Séminaire "Psychanalyse et philosophie de la psychanalyse"

(les deuxièmes jeudis du mois de 20h30 à 22h30, prochaine séance le 11 avril, en distanciel, me contacter pour participer)

De la "pure" psychose aux états limites "psychotiques": considérations épistémologiques, anthropologiques et cliniques (année 2023-2024)

Je me propose de compléter le cycle d’exploration de la « psychanalyse contemporaine » entamé depuis maintenant plusieurs années, et qui nous a fait passer de la question du rêve et de la rêverie à celle de l’opposition névrotique/non-névrotique, à la psychosomatique et aux nouvelles ( ?) dimensions de l’agir pervers en relation à la pulsion de mort, en abordant la question redoutable des mutations ( ?) de la notion-clé de psychose. Difficile, en effet, de parcourir les figures si complexes et variées des « états-limites » (objets par excellence de la psychanalyse contemporaine) sans envisager ce qu’ils changent à notre représentation de la reine des pathologies psychiatriques « classiques ».
Deux grandes références vont me guider. Tout d’abord, un « mémoire » assurément moins connu que celui de Schreber, mais qui a l’avantage d’être rédigé en français, Les Farfadets, ou tous les démons ne sont pas de l’autre monde, de Berbiguier. Exemple-type de ce qu’on nommera plus tard « paranoïa » ou, peut-être mieux, « psychose hallucinatoire chronique », ce document fascinant témoigne du genre de torsion psychique extrême que la grande transition de l’Ancien régime à la modernité post-révolutionnaire a imposée aux individus — soit la psychose, condition subjective de l’« aliéné ». L'hypothèse que je mettrai au travail est la suivante: on doit prendre au sérieux la dimension théologico-politique qu'ont prise ces délires dès le départ et, plus étonnant encore peut-être, qu'en un sens particulier, ils n'ont jamais perdue. En en risquant une lecture psychanalytique, on y aura beaucoup égard. Par contraste donc avec Berbiguier, et pour mesurer le chemin parcouru, on lira ensuite Les Mains du dieu vivant, de M. Milner. Ce récit de cure est en effet paradigmatique de la nouvelle articulation d’abord implicite dans la pratique clinique avant d’être explicité dans la théorie, entre la psychose et ce qui sera ultérieurement identifié comme les états limites. Profondément imprégnée de Winnicott et de M. Klein, mais découvrant aussi, après-coup, sa proximité avec Bion, l’étude de M. Milner commande encore en psychanalyse, telle est mon hypothèse, l’élargissement post-freudien et post-psychiatrique de la notion de psychose.

Première séance (11 octobre 2023): Introduction aux thèmes de l'année

Deuxième séance (9 novembre): Une pychose démoniaque au 19e siècle, Berbiguier. Documents consultables: Les Farfadets sur Gallica, une notice sur Cornelius Agrippa, un article intéressant de J.-L. Steinmetz sur Berbiguier et Schreber, "Comment les dogmes finissent" de Jouffroy. Transcription de la séance (nouveau)

Troisième séance (14 décembre): Une psychose angélique au 19e siècle, l'affaire Martin.

Sur Martin et Berbiguier, voir "Pourquoi les grandes folies psychiatriques ont-elles pris un tour théologico-politique à l’époque moderne ? Une hypothèse à partir de La Place de Dieu de Bruno Karsenti"

Quatrième séance (11 janvier 2024): Commentaires sur les farfadets

Cinquième séance (8 février): Etats limites psychotiques, ou "psychose ordinaire" ?

Sixième séance (14 mars): La "Susan" de Milner: une subjectivité post-paranoïaque ? Documents consultables: Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, l'ensemble de la section 5.6

Septième séance (11 avril): Commentaire de la séance du 8 janvier 1959 dans Les Mains du Dieu vivant, chapitre 26 (nouveau)


La pulsion de mort revisitée: les transformations du concept de perversion en psychanalyse, dans leur contexte socio-historique (année 2022-2023)

S'il est envisageable, au moins dans une certaine mesure, de dénaturaliser et d'historiciser la notion freudienne de pulsion de mort, du moins rapportée à certains figures du Mal, thème du séminaire de l'année précédente, une objection tout à fait centrale se présente dans la conception psychanalytique classique: la relative constance historique, voire l'invariabilité des perversions (c'est-à-dire des perversions sexuelles), et leur enracinement dans la sexualité infantile. Freud ne s'y est pas trompé, c'est là un argument puissant en faveur de la naturalisation en dernière instance des fondements de la doctrine. En même temps, et de façon qui n'est paradoxale qu'en surface, l'idée freudienne de perversion offre, via le concept de pulsion, un moyen original de ré-historiciser et de relativiser considérablement les évidences morales sur le Mal, la "bonne" sexualité, la différence des sexes, l'angoisse et la culpabilité, mais aussi des données apparemment plus intangibles, quasi physiologiques, comme la nature et les limites du corps, le plaisir, la douleur, la jouissance et la mort. Comment reprendre aujourd'hui cette réflexion, et la mettre en relation avec certaines étrangetés de la clinique, en particulier l'idée de perversions (sexuelles?) qui seraient "nouvelles"? Que penser, également, de la lente dépathologisation de certaines perversions sexuelles autrefois fortement psychiatrisées, laquelle ne va pas sans une radicalisation dans le discours social de l'imputation de perversion à des conduites qui n'étaient justement pas, il y a peu, si stigmatisées ou du moins, conçues comme des paradigmes du Mal ? La notion psychanalytique de perversion a-t-elle besoin, de toutes façons, de s'articuler à une théorie psychopathologique, criminologique, ou normative au sens social et moral, ou son lien à la sexualité infantile comme "universel" l'en dispense-t-elle par structure? Et ce ne sont là que des questions préliminaires. Elles ne préjugent en rien de réflexions plus pratiques, comme celle de la curabilité du pervers, et du sens même d'une telle entreprise, ou encore des situations remarquables où une perversion apparaît plutôt comme une "solution élégante" à des ravages potentiellement pires.

Je suivrai deux axes principaux. Le premier consistera surtout à reprendre, expliquer et réélaborer mes recherches sur le concept de perversion (Perversion, analyse d'un concept, suivi de Sade à Rome, Ithaque 2014); le second, à examiner un certain nombre de travaux récents, toujours dans la mouvance de la "psychanalyse contemporaine" poursuivre l'évaluation théorique et critique, et qui s'attellent à réélaborer la clinique de la perversion, et à en fournir une métapsychologie nouvelle (de Lacan ou Masud Kahn à de Masi). Dans cet esprit, je proposerai de mettre à l'étude et de traduire en groupe (selon des modalités à examiner) un recueil d'articles de Michael et Batya Shoshani, Timeless Grandiosity and Eroticised Contempt. Technical Challenges Posed by Narcissism and Perversion, Phoenix, 2021.

Première séance (13 octobre): Introduction générale

Deuxième séance (10 novembre): Le concept de perversion, une analyse adverbiale

Troisième séance (8 décembre): "Quelques réflexions sur la guerre, la destruction et la pulsion de mort", discussion avec Howard Levine, avec, en contrepoint, "L'explication psychanalytique des comportement génocidaires", version de travail d'un article paru dans Le Présent de la psychanalyse. L'enregistrement de la séance est disponible ici.

Quatrième séance (12 janvier): Retour sur l'exposé de Howard Levine et reprise du concept de perversion: le cas du masochisme

Cinquième séance (9 février): La conception freudienne, puis freudo-lacanienne des perversions, et ses problèmes internes

Sixième séance (9 mars): Les perversions pour Masud Khan

Septième séance (13 avril): Discussion de Masud Khan, perversions et états-limites, perspectives socio-historiques et problèmes épistomologiques. Textes à l'appui: Sandor Lorand, "Fetishism in statu nascendi" (1930), Wladimir Granoff et Jacques Lacan, "Le fétichisme, le symbolique, l'imaginaire et le réel" (1956)

Huitième séance (11 mai): A partir de Timeless Grandiosity and Eroticised Contempt de M. et B. Shoshani: Perversion au sens classique et perversion dans le cadre des états-limites

Neuvième séance (8 juin): Conclusions générales, et retour sur le cas "Bruno". Texte à l'appui: "On working psychoanalytically with bordeline patients" (H. Levine) (nouveau)


La pulsion de mort revisitée: processus de civilisation, décivilisation et clinique contemporaine (année 2021-2022)

Dans la suite du séminaire de l’année passée, où j’avais abordé les états-limites dans la « psychanalyse contemporaine » à la lumière de certains développements sur le « processus de civilisation » à la Elias, ainsi que des vicissitudes contemporaines de la Selbstzwang (l’autocontrainte), je commencerai en abordant l’autre grande série psychopathologique couramment associée aux avancées supposées de cette « psychanalyse contemporaine » : les cas dits « psychosomatiques ». Un remarquable livre récent de Gérard Szwec, Au Bout du rouleau (PUF, 2021) servira de premier point d’appui. En effet, la psychosomatique au sens des psychanalystes présente deux traits capitaux pour l’enquête critique que je poursuis. Elle donne un poids central à la notion de « représentation » psychique (et de « mentalisation ») — ce à quoi j’ai essayé de suggérer des alternatives —, et elle prend particulièrement au sérieux l’idée de pulsion de mort (de « destructivité »), en ranimant des motifs freudiens classiques, comme ceux de l’économique et du narcissisme. Mais précisément : cette clinique bien particulière (moins un tableau morbide censément inédit, comme les états-limites, qu’une extension du champ traditionnel d’action de la cure), en faisant appel à l’idée de pulsion de mort, l’approfondit dans une direction avant tout psychologique. Significatifs à cet égard sont les essais d’André Green dans Pourquoi les pulsions de destruction et de mort ? (Ithaque, 2018), qui disent bien comment la « psychanalyse contemporaine » a fait évoluer ce vénérable concept.

Or, de même que l’an dernier je travaillais à dé-psychologiser et dé-naturaliser plusieurs notions-clés autour des états-limites, cette année, je voudrais explorer les chances d’une lecture résolument historique et sociale (et non plus métabiologique, comme depuis Freud) de la pulsion de mort. Je discuterai donc de la notion tardive chez Elias de « décivilisation » (qu’il mobilisa pour rendre compte du nazisme), de ses usages historiques et sociologiques aujourd’hui, et enfin de ce que les résultats d’une semblable approche altèrent éventuellement dans la clinique contemporaine de la pulsion de mort — pas tellement en niant la dimension psychique, mais en articulant de façon plus serrée psychogenèse et sociogenèse, et en reposant à nouveaux frais la question du « malaise dans la civilisation », quand ce malaise tourne à des phénomènes de désintégration, d’effondrement, etc., individuels et sociaux d’un seul tenant.

Enregistrement des séances

Première séance (21 octobre): Introduction générale

Deuxième séance (18 novembre): Violence extrême, narcissisme des petites différences et pulsion de mort

Troisième séance (16 décembre): Remarques sur la psychosomatique, à partir de Mars, de Zorn, et d'Elias

Quatrième séance (20 janvier): Représentation et représentationisme chez Freud, à partir de la psychosomatique

Cinquième séance (17 février): Enjeux généraux d'une critique du représentationnisme en psychanalyse

Sixième séance (17 mars): Le surmoi, sa construction chez Freud et Melanie Klein, et sa potentielle historicité

Septième séance (21 avril): Le surmoi, sa fonction dans la cure

Huitième séance (19 mai): Le surmoi, entre Lacan et Bion

Neuvième séance (16 juin): Récapitulation générale. Psychosomatique et représentationnisme, histoire du surmoi, séminaire de l'année prochaine (nouveau)


Repartir du rêve : sur la situation contemporaine de la psychanalyse (année 2020-2021)

Je propose cette année une série d’exposés détaillés qui voudraient faire droit aux trois enjeux suivants.

Ce ne sera pas moins un séminaire sur la psychanalyse qu’un séminaire de psychanalyse. Il me semble en effet absolument impossible d’apprécier la situation contemporaine de la psychanalyse à partir de la psychanalyse prise en elle-même (de ses théories, mais aussi de ses pratiques et de ses institutions), envisagée comme une formation isolée et approchée de manière purement interne. Mais je n’ai pas non plus l’intention de me contenter d’une réflexivité faible à l’égard de la psychanalyse d’aujourd’hui, par exemple en me contentant d’examiner son « contexte » social et moral, les polémiques périphériques avec divers champs scientifiques proches ou lointains, et autres choses du même genre. L’idée directrice est au contraire qu’on ne peut pas faire de psychanalyse sans discerner en quoi consiste le besoin de psychanalyse, spécialement fragile et contingent, ce qui exige des précisions substantielles sur la condition moderne, celle des individus, mais aussi sur la place de la psychanalyse dans le développement de la rationalité dont ces mêmes individus ont besoin pour s’orienter – tâche réflexive indissolublement philosophique et sociologique au sens large. C’est en réfléchissant ainsi qu’on peut s’adresser à la psychanalyse en pointant ce qui est exigible d’elle, quoi qu’elle soit par ailleurs en mesure d’offrir. À l’inverse, pas plus qu’on ne peut faire de psychanalyse, donc en développer et les concepts et la pratique, sans disposer de moyens rigoureux d’articuler ce qu’on fait à de tels processus longs, sociaux, historiques, intellectuels, on ne peut pas davantage reculer devant l’examen des points litigieux, voire des crises qui affectent le développement de la psychanalyse pensée comme un champ autonome. Au contraire, pour lutter contre les penchants à la scolastique (freudienne ou post-freudienne) comme aux usages mystifiants d’une clinique simplement invoquée, mais jamais exposée publiquement dans ses articulations effectives, il faut entrer dans son détail technique en y sélectionnant précisément les apories qui emportent tout le tranchant de la psychanalyse comme cet art, ou peut-être cette science, qui est née avec la modernité, et comme un de ses fruits les plus étranges.

Or, sous le nom de « psychanalyse contemporaine », s’est développée depuis, disons, une vingtaine d’années, un courant particulier dont j’aimerais examiner certaines thèses-clés. Elles intéressent un public français au moins pour cette raison qu’il procède pour partie d’un rejet virulent de Lacan (notamment chez Green) dont il est aisé d’observer les séquelles. Les enjeux sont cependant plus vastes. Car le défi que cette mouvance prétend relever est double. Intellectuellement, c’est celui d’une synthèse métapsychologique susceptible d’intégrer les positions de Bion et celles de Winnicott – sans déchirure avec Freud, voire au nom d’un « retour à Freud » tout à fait inédit. Ces idées, d’autre part, ne sont nullement hors-sol. Non seulement elles procèdent des extensions kleiniennes et post-kleiniennes de la cure psychanalytique aux enfants comme aux patients psychotiques, mais elles s’intéressent à des situations cliniques qui ont été très souvent définies comme des « pathologies de la modernité » : les « états-limites » étant le cas paradigmatique des situations dites « non-névrotiques » au cœur des soucis de ces cliniciens. Comme toujours, la façon dont la pulsion de mort et la vérité dans la cure sont prises en compte est le critère concret auquel on doit les évaluer. Je dirai à la fois tout l’intérêt et toutes les réserves que cette mouvance suscite, à la fois les implicites sociologiques et historiques qu’elle brasse à son insu, et les impasses conceptuelles, voire logiques, qui en grèvent, à mon avis irrémédiablement, les chances. Il y a, en effet, là-dessus beaucoup à dire, surtout quand on fait les pas de côté rendus possibles grâce à l’histoire savante de la psychanalyse, mais aussi à la lumière de certains débats philosophiques actuels qui s’en prennent à la notion habituelle de représentation.

Il n’en reste pas moins qu’il s’agit bien de psychanalyse, en ceci que le « retour à Freud » dont il s’agit engage le débat avec le noyau central, ultime, de ses conceptions : la théorie du rêve dans la Traumdeutung, donc celle de l’appareil psychique, et donc finalement de ce qui a d’abord permis de conceptualiser l’inconscient sexuel, le symptôme, le transfert, l’interprétation, etc. En effet, avec l’introduction de la notion bionienne de reverie, c’est une seconde théorie du rêve (et de ce qui s’en suit d’essentiel en psychanalyse) qui irrigue désormais, selon moi, les débats de la « psychanalyse contemporaine ». Comment la préciser, puis la formaliser ? Quels concepts supplémentaires, c’est-à-dire en même temps quelles nouvelles pratiques cliniques appellent du coup cette formalisation ? À quel genre d’obstacle s’attendre sur son chemin ? Voilà aujourd’hui l’enjeu de « repartir du rêve ». C’est en tout cas autour de ce motif d’une telle seconde théorie du rêve que je tâcherai de mettre en ordre les détails techniques qui comptent, les modalités très spécifiques du transfert et du contre-transfert qu’elle sert à exprimer et à articuler, l’idée qui s’en dégage des fins de la cure et, pour finir, la lumière plus générale que ces efforts, y compris dans leurs impasses, sont susceptibles de jeter sur notre condition. Car, une fois encore, je me réglerai systématiquement, pour déplier ces enjeux, sur le problème du besoin contemporain de psychanalyse, autrement dit du sens qu’elle a et qui n’est pas forcément celui qu’elle se donne ou qu’elle croit avoir.

Enregistrements des séances

Première séance (15 octobre): Introduction générale

Deuxième séance (19 novembre): Qu'est-ce que la rêverie pour la "psychanalyse contemporaine"?

Troisième séance (17 décembre): Histoire de la rêverie et de la dorveille. Le rêve freudien, sa situation anthropologique et les paradoxes qui en découlent

Quatrième séance (21 janvier): L'appareil psychique, chez Freud et chez Bion (1. Une approche génétique)

Cinquième séance (18 février): L'appareil psychique chez Bion (2. Sémantique et épistémologie)

Sixième séance (18 mars): La transformation kleinienne de l'interprétation du rêve, une forme d'expressionnisme

Septième séance (15 avril): Mais d'où viennent donc les patients de la psychanalyse contemporaine? Une généalogie des états-limites à partir des travaux de Cas Wouters sur l'informalisation

Huitième séance (21 mai): De l'informalisation à la clinique concrète des états limites: une lecture du récit de cure de Margaret Little avec Winnicott. (mot de passe r3.r8kNt))

Neuvième séance (18 juin): Récapitulation générale de la progression du séminaire et analyse critique des propositions d'André Green dans La Folie privée