Séminaires de psychanalyse à l'Association lacanienne internationale (1999-2018)

Année 1999-2000: A partir de l'hystérie

Année 2000-2001: Clarifications sur la Loi symbolique

Année 2001-2002: Vous avez dit "signifiant"?

Année 2002-2003: Les perversions, le mal et le sexologue

Année 2003-2004: Le sujet et son acte

Année 2004-2005: La névrose obsessionnelle

Année 2005-2006: La névrose obsessionnelle (deuxième année)

Année 2006-2007: Lacan/Bion: qu'est-ce que "l'appareil psychique"?

Année 2007-2008: Amour et sexe

Année 2008-2009: L'association libre

Année 2009-2010: Quelle « civilisation », quel « malaise », quelles cures ?

Année 2010-2011: A quoi reconnaît-on une psychose?

Année 2011-2012: La fin des coupables?

Année 2012-2013: Qu'est-ce qui est thérapeutique?

Année 2013-2014: Le rêve, entre Freud et Bion

Année 2014-2015: Une lecture de Bion

Année 2015-2016: Questions techniques en psychanalyse après Bion: transfert, contre transfert et association libre

Année 2016-2017: L'enfant, le jeu, l'image, le rêve

Année 2017-2018: L'enfant, le jeu, l'image, le rêve (deuxième année)

Les troisièmes jeudis, à l'Association lacanienne internationale, 25 rue de Lille, Paris. Pour assister, me contacter.


Année 1999-2000: A partir de l'hystérie

Le séminaire de l'an passé à Sainte-Anne a continué, dans le cadre de l'Ecole Psychanalytique créée par Marcel Czermak et tous ceux qui le soutiennent.

Après les considérations sur le rêve, et la lecture de la Traumdeutung que j'ai défendue, je voudrais quitter les eaux de la théorie pure, et de l'analyse des textes de Freud, pour poser des questions de clinique et de société. Ce sera l'occasion de mettre à l'épreuve le concept d'"intentionnalité" dont j'avais commencé à indiquer la portée, en rectifiant plusieurs contresens, et en pointant sa valeur. Ce sera également l'occasion de s'éloigner un peu de la défense strictement conceptuelle du Freud historique (quoique la tâche demeure nécessaire), pour retrouver certaines analyses de Lacan, et surtout, les reprendre à nouveau frais.

Je prendrai donc pour fil conducteur le phénomène extrêmement étrange qui se déroule en ce moment sous nos yeux, sous la forme de ces épidémies américaines dites du "Syndrome de Fatigue Chronique", ou du "Trouble des Personnalités Multiples", en interrogeant comment ces pathologies spectaculaires prennent la relève, dans des coordonnées à établir, des formes plus classiques, et, si j'ose dire, orthodoxes, de l'hystérie collective. S'il y a un "discours hystérique", en effet, il n'est possible qu'au carrefour d'un très grand nombre d'articulations, qui mobilisent aussi bien la médecine et la science, que le réel des pouvoirs économiques, sociaux, juridiques, sans oublier, bien sûr, l'imaginaire de la culture, et plus profondément encore, une certaine théorie de ce qu'est le langage et du lien symbolique entre mots et choses. C'est au déploiement de cette configuration aux Etats-Unis que je compte m'atteler, parce qu'elle annonce, me semble-t-il, quelque chose de tout à fait angoissant, et dont il importe de prendre la mesure. Une mutation très importante du "discours hystérique" y paraît en cours, sous les coups de ce que Lacan a nommé "discours capitaliste", et dont il a pointé l'effet spécialement dissolvant sur le "discours du maître". Grâce à la notion d'intentionnalité, je voudrais montrer (mais dans le grain du détail qui intéresse le clinicien) comment l'extension vertigineuse du concept de dépression en psychopathologie, la naturalisation de plus en plus nette de la vie mentale par la rationalité cognitiviste, et la récusation délibérée du transfert subjectif, convergent pour en manifester la virulence.

Après une première mise en place de ces idées générales, je tenterais de montrer de quelle manière on peut analyser d'une façon un peu nouvelle et critique ces affects cruciaux que seront pour nous, au départ, la honte, la culpabilité, la perte de l'estime de soi, la pudeur et la haine. Les outils employés seront, à nouveau, ceux de la philosophie analytique.


Année 2000-2001: Clarifications sur la "Loi symbolique"

Dans le sillage du néo-naturalisme contemporain, qui se fixe comme idéal épistémologique de refondre le savoir sur l'homme (et en particulier le savoir clinique) selon les canons des sciences de la nature, la notion de "Loi symbolique" s'est insensiblement transformée en une forme vague de "convention" plus ou moins contraignante, ou encore conçue comme une "idéalisation" non-critique. Il est ainsi devenu de plus en plus difficile de caractériser en quoi on ne peut pas faire l'objection à la loi symbolique, en son sens rigoureux et opératoire, du relativisme culturel, voire du positivisme juridique. Au contraire, elle est en danger de servir de caution à des raidissements moralisateurs (quand il s'agit des lois imprescriptibles de la parenté), et parfois au même moment à des appels à la tolérance (pour des figures imaginaires de l'Autre qu'est l'étranger, etc.). Les débats récents sur le PACS, puis sur l'homoparentalité, censés (et parfois en invoquant Lacan, ou des lois psychanalytiques de la nature humaine!) annoncer une sorte de dégradation ontologique de notre condition, ou bien encore l'appel à considérer les pathologies mentales des migrants comme des formes culturellement déterminées de mal-être devant lesquelles la médecine mentale occidentale et scientifique devrait reconnaître ses limitations intrinsèques, sont des exemples très éloignés en apparence, mais en réalité étroitement connexes de la même incompréhension de la notion de Loi symbolique. Quand à l'idée à la mode d'une "ethnopsychiatrie", promue par Tobie Nathan, elle repose sur le "constructivisme social" appliqué à la clinique mentale, dont toute la teneur est de nier qu'il existe même une Loi symbolique. Loin, ainsi, d'être un prétendu antidote humaniste à l'extension des neurosciences en psychiatrie, je défendrai donc la thèse selon laquelle l'ethnopsychiatrie, avec sa filiation psychanalytique abâtardie, la compléterait: aux uns le câblage dur, aux autres le supplément d'âme...

Ce séminaire aura pour vocation de revenir à l'articulation conceptuelle et notamment logique qui sous-tend l'usage correct de cette notion-clé dans le champ de la clinique du sujet. A partir de ce qui est au principe de l'identité, des noms propres, de la signification et de la référence, des traits classificatoires, des règles du langage, ainsi que de la nécessité et de l'impossibilité telles qu'elles s'y manifestent, on fera émerger ce que suggèrent des recherches récentes, après Freud et Lacan, mais qui intéressent le champ qu'ils ont ouvert. Je cheminerai donc en lisant, avec pédagogie, des textes réputés difficiles de Wittgenstein, Kripke, Goodman, Hacking et quelques autres, en vue de retourner armé aux débats actuels, et d'ajuster la réplique.


Année 2001-2002, Vous avez dit "signifiant"?

(Ce séminaire est associé au CESAMES)

Quelle différence, épistémologique et clinique, fait au juste l'introduction par Lacan de la notion de "signifiant"? Elle n'est que superficiellement linguistique, et l'invocation de Saussure ne doit pas abuser: Lacan, sur le plan technique, fait usage d'une notion jakobsonienne du signifiant (surtout phonologique), et il s'intéresse surtout à ce que le concept permet de capter: en quoi il faut davantage le rapprocher de l'anthropologie structurale ou de la poétique des années 60. A cet égard, j'essaierai de montrer le fruit que Lacan a tiré de la confrontation alors fort vive entre les points de vue de Hjelmslev (plutôt orienté sur la lettre) et de Jakobson (plutôt orienté sur la rhétorique).

Cette référence au signifiant a-t-elle pour autant vieilli? N'était-ce qu'un "modèle"? Bref, y a-t-il une psychanalyse sans "signifiant" (ou son équivalent épistémologique)? En outre, on oublie souvent que si elle est importable en psychanalyse, c'est aussi parce que l'objet clinique que la psychanalyse partage avec la psychiatrie (objet problématique commun, et qui lui permet de revendiquer d'être plus qu'"une autre manière de voir les choses"), peut s'analyser en termes de signifiants.

Je proposerai donc de comparer la façon dont Freud et Lacan caractérisent les unités du travail psychique de l'inconscient dans L'interprétation du rêve, la Psychopathologie de la vie quotidienne, le livre sur le Witz et le cas Schreber, et de répondre à plusieurs difficultés. A quelles conditions pourrait-on se mettre d'accord sur ce qui est un signifiant et ce qui ne l'est pas? Qu'est-ce que cela décide du cadre de la cure, mais aussi du type de validité qu'une explication psychanalytique peut avoir, vue "du dehors" (en particulier dans le contexte général d'hostilité qui prévaut aujourd'hui)? Le recours au signifiant résout-il les apories freudiennes des "pensées de désir" dans leur articulation aux "motions de désir"? Que gagne-t-on à introduire la "logique du signifiant" dans la doctrine des pulsions et du Vorstellungsrepräsentanz? Pour quels motifs enfin Lacan a-t-il finit par faire un usage quasi informel de la notion, à mesure qu'il l'insérait dans l'ensemble plus vaste d'une théorie de l'acte, de l'objet, puis dans une topologie?

Comme les années précédentes l'accent sera mis sur une discussion d'arguments pro et contra, et sur la réponse à des objections fondamentales touchant la consistance de la position de Lacan eu égard à sa visée; on se reportera notamment aux critiques de Vincent Descombes formulées du point de vue de la philosophie de l'esprit. Mais je saisirai l'occasion d'une analyse un peu serrée du concept de signification pour introduire à la lecture de Donald Davidson, et reprendre ma lecture du nominalisme de Nelson Goodman.


Année 2002-2003: Les perversions, le mal et la sexologie

(Ce séminaire est associé au CESAMES)

Le séminaire aura deux objets. Je livrerai tout d'abord un commentaire systématique de " Kant avec Sade ", qui passe pour un des textes les plus difficiles des Ecrits, en le mettant en relation avec les problématiques contemporaines de la philosophie morale, et en particulier avec le paradoxe du " nazi raisonneur " chez Anscombe (la traduction de Intentions étant désormais disponible). C'est une question très difficile en effet de savoir comment une théorie phliosophique de l'action est exigible en préalable pour parler rationnellement du mal. En parallèle, j'interrogerai les modalités de construction, à la fois épistémologiques et historiques, de la sexologie. En effet, l'individualisme libertaire tendant à ramener toute norme de conduite sexuelle à une convention relativisable (et pourquoi pas l'inceste?), la récusation argumenté de la psychanalyse sur les bases d'une scientificité revendiquée à divers titre (à la fois sociologique et biologique), et l'idée de légitimer tout rapport sexuel pourvu qu'il procède du " consentement éclairé " de deux personnes engagées par un contrat tacite dans leur relation, tous thèmes liés, me paraissent constituer l'envers rationaliste et l'idéal désormais vulgarisé de la face plus obscure décelée par Lacan chez Sade. Quand les perversions ont été médicalement ramenées à des "paraphilies" (une laïcisation du concept due à Stekel), la dimension morale des premières disparaissant, elle a entraîné dans son éclipse la portée subjective des actes pervers, considérée comme de simples "conduites déviantes". Que s'est-il passé exactement à ce moment? Je tenterai, à l'appui de mon argument, une lecture à la fois psychanalytique et épistémologique de certains textes canoniques de la sexologie, depuis les origines jusqu'à nos jours.

Un certain nombre de remarques cliniques étayeront mon propos, notamment touchant le moi du très grand pervers (objet pour la criminologie et pour la psychiatrie) et certaines de ses évolutions paranoïaques particulièrement significatives. Je présume en effet que l'objectivation des conduites sexuelles, avec la désubjectivation corrélative des symptômes sexuels qu'elle entraîne, fait désormais partie du contexte social sur lequel la psychanalyse est appelée à prendre position.


Année 2003-2004: Le sujet et son acte

(ce séminaire est associé au CESAMES)

La problématique des perversions mettait au premier plan les conditions sous lesquelles un agir du sujet peut être ou non qualifié d'acte, en particulier les conditions transférentielles, et l'effet de division qui en résulte pour l'agent, effet à quoi le pervers pare de façon singulière. Dans la suite du séminaire de l'an passé consacré à cette question, il paraît maintenant intéressant d'examiner les liens intrinsèques qui unissent le sujet et l'acte, chez Lacan: l'un ne pouvant peut-être pas avoir de sens sans l'autre. La spécificité psychanalytique de leur articulation obligera alors à prendre position par rapport à d'autres façons de se représenter leurs rapports. Il y a celle mise en avant par la psychiatrie (notamment cognitive), qui insiste sur le lien agent/action. Ce sera l'occasion de continuer une réflexion ancienne de ce séminaire sur l'intentionnalité et la naturalisation (neuro-)biologique de la vie mentale, que je nourrirai, à partir des textes classiques d'Anscombe, de remarques sur le problème bien connu de l'intentionnalité de l'action, et de la logique de l'action confrontée à celle (hypothétique) de l'acte. Mais il y a aussi celle, si particulière, et beaucoup moins connue, examinée par les philosophes néo-positivistes et par Wittgenstein, confrontés au problème de savoir ce que deviennent l'éthique et le sujet, dans un monde entièrement régi par sa structure logique. Car ceux-ci se sont tournés vers Freud, Kafka, ou Dostoevsky, entre autres, pour chercher ce qui pouvait bien en rester. L'éthique du bien dire sur quoi ils débouchent sera mise en relation avec ce que Lacan suggère; ses séminaires sur l'angoisse, l'alogique du fantasme et l'acte psychanalytique seront au premier plan.

Un premier point d'application clinique de ces recherches sera la question de ce qu'il en est de l'acte et de l'action dans la névrose obsessionnelle (ses inhibitions, son idéation suicidaire, ses luttes anxieuses en situation de compulsion, etc.). Le second point d'application clinique particulier de ces réflexions portera sur la responsabilité dans le passage à l'acte (question aujourd'hui redoutable vu ce qu'on impute désormais aux malades mentaux "criminels") qui pourrait bénéficier d'un éclairage plus théorique, moins naïf, en tout cas, sur la liberté de la volonté.


Année 2004-2005: La névrose obsessionnelle

(ce séminaire est associé au CESAMES)

Je continuerai les recherches commencées l'an passé à partir du problème de l'acte et de l'action, sur deux axes: 1° ce qu'apporte éventuellement d'un point de vue clinique et théorique l'analyse logico-grammaticale des énoncés d'acte et d'action (distinguée d'une analyse menée purement en termes de chaîne signifiante), 2° son incidence sur la compréhension de la névrose obsessionnelle.
Je prendrai mes ressources à la fois dans les débats philosophiques contemporains sur la question de la volonté, de l'intentionnalité et de l'action, et dans l'histoire même de la psychiatrie, avec l'idée de mieux comprendre ce qui s'est joué dans la théorisation freudienne de la névrose obsessionnelle, et comment cette névrose peut-être aujourd'hui la cible d'un démembrement très parlant en termes de TOC.


Année 2009-2010: Quelle « civilisation », quel « malaise », quelles cures ?

Dans la suite du séminaire 2008-2009 sur l’espace qui s’ouvre entre « association libre » et « attention également flottante », j’examinerai comment différentes versions de la cure (Bion et Lacan) sont sensibles à des déterminations historiques et anthropologiques, en passant par une critique détaillée des lectures apocalyptiques récentes du Malaise dans la civilisation.

Enregistrement des séances disponible ici.


Année 2010-2011: A quoi reconnaît-on une psychose?

Le séminaire de cette année reviendra notamment sur Schreber, à partir de ma traduction des Paradoxes of Delusion: Schreber, Wittgenstein, and the Schizophrenic Mind, de Louis Sass, à paraître en janvier 2011. Comme les années précédentes, l’accent sera mis sur les critères, les enjeux psychanalytiques étant éclairés à partir de réflexions épistémologiques et historiques sur la notion de « psychose ». Le séminaire partira d'une analyse d'une nouvelle de Henry James, "The Altar of the Dead", qui aborde la question de la mélancolie.

Enregistrement des séances disponible ici.


Année 2011-2012: La fin des coupables?

Ce séminaire sera en quelque sorte le ban d'essai de la seconde partie de l'enquête commencée avec Âmes scrupuleuses, vie d'angoisse tristes obsédés. Je me propose d'y examiner comment la problématique de la "névrose obsessionnelle", invention nosographique freudienne appelé à un extraordinaire succès jusqu'aux années 1970, a lentement évolué vers ce qu'on appelle aujourd'hui les "troubles obsessionnels-compulsifs" (avec leur thérapie spécifique, cognitivo-comportementale et psychopharmacologique). L'approche sera à la fois historique, anthropologique et épistémologique, puisqu'il s'agira autant d'examiner les mutations du statut de la culpabilité dans les sociétés individualistes contemporaines, que les effets de la naturalisation scientifique sur la donnée même de la subjectivité. En contrepoint, et dans la mesure où ce sera possible, je mettrai au travail l'écriture d'un cas assez exemplaire de la différence qui force aujourd'hui à distinguer impérativement symptomatologie "obsessionnelle" et névrose obsessionnelle, du point de vue qui compte en psychanalyse, celui du transfert.


Année 2012-2013: Qu'est-ce qui est thérapeutique?


Un des modes les plus banals d'idéalisation de la psychanalyse consiste à affirmer une différence qualitative absolue entre « l'or pur » de son essence, et les « alliages » dégradants avec autrefois la suggestion et désormais la psychothérapie auxquels la voue, de facto, son existence sociale et ses affinités contraintes avec la médecine et l'hygiène mentale.
Incontestablement, la dimension thérapeutique de psychanalyse pose problème. Une entrée dans ce problème, cette année, sera de revenir sur la question controversée de la réaction thérapeutique négative, en lui donnant un statut de critère : c'est du point de vue de la psychanalyse, et de son point de vue seul, que ce qui est thérapeutique peut être, en soi, la cause d'une réaction négative, et non, comme on pourrait s'y attendre, la réaction négative le simple effet d'une entreprise thérapeutique qui échoue (auquel cas il n'y a pas de thérapeutique du tout). Or le problème de la réaction thérapeutique négative communique par des voies qu'on explorera à nouveau frais avec les questions de la compulsion de répétition, du surmoi, et de la pulsion de mort. Il n'est donc pas très difficile d'en faire un portail pour considérer la signification pratique de la systématisation de la psychanalyse chez Freud dès les années 1920.
Ce séminaire continue toutefois celui de l'année passée en interrogeant les conditions historiques et anthropologiques du développement de la psychanalyse, notamment dans l'entre-deux-guerres. L'hypothèse que je voudrais développer est la suivante : la méfiance à l'égard du thérapeutique ne serait-elle pas l'effet d'une certaine donne anthropologique, celle que dans mon récent travail sur la contrainte intérieure et l'histoire de la névrose obsessionnelle (Âmes scrupuleuses, puis La Fin des coupables), j'ai appelé l'autonomie-aspiration ? Dans ce dispositif, le poids donnait à l'angoisse et à la culpabilité est absolument central. La tension entre le moi, l'idéal du moi et le surmoi est un organisateur de la condition humaine. Mais dans la mesure où l'on peut soutenir émerge depuis un certain nombre de décennies une autre modalité de l'autonomisation individuelle dans nos sociétés, celle que j'ai baptisée l'autonomie-condition, la question du thérapeutique pourrait peut-être se poser dans d'autres termes. Si l'autonomie-condition n'est rien d'autre qu'une contrainte absolutisée, immédiate et sans tension, alors on pourrait revenir sur la constitution fondamentale de l'homme coupable.
J'essaierai ainsi de montrer, chez Melanie Klein, combien la position dépressive et l'intégration de la culpabilité n'est en réalité qu'une des options possibles de la fabrique du soi. J'essaierai de montrer que certains phénomènes cliniques liés à l'autonomie-condition, qui mettent l'accent beaucoup plus sur la honte que sur la culpabilité, sur la dépression que sur la névrose ou la mélancolie classique, sur l'hypocondrie plutôt que sur l'intériorisation mentale, sont bien des modes d'organisation alternative et pas du tout des dégradations structurales d'un sujet freudien éternel.
Mais alors, dans ce cadre précis, ne pourrait-on pas envisager une véritable nécessité interne à la thérapie par la psychanalyse ? Dit crûment, la férocité du surmoi et le style d'êtres humains auxquels l'histoire nous confrontent n'exigent-ils pas d'en démordre sur certaines idéalisations puristes et, de façon ordonnée, de réfléchir à la dimension thérapeutique bien-fondée de nos pratiques ?
Comme d'habitude, je doublerai cette réflexion proprement psychanalytique d'une enquête de nature épistémologique et philosophique. Son premier volet consistera à examiner ce que l'on sait aujourd'hui de la notion de psychothérapie, en particulier à travers l’œuvre austère de Bruce Wampold. Le second volet mettra une fois encore à l'honneur Stanley Cavell, et sa lecture profonde des ambitions thérapeutiques d'un Wittgenstein : j'avançais doucement vers l'idée que c'est moins d'une psychothérapie qu'il s'agit, que d'une thérapie du dire, ou du discours, ou du langage ordinaire peut-être, mais qui en tout cas à cette singulière propriété de devoir alors se servir de ce qui est malade, le langage, comme instrument de soin appliqué à lui-même.

Enregistrement des séances accessible en ligne.


Année 2013-2014: Le rêve, entre Freud et Bion

Comme Jean-Pierre Lefebvre vient de (re-)traduire la Traumdeutung, le séminaire de cette année sera consacré au rêve, “entre” Freud et Bion. Que nous apprend au juste la transformation de la problématique du rêve en psychanalyse, du fondateur à Bion (qui l'un et l'autre considèrent le rêve comme une voie royale pour accéder à l'inconscient, mais sûrement pas pour les mêmes raisons, ni non plus avec la même idée de la cure) Le point de départ sera un retour critique sur un travail ancien, mon Introduction à L’interprétation du rêve de Freud: une philosophie de l’esprit inconscient. Le fil conducteur era l'examen de l'idée de "réalité psychique" en psychanalyse, entre une approche, disons, psychologisante, et une approche davantage centrée sur la parole et le langage. L'esprit qui rêve, le récit de rêve et la grammaire logique du "rêver", dans leurs relations compliquées, nous offrent les moyens d'une première triangulation. L'idée de "rêverie" chez Bion et quelques autres sera l'horizon que nous tenterons d'approcher.
En guise de hors-d’œuvre: La subversion du « psychisme » chez Bion et sa signification pour lʼestablishment psychanalytique en France

Enregistrement des séances accessible en ligne.


Année 2014-2015: Une lecture de Bion


À partir du travail collectif de traduction de James Grotstein entrepris l’an passé, je me livrerai à une lecture critique de son approche de Bion, que j’élargirai à l’examen de thèmes particuliers de la pensée de Bion, en me concentrant sur la notion d’intuition en psychanalyse. Le séminaire de cette année partira donc de la traduction collective du livre de James Grotstein, A Beam of Intense Darkness, dont les premières séances seront consacrées à finaliser le texte.

Gilles Delès a obligeamment mis en ligne les enregsitrements des séances sur ce site.


Année 2015-2016: Questions techniques en psychanalyse après Bion: transfert, contre-transfert et association libre

Le thème général de cette année demeurera bionien, au moins dans l’esprit. Je voudrais explorer l’incidence des idées de Bion non plus sur l’intuition, comme l’an passé, mais sur la façon dont transfert (contre-transfert) et association libre se coordonnent.
Or c’est l’objet d’un vif débat, dont le livre de C. Bollas, Le Moment freudien, porte la trace. C’est donc de ce livre que je vais partir.
Je retrouverai aussi plusieurs motifs esquissés ces deux dernières années: la question des actes de langage “indirects” en séance (de ce qui est exprimé, mais qui n’est pas dit), notamment. Quant à la question du transfert et de l’amour de transfert, je l’aborderai par un biais inédit: non plus l’amour du patient pour l’analyste, mais ce qu’il en est de l’“amour” du psychanalyste pour le patient (entendu comme son “prochain”), en un sens tout à fait particulier. Car c’est un amour “sans désir ni mémoire”, tout l’inverse de l’éros.
Je me réfèrerai à ce sujet deux ouvrages que je vous recommande fortement: Les Œuvres de l’amour, de Kierkegaard (dans le volume 14 des Œuvres complètes) et L’Amour et la justice comme compétences, de Luc Boltanski.

Gilles Delès a obligeamment mis en ligne les enregistrements des cinq premières séances sur ce site.

Séance n°6, 17 mars 2016

Séance n°7, avril 2016

Séance n°8, mai 2016


Année 2016-2017: L'enfant, l'image, le jeu, le rêve

Le séminaire tâchera d'aborder d'un œil neuf, autant que faire se peut, la question du jeu et du dessin dans la psychanalyse des enfants, en mobilisant certaines avancées et certaines hypothèses de l'iconologie contemporaine, notamment les travaux d'Alfred Gell (L'art et ses agents. Une théorie anthropologique, traduction française aux Presses du réel en 2009), et Horst Bredekamp (Théorie de l'acte d'image, traduction française aux éditions la découverte en 2015). À cette première indication bibliographique, j'en ajouterai deux autres, le livre d'Antonino Ferro, L'enfant et le psychanalyste (traduction française chez ERES en 2009), et celui de Domenico Chianese et Andreina Fontana, Imaginons. Le visible et l'inconscient (traduction française aux éditions d'Ithaque en 2015), notamment parce que ce dernier livre fait explicitement référence à Aby Warburg, dont le nom revient souvent dans les problèmes fondamentaux de l'iconologie actuelle.

Ce sera l'occasion d'explorer la zone un peu mystérieuse où de nombreux auteurs psychanalytiques contemporains, et notamment les psychanalystes d'enfants, pressentent une proximité essentielle entre Winnicott et Bion. Comme je l'ai dit l'an dernier, je trouverais donc particulièrement bienvenu que ceux et celles d'entre vous qui ont rencontré dans des expériences de jeu ou de dessin avec les enfants des situations susceptibles de poser un problème de principe contribuent au séminaire en versant leur matériel et leur réflexion au débat. Et tant pis si cela me force à remettre à l'année prochaine le développement de mes intentions théoriques.

Comme vous l'indique d'entrée de jeu le titre de Bredekamp, mon approche des questions d'image et de jeu (dans la psychanalyse des enfants) s'inscrit dans la continuité des propositions que j'ai faites l'an passé sur la théorie des actes de langage, et notamment sur les actes de langages dits « indirects ». Y a-t-il des « actes d'image » comme il y a des actes de langage ? Et s'il y a, comme on le tient souvent pour acquis sans en déplier toute la finesse conceptuelle, un lien intrinsèque entre l'image et le jeu, alors, par extension, qu'est-ce que cela nous apprend sur la possibilité de traiter une image ou un jeu d'enfant (ou cette combinaison de l'image et du jeu représenté par le squiggle chez Winnicott) comme l'équivalent fonctionnel de l'association libre chez l'adulte ? « Faire image » (et jouer à faire image), est-il pour autant un équivalent fonctionnel de l'énonciation (transférentielle) ?

Or l'idée m'est venue de donner un préalable à l'ensemble de ces considérations (sur lesquelles vous me permettrez de faire planer le suspens). Et ce préalable sera anthropologique. Si nous voulons prendre au sérieux, scientifiquement, la question de la psychanalyse des enfants, il paraît judicieux d'approcher la question de l'enfance d'un point de vue anthropologique et donc comparatif, ce qui revient à se demander sur quoi reposent nos rituels thérapeutiques avec l'enfant qui va mal. Or il y a un ensemble de textes, auquel j'ai déjà fait allusion, qui m'aideront imposer en détail ce problème. Ils ont pour horizon Oedipe Africain, des Ortigues (L'harmattan, 1984). Il s'agit du livre de Jacqueline Rabain, L'enfant du lignage. Du sevrage à la classe d'âge (réédité chez Payot en 1994), et de l'article qu'elle a écrit avec Andras Zempleni sur l'enfant nit ku bon chez les Wolofs. Je ne désespère pas d'obtenir d'Andras Zempleni qu'il vienne nous dire son sentiment, après coup, sur ce travail, mais nous aurons peut-être un travail de groupe, plus psychanalytique, autour de la contribution de Jacqueline Rabain.

Je voudrais en effet aborder la psychanalyse d'enfant, et à l'intérieur de cette psychanalyse le jeu, l'image, le rêve et le langage, dans le cadre des « rituels thérapeutiques » propres aux sociétés individualistes. On verra en quoi cette façon de procéder se démarque des conceptions psychologiques dominantes. Ce sont les connexions conceptuelles mais aussi cliniques entre l'enfance, l'activité imaginative, la production d'images et de rêves, le rêve et le transfert entre l'enfant et l'adulte qui sont censées en ressortir métamorphosées. La différence entre la compréhension habituelle du jeu, des images, voire des tests projectifs avec les enfants, n'en sera que plus sensible. Au carrefour de toutes ces recherches sur les actes de langage et, de façon plus hypothétique, les « actes d'image » entendus comme de quasi énonciations, on pourra enfin tester de façon inédite les célèbres propositions du travail de Winnicott auquel je me référerai abondamment (La consultation thérapeutique et l'enfant, traduction française chez Gallimard, 1971). Voir aussi Aby Warburg, Fragment sur l'expression et L’Atlas Mnémosyne, publiés chez l'écarquillé. Du même, Le Rituel du serpent, chez macula. De Georges Didi-Huberman, L’Image survivante : histoire de l'art au temps des fantômes selon Aby Warburg, aux éditions de minuit. Chez Ithaque, Imaginons, de Dominico Chianese et Andreina Fontana. Aux presses du réel, trois volumes sur les nouvelles théories écologiques et leurs applications, sous le titre Penser l’image.

Séance n°1, 20 octobre 2016

Séance n°2, 17 novembre 2016. Schéma des jeux d'enfants ("squiggle du squiggle").

Voir aussi "Winnicott chez les Wolofs, ou la psychanalyse d'enfant comme rituel thérapeutique" (exposé au séminaire "Le nouvel esprit de la psychiatrie et de la santé mentale")

Séance n°3, 17 décembre 2016

Séance n°4, 19 janvier 2017, avec Andras Zempleni

Séance n°5, 23 février 2017

Séance n°6, 16 mars 2017

Séance n°7, 20 avril 2017

Séance n°8, 18 mai 2017

Séance n°9, 15 juin 2017


Année 2017-2018: L'enfant, l'image, le jeu, le rêve (deuxième année)

Le séminaire de cette année continuera celui de l'année précédente, qui avait été surtout consacré à une comparaison de nature anthropologique. Il repartira de mon examen du livre fondateur de D. Widlöcher, L'Interprétation des dessins d'enfant. Mais il s'engagera davantage dans le volet iconologique du projet, que je commencerai par rappeler, avant d'expliciter davantage en quoi Warburg (lu notamment par Didi-Huberman et Carlo Severi) peut nous éclairer sur les enjeux et les moyens du dessin d'enfant en psychanalyse.

Séance n°1, 19 octobre 2017.

Séance n°2, 16 novembre 2017 et nouveau schéma du "squiggle du squiggle"

Séance n°3, 21 décembre 2017

Un texte d'Edmond Ortigues difficile à trouver : Le message en blanc, dans les Cahiers internationaux de symbolisme, 1964, n°5, p.75-93: récit d'une cure d'un adolescent sérère, avec la description verbale d'un certain nombre de ses dessins.

Séance n°4, 18 janvier 2018 (sur Carlo Severi), également au format MP3

Séance n°5, 15 février 2018 avec le "cycle de la chimère-squiggle"

Séance n°6, 15 mars 2018

Séance n°7, 17 mai 2018

Séance n°8 (avec discussion générale)


Lettre aux participants sur l'interruption de ce séminaire, le 11 septembre 2018

Chers tous, chers amis et collègues,


Comme vous avez pu le remarquer, je n'ai pas communiqué cette année de thème pour mon séminaire. C'est que je le suspends au moins pour cette année. J'ai décidé en effet de renoncer à être membre de l'Association lacanienne internationale, et par conséquent à y abriter mon séminaire, le très mauvais procès fait à mon camarade Jean-Jacques Tyszler, avec qui je travaille depuis maintenant presque 15 ans, étant la goutte qui a finalement fait déborder le vase. Je ne me sens tout simplement plus en sécurité, intellectuellement comme moralement, dans une institution que j'ai pourtant fréquentée pendant 25 ans, et à laquelle je dois ma formation de psychanalyste.
Mais il n'y a pas que des raisons de cet ordre à ma décision. Le séminaire de l'année dernière m'a en effet confronté à de telles difficultés conceptuelles, et à de telles lacunes de mon information à la fois psychanalytique et scientifique, qu'il m'a paru nécessaire, sous peine de radoter, de prendre une sorte d'année sabbatique de lecture et d'approfondissements.
Je me suis également chargé de responsabilités nouvelles, fort lourdes, dans mon université (à l'EHESS). Comme vous pourrez le voir sur ma page personnelle, j'ouvre cette année un séminaire de philosophie et de sciences sociales. Mais le travail entamé devant vous et avec vous (car je n'oublie pas ceux et celles qui ont bien voulu faire cadeau de tant d'heures d'un dur labeur pour traduire des auteurs méconnus), ce travail ne s'arrête pas, puisque j'ai décidé de consacrer la moitié des séances de ce séminaire à poursuivre l'enquête sur la psychanalyse des enfants dont vous avez eu la primeur. Bien sûr, il s'agira plus de philosophie des sciences que de clinique, mais c'est encore le même objet, que j'approche par une autre face.
C'est quand même un crève-cœur, je ne vous le cache pas. Je quitte des gens qui ont beaucoup compté pour moi. Et ceux qui partagent mon sentiment de dégoût et d'indignation sont bien loin de former un groupe uni, prêt à une nouvelle aventure commune. Mais enfin, c'est la vie parisienne de la psychanalyse ! Peut-être même est-ce une opportunité. J'espère que dans les mois qui viennent, émergera une autre structure susceptible de m'accueillir, et où je me sente suffisamment soutenu pour pouvoir honorer comme il se doit la confiance que vous m'avez montrée toutes ces années. Si c'est le cas, je vous tiendrai bien sûr au courant.
Cordialement,

Pierre-Henri Castel