De la névrose obsessionnelle
aux TOC : remarques sur le passage du paradigme psychanalytique au paradigme
cognitivo-comportementaliste
Dans le débat contemporain sur les psychothérapies, leur
efficacité comparée, leur justification épistémologique, leur dignité morale,
leur incidence sociale et politique, l’opposition de la psychanalyse et des
thérapies cognitivo-comportementales (TCC) occupe une place éminente. Le débat
en effet y prend un tour intellectuel hautement valorisant pour ceux qui y
participent. Les cognitivo-comportementalistes peuvent y mobiliser tout un
ensemble de connaissances psychométriques assez raffinées, de neurobiologie et
d’imagerie cérébrale, de procédés explicites et transmissibles, modifiés par
essais et erreurs, mais faire valoir aussi l’appui quasi-indéfectible qu’ils
obtiennent auprès d’un public bien particulier, les consommateurs de TCC
regroupés en associations et mus par une logique d’empowerment,
laquelle réconcilie la médecine scientifique et les aspirations démocratiques
des individus à reprendre la main sur leur destin psychique[1].
Les psychanalystes, de leur côté, ne manquent pas de mettre en avant
l’attention exceptionnelle qui est la leur aux singularités existentielles des
cas, le raffinement de leurs descriptions psychologiques, la qualité éthique
d’un travail qui ne traite pas les symptômes psychiques comme des parasites
mentaux ou comportementaux. Pour eux, ils répondent à des besoins fonctionnels passés,
voire archaïques, et il importe de les élucider comme des composants intimes du
soi, en bénéficiant secondairement du prestige attaché à des procédés qui ne
sont jamais aussi mystiques que quand ils font un effort sincère pour expliquer
qu’ils ne le sont surtout pas. Or ils suscitent des adhésions personnelles et
un sentiment du destin personnel eux aussi fortement congruents avec
l’individualisme dominant de nos sociétés démocratiques.
On pourrait ainsi raisonnablement argumenter que, d’un
point de vue sociologique, la psychanalyse a trouvé dans les TCC
« son » adversaire, un peu comme le balancier parvenu au sommet gauche
de son oscillation n’a fait qu’accumuler l’énergie qui l’entraînera vers le
point haut opposé. L’individu contemporain veut en effet et la scientificité
impersonnelle et l’attention exclusive calculée pour lui, l’hyperindividualisme
au risque d’une solitude tragique mais enfin « vraie » et la chaleur
du groupe qui le soutient de sa compréhension empathique, l’efficacité garantie
sur facture et l’éthique la plus sourcilleuse — autrement dit, quand il s’agit
de soins psychiques, être et n’être pas malade.
Si cette hypothèse est correcte, une de ses conséquences
remarquable est qu’il y a peu de chances, finalement, malgré les angoisses
affichées des psychanalystes, que leur façon de faire avec la souffrance
mentale disparaisse jamais purement et simplement du champ social. Qu’elle
devienne mineure, ou marginale, c’est bien possible. Elle saura sans doute y
faire face avec l’instrument qui a toujours été le sien dans les époques de crise
historique, la quête d’une authenticité toujours plus grande dans l’expérience,
laquelle exerce la séduction collective la plus haute et reste compatible avec
son statut de thérapie d’élite.
Mais l’examen circonstancié (je n’en propose ici qu’une
ébauche, préparatoire à un long essai à venir) d’une pathologie mentale bien
spéciale, la névrose obsessionnelle, et de sa transformation en troubles obsessionnels-compulsifs
(TOC) dans la psychiatrie actuelle post-psychanalytique, pourrait en dire plus
long sur les enjeux ultimes de ce conflit. Cet examen pourrait surtout dissiper
l’impression qu’il n’y a finalement pas grand-chose de rationnel dans les
polémiques entre partisans des TCC et psychanalystes, qu’ils ne parlent pas de
la même chose, et que la simple prise en compte du contexte médical,
institutionnel, culturel, voire des mœurs au sens large, suffit à en épuiser le
contenu. Non : le débat épistémologique et clinique peut tout à fait avoir
lieu, car les uns et les autres sont bien aux prises avec un objet psychique
retors et complexe, et le détail historiquement reconstructible du remplacement
de l’antique névrose obsessionnelle pré-freudienne et
freudienne par les TOC révèle, c’est l’idée que je développe, la dépendance
remarquable de la caractérisation conflictuelle d’une souffrance de l’agir
et de l’acte, et du rapport douloureux à soi et à ses pensées propres,
au contexte historique et social de notre définition de nous-mêmes comme
« individus autonomes »[2].
Ce remplacement (ou déplacement) de la névrose
obsessionnelle par (ou vers) les TOC n’a de sens, à mon avis, que si l’on peut
articuler ensemble ses trois dimensions.
Restituer
à l’arrière-plan de polémiques plus que féroces, parfois carrément haineuses, une
grande complexité épistémologique et clinique, risque bien sûr d’émousser ce
qu’elles ont de salutaires, qui est de forcer chacun à prendre ses
responsabilités. Mais la description pure a son avantage, qui est d’éviter aux forces
investies de se dépenser pour des gains sans portée.
Jusque
dans les années 50, le paradigme psychopathologique dans lequel sont
appréhendés les phénomènes obsessionnels reste fortement marqué part le
freudisme. En 1947, la Classification Internationale des Maladies, publiée par
l’OMS, individualise les phobies à part des obsessions ; en 1952, le DSM 1
fait de même, et introduit également officiellement la notion de
« personnalité obsessionnelle ». Ce sont là des opérations
taxinomiques directement post-freudiennes. Il faut attendre 1959 et la parution
du très important American Handbook of Psychiatry, édité sous la direction de Silvano Arieti, pour que Sandor Rado, psychiatre et
psychanalyste américain (émigré d’Europe), introduise au moins le terme
d’« obsessionnel-compulsif » dans la terminologie. Si le trait
d’union s’est conservé, c’est qu’il s’agissait de mettre d’accord deux
traductions anglaises du concept allemand de Zwangsvorstellung.
Fallait-il traduire par « compulsion » avec les Américains et
souligner alors la dimension de poussée (Zwang)
qui commande l’émergence de la représentation (Vorstellung)
obsédante, comme si celle-ci était ce qu’on est compulsivement forcé de penser ou
de mettre en acte malgré soi ? Ou bien, avec les Britanniques, traduire
par « obsession », autrement dit, mettre en avant la représentation
comme un vecteur intentionnel mental interne à la poussée, comme, en somme, une
« idée de… » qui n’a de cesse de vouloir s’imposer
à l’esprit et de se réaliser contre la volonté de l’obsédé ? Rado est net : obsessionnel-compulsif est né d’un
compromis, ou si l’on veut, pire, d’un refus délibéré de trancher[5].
J’ai expliqué ailleurs, cependant, que toute la psychopathologie de ces
phénomènes, un peu avant Freud, chez Jules Séglas,
Pierre Janet et Leopold Löwenfeld,
avait tranché pour la version intentionnaliste de l’obsession (l’idée dirige la
tendance à l’acte, et l’angoisse naît de et avec l’angoisse de perdre contrôle),
contre la version émotiviste alors dominante (l’angoisse pousse à penser à ce
qui angoisse, puis à une décharge évacuatrice par et dans l’acte)[6].
Freud est en un sens ambigu, puisqu’il refuse que l’obsession soit
primitivement intellectuelle, ou une idée : elle est affective, mais pas
purement anxieuse, comme dans la phobie, d’un degré de complexité affective
supérieure, impliquant culpabilité, doute, etc. Mais chez lui, l’affect est intimement
lié à la représentation qui la vectorise, et qui l’intentionnalise,
si l’on peut dire, qui en fait donc une « angoisse de… », comme l’expression « à l’idée de… » annonce déjà une poussée anxieuse. Rado,
ce faisant, rouvrait la porte à une étiologie des obsessions-compulsions
reposant sur une émotivité tempéramentale, un fond d’angoisse intellectualisée,
mais après-coup, au détriment d’une approche par l’angoisse morale, ordonnée
aux conflits entre idéaux et pulsions.
Cette
solution diplomatique enveloppe un problème majeur et qui ne s’est pas démenti
dans la suite : une pensée contrainte (quelle soit une envie de blasphème,
une vision affreuse de la mort d’un proche, une « pulsion » inopinée
de jeter son enfant dans le feu, un doute tout à fait torturant sur quelqu’un
qu’on aurait pu renverser sur la route sans y prendre garde, etc.), une telle
pensée est-elle encore une pensée, si elle se pense en moi sans que je
la pense ? Et ces gestes parfois aussi complexes que des scénarios de
théâtre qu’il me faut accomplir pour conjurer une angoisse encore plus
angoissante que celle que je décharge temporairement en y cédant, malgré la
honte, le ridicule, ou leur simple irrationalité à mes propres yeux ? En
quoi sont-ils mes gestes ? Et s’ils ne sont pas mes actions, puis-je
les réduire à des décharges motrices involontaires, à des tics ou des
agitations nerveuses ? Les polémiques entre tenants des TCC et psychanalystes
se sont concentrées là-dessus : quelle part faire à l’intentionnalité
irréductible des phénomènes obsessionnels, à leur sensibilité au contexte moral
et social ? Quelle part faire, à l’inverse, aux évidentes prédispositions
d’ordre tempéramental (donc génétiques, neurobiologiques) qui mobilisent
l’anxiété précisément dans la direction de symptômes si
« intelligents » ?
Il
ne fait guère de doute que, jusque dans les années 1990, la psychopathologie
post-freudienne et cognitive, n’envisageait simplement pas qu’il puisse y avoir
autre chose dans les phénomènes obsessionnels-compulsifs qu’un variété de
troubles anxieux orienté d’abord vers une décharge, l’idéation obsessionnelle y
étant essentiellement accessoire. C’était, en quelque sorte, le grand retour
des thèses non seulement, pré-freudiennes, mais même pré-janétiennes : en somme, des thèses
anti-psychologistes. Le DSM III-R,
en 1987, définissait les compulsions comme des « comportements », qui
n’étaient intentionnels qu’en réponse à des obsessions,
pas toujours présentes ou du moins développées. C’est seulement dans le DSM
IV, en 1994, que furent enfin admises dans la nosographie ce que connaît
pourtant n’importe quel clinicien depuis le XIXème
siècle, les « obsessions pures » qui n’ont aucun retentissement dans
la sphère de l’agir, et qui ne se déchargent pas spontanément sous forme d’agir
compulsifs.
Pourquoi
cela ?
Parce
qu’il existe, en amont des descriptions cliniques des troubles obsessionnels,
un débat conceptuel sur ce qu’on y observe au juste, qui varient non seulement
avec les patients pris un à un, mais encore avec les moyens descriptifs
reconnus légitimes, aussi bien sur le plan psychologique que sur le plan
culturel. Qu’est-ce qui prime en effet ? Est-ce l’obsession comme
intentionnalité mentale (avec comme cas-type la représentation préalable de
l’acte qu’on se « défend » anxieusement de commettre, acte vécu comme
épouvantable) ? Ou est-ce la compulsion, autrement
dit, une excitation à agir qui, dans l’angoisse, se donne des contenus représentationnels
plus ou moins arbitraire, en tout cas non-déterminant ?
Dans
la « Contribution à la théorie » qui clôt l’exposé du cas de
« l’homme aux rats »[7],
Freud propose une construction extrêmement ingénieuse, qu’on peut brosser ainsi
à gros traits. Vient d’abord un agir, qui est comme de juste une action à
finalité sexuelle, d’origine infantile et qui est refoulé car interdit. Mais le
refoulement procède en imposant une régression spéciale, dans la névrose
obsessionnelle : une régression de l’agir au pensée. En somme, si le sujet
réussit à se défendre contre la compulsion, la seule trace qui subsistera de
l’agir défendu, ce sera l’idée de l’acte, le vécu d’une intention coupable.
L’obsession mentale, ou « pure », selon Freud, est donc une
compulsion définitivement étouffée comme action, dont ne surnage que l’angoisse
où s’est dissoute la culpabilité qui accompagnait le désir plus déterminé de
départ, maintenant refoulé. Il n’est pas question de mentionner cette
construction pour mémoire, comme si elle relevait de l’élucubration dépassée
des âges obscurs. En fait, le modèle comportementaliste dominant d’interprétation des troubles
obsessionnels-compulsifs en est le symétrique inverse. Il s’esquisse dans les
années 1960 chez Isaac Marks, et prend sa forme achevée sous la forme de ce
qu’on appelle quelquefois le « modèle de Greenberg ».
Dans ce raisonnement, on part de l’obsession. D’un point de vue
phénoménologique, une montée d’angoisse lui est associée ; mais d’un point
de vue plus étiologique, c’est l’anxiété qui est primaire, et la représentation
obsédante est contingente quant à son contenu. L’agir, même sous une forme en
esquisse, a un pouvoir sédatif : l’angoisse de l’obsession se décharge
quand on cède, même un peu, même « en pensée » à l’acte atroce qu’on
se représente, ou à l’envie de vérifier, ou à l’envie de se laver les mains
pour chasser l’impression obsédante de souillure, etc. Mais s’amorce alors une
boucle paradoxale : le circuit neurobiologique de la récompense est pertubé par cette décrue de l’anxiété, et il devient
progressivement impossible de ne pas céder encore une fois à la décharge de
l’angoisse par l’agir. D’obsédant, l’acte est devenu compulsif. Cette
modélisation inverse également les stratégies thérapeutiques. Pour les
freudiens, la levée du refoulement touchant le désir intentionnel primaire
liquide la solution par la fuite régressive de l’agir dans le penser (avec
toutes les déformations qui en résultent, et que Freud rapporte aux altérations
des contenus de désir dans le rêve). Pour les cognitivo-comportementalistes, il
faut d’abord déconditionner la compulsion, autrement dit, la fausse solution
par le soulagement d’angoisse temporaire, et seulement ensuite, mais
accessoirement, tenter de s’attaquer à l’obsession.
Les
difficultés de ce modèle pour les TCC sont largement connues. On reste en peine
d’expliquer pourquoi certaines représentations sont à ce point angoissantes, et
même si les patients sont bien déconditionnés de leurs agirs
compulsifs (qui peuvent aller jusqu’à des rituels élaborés), on observe
couramment des vestiges mentaux cicatriciels : une idée de…, une intention
qui avorte, bref, plus ou moins ce dont partait Freud. Les thérapies purement
cognitives tentent de s’attaquer à ces obsessions mentales en tant que telles,
mais elles sont de notoriété publique extrêmement résistantes à tout abord
psychothérapeutique. Dans le trouble dit de la « personnalité
obsessionnelle », où elles sont une partie parfois essentielle du tableau,
le consensus se fait sur les thérapies par insight, ce qui est un bel
hommage indirect rendu à la psychanalyse.
Il
n’en reste pas moins qu’on comprend très bien les raisons du succès formidable
des TCC face aux TOC où il y a des compulsions manifestes. A partir du moment
où il y a une action, une gestuelle, un rituel à réduire, qu’il s’agisse de
lavage compulsif voire de certaines attitudes de vérification agies (se lever
vingt fois pour vérifier que le robinet du gaz est fermé, etc.), la naturalisation de l’obsession-compulsion
est en marche : car on peut quantifier l’agir contraint et sa diminution
sous traitement, on peut s’en servir de modèle pour une enquête psychométrique
qui demande aux sujets de « compter » les obsessions qui les
assaillent tout comme des compulsions (« Pensez-vous souvent
que… ? »), et surtout, on peut désapprendre aux patients à conférer à
leurs obsessions une intense valeur morale et subjective, puisque la diminution
par déconditionnement de leurs actions contraintes entraîne plus ou moins aussi
la décrue de la mentalisation obsessionnelle. Sur cette base, il devient même
loisible d’affirmer que la psychanalyse, qui insiste sur l’exploration du sens
caché, profond, intime, moral, des désirs en cause dans une compulsion, aggrave
plus qu’elle ne soulage la condition des patients. En fait, pour les TCC, elle
prend le problème à l’envers.
On
peut enfin ajouter un dernier facteur de la naturalisation des TOC, et de la
ruine du modèle subjectif-moral de la névrose
obsessionnelle freudienne du point de vue de la science psychiatrique
dominante. Il est en effet facile de montrer que les TOC ne sont justement pas
restreints aux constellations psychologiques du genre de la
« névrose », où Freud avait beau jeu de les rendre déductibles de
conflits sous-jacents entre pulsions sexuelles et idéaux. Car il y a des TOC
dans les épisodes prodromiques de la psychose, chez les sujets jeunes (et il
serait parfaitement ad hoc d’aller expliquer que la névrose
obsessionnelle est une forme-limite, qui
« protège » le sujet de la décompensation psychotique en maintenant
des rapports réels avec les objets, ce qui a longtemps été un argument
psychanalytique censé respirer l’orthodoxie). Il y a aussi des TOC dans des
affections franchement neuropsychiatriques comme le syndrome de Gilles de la
Tourette, où les tics spectaculaires des malades sont souvent accompagnés non
seulement de compulsions et de rituels, mais également d’insultes ou
d’obscénités qui fusent, et dont une partie paraît justement mentalisée sous
forme d’obsessions. On voit la logique des partisans de la naturalisation des
TOC : si dans une affection de ce genre, dont il serait stupide de
chercher une étiologie psychologique, on a néanmoins la forme globale des
symptômes de la névrose obsessionnelle classique, c’est que cette dernière
n’est rien qu’une forme atténuée de troubles neuropsychologiques graves et une
maladie du cerveau. En continuant à offrir aux malades des explications
subjectives et morales (qui plus est thérapeutiquement vaines), on participe
donc à un biais cognitif enraciné dans leur ignorance des causes véritables du
trouble.
Il
est peu vraisemblable que l’autorité de la psychanalyse sur la névrose
obsessionnelle aurait été remise sérieusement en cause sans des facteurs qui
n’ont rien d’aussi directement intellectuels et épistémologiques. Parle-t-on de
l’efficacité des TCC sur les TOC ? Elle n’est pas niable : sur une
cohorte correctement sélectionnée de 100 TOC (i.e. où les patients ne
sont pas trop dépressifs, ce qui est considéré comme une co-morbidité), on
peut en gros estimer que 25 guérissent quasi complètement, 25 sont améliorés,
25 ne bénéficient pas ou trop peu du traitement, et 25 l’interrompent. La
combinaison TCC et clomipramine (ou anti-dépresseur sérotoninergique) a les faveurs des spécialistes et majore
le taux de guérison. Il n’en reste pas moins que la prise en charge des
patients est longue, lourde, difficile, elle ne fait pas partie de ces TCC
qu’on peut déléguer à des praticiens moyennement formés, et l’historien a vite
fait de repérer dans les difficultés dont il est fait état les apories des
cures psychiques de la fin du XIXème siècle avec les
obsédés, dont Janet avait fait l’éloquent tableau : le traitement devient
vite à son tour un nouveau symptôme, il se ritualise, tandis que la dépendance
des patients au médecin croît, toute rupture déclenchant un accès d’angoisse.
Les meilleurs résultats arrivent aux patients pris dans des rituels compulsifs
massifs et simples (lavage, par exemple, ou bien collectionnisme), les moins
bons chez ceux dont les troubles sont les plus mentaux, et surtout, chez ceux
qui croient qu’accomplir leur compulsion est obligatoire, parce que ce qui les
angoisse, s’ils n’y arrivent pas (la mort d’un être cher, notamment), se
réalisera effectivement. Même les cognitivo-comportementalistes les plus
sourcilleux n’ont d’autre solution alors que de parler de
« psychose ». Ce qu’on appelle guérir ou s’améliorer, c’est obtenir
un score significativement plus faible sur une échelle psychométrique qui
mesure les obsessions et les compulsions, généralement la Yale-Brown
Obsessive Compulsive Scale (Y-BOCS).
Mais un tel critère est plutôt trompeur. En clinique ordinaire, il est banal
d’observer des patients que d’infimes obsessions désespèrent, tandis que
d’autres, envahis de TOC multiples, supportent leur condition de façon
surprenante. De plus, il est difficile de savoir, dans les études publiées
aujourd’hui, si les diminutions de score, qui valent pour la masse globale de
l’échantillon testé, ne reflètent pas des disparités importantes. Dans les
premières études comportementalistes publiées dans les années 1960, les
articles étaient encore accompagnés de précieuses vignettes qui permettaient de
se faire une idée de ce qui arrivaient aux individus ; mais elles ont
disparu, ou plus exactement elles ont changé de statut, à mesure qu’elles sont
désormais mises en scène par les associations de patients. Enfin, l’argument de
la guérison spontanée, employé larga manu
quand il s’est agi de discréditer l’approche psychanalytique des symptômes
obsessionnels, a fait long feu. Une importante étude naturalistique
des Skoog, avec un recul de 40 ans, incline à penser
que des cas graves s’amélioreraient de toutes façons avec le temps[8].
Mais
il faut marquer une forte coupe historique dans l’épidémiologie des TOC. Avant
les années 1980, les symptômes obsessionnels étaient considérés comme rares en
population générale. Ce fut une réelle surprise que de découvrir un taux de
prévalence sur la vie entière entre 2 et 3%. C’est aussi avec grand étonnement qu’on
a découvert l’importance des TOC chez les enfants et les adolescents, dans les
années 1990. Il y a là un saut quantitatif qui a profondément altéré la
perception de la maladie, consacrée cause nationale et cible pour les
politiques de santé publique dès la parution de ces chiffres aux E.-U. Il faut
cependant bien préciser que les critères
d’inclusion n’auraient certainement rien dit à un freudien strict : le
type de la névrose obsessionnelle classique, avec des rituels extrêmement
sophistiqués, une intense élaboration morale et subjective, comme celle d’Ernst
Lanzer, « l’homme aux rats » de Freud, est bien loin de se retrouver
dans ces cohortes pathétiques de laveurs compulsifs et de vérificateurs anxieux
plutôt monomaniaques, qui offrent des tableaux symptomatiques plus aisés à identifier,
mais surtout, auxquels il est facile de s’identifier. L’épidémiologie a ainsi
poussé, par force, à la typification des obsessions et des compulsions, dont de
véritables listes ont été dressées, et qui sont régulièrement lues aux gens
lors des enquêtes. Certes, il y a des obsessions récurrentes : le premier
cas moderne ou mieux post-pinélien d’obsession relaté
par Esquirol en 1838, Mademoiselle F., qui est atteinte de « folie
morale », est un cas de lavage compulsif[9].
Toutefois, la standardisation et la massification soudaine des symptômes,
l’année même de l’émergence concertée des neurosciences comme priorité
psychiatrique aux E.-U., impose une recomposition complète du portrait
traditionnel de l’obsédé. Là où il fallait au psychiatre peu à peu deviner derrière
des traits de caractère spéciaux des pensées obsédantes et des rituels chez des
individus souvent supérieurement doués, en respectant l’idiosyncrasie et le
contexte d’élaboration, une foultitude de gens acculés leur vie durant à
souffrir en secret par peur d’être jugés fous découvraient par voie de presse,
ou à la consultation du généraliste nouvellement informé, la banalité relative
de leur condition. Une opération essentielle de cet appel au coming out des obsédés, dans les années 1980
aux E.-U. fut d’expliquer combien la honte et le secret sur ces souffrances
étaient des composantes intrinsèques de la pathologie, et non des réactions
émotionnelles légitimes, non-morbides, devant le
scandale des obsessions et le ridicule des compulsions et des rituels. Cette
interprétation est encore en vigueur dans les associations de patients, tout
spécialement quand elles proposent des groupes thérapeutiques où le
savoir-faire individuel avec les symptômes est mis en commun par les
participants. Par là, l’auto-évaluation morale, qui
donnait sa couleur particulière à la névrose obsessionnelle de style freudien
(mais déjà avant lui, chez Janet) est métamorphosé en une sorte de biais
néfaste, de préjugé social intériorisé à tort : la honte se change en
embarras, la culpabilité en déplaisir, puisqu’il n’y a « rien » qu’on
puisse « vraiment » se reprocher, qu’on est désormais attaqué
« du dehors » par des idées « folles » qui ne sont plus que
des bouffées mentales asémantiques jaillissant d’un cerveau ponctuellement
déréglé.
Un
cercle vertueux se met alors en place. L’augmentation colossale du nombre des
patients à TOC en fait une cible d’enquête pour les épidémiologistes. Pour
standardiser les mesures, ils ont donc indissolublement proposé et recueilli
des obsessions-compulsions types : le
lavage compulsif, les vérifications incessantes, l’angoisse de contamination,
etc. On peut sans difficulté se procurer sur la Toile la liste de ces symptômes
exemplaires, liste qui est en général annexée à une auto-passation
de la Y-BOCS, et qui « guide » le candidat aux TOC dans la
compréhension des questions qui lui sont posées[10].
Elle le prépare aussi à regarder comme fondamentalement impersonnels ces
symptômes, dont la généralité préfigure la simple régularité biologique (le
dysfonctionnement cérébral) dont ce genre de description fait le lit. On recrute
ainsi non seulement des patients dont personne, y compris les psychiatres
formés à la psychanalyse, ne soupçonnaient
l’existence, mais aussi des patients fort différents de ceux sur lesquels les
patrons cliniques traditionnels avaient été taillés depuis la fin du XIXème siècle. La différence a déjà été mentionnée entre
les rituels si fascinants des obsédés de Janet ou de Freud, incroyablement
idiosyncrasiques, et les quasi-monomanies du lavage ou de la vérification des
nosographies contemporaines. Mais il y a un point encore plus litigieux. Il
porte sur deux items de la Y-BOCS : y a-t-il ou
non « lutte anxieuse » devant les compulsions et les
obsessions ? Certains cliniciens considèrent que poser cette question,
c’est donner trop à une appréciation subjective des symptômes, exposée donc à
tous les arbitraires déformants, et qu’il existe suffisamment de TOC sans lutte
anxieuse (i.e. sans débat intérieur torturant entre la tentation de
céder et l’impératif contraire), pour qu’on ne fasse pas de ce critère un
élément constitutif de la pathologie. Or mettre en case le caractère absolument
discriminant de la lutte anxieuse dans les symptômes obsessionnels, c’est
carrément changer de paradigme descriptif[11].
C’est notamment inclure ce que la psychiatrie classique (en France et dans les
pays de langue allemande) classait comme symptômes pseudo-obsessionnels :
TOC des phases prodromiques de la schizophrénie chez les jeunes gens, TOC des
paranoïaques et des « psychoses pseudo-obsessionnelles »,
voire certaines stéréotypies complexes entre compulsion motrice et scénario
mystérieux, qu’on observe dans les formes de l’autisme supérieur (sans déficit
cognitif : syndrome d’Asperger), dont la couleur « obsessionnelle »
a été depuis des lustres repérée. Dans ces troubles, la lutte anxieuse est
minimale, si même elle existe, et en tout cas, la honte et le secret
relativement plus faciles à lever : on est aux antipodes de ces patients
bien décrits chez les psychanalystes, à qui il faut quelquefois des dizaines,
voire des centaines de séances pour qu’ils osent, et le plus souvent dans la
forme rhétorique de l’ellipse, mentionner les rituels ou les images qui les
obnubilent et les torturent.
C’est
un premier principe d’extension de la population des patients à TOC : vers
une clientèle dont, bien souvent, les obsessions-compulsions
n’étaient pas considérées comme des symptômes de premier rang, ni traités. Cela
ne signifie que pas du tout que les TCC soient très opérantes : l’opinion
dominante est qu’on peut certes déconditionner marginalement ces TOC
« psychotiques », mais que la certitude délirante, indialectisable, que perdre tel ou tel rituel va conduire
inéluctablement à ma mort d’un être aimé ou à une catastrophe quelconque,
oppose un mur infranchissable à la plupart des tentatives. Les patients
prennent la fuite, c’est tout. Il est aussi assez évident que ces approches,
qui visent ce qu’on peut déconditionner (des actions, des enchaînements de
gestes, voire de gestes « mentaux » : des séries de pensées
obligées), ne se posent pas du tout la question d’une relation subjective autre
que la lutte anxieuse entre le patient et ses compulsions et de ses rituels. Au
contraire, c’est parce que la subjectivation de ce rapport est tenu pour un
élément contingent de la symptomatologie, qu’on tente d’imaginer des TCC
pertinentes pour dissoudre les troubles autrefois jugés « pseudo-obsessionnels ».
Un
second principe d’extension des patients à TOC et qui reconfigure complètement
le paysage nosographique, est l’effet collatéral de la « naturalisation
spontanée » qu’opèrent les patients eux-mêmes dans la description de ce
qui les fait souffrir, et qui va à la rencontre de a « naturalisation
concertée » des symptômes, par la nouvelle psychiatrie inspirée des TCC et
des neurosciences. Des notions conceptuellement aussi distinctes que l’action
et l’acte sont mises désormais en continuité. Une action en effet a toujours un
fondement psychomoteur : c’est une intention qui se déploie corporellement
et s’effectue sous forme de geste, impliquant des dispositifs
neuropsychologiques de contrôle, de planification, de coordination avec les
modalités sensorielles, kinesthésiques, etc. La psychopathologie cognitive
contemporaine est avant tout une théorie de l’action intentionnelle naturalisée
et de ses troubles fonctionnels. Les TOC, à cet égard, sont un morceau de
choix : car non seulement l’angoisse, mais l’initiative motrice y sont
mises en cause, et l’on connaît certaines zones du cerveau, imagerie à l’appui,
où la régulation affectivo-motrice de l’agir semble altérée dans les TOC. Mais
un acte n’est pas une action en ce sens : ce n’est pas un effet causal
provoqué dans le cours de la nature, articulé en amont à une intention
ordonnatrice, dont on pourrait scruter la réalité physique en tant
qu’intention dans des systèmes cérébraux visualisables par l’imagerie. Un
acte et avant tout un acte social, autrement dit, dépendant des interprétations
que les autres, dans un contexte institutionnel, particulier, vont donner de
mes intentions, entendues cette fois non pas au sens non des « causes
mentales » de ce que je fais, mais des raisons que j’ai de le faire. Un
acte et ce qui compte comme acte, pas ce qui a lieu comme acte : une
action sexuelle n’est pas tout à la même chose qu’un acte sexuel. De même, s’il
faut faire un certain nombre de choses pour se porter candidat, l’acte de
candidature ne se résout pas dans la série des actions qu’il faut accomplir (se
rendre à la mairie, signer des formulaires, etc.) pour que cet acte existe. Nul besoin cependant d’entrer
dans la difficile polémique philosophique qui sous-tend ce genre de
distinction. Toujours est-il en effet qu’il n’existe pas, pour une
psychopathologie de l’action naturalisée, d’obstacle à ce que les actes ne
soient en fait rien d’autre que des actions plus complexes, plus
coopératives (la dite coopération étant « naturelle » entre membres
de la même espèce vivante). Tout ce qui est social ou institutionnel ne
peut fondamentalement être que de l’individuel se prolongeant en interindividuel, ou du cérébral en « intercérébral », si l’on peut dire. L’individualisme
méthodologique constitutif des sciences naturelles envahit (et ses défenseurs
soutiennent que c’est pour les sauver !) les lectures sociologiques et
holistes de l’agir humain, et les conséquences pratiques, directement
observables, de cette façon nouvelle de voir, se constatent dans le champ des
prises en charge médicales et psychothérapeutiques de gens que leur rapport
subjectif intime à la perturbation de leurs actions et de leurs actes, de leurs
pensées comme leur sentiment d’en être les agents et les causes, renvoie
brutalement d’un terme à l’autre du spectre des possibles : soit,
« ce n’est pas moi, c’est mon cerveau », et je n’y suis moralement
pour rien, soit c’est moi, et mon symptôme est réellement indémêlable d’une
« faute obscure », il a une fonction énigmatique dans ma propre
subjectivation, laquelle n’a lieu qu’en relation, sinon à l’ombre des attentes
déterminantes d’autrui.
Ce
préambule pour en arriver à cela : la phobie sociale, dont les traits
caractéristiques renvoient précisément à l’inhibition des actes « en
public » (parler, par exemple, mais aussi en général lier contact), et qui
relève d’une médicalisation active de la timidité envisagée comme un handicap,
prolonge dans la direction des actes sociaux la même approche individualiste
qui préside à la compréhension cognitivo-comportementaliste des TOC. On y
retrouve la même idée que le trouble n’est pas moral ni sémantique, ni,
paradoxalement, « relationnel » en un sens vraiment déterminant, mais
tempéramental, puisque c’est une personnalité « évitante »
qui en est électivement atteint, et qu’encore une fois, il importe pour aider
véritablement les patients de leur désapprendre à s’auto-reprocher
des conduites qu’ils subissent, et qui sont des perturbations de leur agentivité propre, nullement des symptômes inhérents à leur
subjectivité, et mobiles au décours d’une réappropriation transformatrice de
soi. Il suffit à l’historien de citer la psychasthénie de Janet pour qu’on
mesure le chemin parcouru. Ces traits de timidité, cette inhibition aux actes
sociaux, était jugés, dès avant Freud, typique du fond mental des
obsédés, et une source d’illumination pour la compréhension de ce que les
théories cognitivo-comportementales actuelles baptisent TOC : pour Janet,
le point crucial étant les « scrupules » des obsédés, autrement dit,
la dimension intentionnelle et morale de leurs troubles. Pour lui, la preuve
que les explications neurophysiologiques strictes des obsessions-compulsions
étaient insuffisantes en tant que telles, c’était l’articulation étroite entre
ces symptômes et toutes ces inhibitions sociales. Freud n’a justement jamais
renoncé à ce lien étroit entre les deux. Untel, disait Janet, obsédé, qui joue
très bien du piano seul, est complètement incapable d’en jouer en public. Pour
aller vite, on dira donc qu’on est passé d’une conception où les symptômes
obsessionnels étaient presque entièrement conçus comme des actes (dans un
contexte social et doté de signification morale, etc.), au risque d’un
interprétation excessive de leur signification, à une conception où les actes
sociaux ne sont plus que des manifestations dérivées des actions, enracinées
dans une intentionnalité psychomotrice et cérébrale, où les anomalies des dernières
expliquent la pathologie manifeste des premiers. La phobie sociale, ainsi, dit
la vérité sur la dé-sémantisation et la dé-moralisation de l’agir humain morbide dans notre
psychopathologie cognitive, et sur la recomposition anthropologique assez
complexe qui la sous-tend, dont les idéaux diffusés désormais au sein des
associations de patients ne sont que la face apparente.
C’est
en ce sens qu’on peut soutenir avec quelque vraisemblance, non seulement qu’il
n’est pas besoin de rabattre les polémiques contemporaines sur l’affrontement
sans médiation entre visions psychanalytiques de la névrose obsessionnelle et
nouvelles théories cognitivo-comportementalistes (en fait, il s’agit de
paradigmes explicatifs et descriptifs, où tout l’enjeu est de savoir quelle
part on accorde à une intentionnalité irréductible des symptômes et à leur
inscription morale, social et subjective) ; mais encore, que les
neurosciences psychiatriques et les TCC ne font pas simplement des théories
pour l’homme, mais bien aussi des hommes pour les théories (une telle
circularité n’est donc ni le privilège, ni la tare de la psychanalyse, dont on
dénonce souvent les effets d’auto-validation par les
« croyants »).
[1]
Sans le développer, je ne peux qu’attirer l’attention
sur l’avantage considérable qu’offrent ces associations pour le recrutement
de cohortes de volontaires pour les essais thérapeutiques ou les enquêtes
épidémiologiques, pour une définition négociée et non imposée du périmètre
et de la définition des troubles, et sur la dynamique interne de leur évolution
(un exemple : il semblerait que, fondées au départ par des malades
particulièrement atteints, ces associations tendent progressivement à les
marginaliser, pour favoriser des formes moins sévères de la maladie, plus
« présentables » socialement). Sur la situation exemplaire des
Tourettiens, voir
Kushner H., A
Cursing Brain? The Histories of Tourette
Syndrome, 1999, Harvard University Press.
[2] Si je ne présente ici qu’une brève esquisse d’un projet beaucoup plus vaste, c’est parce que le remplacement de la névrose obsessionnelle par les TOC n’est qu’une phase détachée d’une histoire longue des représentations et des mentalités, qui lie de plus en plus finement les processus moraux d’individuation modernes à des maladies et des souffrances psychiques diverses. Il faudrait ainsi remonter à la transition entre la mélancolie renaissante et le scrupule religieux du XVIIème siècle, comparer les diverses formes de l’English Malady, de la neurasthénie européenne et américaine, de la maladie des obsessions, de la folie du doute, de la psychasthénie de Janet, etc., tout cela en relation soutenue avec l’invention de l’individu conscient de devoir agir par soi-même en jugeant en conscience de ses intentions et de leur réalisation effective. Car c’est un monde de pensées sédimentées qui est venu s’allonger sur le divan de Freud, dans la personne de son célèbre patient obsédé, Ernst Lanzer, « l’homme aux rats », et c’est encore ce monde moral dans quoi baignent nos patients « toqués », même s’ils l’ignorent, tout comme leurs médecins.
Pour une bibliographie et une chronologie détaillée de la vaste constellation de troubles d’où ont émergés peu à peu névrose obsessionnelle et TOC, voir ma Chronologie et bibliographie sélective de la névrose obsessionnelle[3] La clomipramine, dont les effets anti-obsessionnels ont été découverts par Juan Jose Lopez-Ibor en 1966, reste d’ailleurs aujourd’hui la molécule de référence (Anafranyl ®). Son taux de réponse placebo est remarquablement faible (15%).
[4]
Pour une illustration vivante de la nature et du contexte
scientifique de ces groupes de soutien pour patients à TOC, voir Osborn
I., Tormenting Thoughts
and Secret Rituals:
The Hidden Epidemic
of Obsessive-Compulsive Disorder,
1998, New York, Pantheon Books, rédigé par un
psychiatre lui-même obsessionnel-compulsif. Si je favorise cet ouvrage,
c’est parce qu’il donne plus de contexte aux réflexions « sociales »
sur les TOC. Mais les groupes ne sont pas aujourd’hui un procédé majeur
de traitement, les TCC sont en général individuelles.
[5] On trouve couramment encore dans les années 1970 « obsessional-compulsive », mais l’expression disparaît peu à peu au profit d’« obsessive-compulsive », moins pour des raisons d’euphonie que pour rompre le dernier lien avec « obsessional neurosis », le concept freudien.
[6] Castel P.-H., « Amiel ou la métamorphose de l'obsédé », Revue des études littéraires (2001) 2 : 121-149.
[7]
Freud S., « Remarques sur un cas de névrose de contrainte
», in OC IX, 1998, Paris, PUF, pp.191 sqq.
[8]
Skoog G. & Skoog I., “A 40-Year
Follow-up of Patients With Obsessive-Compulsive Disorder”, Archives of
General Psychiatry (1999) 56: 121-127.
[9]
Esquirol, E., Des maladies mentales, 1838, Paris,
Baillière, pp.63-70
[10]
Un exemple entre mille, mais dont les liens sont éloquents :
le site Brainphysics.
[11] J’ai défendu ailleurs l’idée que la lutte anxieuse relevait encore, d’un point de vue psychanalytique, d’une conception trop descriptive et elle-même encore impersonnelle ou impersonnalisante de la symptomatologie de l’obsession. Une conception rigoureusement transférentielle devrait mettre l’accent non seulement sur cette lutte anxieuse, mais sur la honte à en parler (qui n’est pas exactement la honte à parler de son contenu). C’est par là qu’on saisit le mieux, à mon avis, en quoi les TOC des cognitivo-comportementalistes conservent une dimension « relationnelle » très importante, et qu’on comprend aussi le point de départ des approches freudiennes : à quelle menaçante sollicitation venue d’autrui faut-il parer, pour donner à sa propre vie psychique un tour pareil ?