Séminaire au Centre d'études du vivant

L'action: "chaînon manquant" entre biologie et psychologie?

Année 1999-2000: (1) Le problème de l'action en philosophie de l'esprit et dans les neurosciences.

Année 2000-2001: (2) Enjeux d'une psychopathologie de l'action.

Année 2001-2002: (3) La naturalisation de la croyance: psychologie animale ou biologie de la pensée?

(1) Le problème de l'action en philosophie de l'esprit et dans les neurosciences

(année 1999-2000)

  1. Séance introductive: le concept d'action, état des discussions contemporaines.
  2. La naturalisation de l'action: enjeux philosophiques (autour de Naturaliser l'intentionalité, d'E. Pacherie, Paris, PUF, 1992).
  3. Le cerveau en action: enjeux neurophysiologiques (autour du Sens du mouvement, d'A. Berthoz, Paris, Odile Jacob, 1997).
  4. Action et cognition: enjeux éthologiques et psychologiques (autour de Comment l'esprit vient aux bêtes. Essai sur la représentation, de J. Proust, Paris, Gallimard, 1998).
  5. Le contexte historico-critique de la doctrine de l'action (autour d'Action et réaction. Vie et aventures d'un couple, de J. Starobinski, Paris, Seuil, 1999).

Depuis une quinzaine d'années, les travaux sur l'action se sont multipliés. Son concept offre en effet une particularité épistémologiquement séduisante: l'action, d'un côté, est un processus qui prend place dans la nature physique, et qui est donc susceptible de recevoir une explication causale conforme aux canons des sciences naturelles; mais de l'autre, elle est aussi intrinsèquement finalisée, et, dans le cas des êtres intelligents, dotée d'intentionalité. Autrement dit, elle est aussi susceptible de description dans le registre des sciences sociales. Les actions des animaux, telles que les analysent les sciences cognitives, promettent donc de fournir l'unification théorique tant attendue des bases biologiques de l'existence individuelle et collective, à ce qui apparaît comme leur fonction supérieure, les activités cognitives. A l'horizon, se profile le projet d'une naturalisation réussie de la vie mentale de l'être social qu'est l'homme.

Ces conférences poursuivent un double but: initier aux débats en cours en facilitant la lecture de plusieurs textes importants, mais d'accès malaisé (pour diverses raisons de technicité ou d'orientation pluridisciplinaire), et montrer la valeur d'une approche résolument philosophique de l'action, qui mettra l'accent sur les procédés de conceptualisation et sur la mise à l'épreuve des arguments, beaucoup plus que sur le détail empirique du travail scientifique.


Séance n°1: le concept d'action, état des discussions contemporaines.

Un point de départ conceptuel: l'intentionnalité de l'action

1) Processus causal et description: Anscombe et l'homme qui pompe de l'eau

Le cas de la psychopathologie (marginal dans les faits, crucial en droit): d'un côté, les actions comptent comme actes, et on ne peut pas avoir un déterminisme strictement biologique, sans prendre en compte l'aspect social et éthique; mais de l'autre, l'expérience vécue et paradoxale "d'être agi" est prototypique de la psychose, donc de la destruction du soi (donc, a contrario…)

2) Généralité conceptuelle et généralisation empirique possible de ces raisonnements. Passage de l'analytique-discursif, clarifiant, à l'hypothético-déductif. De la philosophie à la science, de la philosophie de l'esprit aux sciences cognitives. Eclairage rétrospectif sur l'histoire de la philosophie.

Biologie et psychologie

1) A quelles questions répond l'action?

2) Biologie et psychologie allant à la rencontre l'une de l'autre:

3) Autres modèles historiques de leur continuité

Mais le paradigme de l'action n'est pas informatique, il est d'abord biologique. La reprise des paradigmes cybernétiques de l'auto-contrôle, de la théorie des systèmes, comme intrinsèques au vivant.

Physique-chimie, biochimie moléculaire, génétique moléculaire, donc encodage génétique des activations cérébrales (comment?), puis motricité simple et complexe, adaptabilité au milieu, plasticité neurale, épigénèse, contrôle croissant, fonctions cognitives supérieures, intégration du soi, société et mise en boucle des normes, le tout sans rupture ontologique.

4) Le transfert des paradigmes comme avantage épistémologique: théorie des jeux, économie (les agents rationnels, leurs choix), sélection darwinienne, connexionnisme (activations non sémantiques par elles-mêmes), etc.

L'idée d'une analyse qui va du simple au complexe

1) Elle dérive du postulat évolutionnaire: sélection naturelle et biosémantique (problème: ce n'est pas déductif: on rattache les faits sémantiques à une explication évolutionnaire, mais on ne peut pas déduire de l'évolution l'existence de fonctions cognitives précises. Danger connu du sophisme distributif)

2) Activation cérébrale et acte à valeur éthico-sociale (les extrêmes du spectre, lieux des plus grandes difficultés). La limite du mécanisme physico-chimique à un bout (d'où émerge l'ordre? et quand on observe une activation, on fait abstraction du tout du dispositif expérimental: on prétend isoler un fait causal brut, on découpe une architecture en modules), le danger d'une idéologie utilitariste à l'autre (le problème éthique de l'altruisme!)

3) L'information et la théorie physicaliste-causale de la signification. Aller de l'action vers la représentation, penser la perception comme une sorte d'action (un aller percevoir là-bas, qui est aussi une exploration interactive du milieu).

4) Intentionnalité de l'action et intentionnalité de la signification: la jointure difficile, que la biologie rendrait possible.

Le problème des normes: biologiques et sémantiques, et l'individualisme méthodologique dans les neurosciences

Enjeux critiques

1) Un traitement scientifique de la finalité biologique. Finalité interne et externe. Si tout est déjà finalisé, en fait, le problème de la finalité s'évanouit, il ne s'agit plus que d'intégrer des systèmes. Le concept de sélection, plutôt que la finalité.

2) Une hypothèse métaphysique coextensive à l'enquête empirique (le naturalisme est toujours plus qu'une méthodologie scientifique des neurosciences, c'est une philosophie qui a aussi des conséquences éthico-sociales)

3) Deux options:


Séance n°2: A partir de Naturaliser l'intentionnalité. Essai de philosophie de la psychologie,

d'Elisabeth Pacherie, PUF, 1993, Paris.

Connexion avec la conférence précédente.

I. "Action" absent de l'index. Néanmoins accent sur des conduites objectives et "qui font sens" (l'action cardinale: communiquer, mais même parler de façon significative, référentielle). Point de vue behavioriste courant (à la Quine). Point crucial: "comment", voire "où", les intentions s'insèrent-elles dans le cours causal de la nature. Rappel d'Anscombe: la pompe et les conspirateurs. Esquisse d'une solution naturaliste: il "faut bien" qu'il y ait une connexion réelle entre intention et action. Le contenu sémantique de ma pensée, de ce que je crois (évaluable comme V ou F) "doit" donc jouer un rôle dans mon action en tant qu'action.

II. Ce que dit la folk psychology. 1) les attitudes propositionnelles sont des "états mentaux" qui ont une existence objective; 2) ils interagissent causalement entre eux et avec des entités physiques; 3) ce sont en même temps des états intentionnels qui ont des contenus de sens et des conditions de satisfaction (vérifient les croyances, satisfont les espoirs, etc.); 4) leur rôle causal est déterminé par ce contenu. Le cas du syllogisme pratique (croyances et désirs). Est-ce une théorie? Si non, c'est présenté comme une théorie… faut-il la rectifier, l'éliminer? Contre Anscombe: ce sont des intuitions vagues, liées à la langue et à ses imprécisions, des généralisation théoriques faites à partir d'inférences purement pratiques.

III. La question du traitement scientifique de l'intentionnalité. Naturalisme et anti-naturalisme interprétativiste.

a) Quine naturaliste: l'intentionnel est inoffensif (indétermination de la traduction: "gavagaï!", et l'ensemble théorico-pratique de la situation de sens). Mais c'est équivoque: instrumentalisme, ou "éliminativisme"?

b) L'interprétativisme pose des normes (logiques, mais aussi morales, ne pas oublier) pour l'interprétation qui transcendent les faits à interpréter: le principe de charité (rationalité, cohérence). Il y aura toujours plus et autre chose, irréductiblement, que des facteurs causaux. Davidson et la psychologie de la décision. C'est articulé à une théorie de l'action qui n'est pas totalement anti-wittgensteinienne.

Pas de métacritère entre attribuer des croyances vraies à un sujet et le rendre incohérent, le supposer cohérent et lui attribuer des croyances motivantes fausses, et le supposer véridique et cohérent, mais lui attribuer aussi des désirs déviants (composante éthique). L'action résultante est non-naturalisable (problème central de la clinique psychopathologique).

Certes, mais ce qui régule l'objet ne le constitue quand même pas! Le programme réductionniste dur est peut-être diminué, il n'est pas forcément aboli. Problème: qu'est-ce qui, à part les normes, reste, et qu'est-ce qui se passe là où s'entrelacent principes régulateurs normatifs et "intentions" réductibles indirectement?

IV. Quelle nature? Monisme ontologique, méthodologie des sciences de la nature?

Architecture du livre

Une accumulation de contraintes, plutôt qu'un empilement d'objections.

I. Le dilemme de Quine et l'impasse du behaviorisme. Il faut conserver de l'intentionnalité, non pour elle-même, mais pour démarquer le réductionnisme du pur éliminativisme (les Churchlands).

II. La réduction fonctionnaliste. Nécessité d'articuler rôle causal et rôle conceptuel. Comment traiter l'indexicalité? Contenus "étroits" (strictement internes à l'organisme, traités au moyen d'un solipsisme méthodologique) et contenus "larges" (liant le succès de la référence à ce qui se passe hors de l'organisme).

III. L'information en divers sens: le "mentalais" de Fodor, les théories successives de Dretske, la biosémantique de Millikan. Pourquoi pas une sociologie cognitive?

Une stratégie de réduction paradoxale, qui intègre les contraintes en désignant toujours des niveaux supérieurs de complexité à réduire ultérieurement!

Naturaliser l'action et naturaliser l'intentionnalité: la question logico-sémantique d'abord?

Donner le primat au cours causal de la nature, et balayer toute intentionnalité comme un artefact descriptif contingent et non scientifique.

a) Le physicalisme fort comme idéal antibiologique et antipsychologique (éliminativiste, réductionniste). Son échec: s'il est radical, des organismes dans des états physiques différents ne pourraient avoir des états mentaux identiques. Quine et les arbustes taillés comme des éléphants. Est-ce vraiment gênant? Dennett et les "systèmes intentionnels" (nécessité d'avoir recours à un darwinisme généralisé pour justifier l'efficacité, et de traiter les états intentionnels comme des abstractions, type: "centre de gravité"). Mais alors, ce qui plaît aux neurosciences devient totalement contre-intuitif. On change l'objet à expliquer pour le plaisir de donner une explication scientifiquement conforme! En outre, chez Dennett, récupération de la rationalité des interprétativistes en optimalité biologisable. Est-ce admissible?

b) Les Churchlands: personne ne niera que le mental ait une explication neurobiologique; mais pour autant, l'explication des catégories psychologiques comme telles doit-elle quoi que ce soit à la neurobiologie? Pauvreté des contraintes biologiques sur la pensée. Rançon de leur sévérité pathologique.

c) Souligner l'importance du "grain" des phénomènes à expliquer: ne pas confondre la réduction d'un concept de l'intention à des concepts causaux, et la réduction effective de telle intention à tel mécanisme.

Le fonctionnalisme

I. L'individualisation des états mentaux exige-t-elle qu'on leur donne un rôle causal? (seulement si on traite autrui comme une source de perturbation: c'est quand je ne comprends pas ce que l'autre veut dire que j'ai recours à une recherche en termes de rôle causal). Si on l'accorde, alors:

  1. un état fonctionnel sera coextensif à un état neurobiologique;
  2. l'efficacité causale de l'état fonctionnel sera garanti par son implémentation matérielle (on peut faire confiance à la vie pour contrôler les chaînes causales pertinentes, en psychologie comme en biologie, où il y a de la téléologie objective partout).
  3. Le concept de "fonction" permet d'intégrer des contenus sémantiques aux propriétés causales de l'état mental considéré, à peu près selon les règles logiques normales.

Si ça marche, c'est un miracle: la "tapette-à-souris" que p… donc il faut montrer que nos intuitions ne nous disent pas autre chose, que ce n'est pas une théorie, mais l'état des choses.

Noter déjà l'obstacle traditionnel en théorie de l'action des chaînes causales pertinentes (les sangliers de Davidson).

II. Concentration du débat sur la manière de faire rentrer des contenus propositionnels dans la tapette à souris: il faut faire en sorte que p soit lui aussi défini fonctionnellement. Fodor et le mentalais: des unités "symbolico-physiques", qui contraignent les relations de contenu (de sens) entre des "pensées" (si l'on peut dire) causalement connectées.

Mais que se passe-t-il, demande Putnam, quand on désigne un objet identique au moyen de représentations mentalaises qui ont un rôle causal différent? Ou bien qu'on est dans le même état fonctionnel, mais qu'on désigne deux objets différents (midi à l'horloge, sauf que celle que je vois est justement arrêtée à midi, et ne montre pas l'heure)? Le contenu étroit finit par n'être aucun contenu du tout. Le problème de l'erreur inexplicable.

Enfin, les véhicules du sens et le sens contenu deviennent difficiles à distinguer sans cercle vicieux.

L'information est-elle la solution?

A nouveau un départ purement logique, qui n'a rien à voir d'emblée avec l'action: la relation de référence (type de l'intentionnalité logique) entre une expression et un objet est la relation converse d'une relation de causalité entre l'objet comme individu et sa propriété et l'expression qui justement les dénote. Toujours les 3 mêmes problèmes: 1) Comment éviter de sélectionner les "bonnes" informations en fonction de traits sémantiques recherchés? 2) En quoi l'information évite-t-elle mieux que n'importe quel mécanisme causal le problème des chaînes déviantes? 3) Comment préserver la possibilité de l'erreur?

En fait, on s'appuie sur la biologie et sur la téléologie des organismes. S'ils vivent, c'est en communiquant, donc la communication et la circulation de l'information est naturelle (il n'y a pas à la naturaliser!). Dretske: les capacités cognitives supérieures qui dépendent de la possibilité d'attribuer à certains signes naturels la fonction de signifier (avec le risque d'erreur), sont une sorte de bénéfice marginal de la capacité naturelle à discriminer en fonction de ces structures intentionnelles objectivées dans la nature que sont les téléologies diverses des organismes. A la rigueur, et en idéalisant, pour des organismes simples, mais pas pour les complexes: car identifier de supposées "indications" naturelles de base suppose des interactions entre états internes de niveau supérieur, justement. En plus, comment peut-il se faire que moi, je me perçoive comme doté d'intentionnalité?

La biosémantique darwinienne de Millikan développe l'idée de stabilisation par apprentissage en rigidifiant ces apprentissages sémantiquement utiles dans la transmission de génération en génération. Là, on s'est encore plus éloigné de toute l'exigence impliquée par le concept de contenu large: non seulement on ne sait pas bien quelle pragmatique est adéquate à de tels contenus de sens, mais on ne sait même pas quelle est la nature des contenus sémantiquement évaluables de ces états biosémantiques. L'étroit et la large ne communiquent plus.

Le social et le langage à naturaliser.

Il faut donc naturaliser tout, et notamment, l'espace linguistique et pragmatique de la signification. En un mot: l'espace des interactions sémantiquement chargées.

Cercle vicieux: oui, il faut bien que le langage tienne compte de certaines capacités cognitives de l'organisme, et qu'il les sanctionne par des conventions; mais l'espace des conventions sélectionne en retour les capacités cognitives utiles pour la vie en société. On risque du coup que de n'expliquer que des généralités triviales ou infra-sociales (catégorisation hiérarchique, par ex., auxquelles Pacherie attache une importance cruciale in fine, parce qu'elles semblent exercer une contrainte du bas vers le haut sur les stratégies de signification).

Conclusion: ambiguïté du livre, on va d'un problème sans solution à un problème qui n'en a pas encore. Le cognitivisme comme programme d'intégration de contraintes. Mais en même temps, renégociation des intuitions de base sur l'intentionnalité.

Au départ, la question de l'action est subordonnée à la question plus générale de l'intentionnalité; à la fin, les conduites sémantiquement denses des organismes font dépendre l'intentionnalité de l'action adaptée dans un milieu.

Noter que le problème peut être changé: retour sur l'apologue d'Anscombe: ne pas se perdre dans les niveaux supérieurs, intellectuels, moralement évaluables. Travailler sur la biologie du mouvement intentionnel; Berthoz.


Séance n°3: A partir du Sens du mouvement,

d'Alain Berthoz, Odile Jacob, 1997, Paris.

Connexion avec la conférence précédente.

1/ La ccl du livre d'E. Pacherie: il faut naturaliser tout, et notamment, l'espace linguistique et pragmatique de la signification, qui se trouve pourtant en dehors de l'organisme stricto sensu. En un mot: pas de naturalisation de la signification sans naturalisation de l'espace total des inter-actions sémantiquement chargées. Donc, une naturalisation réussie de l'action (la réduction accomplie de la psychologie à la neurobiologie) n'est achevée que si on peut rendre compte de la signification uniquement par les moyens de l'explication causale scientifique.

Danger de buter sur un cercle vicieux quand on part du problème de la signification, et qu'on tente ensuite de "redescendre" en appliquant à l'action les résultats de l'enquête de haut niveau sur le sens (l'action de signifier est censé plus complexe que l'action en général, donc ce qui vaut pour la première vaut a fortiori pour la seconde): oui, il faut bien que le langage tienne compte de certaines capacités cognitives de l'organisme et qu'il les sanctionne sous forme de conventions; mais l'espace des conventions établies va sélectionner en retour parmi les capacités cognitives initiales celles qui sont utiles pour la vie en société, et seulement celles-ci. On risque du coup que de n'expliquer que des généralités triviales ou infra-sociales (il faut un cerveau pour traiter l'information sémantiquement pertinente…), ou bien encore, ne faire que reformuler dans un langage naturaliste des choses déjà connues sous leur description intentionnelle, et à quoi la naturalisation n'apporte rien (auquel cas, on se positionne juste sur l'échiquier idéologique…). Pourquoi obéirais-je mieux (ou moins bien, peu importe) à une règle "naturalisée"? Quelle différence, si la règle n'est pas une norme, mais l'effet émergent d'une loi causale inconnue? Pour que cela fasse une différence, il faudrait que je puisse tenir sérieusement ma psychologie populaire pour une "théorie" (fausse); mais le puis-je?

Naturaliser l'action rejoint alors des thèmes éthiques (par exemple Spinoza, qui pense tout à fait qu'il y a des genres de connaissances supérieurs aux autres, ceux où je connais la cause adéquate pour laquelle je pense ce que je pense, ce qui modifie mes interactions avec le réel); mais on perd le contact avec ce qui fait le crédit scientifique de l'entreprise de naturalisation.

A la fin du livre, E. Pacherie attache une valeur cruciale à la théorie de la "catégorisation hiérarchique" parce qu'elle semble (enfin!) exercer une contrainte du bas vers le haut sur les stratégies de signification. Mais c'est le seul élément empirique qui vienne réchauffer le cœur du naturaliste! Car il se trouve que nous incluons les classes les unes dans les autres selon des procédures spéciales et plus ou moins universelles, qui seraient liées à la neuropsychologie de notre perception. De l'organique-perceptuel-individuel-causal contraindrait alors de façon importante du mental-langagier-social-intentionnel. Mais il y a de nombreuses difficultés à surmonter pour établir ces faits, et surtout, on ne sait pas comment ni pourquoi de nombreuses personnes parviennent à gérer socialement les anomalies de l'exécution silencieuse de toutes ces routines cognitives. Le cas des schizophrènes et des "réseaux sémantiques".

Conclusion sur E. Pacherie: ambiguïté du livre, qui réussi à persuader le lecteur qu'on passe d'un problème sans solution à un problème qui n'en aurait pas encore. Le cognitivisme comme programme d'intégration de contraintes toujours plus fortes.

Mais en même temps, c'est incontestable, il y a une renégociation des intuitions de base sur l'intentionnalité. Le point central de cette renégociation: au départ, chez E. Pacherie, la question de l'action est subordonnée à la question plus générale de l'intentionnalité (et donc du sens); à la fin, les conduites sémantiquement denses des organismes font dépendre l'intentionnalité de l'action correcte dans un milieu vivant (téléosémantique de Millikan).

2/ Noter que le problème peut être aménagé pour être rendu moins ambitieux et plus traitable: retour sur l'apologue d'Anscombe: ne pas se perdre dans les niveaux supérieurs, intellectuels, ou moralement évaluables du pomper de l'eau pour une raison p ou q. Travailler sur la neurobiologie de ce mouvement intentionnel qu'est simplement "pomper", puis passer à la perception comme action, et enfin seulement, à titre de grande hypothèse, sur les contraintes que cette action-perception pourrait, du sein du cerveau individuel, imposer aux structures intentionnelles du langage social et du sens.

Berthoz, mais aussi M. Jeannerod, Le cerveau-machine, physiologie de la volonté, Fayard, 1983, pour la substructure conceptuelle.

Plan du livre

Le corps comme totalité sensorielle et motrice (kinesthésique)

Perception et action: le couple dont faire levier pour unifier neurobiologie cognitive et philosophie de l'action. C'est contre tout un courant puissant de la psychologie.

L'action première (Goethe): la perception est une simulation interne (= cérébrale) de l'action, une hypothèse vivante, incarnée, sur ce qui arriverait si je faisais ceci ou cela, elle anticipe donc sur les conséquences d'une action. Solution au problème classique de la passivité de la perception: si elle était passive, nous serions submergés par les percepts. Nous les trions. Or nous ne pouvons les trier qu'à partir de finalités qui sont les nôtres (darwinisme). Il suit qu'il doit y avoir de l'intentionnalité intrinsèque dans l'organisme, des plans, des buts. Ce ne sont pas des réflexes innés: nous nous adaptons au contexte vital. Donc ces intentions internes ne sont pas définies au moyen d'une description linguistique ou sociale. La pompe d'Anscombe: tout ce qu'on se représente au fur et à mesure que l'action devient plus complexe est lié à l'extension de possibilité d'agir ultimement insérées dans un cerveau; mas au départ, il faut déjà pomper.

Parenthèse: comparaison avec le cerveau de la réflexologie, purement "comptable" et passif. Vieille idée: la doctrine motrice de la perception (Freud). Il faut dépasser le mécanisme réflexe: le réflexe comme "acte" complet, il faut une sanction de la complétude de l'acte réflexe: un "accepteur" d'action-réponse (Anokhin). Mais alors, cet accepteur est avant l'action, c'est un plan, et il faut concevoir l'action comme un processus de décision et d'ajustement continu.

Est-ce encore matérialiste (la réflexologie pavlovienne confondue avec la watsonienne)?

Tout le corps est engagé dans ce réflexe: qui dit plan dit mémoire des conséquences passées de l'action, et traitement d'un type d'action (gestion d'un contexte d'afférences).

La proprioception, clé de voûte de cet engagement total de l'organisme comme objet physique au milieu des objets physiques: nous nous sentons nous mouvoir, il y a des capteurs du sens du mouvement.

Le système vestibulaire, intégrateur suprême de la kinesthésie. C'est une centrale gravito-inertielle. Les otholites, disposés dans des canaux à la convolution particulière (en 3D, 45° dans le plan frontal, 45° dans le plan sagittal du corps), se déplacent et appuient sur de minuscules cils connectés à des formations cérébrales spécifiques. Les canaux sont des détecteurs d'accélération angulaire, et les otholites, d'accélération linéaire. Notre vision euclidienne (ou plus exactement, la valeur de vérité que nous attachons à des mouvements de notre corps et des solides autour de nous traitables dans des coordonnées euclidiennes) pourrait bien être liée à cette géométrie vestibulaire (Poincaré).

Espaces et référentiels: une approche biophysique

A. Berthoz fier de sa formation d'ingénieur, pas de médecin. Ce sont des problèmes de robotique.

Le problème d'Einstein-Mach: un capteur inertiel ne peut pas discriminer une accélération de même grandeur que la gravité (9,81 m/s) et la gravité elle-même! Donc notre système vestibulaire non plus, par exemple quand l'animal tombe. Solution extraordinaire de la nature: 2 systèmes de neurones dans les noyaux vestibulaires, les uns qui traitent les signaux relatifs aux accélérations lentes, les autres aux rapides. Du coup, comme ils sont complètement séparés, quand j'incline la tête, c'est du système lent qui le mesure, quand je suis sur un mobile qui accélère, c'est le système rapide qui s'en rend compte. Si cette ségrégation avec interrogation séquentielle des système par le cerveau) n'existait pas, nous ne pourrions pas vraiment distinguer quand nous penchons la tête et quand nous accélérons (c'est d'ailleurs ce qui se passe à certaines vitesses, où nous compensons en levant la tête une accélération ressentie qui nous illusionne).

Pourquoi ce problème? Parce qu'il montre comment fonctionne un circuit raffiné, purement naturel et biologique, d'intégration du mouvement et de la perception. Pas besoin d'une centrale de commande supérieure, où convergeraient les informations et d'où partiraient les instructions. Contre la représentation anthropomorphique de la hiérarchie politique en neurobiologie de l'action: tout est dans l'ajustement réciproque de systèmes qui se sont spécialisés en fonction d'impératifs darwinien de traitement toujours plus discriminants et économes en temps de l'information sensorielle et motrice. Du coup, "Je" veux faire ceci ou cela n'est plus qu'une façon de parler: il n'y a pas de corrélats neural du "Je" qui doivent en respecter les exigences centralisatrices. Il n'y a dans la réalité cérébrale que de l'ajustement dynamique. Illustration: l'homme et les primates supérieurs en action seuls sont capables de codage égocentrique et allocentrique (pas simplement la distance entre mon corps et tel autre objet, mais entre tel objet et tel autre). Un traitement purement langagier des "perspectives", des "Je", n'explique pas pourquoi les animaux n'ont pas en fait un point de vue exactement superposable au nôtre.

E/ Mémoire, intentionnalité et planification de l'action: non plus la signification, mais le regard.

1/ La descente en ski: combinaison de la kinesthésie et de la vision (système vestibulaire). C'est l'exemple canonique de l'anticipation kinesthésique et de la planification visuelle, avec des sondages de temps en temps pour harmoniser les mouvements aux sinuosités de la trajectoire désirée. Un geste aussi complexe n'est possible que 1) parce que nous avons des plans intentionnels précâblés, et mobilisés au fur et à mesure, et 2) parce qu'au fur et à mesure de la progression de l'action, le cerveau traite comme des substituts de l'information sensorielle les copies de l'ordre moteur qui lui reviennent (réafférentiation).

2 systèmes de contrôle, hiérarchisés par l'évolution:

Problème: ce sont des fonctions attribuées de façon inférentielle à certaines structures, mais qui sont toujours des métaphores ("cartes motrices": population de neurones qui "conservent" des registres ordonnés de propriétés environnementale: Dieu sait comment! Les auto-associations partielles dans l'hippocampe ont l'air d'un miracle). On ne sait pas comment tout cela se passe, ni où. Il est assez rare, même si ce n'est pas impossible (cas du colliculus) que l'on puisse observer un représentation bi-univoque qui lie la propriété de l'environnement (une forme) avec un certain tracé neuronal de circulation de l'information neurobiochimique, voire d'activation mimétique des neurones. De plus, comment se fait-il que nous puissions changer si facilement de référentiels selon les tâches? Le cas le plus spectaculaire, c'est quand on s'aperçoit que les saccades oculaires (le trajet oculomoteur) nécessaires à explorer le visage de quelqu'un changent selon qu'on croit que (ou qu'on se demande si) il est riche ou pauvre! A ce degré, on retrouve le problème de l'intentionnalité forte: dès qu'elle est significative au niveau social, ce qu'on observe au niveau neurocognitif n'est plus un moyen de la réduire, c'est plutôt un ensemble de moyens qui sont au service du niveau mental irréductiblement supérieur. A ce niveau, on se demande si définit la perception comme une décision d'action avance beaucoup: quelle action? On retrouve le problème d'Anscombe.

En revanche, fait fascinant, PET scan de l'action pensée (projetée) = de l'action exécutée. Bien plus: il faut le même temps pour exécuter une tâche motrice et pour simplement l'imaginer! (imaginer l'effort a même des conséquences neurovégétatives comparables, ce qui prouverait la matérialité biologique de l'intention: cas du yoga…)

2/ Le regard: la tête bouge (système vestibulaire) en même temps que les yeux. La poursuite d'une cible comme expérience cruciale (c'est une adaptation vitale essentielle, qui a été sans aucun doute sélectionnée). Quand je bouge la tête, le monde reste immobile. Connexions entre les canaux vestibulaires et les neurones moteurs des yeux. On a montré qu'il fallait alors un véritable "modèle interne" dans le cerveau (exprimable en termes de "transformations de matrice" de coordonnées géométriques assurant l'échange d'informations pertinentes entre perception visuelle et mouvement des muscles des yeux réglés par le système vestibulaire)… C'est le type même de la transformation d'un problème de finalité biologique adaptative (avec maximisation des performances) en un problème naturalisé d'ingénierie avec un traitement purement causal et mathématique de l'intentionnalité.

Mais plus encore: ce n'est jamais l'intensité brute des sensations qui sert à nous repérer, c'est la concordance de la stimulation avec les "hypothèses" que fait le cerveau sur la base de ces "modèles" qui doivent y exister sous une forme ou sous une autre. Ces hypothèses sont des plans d'action étendus: le cerveau est toujours en train de prévoir et de prépare nos appareils sensoriels en fonction de l'action à venir. (nombreux exemples d'illusions d'A. Berthoz). Il y a donc aussi des "inférences inconscientes", des calculs de congruence ou de discongruence dans le cerveau, dont nous n'avons pas conscience, amis que nous pouvons modéliser. C'est même cette modélisation qui est à la base de nos simulateurs (de vols…).

3/ Un cas assez fascinant: le voir-toucher (quand j'approche ma main de la joue, je la sens avant qu'elle ne me touche)! Même décharge neuronale (un neurone bimodal du putamen). C'est déjà vrai chez les aveugles-nés, qui excitent des neurones visuels quand ils sont touchés. Effet de monde: l'intégration pleine de sens du monde extérieur comme étant mon monde: Merleau-Ponty.

4/ Incidence psychopathologique: l'autisme comme trouble de la cohérence de l'intégration. mais aussi le problème du contact œil à œil, entre la mère et l'enfant. A partir des postures, c'est l'alphabet de la socialisation qui se dessine (références anthropologiques).

L'insertion du corps en action dans la réalité

Défaire le primat cognitif de la perception (modèle de la contemplation du contenu spirituel d'un état de l'âme: de Platon à Husserl, y compris dans le problème de la naturalisation des contenus mentaux dans la théorie de la signification). Mais pas une théorie abstraite comme la téléosémantique darwinienne: ici, on part de l'action neurobiologiquement possible pour élucider les contenus de perception pertinent; nous n'avons pour "contenu" de sens (pour contenus mentaux) que ce qui nous permet d'agir et de survivre dans un monde mobile.

Monisme vs . dualisme. La référence à Merleau-Ponty ("ce livre est une apologie du corps"): le sens est toujours incarné (du "sens du mouvement" au "mouvement du sens": exploration neurosensorielle et constitution d'un monde biologiquement structuré). Conciliation de notre passivité à l'égard des événements externes et de notre initiative. Importance de la notion de "projection" pour A. Berthoz: l'acte créateur, peindre, sculpter, comme une expansion créatrice du corps en action mettant en forme le monde.

Contre la métaphore informatique (Fodor, le mentalais): de la biophysique évolutionnaire. Pas un problème de logique à naturaliser, mais un problème de "sens du monde" (de la phénoménologie, pas de la logique formelle). Renoncer à des intentions qui seraient, au cœur du mouvement des "représentations des fins" (sur un modèle logico-verbal), et qui serait donc éventuellement V ou F. Rappel: la tapette-à-souris que p. Contre la stratégie de réduction de l'intentionnalité à partir de problèmes formels: ce qui est stocké dans le cerveau, ce ne sont pas des clones cérébralisés des significations sédimentées dans la langue, ce sont des "kinesthèses", des "schèmes". Néanmoins, ces schèmes ne sont pas amorphes: ils entrent dans des procédures de traitement que nous ne pouvons scientifiquement considérer que comme des traitements mathématiques (de dérivée à intégrale, par ex., pour les infos qui portent sur les variables pertinentes d'un mouvement, de la position d'un membre et de l'accélération).

L'émotion comme tendance (l'action comme "é-motion"). Pas d'état affectif purement spirituel conçu sur le mode de la perception pure. Je suis ému en action (ou dans un projet d'action).

Enfin, de l'aveu même d'A. Berthoz, si la question idéaliste du '"Je" intentionnant est balayée par la dynamique neurosensorielle, le problème sans réponse, c'est l'intégration suprême: la nature de l'ego corporel qui intègre les informations issues du corps propre dans un "schéma corporel" (qui est ses actions possibles, pas une image préexistante). Remarque clinique féconde: ce qui compte alors, ce n'est pas le comportement moyen des individus en action, ce sont les efforts que font chacun d'eux pour réussir une tâche. Cela seul peut nous instruire sur les dynamiques en jeu.


Séance n°4: à partir de Comment l'esprit vient aux bêtes. Essai sur la représentation,

De Joëlle Proust, Gallimard, 1997, Paris.

Connexion avec la conférence précédente.

1/ Minimalisme biologique de Berthoz: pas l'action de haut niveau (l'apologue d'Anscombe), mais le contrôle du geste intentionnel élémentaire. A la fin pourtant, déception: comment l'intentionnalité est-elle présente dans le mouvement? Sous forme de "schèmes", ou de kinesthèses de type phénoménologique (Husserl et surtout Merleau-Ponty), qui s'intègrent dans un "schéma corporel", mais laissent plusieurs problèmes ouverts: 1) il en suffit pas de dire que ces schèmes ne sont pas des clones des significations téléologiques sédimentées dans la langue ordinaire pour qu'ils soient plus clairs: c'est leur nature de représentations capables de guider le mouvement vers des fins qui est en question. Notamment, quel est le statut de ces représentations neurophysiologiques complexes (des "cartes", etc.) impliquées dans le contrôle? Est-ce que ce sont des représentations en un sens fort (comme des croyances ou des désirs descriptibles par nos phrases et qui s'expriment comme des raisons: le héron croit qu'il y a un vairon sous l'algue et se prépare à donner un coup de bec de biais parce qu'il veut le manger) ? Ou est-ce là une simple métaphore d'ingénieur, une intentionnalité importée du fait que nous pouvons, nous qui avons des intentions, programmer des robots en fonction de nos buts, et ensuite traiter les mécanismes biologiques de contrôle neural du mouvement comme des roboticiens? 2) En remplaçant l'ego intégrateur suprême de la tradition philosophique par un schéma corporel kinesthésique, Berthoz a naturalisé l'instance intégrative suprême. Mais on ne sait commet pas comment elle exerce sa fonction intégrative: qu'est-ce qu'être l'agent de toutes ces actions biologiques naturalisées et implantées hiérarchiquement dans l'organisme? cela fait-il quelque chose comme un soi animal? Ou est-ce encore une métaphore? A l'arrière-plan de ces questions, il y a bien sûr le problème de l'homme. Proust avec les animaux cherche un "noyau" de l'esprit de l'homme.

2/ Le livre de Proust: sous-titré "Essai sur la représentation". Néanmoins, lien intrinsèque à la stratégie de naturalisation de l'intentionnalité, et donc du mental, par le biais du concept d'action. On s'appuie tout d'abord sur un concept de comportement qui est post-behavioriste: pas de boîte noire, mais l'exploration de ce qui se passe entre l'entrée perceptive et la sortie motrice, et qui a trait au contrôle biologique du comportement par le biais de représentations au sens fort. Donc les animaux (du moins certains physiologiquement équipés pour cela) ont une vie mentale, des pensées non-réflexives, certes, pas linguistiquement formées, en tout cas, proto-conceptuelle, pas consciente en un sens supérieur en tous, mais une relation qui est "objective" au monde extérieur qui est leur milieu. Objective: en tout cas, proto-référentielle, susceptible d'erreur (l'animal qui a des pensées sur ce qui l'environne doit pouvoir se tromper et se corriger), et aussi, bien que Proust n'aborde pas directement cette question, susceptible chez l'homme de servir de base pour les élaborations cognitives supérieures (il doit y avoir au-dessus des représentations de représentations). Certains animaux: pas tous. Mais c'est lié au souci de donner une définition philosophique non pas "nominale" de l'esprit (se servir du langage, ou d'outils, ce sont des critères particuliers qui ne sont pas forcément les seuls, ni nécessaires), mais réelle et génétique: qu'est-ce qu'il faut (ce qui est nécessaire et suffisant) pour avoir un esprit, et par quelles étapes l'acquière-t-on?

Encore le problème de mettre la description intentionnalisante de l'action à l'intérieur de l'action elle-même: faire en sorte que son orientation et son contrôle ne soit pas l'effet d'une description toute extérieure, conventionnelle, mais bien la présence ontologiquement réelle d'une intelligence finalisée au sein du comportement vivant et des séquences d'actions qu'on peut découper. Distinguer: une chasse peut-être décrite de façon complexe et variable (même procédé qu'Anscombe, avec des effets d'accordéon à gogo), néanmoins, cet arbitraire descriptif n'empêche pas qu'il y ait des repérages de terrain, des saisies de proie, des coordinations musculaires diverses qui composent les actions déterminantes du processus. Qu'on puisse dénaturaliser l'action en acte social n'empêche pas qu'il y ait une couche d'action impliquée par les "fonctions" vitales des organismes. Mais bien sûr, en repartant de la présence de représentations à ce niveau, on peut spéculer sur la possibilité de remonter ensuite vers les représentations cognitives supérieures. On lorgne toujours vers l'idéal de naturalisation complète de Pacherie, in fine: les emboîtements de "catégorisation" qui sous-tendent notre usage du langage et des catégories culturelles et symboliques.

Extrême difficulté du livre: prolifération argumentative liée à l'intégration de contraintes toujours plus fortes, et à la nécessité à tout moment de résister à l'argument interprétativiste (Anscombe ou dérivé: l'intentionnalité est imputée (anti-réalisme), et nous ne faisons jamais que de l'anthropomorphisme éthologique). De plus, toujours le reproche possible du biologiste: est-ce nécessaire d'introduire une telle complexité et une notion hasardeuse de représentation interne non-verbale chez l'animal? On se contenterait bien de la "sérendipité" du comportement, quand on examine le vivant du point de vue darwinien (complété par une approche vérificationniste qui passe pour antiscientifique aux yeux des épistémologues). Les biologistes éthologistes n'ont pas de problème avec la finalité en général, pourquoi faudrait-il qu'ils en aient un de plus raffiné encore avec l'intentionnalité? La psychologie animale toujours enquête de justification par rapport à l'homme. Donc débat contre Skinner (qu'est-ce qu'un esprit représentationnel ajoute aux schémas précâblés, aux purs réflexes conditionnés, et à ce qu'on pourrait réduire à des apprentissages par conditionnement opérant plus loi de Thorndike à point de départ empirique aléatoire?). Aussi situation dans un champ très précis: Dretske et la téléosémantique de Millikan, qu'on intègre, contre Nagel (le point de vue de la chauve-souris: le mystère de la vie mentale animale) ou encore Davidson (normativisme qui nie les lois psychophysiques strictes).

On retrouve alors les problèmes de Pacherie, en revenant de l'action vers la représentation: quel est le statut causal des raisons intentionnelles de l'action? Comment expliquer qu'un contenu de sens (même s'il n'est pas propositionnel) ait un effet dans le contrôle et la régulation objective d'une action d'un organisme? On voit bien qu'on ne peut pas séparer naturalisation de l'intentionnalité dans l'action et dans la représentation sémantique (i.e. référentielle).

Proust obligé in fine de défendre le caractère philosophique de sa démarche, alors que c'est de la vulgarisation de psychologie cognitive des animaux, et en même temps, une synthèse qui modifie le sens des concepts de cette science. Les puristes ricanent: mais ceux qui ne se veulent pas consciemment assujettis aux normes de rationalité des sciences de leur temps (en assumant leur historicité) sont trop souvent des gens qui ignorent à quelles autres normes de rationalité ils sont assujettis, et qui du coup sont en danger de n'être assujettis à aucune. Facile de crier au scientisme.

Plan du livre (centré sur l'action plus que sur la représentation) selon l'argument:

Ce que calculent l'animal dans son cerveau complexe est-il représentatif, et de quoi?

1/ Proust fonctionnaliste: l'argument de la machine de Turing (mentalisme plus physicalisme). Il y a du calcul dans la nature, ce n'est pas un artefact culturel. Le théorème de Löwenheim-Skolem. Mais c'est extensionnel, pas intensionnel.

2/ Retour sur les propositions attitudinatives: opacité référentielle et absence de généralisation existentielle (Jean croit que le Père Noël existe). Nécessité de l'aspect comme "présentation" qualitative, s'il y a pensée. Problèmes:

  1. Le problème de l'irréductibilité de cette présentation en première personne (Nagel).
  2. Mécaniser une tâche complexe ce n'est pas lui attribuer un contenu représentationnel étape par étape. L'ordinateur "calcule" (il fonctionne, il tourne), il ne pense pas au sens fort. La chambre chinoise de Searle.
  3. L'indétermination de la traduction (Quine): interpréter des réseaux neuronaux n'est pas plus univoque que la langue des étrangers. Pas gênant peut-être à un niveau basique. Sûrement plus au niveau supérieur: pluralité des interprétations, selon ce qu'on privilégie comme structure et ce qu'on néglige comme bruit. Les limites des principes d'humanité (projective selon Dennett) et de cohérence (charité davidsonienne).

3/ Des réponses? L'idée de fonction calculable appliquée au cerveau "en général" comme partie de la nature. Quelle que soit la complexité nécessaire à penser, il y a des contraintes matérielles de "design" sur le dispositif représentationnel (par exemple les voies associatives cérébrales qui permettent de contrôler les isomorphismes des vecteurs neuraux, et de coordonner dans le toit optique de la chouette les cartes visuelles aux cartes sonores, ou bien les contraintes morphologiques en vue d'une efficacité mécanique: les os). Enfin le réalisme intentionnel veut que mes intentions préexistent à leur interprétation (au moins vrai au niveau élémentaire dont il est question ici, où il n'y pas de propositions attitudinatives).

La "fonction représentationnelle" contrôle de l'intérieur le comportement

1/ Réussir à résoudre radicalement le problème d'Anscombe en sélectionnant des séquences d'action biologiquement pertinente. Mais n'est-ce pas avoir recours à de la téléologie irréductible au lieu de l'intentionnalité linguistique descriptive?

Intégrer la fonction représentationnelle à une action qui, dans la nature, peut échouer. La représentation peut être fausse (nécessité de laisser l'erreur possible: donc il ne peut y avoir d'accouplement rigide entre stimulus et réponse). Problème distinct de celui de la normativité dit Proust contre Millikan. Néanmoins, lien causal. Mais pas loi.

On ne peut intégrer la représentation à l'action qu'en pensant à la façon dont l'action a été initiée (c'est ce en vertu de quoi elle l'a été). C'est un segment initial de l'action. Et la représentation agit encore à des moments cruciaux de son déroulement (Berthoz et le comparateur d'action dans les réafférences). Problème des chaînes causales déviantes et de l'accordéon. Proust pense que les contraintes architecturale dans le cerveau permettent de réduire ces phénomènes: différence entre l'action selon un récit et selon un processus biologique. En plus, un comportement n'est pas ici lié à une action physique précise, à un mouvement. C'est le simple fait de vivre qui est l'action totale dans laquelle sont découpées les actions particulières (guidées par des représentations internes).

Solution: 1) 2 séquences causales (Dretske, schéma p. 141): une action physique sur le récepteur couplé à un stockage de l'information extraite, et utilisation de cette information comme cause motrice. Rien de plus antibehavioriste (mais c'est conceptuel, pas tellement empirique: en fait on ne sait pas où sont implémentées les structures qui correspondent à ces 2 séquences causales). On montre juste que le point de départ des apprentissages est souvent lié à une représentation dynamique du champ perceptif qui préexiste à l'action: exemple des pigeons qui picorent, ou des oiseaux élevés en planétarium qui apprennent sans voler la carte des étoiles, ce n'est pas du conditionnement opérant. Bien voir aussi que l'explication de la fonction se fait toujours ici par les conséquences (ce sont elles qui sont sélectionnées par l'évolution), pas par le but. 2) Il faut dissocier but (valeur à atteindre, téléologie dans nos représentations humaines) et fonction: exemple du plancton qui se règle sur al constance de l'intensité lumineuse, mais avec la fonction toute autre de rester à la profondeur où l'eau a une concentration donnée en oxygène. Le contenu représentatif du but est dissocié de la fonction totale pour l'organisme; mais il faut les 2. Donc ce n'est pas du finalisme naïf. 3) Enfin théorie des dispositions et des propensions vers l'avenir: c'est un mécanisme causal qui contient son programme, et où un comportement a lieu non pas "pour" atteindre un but mais "parce qu'il" permet de l'atteindre; et le fait que ce ne soit pas une loi causale rigide est pensé dans le cadre d'une interprétation propensionniste des probabilités (qui sont plus que des possibles, qui sont alors des dispositions à, liées à une certaine efficacité causale: Popper) de succès au niveau de l'espèce prise globalement dans son contexte, et pas de l'individu (ce qui permet d'intégrer la composante génétique et ménager la place de l'échec de tel organisme). Pour qu'il y ait sélection, il ne faut pas définir la fonction par l'histoire de son succès passé pour la reproduction de l'espèce, mais par sa capacité à évoluer dans des contextes nouveaux (le ca de l'évolution du lexique, variation de notre fonction représentationnelle en relation au milieu social et matériel).

Evidemment, on a plus l'impression qu'il s'agit de sélectionner les théories philosophiques compatibles avec le projet naturaliste, que de prouver que les choses se passent bien ainsi. Mais au moins cela clarifie ce que nous pouvons attendre de nos intuitions sur le comportement animal en offrant une alternative entre le finalisme pur et le mécanicisme pur.

Vers l'objectivité des représentations animales

Il faut plus qu'un traitement de l'information sensorielle, il faut une forme subduite de référence. Il faut que les causes du comportement guidé par les représentations soient aussi ses raisons. Mais avec le postulat réaliste de la démarche, il faut que les représentations soient articulés à quelque chose de réel "déjà potentiellement représentable" au dehors. Il doit donc y avoir une vision du monde des animaux intelligents, une idée qu'il y a un espace extérieur organisé (contre Nagel: étudier ce monde des animaux ne sera jamais le ressentir; OK, mais en déplaçant le problème du côté de la psychopathologie, c'est moins sûr).

Le problème de l'accordéon causal des actions extérieures pertinentes se déplace en accordéon informationnel: il va falloir hiérarchiser les stimuli proximaux et distaux (ob-jectifs = extérieurs). Place crucial du distal pour qu'il y ait représentation (c'est plus que la simple réaction à l'information, c'est moins que le "voir comme" réflexif et humain).

La solution multimodale:

Quelques éléments de critique

Descartes: 1) l'"à-propos" de l'esprit n'est pas vraiment menacé par cette théorie. C'est une pensée infra-humaine. Tout est proto (ou "subdoxastique"), mais souvent on fait comme si ce n'était pas proto: Proust parle facilement de croyances animales, surtout quand elle explique que ces (proto)croyances sont parfois fausses; de fait, comment penser la fausseté de quelque chose de subdoxastique, sinon par référence à notre usage des phrases et à nos croyances logiques? Mais c'est du protoconceptuel, protoréférentiel, et en un sens protointentionnel. Le vrai lieu où se décidera la pertinence de cette théorie, c'est la contrainte effective qu'elle fera peser sur le niveau normal de l'intentionnalité (imputée). Importance décisive de la psychopathologie cognitive! Ce que les représentations "animales" de bas niveau perturbées décident chez l'homme normal (ses actions et ses actes). Problème autrement plus grave de l'indétermination de la traduction de réseaux neuronaux dans le cas des maladies mentales. 2) Impasse sur le "moralement impossible". Erreur sur les animaux-machines: concept inséparable de la morale. De plus, on ne voit pas bien combien l'exception que l'homme construit pour son propre compte contre les animaux est justifiée. Naturalisme: position éthique et même métaéthique (pas seulement méthodologique post-Quine): faut-il respecter quelque chose chez les animaux, s'ils pensent? Peut-on poser la question après, et pas plutôt avant de défendre la thèse de Proust?

Etrange asocialité des bêtes représentatives. Individualisme (cérébral) exagéré: Proust ne s'intérese qu'à rendre compatible ce qui passe dans la machinerie représentationnelle de l'individu avec ce qui se passe au niveau darwinien (aux représentations phylogénétiques). Dretske avec Millikan. Mais l'espèce, c'est aussi les autres individus qui me donnent naissance et avec qui j'ai des relations représentationnelles privilégiées. Idée que l'on veut penser que c'est l'individu "qui est à la barre", et que ce sont ses raisons qui deviennent des causes. Et les parents? Et les congénères? Sont-ils un adjuvant contingent? S'il y a une proto-représentation, pourquoi pas en même temps, et de façon plus holiste comme chez les humains, un proto-langage animal? On a vite fait de faire resurgir la question de l'anthropomorphisme, mais pourquoi pas (nos frères inférieurs)? Surtout, cela redéplacerait au niveau animal la problématique interprétativiste: comment le chaton sait-il ce que lui représente sa mère de façon subdoxastique et protoréférentielle?

La question de savoir comment les représentations sont réidentifiées au niveau subdoxastique est incompréhensible. En général, je ne vois pas comment l'identité (le "même" objet distal dans les stratégies de recalibration perceptive multimodale) peut avoir un sens en dehors de la manipulation symbolique de haut niveau (la loi de Leibniz, par ex., suppose le "voir comme"). On ne comprend guère ce qu'est une protoréférence accompagnée de "protocoréférentialité". A ce niveau, la naturalisation ressemble à un jargon anthropomorphique qui dénie en être un. Problème de Kant: comment le sensoriel peut-il devenir objectif? Solution, ici, en refusant le transcendantalisme et la théorie du jugement (traitement propositionnel). Or est-ce possible?


Séance n°5: à partir de Action et réaction, vie et aventures d'un couple,

De Jean Starobinski, Gallimard, 1997, Paris.

 

Comment conclure?

Pas un commentaire du livre, une analyse de l'usage psychologique et biologique du couple action/réaction. Chapitres 3 et 4. Aucun intérêt pour la méthode littéraire de Starobinski: analyse des mots, et histoire philologique. En revanche, importance capitale de la prise du couple action/réaction dans le discours culturel et social d'une époque. En fait, c'est une caution de scientifictité majeure de l'articulation bio/psy. Aussi bien la réaction au stimulus dans le réflexe que'au conditionnement behavioriste, qu'au milieu vital (milieu externe et milieu interne au sens de Cl. Bernard), aux traumatismes aux réactions des autres dans la société, etc. En passant par la notion de réaction (en quoi Starobinski a la main heureuse), on voit mieux quel sens il convient de donner à la notion d'action, et quel contexte large permet de s'y référer. L'action seule, c'est trop confus.

Rappel du problème de départ: peut-on traiter l'action comme un concept causal (naturalisation, méthodologie des sciences de la nature)? L'obstacle de la description (apologue d'Anscombe). Pacherie, Berthoz, et en un sens Proust qui s'alimente aux 2 sources de la logique formelle et de la biologie (neurobiologie et éthologie cognitive), tentent de répondre à cette objection préliminaire wittgensteinienne. Qu'est-ce qu'elle nous apprend?

Thèse défendue ici de la réaction comme vérité du concept cognitiviste d'action. C'est le moyen ccptuel de faire rentrer l'intentionnalité dans le cadre matériel de l'action causale. On utilise ainsi les ressources équivoques de la notion. La réaction est subindividuelle, et donc analytique (elle oblige à décomposer le tout qui régit dans des mécanismes de réaction), mais pas incompatible avec le holisme de l'organisme (au total, la réaction est adaptée, c'est une action qui s'insère adéquatement dans le réseau des conditions déterminantes qui l'ont causée). On pense ainsi à la fois la genèse du fait matériel (l'action comme mouvement, geste, esquisse motrice, activation neuronale, selon qu'on va vers le plus grossier ou le plus fin), mais aussi la production d'une valeur (réagir positivement ou négativement, bien ou mal, etc.). Bref, c'est la panacée.

Attention, ce n'est pas une manière de nier l'autonomie de l'organisme, le fait qu'il a des plans propres et une capacité d'initiative. Tjrs la différence entre cognitivisme et behaviorisme. C'est reporter un cran plus loin la réaction que dans la réaction immédiate (type stimulus/réponse). Désormais, on réagit à longue distance, par exemple à une modification du milieu, à une nouvelle opportunité écologique (en invoquant des principes darwiniens qui sont "moteurs", mais pas en un sens stupidement mécanique); c'est pourquoi l'organisme agit vraiment à son niveau, mais il réagit en fait, et la vérité de son action c'est la réaction qui le renvoie à ses conditions bio et psy de survie et de reproduction.

Récapitulation de l'argument naturaliste

Rappel de la démarche générale de ces conférences. C'est plutôt un déluge de touts de force pour surmonter les obstacles.

Pacherie: attaquer le pb par le haut. Peut-on naturaliser la sémantique? Postuler d'emblée que l'intelligence, c'est la rationalité: point de départ, il "faut bien" qu'il y ait une connexion réelle entre intention et action. Le contenu sémantique de ma pensée, de ce que je crois (évaluable comme V ou F) "doit" donc jouer un rôle dans mon action en tant qu'action. Voilà la contre-itution fondamentale anti-Anscombe.

Mais pb de l'erreur. Si je construis un mécanisme fiable qui explique pourquoi je pense ce que je pense et pourquoi ce que je pense est dans telle ou telle condition objective vrai, alors que devient l'erreur? Il faut postuler que les erreurs ne sont que des dysfonctionnements du mécanisme (de la "tapette-à-souris" que p, comme dit Fodor).

Très peu de moyens de trouver des représentations sub-individuelles, pré-linguistiques, qui soient les briques élémentaires de la construction de la pensée. La référence à la catégorisation est presque un désespoir théorique. Si tout ce qu'il y a pour naturaliser la sémantique, ce sont les catégories, alors la cause est entendue, c'est aussi peu contraignant que par exemple l'existence d'organes phonatoires pour la parole. Ici, il y a va de l'appréciation quasi esthétique! Nous partageons ces catégories, tous, mais nous ne pouvons rien en tirer pour nous mettre d'accord sur ce qui nous importe. On est tiré sans cesse vers le haut que l'on voudrait réduire (naturaliser la sémantique, c'est naturaliser le langage, le social, etc.), simplement parce que pour isoler les éléments de degré infime qui sont les briques, il faut surveiller leur fonction dans les élaborations de très haut niveau.

Résultat final plutôt d'ordre méthodologique. On procède par accumulation de contraintes, au lieu de considérer chaque étape comme une réfutation en soi. Cela demeure vrai dans la solution de Proust. Noter l'extrême fragilité d'ensemble d'une solution vraiment "théorique" à un pb qui est d'ordre intuitif, presque spontanément inscrit dans la manipulation quotidienne du langage courant. C'est pourquoi les solutions cognitivistes ont toujours l'air de parler d'autre chose que de la pensée de tous les jours, de l'action de tous les jours.

Berthoz: un programme purement biologique et plus modeste. Pas l'intentionnalité, à partir de l'action de signifier un contenu sémantiquement évaluable, mais les gestes simples des corps en mouvement, corps percevant et agissant d'un même pas. Le bras qui pompe, pas le héros qui sauve le monde du complot des Nazis!

On part là d'autre chose que d'une contre-intution à opposer à Anscombe, et qui est un fait neurobiologique (rendu observable par des moyens techniques sophistiqués): la perception est une simulation interne (= cérébrale) de l'action, une hypothèse vivante, incarnée, sur ce qui arriverait si je faisais ceci ou cela, elle anticipe donc sur les conséquences d'une action. Solution au problème classique de la passivité de la perception: si elle était passive, nous serions submergés par les percepts. Nous les trions. Or nous ne pouvons les trier qu'à partir de finalités qui sont les nôtres (darwinisme). Il suit qu'il doit y avoir de l'intentionnalité intrinsèque dans l'organisme, des plans, des buts.

Pendant longtemps, cela a été une théorie philosophique (Bergson, le cerveau comme centre d'action). On suppose ici que l'objectivation scientifique "confirme" l'hypothèse spéculative. Tjts le même pb: l'hypothèse philosophique n'est pas une hypothèse, ni même une conjecture. C'est une clarification, une manière de voir l'action, une manière de la décrire pour rendre d'autres actions possible, et chez Bergson, notamment, une morale et diverses évaluations directement articulées à cette philosophie de la perception et de l'action (un pragmatisme). Même si les mots se ressemblent, Bergson n'est nullement confirmé! En fait, la prudence ultime de Berthoz est d'en rester à des généralités sur les usages humains possible du mouvement et de l'action qui n'ont pas besoin du détail de ses expériences neurobiologiques pour exister (ces généralités sont logiquement indépendante de la façon dont les résultats scientifiques sont obtenus). La neurobiologie de l'action est simplement une autre manière que la manière métaphysique, et donc un peu plus à la mode, de justifier ces généralités, dont la teneur reste cependant philosophique.

Au total, Berthoz reste très ennuyé pour exprime ce que sont ces intentionnalités, qui sont à la fois spontanées et réglées par des exigences évolutionnaires, et pour penser leur mode d'intégration dans un organisme, dans un Soi. Des "schèmes", certes; mais alors, on ne voit pas comment les intégrer à des croyances motivantes qui sont sémantiquement évaluables (V/F).

Proust, solution dialectique (au moins telle que je la présente à des fins pédagogiques) entre Pacherie et Berthoz, entre les exigences d'un contenu vrai des croyances, et celle d'un schème moteur qui régule des actions élémentaires adaptées au milieu. Il y a des représentations animales qui guident l'action dans un cadre fonctionnaliste, et qui sont sémantiquement évaluables. On peut en parler comme de "représentations" mentales, même si les animaux n'ont pas de réflexivité ni de langage. 2 conditions: théorie de l'objet distal (il y a une référence à un ob-jet), et notion de recalibrage perceptif (correction intermodualire des capteurs sensoriels) qui permet l'erreur et sa correction. S'il y a de l'ob-jet, il y a du mental, un proto-sujet animal qui a un esprit en un sens fort.

J'avais conclu sur le paradoxe de cette position. On en viendrait à attribuer de l'esprit sur des bases purement épistémologiques à des animaux pourvus qu'ils soient capables de corriger mutuellement des entrées sensorielles et de construire un objet distal (avec donc des plans d'action qui luis ont relatifs), alors que ces animaux sont très simples. En revanche, avec les oiseaux ou les primates, à qui on attribue volontiers une forme simple d'esprit représentationnel, il faudrait se contenter de ces critères subindividuels et cognitifs, sans tenir compte des congénères, et avec la référence des représentations de ces animaux, du facteur correctif qu'est l'échange avec le reste du groupe social? Non, là où l'argument de l'esprit animal est convaincant, Proust ne parle jamais de ce que les autres animaux, depuis l'élevage, apprennent les uns des autres, d'un protolangage animal, donc. On met proto à représentation, référence, mais on le détache ainsi du réseau conceptuel où ces mots ont du sens (du langage, de la co-référence, etc.).

Quelle action? Quelle réaction?

Proust, solution au pb de Lorenz: "Le compagnon dans l'environnement propre de l'oiseau", 1935 (texte à lire). Même conception que Proust, mais pas simplement épistémologique. En fait, l'objet distal essentiel des animaux, c'est le congénère; derrière l'épistémologie, il y a une sociologie, une théorie de ce qu'est le semblable comme objet. Impossible de mobiliser des concepts de la théorie de la connaissance philosophique sans devoir justifier leur sens à un niveau qui est même politique (titre de Lorenz, et ses attendus qui sont explicites dans le texte sur la nature du social chez l'homme et les animaux); en revanche, la rhétorique cognitive qui se calque sur le partage des domaines dans les sciences fait comme si on pouvait le faire ici. Cela va + loin que le refus d'inclure le langage. C'est toute l'économie des représentations théoriques mobilisées qui est en jeu.

Trait constant: on attribue à l'objet d'étude la capacité de décider d'un conflit méthodologique. Pour les cognitivistes, la distance entre sciences sociales et sciences naturelles doit fondre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que des sciences naturalisées. La nature humaine est une partie de la nature comme les électrons ou les cellules. Donc on récuse le social tant qu'il n'est pas naturalisé. Mais ici, il y a un problème de construction! Les théories qui mettent la vie et la pensée en continuité sont des constructions métaphysiques. Donner l'action comme le maillon manquant entre psy et bio, ce n'est pas découvrir un fait empirique (comme un os mi-singe mi-homme dans un gisement jusque là ignoré). C'est détacher l'action du réseau de concept où elle s'inscrit et lui donner un rôle théorique spécial. Cela s'évalue par rapport aux fins philosophiques que l'on poursuit, et pas du tout en fonction de la pertinence éventuelle pour ordonner le matériel scientifique.

Descombes à l'inverse de Proust et des causalistes cognitivistes. L'action est impensable en-dehors de son réseau conceptuel propre. C'est un concept irréductiblement intentionnel, au point qu'il n'y a même plus de causalité efficiente, mais seulement téléologique. L'action est un ordre de subordination entre des événements, et pas une chaîne causale spéciale. En fait, un enchaînement n'est une action que si un sujet l'autorise ou l'ordonne (et c'est toujours social, faire et faire faire équivalent). Du coup, poids radical de la description comme condition de l'imputation morale. Mais ce n'est pas intuitif: je ne me demande pas si c'est bien moi qui agit en vérifiant que j'ai les raisons de m'imputer l'action, j'agis, et mes raisons sont immédiatement cause de ce que je fais. Je sens que c'est moi qui agit, et on aura du mal à me dire que ce sentiment accompagne seulement l'intention, et n'a aucun rôle dans ce que je fais. Là encore, que s'agit-il de sauver? Quelle action construit-on? Une action imputable, à des fins morales et politiques.

L'entre-deux existe-t-il? L'usage grammatical n'est pas univoque. Son équivocité parle pour l'enracinement de l'action dans la nature, y serait-elle irréductible.

D'où l'idée de fouiller le type de discours qui mobilise l'action dans la science moderne et dans la psychologie populaire: action et réaction = enracinement de la réaction psychologique dans la nature des choses, cela fait partie de sa grammaire. On réagit selon ce qu'on est, mais dans une direction dont on reste plus ou moins maître.

Son usage en médecine et en psychothérapie: "amener la réaction" (l'abréaction) du malade, l'épicrise. Il y a là une logique de récit, une description, un but à atteindre, mais sur des bases causales, selon des conditions naturelles déterminantes. Idée de "pathologie réactionnelle".

Que l'action/réaction est un schéma épistémologique très ancien et extra scientifique: Bichat: la vie est un "principe de réaction", et surréagir, comme les enfants, au-delà de l'action dont on est capable, c'est la marque de la surabondance de la vie. On voit alors se dessiner derrière le concept abstrait d'action une théorie de la vie insérée dans un milieu hostile, qui conspire à sa mort, et auquel il faut donner (c'est vivre) une réponse énergique et adéquate, quoique finie. Le + frappant, dans ce que montre Starobinski, c'est que Bichat déjà isole le cerveau comme l'espace spécifique du dialogue entre volition et sensation, et qu'il fait du sensori-moteur le nœud de l'affaire (avant Berthoz et toute raison empirique de le faire). On touche du doigt ce que nous ne pouvons pas nous empêcher de penser parce que c'est comme inscrit dans la langue et les représentations savantes. Mais C. Bernard ne dit rien d'autre. C'est du Bichat compliqué par l'existence d'un "milieu intérieur". La vie comme "création", selon lui, ce n'est rien qu'une "réaction" continuée, stabilisée par l'exigence des équilibres du milieu intérieur.

Il vaut la peine de voir comment ce couple action/réaction structure en profondeur le débat, et fait perdre à l'action son innocence épistémologique en l'insérant dans une représentation métaphysique de la vie enracinée dans notre culture.

Le vitalisme du désir comme moyen de naturaliser l'action (Starobinski 111: texte à lire). On voit bien ici quelle image de la tension vitale nous paraît digne d'explication. La construction de l'objet distal des animaux, l'effet enretour qui adapte notre mouvement à sa cible, tout cela relativise la force de la vision biologisante et cognitive de la vie. C'est une grammaire de la vie dont les coordonnées sont + culturelles, et en tous cas, qui nous propose en sous-main une éthique particulière.

Mais:

La réaction, à la différence de la passion, n'est pas une excuse, à mesure même qu'elle naturalise la passion. "Ne reste pas sans agir" comme exhortation, et " je n'ai fait que réagir" comme excuse. La "réaction de la personne" Lacan. D'ailleurs, chez Starobinski, vision paranoïaque de l'individu moderne. Le contrôle des réactions, voilà l'affaire. Plutôt que les contrôle moral des passions, le contrôle objectif des réactions. Mais ce n'est pas la même société qui s'organise ainsi.

Est-ce une dimension idéologique dominante, qui affleure dans le cognitivisme? Elargir le contexte de la réaction au-delà du pur mécanique. Idée de réactivité comme potentiel psychobiologique. Fausse intentionnalité, pourtant, concessive et pragmatique. Parler = interagir ,en est l'expression canonique.

En outre, cette propriété miraculeuse de l'action (entendue comme réaction complexe, retardée, déclenchée par un contexte et pas juste par une excitation), se prête à d'autres lectures. Réaction et ressentiment chez Nietszche (là, on part de la lacune morale d'être réactif pour lui donner une texture physiologique). Pas du tout la communauté kantienne, mais une dissymétrie hiérarchique entre action et réaction. L'action prime, la réaction est une réponse vouée à la petitesse et à la mesquinerie, car seconde par rapport à l'action. Autre modèle: Valéry: "je suis réaction à ce que je suis".

Tout cela pour faire valoir la complexité du jeu de langage de l'action, quand on la rapproche des termes connexes (passion, réaction) qui ont totalement disparu de la discussion épistémologique, ou plutôt de l'épistémologisation cognitive des débats sur la vie et la pensée. Mais ils sont là, et il ne faut donc pas perdre de vue le type de prise en charge de l'humain qu'engendre sa vision dans ce cadre.

Pb enfin de la psychopathologie cognitive (moment normatif): puisqu'on peut faire des actions adaptées par des processus hautement déviants, intentionnaliser "au second degré" par une procédure d'attribution et de redescription, ce qui ne l'est pas forcément d'emblée, pb du seuil de l'anormal. Pas de métacritère entre attribuer des croyances vraies à un sujet et le rendre incohérent, le supposer cohérent et lui attribuer des croyances motivantes fausses, et le supposer véridique et cohérent, mais lui attribuer aussi des désirs déviants (composante éthique). L'action résultante est non-naturalisable (problème central de la clinique psychopathologique. Les pathologies mentales ne sont pas en général mortelles. Elles désocialisent, mais on peut faire des rustines, même dans le cas des fameux troubles de la catégorisation hiérarchique chez les schizophrènes (il y a des psychoses subcliniques, où les anomalies de la catégorisation sont gérées à un autre niveau, par exemple par la tolérance sociale à l'extravagance relative de la création artistique en matière verbale). Le cas limite, être agi, lien avec la destruction du soi. Pour une psychopathologie cognitive, il faudrait donc découvrir des processus qui sont anormal sous n'importe quelle redescription. On comprend la valeur essentielle des recherches dans cette direction: pas une valeur pratique, une valeur théorique de défense du paradigme réaliste contre l'intentionnalisme interprétativiste.

Rappel de la question lors de la 1ère séance, les 2 options: naturalisme radical ou naturalisme modéré. Choix d'un naturalisme très modéré, celui de l'évidence de l'appartenance de l'homme à la nature. Mais le naturalisme cognitiviste ne nous apprend sur l'homme que ce que les sciences biologiques nous ont toujours appris: qu'il a les moyens de ce qu'il fait. Elles ne nous disent pas ce qu'il doit faire. En fait, c'est peut-être une erreur d'objet. Il y a d'autre Soi que le soi mental (le sujet de la philosophie traditionnelle) à expliquer par le biais de cette théorie très sophistiquée de l'action, entre biologie et représentation mentale (ou un équivalent fonctionnel de la représentation), et qui sont vraisemblablement à même de bénéficier de la recherche cognitiviste: par exemple les communautés d'agents économiques, ou bien le système immunitaire (du Soi au non-Soi). En tous cas, certainement certains animaux. Mais en tant qu'ils ne sont pas l'homme, avec ce réseau d'emblée donné d'intentions irréductibles qui fondent sa vie morale.