lorsqu’il dit qu’une pulsion ne peut pas haïr l’objet,
il est sûr qu’une pulsion d’autoconservation ou du moi, et sexuelle, a
nécessairement goûté à ce qu’elle rejette. Il va donc se trouver devant la
difficulté de cette ex-pulsion
radicale, de quelque chose qui n’est pas simplement ré-pulsion (« On y a
goûté et on n’en veut pas »), mais une mise à distance originairement
constitutive, un « non » qui est un rejet haineux.
C’est
cette problématique-là que la notion d’appareil psychique permet d’envisager. L’appareil
psychique anal est ce qui permet de haïr, et non pas ce qui nous réduit
à haïr.
Déjà,
haïr est un processus remarquablement organisé. Je crois que c’est fondamental,
car tout cela est hyper-abstrait mais d’une extraordinaire concrétude dans le
maniement du transfert. Il y a des tas de névroses obsessionnelles où la voie
du soin du patient consiste à ce qu’il discerne que la haine est un pouvoir, et non un effondrement. Les
gens savent très bien que la haine est un ressort chez eux. La manière dont
beaucoup d’élans vers la justice sociale chez les obsessionnels sont alimentés
par une haine féroce du genre humain, c’est quelque chose dont il ne faut pas
sourire, au sens où c’est la condition même de l’appareil psychique, que
d’avoir la haine comme pouvoir et non à tous coups comme cette négativité
uniquement destructrice qu’au nom d’on ne sait quel bien, on devrait condamner.
En tout cas, l’expérience montre que la réalisation d’à quel point la haine est
un pouvoir est un des facteurs essentiels en cause dans l’interminabilité de
certaines cures d’obsessionnels. Ce qui les rend interminable, est souvent est
souvent le fait qu’il y a une étrange répugnance du langage commun à admettre que la haine est un pouvoir.
Cet espèce d’inassimilabilité de la positivité psychique de la haine, positivité
qui ne peut qu’être psychanalytique – le sens commun ne peut pas trouver dans
la haine un bien quelconque -, est un des facteurs je crois essentiel dans l’insolubilité
du transfert obsessionnel, parce qu’il y a quelque chose qui pour se dire là,
fait difficulté. S’il y a donc une interminabilité légitime de certaines cures,
elle est peut-être liée à cela : ce que doit inventer l’obsessionnel est
particulièrement pénible pour lui, et parfois introuvable au moment de la
reconnaissance de la fonction de la haine comme puissance, comme fonction,
comme capacité, dans la constitution même de son appareil psychique. C’est là
où les obsessionnels sont éthiquement instructifs.
En
tout cas, vous voyez qu’une conception de ce genre, que je formalise un pas
au-delà de ce que Green raconte, est beaucoup moins naïve que l’idée intuitive
selon laquelle la névrose obsessionnelle serait exclusive de la psychose, ou
que la névrose obsessionnelle servirait de pare-psychose : juste avant que
ça s’effondre, il y aurait le palier de la névrose obsessionnelle où les
relations d’objet sont maintenues de la façon la plus vigoureuse, au prix de la
maladie. Pourquoi est-ce moins naïf ? Parce que ça vous montre plutôt que
d’être dans une logique de la régression ou de l’ultime rempart, ça vous montre
la consistance du rempart, et l’articulation interne de cette analité, comme
seuil minimal pour l’existence de l’appareil psychique.
*
Je
voudrais vous apporter une deuxième chose ce soir, après cette discussion sur
l’analité primaire.
Je
voudrais en effet faire bouger un petit peu la conception commune, qui dit que
l’obsessionnel est quelqu’un qui traite tout désir de l’Autre, tout désir qui vient
de l’Autre, de Alio, comme latinise Lacan (au sujet de l’Autre et venant
de lui), comme une demande. En plus, l’obsessionnel traite tout désir qui vient
de l’Autre comme une demande qui exige en réponse la positivation de l’objet,
c’est-à-dire que ce qu’il veut, c’est mon travail, c’est de l’argent, c’est mon
pénis, etc. Cette positivation de l’objet donne sa coloration pseudo-perverse à
certains symptômes obsessionnels, comme par exemple le collectionnisme, qui
peut aller jusqu’à l’accumulation la plus insensée, l’incapacité à jeter des
objets, etc. L’idée que je voudrais proposer pour faire bouger cette conception
commune - mais qui est tout à fait opératoire, je ne dis pas qu’elle est fausse
-, pour essayer de montrer comment on peut peut-être l’affiner et la connecter
à ce que je viens de dire dans la première partie de mon exposé, ce soir, c’est
une chose très simple, c’est que l’obsessionnel se maîtrise pour ne pas
affecter l’Autre.
Ça,
c’est l’expérience très simple du transfert : la raison pour laquelle
l’obsessionnel se maîtrise, ça ne peut jamais être envisagé de manière
psychologique comme un processus qu’il a dans la tête parce qu’il serait en
train de se promener son excrément à l’intérieur de sa muqueuse anale puis de
le monter et descendre pour le garder le plus longtemps possible - ce qui est
une façon très poétique de nommer les choses -, mais c’est surtout qu’il ne
faut pas affecter l’Autre. Ça, ça implique qu’on va avoir un effet sur le corps
de quelque chose qui est d’abord une attitude que nous repérons dans le
transfert. Parce que si on se met dans le cadre formel du transfert, ce que ne
veut pas l’obsessionnel, c’est que ce qu’il dise lui fasse quoi que ce soit. Et
si ça fait quelque chose, aussitôt il s’excuse, ou se tait, il ne faut pas
qu’il puisse y avoir dans l’Autre quoi que ce soit comme de l’affect. Si on ne
part pas de cette structure-là, alors on va repsychologiser, et on va perdre le
mythe en quelque sorte pour faire une sorte de physiologie ignoble à base
d’excréments qui se baladent dans les intestins, une sorte d’analogie
physiologique sans bien comprendre ce qui est en cause dans l’appareil
psychique où ce qui peut être retenu à l’intérieur de l’intérieur, ce n’est pas
simplement des excréments, mais comme nous le savons ça peut être aussi bien un
rêve qui a été rêvé il y a 4 ans ½, et ça fait 4 ans ½ que l’obsessionnel se
promet de venir pour le raconter à l’analyste, qui meurt de chagrin pendant ce
temps-là, totalement incapable d’y voir clair dans cette fichue cure, etc., et
au bout de 4 ans ½,, eh bien le rêve sort enfin ! Voilà ce qui importe dans
l’idée de l’appareil psychique, c’est que si on ne pense pas en termes de
transfert, on va sombrer dans une sorte de mythologie sphinctérienne-mentale atroce,
où l’excrément n’est plus l’objet interne, et devient vraiment de l’excrément.
Je
vais partir pour développer cela d’une remarque d’une patiente, qui me disait
il y a quelques jours, car elle se sentait dédoublée sur le divan sous la
contrainte inflexible de la règle de tout dire, de l’association libre :
« l’une sent, et l’autre observe et verbalise ».
Je
trouve cette formule extrêmement juste chez un sujet qui n’a pas passé sa vie à
lire Bion, et qui dans cette auto-présentation, met d’emblée sur la table la
dissociation entre l’affect et la représentation. Nous ne pouvons pas faire
autrement que décrire notre existence – et l’obsédé moins qu’un autre – en
dissociant son affect et sa représentation. En même temps, vous voyez bien dans
cette formule que la dissociation elle-même, loin de servir à expliquer la
névrose obsessionnelle, est
obsessionnelle ! A quoi le voit-on ? Au fait que c’est adressé ! Cette formule
« l’une sent, l’autre observe et verbalise » est adressée, parce que qu’est-ce que ça permet ? Ça permet de témoigner
de l’effort que fait la patiente pour se
filtrer elle-même. La division
subjective fonctionne non à l’intérieur psychologique de la personne qui parle,
elle fonctionne entre la personne qui parle et celle qui pourrait entendre.
Le
constat est adressé avec du coup comme bénéfice de l’entendre adressé, avec une
prise de conscience soudaine de ce dont il s’agit dans la rumination. Pourquoi
est-ce si difficile quand on essaie d’extorquer de l’obsessionnel qu’on a sur
le divan, le rouleau de papier hygiénique à la main, « à quoi est-ce que
vous pensez ? Qu’est-ce que vous ruminez ? ». Le ruminant rumine
quelque chose « entre » l’aliment et l’excrément, et je crois que
quand on appelle ça des ruminations, on est véritablement dans la chose même, soit dans les significations qui sont pré-verbales,
mais post-sensorielles. Ce sont des choses, ces choses qu’on rumine, dont on ne
peut pas dire le texte exact, mais dont on peut parler indirectement : si
c’était des phrases, ça serait ceci ou cela. Le propre de la texture
langagière d’une rumination – ces significations moroses et vaguement
masturbatoires qui nous hantent - et
c’est exactement ce que cette patiente a tout d’un coup réalisé parce que la
contrainte de l’association libre ne rate pas ici l’obsessionnel, elle
introduit le coin au bon endroit pour disjoindre les bonnes parties du problème
-, elle s’apercevait qu’elle pouvait parler de
ce qu’elle rumine mais pas parler ce
qu’elle rumine. Ça, c’est totalement impossible, et ça pose, un pas au-delà
encore, un problème que j’aborderai en parlant de Bion l’année prochaine, c’est
celui de l’autonomie du rêve en dehors du récit du rêve. Est-ce que quand on
rêve avant de raconter ce dont on rêve, est-ce que le rêve est réellement
dissociable du récit du rêve ? Pour Bion oui, parce qu’il y a un certain
niveau d’organisation, nous pouvons utiliser un certain formalisme pour
appréhender ce qui se passe à ce niveau de la rumination. Ce n’est pas de la
bouillie pour les chats, c’est déjà un niveau d’articulation par rapport à ce
que la psychose nous apprend, lorsqu’il n’y a déjà même plus ce niveau
d’organisation, et notamment dans la schizophrénie.
Voyez,
le raisonnement consiste à utiliser un formalisme structural pour appréhender
des niveaux de consistance de la vie psychique en deçà du niveau dans lequel il
s’articule en une parole adressée. Lorsqu’on nous dit « l’un sent, l’autre
observe et verbalise », vous avez là la réflexion, dans le sens d’un effet
en retour, de ce qui viserait autrement l’existence
de l’analyste. Ce qui visait en effet mon existence là-dedans, c’est le danger que
de la haine se déchaîne. Il s’agissait au fond de s’instituer dans ce clivage
représentation / affect (que je ne prends pas comme vous le voyez comme une
manière d’expliquer la névrose obsessionnelle mais comme la texture même de la névrose
obsessionnelle), il s’agissait pour elle de s’instituer le filtre de sa propre
vie psychique, pour que rien n’en filtre qui puisse affecter son analyste. D’où
un problème que j’ai discuté avec plusieurs personnes expérimentées pour voir
un peu ce qu’elles en pensaient, qui est le problème de la « technique
active » avec la névrose obsessionnelle. A partir du moment où vous êtes
en face de quelqu’un qui filtre pour que rien ne transparaisse, la technique
active consisterait à inciter le patient à vous haïr. C’est un vieux problème
parce qu’il y a deux écoles : il y a ceux qui disent qu’il ne faut jamais faire ça, et ceux qui expliquent
qu’il faut toujours faire ça. Et
c’est très compliqué, car un certain nombre de questions que Ferenczi a posé
sur la technique active, il est transparent que c’est parce qu’il avait l’idée
qu’au fond « faire cracher » la haine, ce serait arrivé « plus
vite » au « plus vrai ». Dit comme ça, on comprend la réticence
de Freud. Cependant quelqu’un comme Lacan employait quelque chose comme de la
technique active, et on ne peut pas le soupçonner de le faire pour aller plus
vite au plus vrai, ce n’est pas du tout ce qui intéressait Lacan. Mais en tout
cas, se pose constamment la difficulté de ne pas laisser la règle de
l’association libre alimenter la
névrose obsessionnelle. Quand on dit à quelqu’un d’associer… d’associer
quoi ? C’est ça le problème ! S’il s’agit d’associer en sorte que
l’association soit précisément dans son déploiement le déploiement d’une
dissociation permanente entre la parole et l’affect, il y a des fois où il vaut
mieux se taire, où il vaut mieux respecter une certaine montée de l’acte de
parole plutôt que d’inciter un déplacement métonymique qui ne fait que
reconduire le problème en exploitant la cure elle-même à nourrir stérilement le
malaise. C’est un facteur d’interminabilité.
En
tout cas, bien sûr lorsque je suis avec quelqu’un qui dit « l’un sent,
l’autre observe et verbalise », voyez qu’on est aux antipodes du type de
patient que sert à décrire l’analité primaire, puisque c’est l’Autre qui ne
doit être affecté ni d’amour, ni de haine. Mais cet Autre est déjà là, constitué,
on n’est pas dans une fixation narcissique où le patient peut continuer à
parler les yeux clos pendant que vous allez ouvrir au suivant, et continue à
associer pendant que vous êtes sorti du cabinet, ce qui est une expérience
extrêmement troublante qui montre qu’il y a des patients obsessionnels qui
n’ont pas constitué l’Autre dont ils craignent la haine ou l’amour, et qu’ils
sont dans une fixation narcissique et non pas dans une fixation pulsionnelle.
Ce
que ce deuxième type de névrose obsessionnelle plus classique, viennoise,
montre donc, c’est que Freud avait raison de dire que c’est de refouler l’amour
et la haine qu’il s’agit dans la névrose obsessionnelle ; mais ce qu’il a
manqué, c’est qu’il s’agit de l’amour et de la haine de l’Autre.
C’est
cela qui n’est pas transparent dans « L’homme aux rats », où les
sentiments sont toujours décrit par Freud comme émanant sur un mode
psychologique du patient. C’est-à-dire qu’il ne prend pas la mesure - alors
qu’il sait qu’il est, lui, Freud, le « capitaine cruel » – de ce que
j’ai appelé il y a plusieurs séances, l’accordage émotionnel, c’est-à-dire
qu’on ne s’affecte que de ce qui affecte l’autre. L’affect ne peut jamais être
quelque chose que vous avez en vous, dont vous avez une connaissance en
première personne. Vos affects, vous n’y avez accès qu’en fonction de ce qui
affecte l’Autre et qui vous affecte en retour, d’affecter l’Autre.
C’est
le point sur lequel je voudrais conclure aujourd’hui : lorsque je parle de
surmonter la coupure affect /représentation, en suivant les
recommandations explicites de Freud au début de la deuxième partie du cas publié
de l’homme aux rats (où il dit qu’on ne peut pas en rester au simple clivage de
la représentation et de l’affect parce que c’est ce que disent les
obsessionnels), et que, par conséquent il faut penser l’acte ; ensuite, malheureusement, Freud ne fait que décrire
les clivages entre représentation et affect... Bon, mais si on essaie d’être
fidèle à l’inspiration freudienne, il faut alors considérer le transfert comme
un acte de parole (« acte de parole » que j’ai bien conscience
d’utiliser de manière de plus en plus personnelle et de moins en moins proche
de ce qu’on peut par exemple attraper d’Austin, de Searle, de Cavell).
Pourquoi ? Mais parce que cet acte de parole noue trois dimensions
essentielles, qui est ce qu’on dit à l’Autre, ce qu’on pose comme
acte en le disant – l’illocutoire – et ce qu’on fait à l’Autre en lui
disant ça comme ça – le perlocutoire[4].
C’est ça que je crois être le point essentiel : le perlocutoire affecte
l’Autre. Dans le transfert, c’est la dimension perlocutoire, qui n’est
pas conventionnelle (comme l’illocutoire), qu’on ne peut réellement pas
calculer d’avance, mais dont on ne cesse farouchement à chercher à produire les
effets de façon réglée.
C’est
le matériau même du fantasme : ce que le fantasme ambitionne, ce serait
d’être un effet perlocutoire qui s’impose à l’autre par principe, tout comme
dire : « Je promets » me lie par convention à ma promesse. C’est
pour ça qu’un fantasme n’est qu’un fantasme : on n’arrive pas à créer un
état dans lequel on puisse maîtriser le désir de l’Autre, mais ça ne nous
empêche pas d’essayer… Le discours obsessionnel se loge ainsi d’autant mieux
dans la demande d’associer librement, qu’il se l’approprie à ses propres fins
et qu’il détourne la règle fondamentale, en sorte que justement l’obsessionnel
réussisse à associer sans que le psychanalyste ait aucune présence réelle, rien
qui s’affecte des affects du patients. Sa façon d’élider la présence réelle de
l’analyste est une des propriétés essentielles de l’association obsessionnelle,
car pour ne pas affecter l’analyste, il faut faire en sorte qu’il n’y ait pas
de perlocutoire dans le propos qu’on lui tient. L’impossibilité, malheureusement,
de faire qu’il n’y ait pas de perlocutoire aboutit à la production d’au moins
cet affect qui est l’ennui, qui est l’ultime rempart avant l’angoisse. Produire
de l’ennui dans la cure est un succès de la névrose, une prouesse de l’appareil
psychique.
C’est
une des déterminations essentielles de la juste longueur des séances. Pourquoi
les britanniques font-ils des séances extrêmement longues ? C’est qu’au
bout d’un certain temps d’ennui, l’angoisse arrive au rendez-vous. C’est quand
même une des justifications intrinsèques de la longueur des séances : vous
ne pouvez pas ennuyer sans qu’au bout d’un certain temps, même si ce sont des
semaines et des semaines d’ennui et d’ennui, l’angoisse se fraye son chemin.
Je
termine là-dessus. Il n’y a pas besoin d’en dire plus. La prochaine fois, je parlerai
des TOC, j’essaierai de vous montrer qu’il y a une continuité extrêmement
intéressante entre les ambitions d’explication psychologique freudienne dans sa
théorie de l’action régressive et les conceptions actuelles, cognitives et comportementales,
de la névrose obsessionnelle.
X : Les kleiniens font des séances de combien de temps ?
Pierre-Henri Castel :
ce que je connais des Britanniques avec qui j’ai un peu échangé, c’est 50
minutes ou 1 heure. Mais c’est surtout le nombre de séances par semaine qui fait
que c’est un peu particulier : ils insistent beaucoup pour voir les gens 5
fois par semaine.
X : Je ne connais pas bien la technique active, mais est-ce que
ça consiste à intervertir…
Pierre-Henri Castel :
oui, il y a plein de procédés. La technique active, le premier point, ça
consiste à toucher les patients. Ça peut ensuite aller jusqu’à l’interversion
de la position du psychanalyste et du psychanalysé. Mais toucher les patients,
c’était semble-t-il tout à fait particulier, et c’était très mal pris par les
analystes des années 30. Il y avait une tradition phobique des rapports au
corps du patient. Serrer la main du patient était jusque dans les années 50
quelque chose de problématique, il fallait réfléchir avant de serrer sa
main ! Cela dit, je pense que tout le monde en a fait l’expérience :
il suffit que l’analyste pose son doigt sur l’épaule pour que tout
flambe ! Il y a quand même une question d’à-propos : produire des
effets pour produire des effets… C’est toujours le problème de ces trucs
kleiniens : quand c’est entre les mains d’un Bion ou d’un Bollas ou de
gens comme Green, ça va, mais on a quand même le sentiment qu’en dehors d’une profonde
spécification des buts de l’analyse, on descend rapidement la pente de
l’humanisme de la chatouille thérapeutique où l’on fait de l’effet pour faire
de l’effet. Le problème du kleinisme, c’est qu’il manipule des représentations
qui sont si folles, et d’une certaine manière, si proche de ce qu’il y a de
plus fou dans l’inconscient, qu’il est obligé, pour tenir la route, d’être
extraordinairement sensé au niveau des enjeux réels, et d’autre part que les
analystes eux-mêmes soient très profondément analysés. S’il subsiste un peu
trop de votre pathologie, on comprend ce qui se passait avec Masud Khan :
on vire à la perversion très vite. Masud Khan allait se saouler avec ses
patients chez eux ! Alors que c’était le secrétaire particulier de
Winnicott, et que pendant 25 ans il s’est allongé sur le divan de Winnicott,
qui n’y a vu que du feu !
Y : Green en a parlé de Masud Khan, d’un conflit qu’il avait eu
avec Masud Khan, un truc assez étonnant…
Pierre-Henri Castel :
Ils se connaissaient. Moi je trouve Masud Khan moins intéressant que Rosenfeld…
Y : A propos du self : Est-ce que vous pensez que ce n’est pas
non plus une substance chez Winnicott ?
Pierre-Henri Castel :
Je ne sais pas. Winnicott n’a écrit au fond qu’un seul texte vraiment systématique
qui est Human
nature dans lequel il récapitule ses positions philosophiques. Pour
répondre à ce type de question, moi je le trouve très aristotélicien, c’est
vraiment quelqu’un qui pense à un développement, une genèse, une croissance,
etc. Dès ce moment-là, on ne peut pas éviter d’avoir le paradoxe aristotélicien
d’un self substantiel, d’un moteur vital, d’une source de mouvement
interne qui s’actualise de différentes manières en supportant des tensions.
En plus, ce qui est problématique, c’est que Winnicott n’est pas un penseur
du conflit ou de la contradiction. C’est un penseur de la contrariété, et
par conséquent, il y a partout de la médiété, tout ce qui chez Freud est déchirement,
comme l’Œdipe, est chez lui retourné en consolidation. Il est profondément
aristotélicien dans sa construction du psychisme, et finalement, même dans
les meilleurs aspects de la pensée de Winnicott, ceux où il est très humien,
où il pense une production radicale par la fantaisie, quand il pense que la
capacité à fantasier est dépendante de l’Autre maternel, ça vire à la fin
à une théorie du narcissisme primaire. Donc à un soi substantiel. Winnicott
croit au narcissisme primaire dans un sens le plus bêta, il a beaucoup de
mal, même s’il le fait par moment, à envisager que si on a un rapport imaginatif
à la production fantasmatique, c’est parce que nous sommes accueillis dans
l’Autre, que l’Autre fait une place.
Dans la lecture qu’il fait
du stade du miroir de Lacan, c’est clair : Winnicott prend du stade du
miroir la version de la mère la plus compatible avec une sorte d’idéalisme du
développement du sujet. Alors que rien ne prouve que lorsque la mère regarde le
regard de l’enfant se regardant dans le miroir, elle lui dise : « C’est
bien toi ! » Dans son regard, il peut y avoir aussi bien :
« Ben qu’est-ce que tu as ? » C’est l’enfant qui produit le :
« C’est bien moi », et pas toujours. Le portage, le holding de l’enfant par sa mère devant
le miroir n’a pas chez Lacan ce caractère téléologique qu’y suppose Winnicott.
Le problème est que le
Winnicott intéressant est le Winnicott passé à la moulinette de Green, c’est un
Winnicott bionisé. L’objet transitionnel devient alors la pièce centrale d’un
appareil psychique au sens de Bion. L’objet transitionnel permet de construire le cadre de l’analyse, la
structure du transfert, et de récupérer en termes de « position »
ubiquitaire, investissable à tous les moments de la cure, quelque chose qui au
départ est un simple épisode de la psychogenèse infantile. L’objet
transitionnel, ou mieux, la transitionnalité, est donc construit comme un
appareil à produire des relations, un « espace » transitionnel qui se
métamorphose dans la théorie et la clinique de Green en « appareil »
transitionnel. L’objet de Winnicott est traité par Green à la lumière la
fameuse métaphore bionienne de la machine à penser ses pensées ».
[1] Ce sont les là les critères de l’axe II du DSM-IV.
[2] C’est par exemple là qu’il va rajouter une fameuse note sur le rôle des hormones.
[3] Une sorte de bouchon excrémentiel qui se forme à l’intérieur du rectum, qui se dessèche, et qu’il faut enlever par des moyens chirurgicaux ; car sinon on en meurt : il y a quasi minéralisation des résidus excrémentiels à l’intérieur du corps.
[4] On ne dit pas à quelqu’un qu’on le menace, mais on lui parle de manière telle que l’effet que ça lui fasse qu’on lui parle, c’est qu’il se sente menacé. Si on lui dit « je te menace », c’est complètement inutile et ça tombe à l’eau, et Cavell note à ce propos que le « je » ne peut pas figurer dans l’explicitation du perlocutoire sans en émousser la force.